Dans un monde contemporain marqué de manière paradoxale par la désaffection de la croyance religieuse chez les uns, l’émergence d’une pratique ostentatoire chez les autres, le football association est souvent assimilé à une nouvelle religion. Peut-on souscrire à ce constat ? Voici la première question que pose le dossier du cinquième numéro de Football(s). Histoire, culture, économie, société.
Les supporters assemblés dans de véritables confréries semblent en effet conviés à une célébration construite autour de rituels participatifs qui ont à voir avec les liturgies des religions. S’ils questionnent le sort et le destin, ils ne renvoient toutefois pas à une quelconque transcendance (Christian Bromberger). Le religieux est peut-être alors à chercher dans l’esthétique et le sublime d’un geste technique ou d’un instant crucial du jeu immortalisés par les appareils des photographes et les caméras de télévision. Parfois à l’envi, tant l’image footballistique s’est répandue dans l’imaginaire porté par les écrans contemporains (Jean-François Diana). Le religieux est sans doute à dénicher dans les manifestations d’une pensée magique associée au football. Les superstitions, autant celles des joueurs que des supporters, serviraient alors à prévenir le caractère absurde du jeu, c’est-à-dire son insupportable incertitude, et au-delà, celle de la condition humaine (Katarzyna Herd et Albrecht Sonntag).
Le dossier veut aussi questionner les liens entre football et religion, principalement le catholicisme. En France, la diffusion du jeu s’est faite dans l’ouest et le nord du pays sous l’égide de vicaires et curés sportifs, qui s’en servent comme moyen d’évangélisation et d’éducation. Ils contribuent ainsi à l’essor d’une des premières grandes organisations sportives hexagonales : la Fédération Sportive et Gymnastique des Patronages de France (FGSPF). Même si certains « clercs » du football comme Henri Delaunay trahissent le sport confessionnel en fondant en 1919 la laïque Fédération française de football association, la foi catholique reste bien vive aujourd’hui parmi les joueurs professionnels (Bruno Dumons). Quant à la FGSPF, la consultation de ses archives consent aux historiens du sport de retracer les premières décennies du football en France marquées notamment par la création de la Coupe de France (Fabien Grœninger). Le cas français n’est toutefois pas isolé. En Belgique, dans la première moitié du vingtième siècle, les organisations catholiques ont joué un rôle important dans la diffusion du football sur les pelouses du plat pays (Xavier Breuil).
La foi religieuse a pu également servir d’étendard identitaire pour de grands clubs de football fondés à la fin du xixe siècle. C’est le cas du Celtic, l’équipe chérie par les immigrés irlandais de Glasgow. Toutefois, l’identité religieuse contribue surtout à alimenter la rivalité avec le voisin protestant des Rangers et à faire fructifier les recettes des deux clubs professionnels même si, aujourd’hui, la profitabilité de « The Old Firm », autrement dit les rencontres opposant les deux clubs, est réduite par la baisse d’attractivité des compétitions écossaises (Luc Arrondel et Richard Duhautois). L’association de la religion au professionnalisme peut parfois venir d’en haut, si l’on considère le cas de l’Académie Catholique de Football Gyula Grosics fondée en juin 2009 dans la ville de Gyula (Hongrie) par László Kiss-Rigó, évêque de Szeged-Csanád. Il ne s’agit plus d’éduquer et d’encadrer la jeunesse : l’Académie a tout simplement pour but de former les jeunes gens au métier de footballeur. Toutefois, le choix du nom du gardien du but du onze d’or hongrois mené par Ferenc Puskás n’est pas fortuit. Gyula Grosics était un fervent catholique, que sa mère destinait à la prêtrise et il eut à souffrir de sa piété sous le régime stalinien de Mátyás Rákosi (Géza Szász).
L’exemple magyar vient rappeler que le religieux reste très présent dans le football du xxie siècle. Les ultras marseillais, prompts à vilipender leurs adversaires du Paris-Saint-Germain, placent volontiers l’Olympique de Marseille sous la protection de la Bonne Mère lors des rencontres importantes (Stanislas Maruffi). De même, la multiplication de gestes ostentatoires à caractère religieux sur les terrains de Ligue 1 ou Ligue 2 pose aujourd’hui la question du respect de la laïcité dans le sport, même s’ils renvoient surtout à des rituels de superstition visant à renforcer la confiance en soi et à conjurer le mauvais sort (Jean Bréhon et Olivier Chovaux).
La présentation du dossier pourrait suggérer que le ballon rond entretient une relation privilégiée avec le spirituel et le sacré. C’est pour partie vrai en France où les histoires du rugby ont souvent voulu opposer un football catholique à une ovalie anticléricale et dirigée par des francs-maçons. La figure de l’abbé Pistre et de son apostolat sportif dans le département du Tarn et jusqu’aux micros de TF1, vient néanmoins nuancer cette représentation (Joris Vincent). Les récits légendaires de la geste rugbystique et des troisièmes mi-temps de l’abbé suggèrent que le milieu rugbystique ne faisait pas que « bouffer du curé ». Ils rappellent surtout que la religion a contribué et contribue encore à la construction des identités et des mythes forgés par les footballs, lesquels ne sont sans doute pas des religions au sens propre du terme.