Olivier Chovaux, François Da Rocha Carneiro, Revue du Nord Hors-série

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« La France du Nord, une société de football ? (xixe-xxie siècles). Hommage à Alfred Wahl », sous la direction de Olivier Chovaux et de François Da Rocha Carneiro, Revue du Nord Hors-série, Collection Histoire, n° 46, 2023.

Editor's notes

Pascal François est membre du comité de rédaction de Football(s), Histoire, culture, économie, société.

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Figure n° 6 : couverture de l’ouvrage La France du Nord, une société de football ?

Figure n° 6 : couverture de l’ouvrage La France du Nord, une société de football ?

La recherche historique nationale septentrionale sur le football affirme son dynamisme par ce volume hors-série, moins état des lieux que synthèse stimulante et roborative, qui interroge les pistes de recherche les plus contemporaines en histoire du sport et « témoigne également de la vitalité des recherches entreprises autour du football depuis près d’un demi-siècle ». La stratégie de l’équipe éditoriale, composée de chercheurs pour l’essentiel chevronnés appartenant à différents univers, est tournée vers l’offensive volontairement placée sous la figure tutélaire du pionnier Alfred Wahl. L’intention est de croiser les problématiques spécifiques au football avec des mises en perspectives épistémologiques historiques qui légitiment les exigences auxquelles se soumet l’historien. Temporalités et échelles sont envisagées dans une dialectique souple afin de cerner le « temps du football » et les conditions de l’expression de la dimension populaire des passions collectives. Le « prisme régional et local » est pensé dans un rapport au global, sans myopie scalaire. Ainsi le passionné de football, riche d’une expérience locale, y trouvera une mise en perspective émancipatrice alors que le lecteur plus méridional, national ou international y trouvera, au fil des différents articles, matière à comparaisons. Pas moins de quatorze articles, avec notes très riches, produisent une image à haute résolution et nuancée des acteurs et artefacts, clubs et compétitons, entraineurs et enceintes sportives, supporters et chronique des enjeux de la conquête d’un titre national, sans oublier l’arbitre et les structures organisationnelles. Ce fruit d’un travail de dépouillement de sources variées, systématiquement mises en perspective par des problématiques très contemporaines, n’escamote pas les débats qui balisent les interrogations de la communauté des chercheurs en sciences sociales. L’iconographie donne accès à des documents inédits ou produits par le chercheur qui procurent au lecteur des émotions signifiantes. Olivier Chovaux et François Da Rocha Carneiro1 ont assuré le déploiement tactique du système de jeu éditorial.

Sylvain Ville, maitre de conférences à l’Université Picardie Jules Verne, Centre d’histoire des Sociétés, des Sciences et des Conflits (CHSSC, UR 4289) et Julien Freitas, doctorant en histoire contemporaine à l’Université d’Artois, Centre de Recherche et d’Études – Histoire et Sociétés – (CREHS, UR 4027), s’intéressent à la vie des clubs. Le premier apporte un éclairage renouvelé du lien entre l’industrie textile roubaisienne, son caractère familial, et la naissance du Racing Club Roubaisien (1885-1902). Passionnante enquête, qui dénoue l’écheveau généalogique des familles Waeles, Lesur, Dubly dont les membres ont fondé ou fréquenté le monde naissant du sport où le football cohabite avec la gymnastique, le lawn-tennis, l’hippisme, le water-polo, le cross-country et le vélo. Le second met en lumière une période sombre de notre histoire nationale, à savoir le « plan Pascot », pierre angulaire de la politique du régime de Vichy à propos du professionnalisme dans le football. Le retour de Pierre Laval au pouvoir en avril 1942, ce moment de durcissement de la politique de collaboration avec l’occupant nazi du régime de Vichy avec sa violence antisémite accouche du plan Pascot. Le jeune chercheur convoque une documentation riche et brocarde la supercherie de la dilution des clubs de football dans les équipes régionales. « Un RC Lens déguisé et une sélection des meilleurs joueurs de l’agglomération lilloise, voilà comment on pourrait résumer en une phrase la composition des deux équipes fédérales nordistes. » Si la volonté idéologique est manifeste, le déploiement dans un pays occupé, au territoire découpé en zones où les habitants jouissent de libertés et de conditions de vie inégales, avec une précarité permanente, s’avère incertain. La recherche d’une spécificité nordiste est vaine, à rebours de l’éclat relatif de la victoire de l’équipe Lens-Artois, en fait le RC Lens, enracinée dans l’univers du pays noir.

Noémie Beltramo, maitre de conférences en STAPS à l’Université d’Artois, Textes et Cultures (UR 4028) et Didier Rey2, professeur d’histoire contemporaine de l’Université de Corse Pasquale Paoli au Laboratoire Identités, eSpaces et Activités (UMR CNRS 6240 LISA), cisellent les contours des identités en miroir, ces moments où « la société […] prend conscience de soi et se pose » selon l’expression devenue tutélaire d’Émile Durkheim. Dans les traces des études pionnières de la regrettée historienne Janine Ponty, Noémie Beltramo nous plonge dans l’univers de l’immigration polonaise en France depuis 1945 avec le Sokol de foot, le club de football, comme composante de l’identité footballistique nordiste. L’auteure trace l’origine de ces clubs, du dynamisme du terreau des sociétés gymniques et nous livre une analyse genrée comme outil pour décoder ces lieux de socialisation identitaire. « Le Club sportif Diana de Liévin daté de 1952 […], les femmes peuvent par exemple devenir uniquement membres d’honneur ou honoraires, au moment où elles sont quasiment exclues des terrains de football français. » La culture masculiniste instrumentalise le football pour servir de prétexte à des affrontements entre hommes des différentes cités dès les années 1920. Les figures des héros comme Raymond Kopa sont revisitées et situées en évitant les pièges d’une approche simpliste par l’intégration ou l’assimilation. La place du communisme, régime de la mère patrie, s’incarne localement dans les stratégies d’organisations comme le syndicat CGT ou le parti politique PCF. Les soubresauts de la fin de la guerre froide résonnent localement mais la « terre de football » qu’est le pays minier du Nord-Pas-de-Calais prend le pas sur la « terre d’immigration ». C’est un salutaire travail charpenté autour de sources inédites, avancées avec la prudence de la chercheuse, qui déconstruit bien des clichés sur le caractère irrédentiste de la culture polonaise et les mécanismes d’acculturation. Didier Rey joue le contre-pied pour plonger le lecteur dans une mise en tension entre des constructions identitaires exaltées lors de deux rencontres entre les clubs du RC Lens et du SE Bastia de 1972. En variant les points de vue et les focales, tel un historien du global, il restitue les enjeux des manipulations à finalités politiques dont la presse a été le vecteur plus ou moins conscient. C’est l’occasion de revenir sur nombre de notions, dont celle de discrimination, que l’on épie souvent dans la posture de l’autre, et son corolaire la victimisation, dont la résonnance contemporaine est douloureusement évidente. La documentation est d’une telle richesse qu’il est facile de sentir l’atmosphère de l’époque tout en adoptant le regard malicieux et critique de l’auteur.

Les autres articles font porter la focale sur les acteurs qui occupent l’environnement du joueur comme l’entraineur, les supporters et le chef d’orchestre du match, l’arbitre. La démarche biographique de Jean Bréhon3 maître de conférences STAPS à l’Université d’Artois, Laboratoire Textes et Cultures (UR 4028), spécialiste de l’histoire de l’univers de l’entrainement et des entraineurs de football offre, à propos de Gerard Houiller, une analyse de nature à « replacer la carrière et la biographie dans les contextes y compris de l’évolution des techniques de jeu ». Ainsi les choix personnels, parfois déconcertants de l’homme, sont éclairés par de multiples contextes. L’auteur attire l’attention sur les techniques de jeu, avec le regard expert du praticien, de cet entraineur qui occupe une place au sein du panthéon des entraineurs qui ont marqué l’histoire de clubs de l’élite mondiale comme du Liverpool FC, au parcours exceptionnel. Laurent Grün4 professeur agrégé, STAPS Metz de l’Université de Lorraine au Centre de Recherche Universitaire Lorrain d’Histoire (CRULH, UR 3945), avance des « hypothèses qui permettent de comprendre les causes des échecs d’entraineurs le plus souvent précédés d’une réputation d’expert. Ces constats nous conduirons à situer les politiques de recrutement des entraineurs professionnels au sein d’une réflexion plus large sur l’évolution du football français… ». La chronique de ces « cahots dans le nord », ces entraineurs du RC Lens, met en tension les représentations identitaires locales avec l’évolution internationale des techniques de jeu pour tenter d’expliquer les échecs de figures écrasantes comme Guy Roux.

Mathieu Monoky docteur en histoire contemporaine de l’Université de Lille à l’Institut de Recherches Historiques du Septentrion (IRHiS, UMR 8529) plonge le lecteur dans le peuple des tribunes, celui des supporters, avec ses hiérarchies sans cesse remises en cause et ses ultras. L’étude des groupes du RC Lens, dans le sillage des travaux de Christian Bromberger ou de Ludovic Lestrelin permet de cerner « le socle culturel commun » mais aussi les déclinaisons locales et conjoncturelles. Il contribue à une approche plus fine du supportérisme, avec cette originalité du phénomène « ultra » inconnu outre-Manche pourtant patrie proche historique des hooligans.

François Da Rocha Carneiro, professeur d’histoire-géographie au lycée Jean-Moulin (Roubaix), chercheur associé au Centre de Recherche et d’Études – Histoire et Sociétés (CREHS, UR 4027) de l’Université d’Artois, produit un récit, à la plume pleine de souffle, et d’analyse des contextes qui étreignent l’amoureux d’un club lorsqu’il assiste, avec la force de son soutien, à ce temps fort où le club devient champion national. Mais l’historien situe son récit du succès lillois lors de la saison 2020-2021 au cœur des méthodes de l’histoire du temps présent, précisant qu’il « relève d’une historia sui temporis assumée, apportant sa temporalité propre à une histoire d’une société du football envisagée dans son environnement septentrional ». Le LOSC triomphe alors que les restrictions de déplacements imposées par les autorités pour lutter contre l’épidémie de COVID bouleversent les habitudes de tous les acteurs et menace l’équilibre économique des clubs français. C’est à une approche nuancée des boucles de rétroactions du système football, entre enjeux locaux et logiques d’un projet fondé sur « le trading, c’est-à-dire sur l’achat de jeunes talents prometteurs revendus rapidement contre des sommes beaucoup plus élevées ». L’ubuesque épisode Médiapro nous plonge dans l’univers du soap opera pathétique. Non sans humour, l’auteur dissèque l’évènement afin de nous aider à découvrir les coulisses de ce qui est bien plus qu’un feuilleton récurrent à la longévité inégalée.

La mise en spectacle du football intéresse un ensemble de chercheurs. Elie Sabry doctorant en histoire du sport à l’Université d’Artois, Centre de Recherche et d’Études – Histoire et Sociétés (CREHS), dresse un portrait contrasté de Jacques Vendroux, personnage médiatique dont la voix est familière aux plus anciens tant il a hanté les micros de la radio de service public mais aussi les antichambres des cabinets ministériels et les hauts lieux festifs au point d’en être aussi créateur. Truculent et opportuniste, proche des politiques comme des vedettes à paillettes, et pas seulement du ballon rond, sa trajectoire « illustre le contexte médiatique (apprentissage du métier sur le “tas”, polyvalence des radio reporters, journalisme sportif – une spécialité en quête de légitimité) et sportif (sportivisation de la société française, triomphe du football dans les médias) de la France des années 1960 à la fin des années 1990… ». Par une analyse précise l’auteur invite plus à réfléchir sur une évolution du « milieu » du football que sur une biographie du personnage.

Dans un article collectif quatre chercheurs, dont trois nordistes et une normande, prennent prétexte d’une analyse du long métrage Une belle équipe, non pas le monument mémoriel du Front populaire de Julien Duvivier, mais celui de 2020 dont l’intrigue est située en géographie imaginaire nordiste. C’est la féminité qualifiée comme « en apesanteur sociale » alors que les personnages masculins s’inscrivent dans un univers du populaire, ancré dans un misérabilisme convenu qui interpelle. Moins dans l’esprit des Cahiers du cinéma que de l’histoire des représentations, la production collective est une mise au point épistémologique salutaire à propos de notions dont l’usage est souvent incertain, à savoir le masculin, le féminin et le populaire. Cette dernière notion, dont l’usage abusif est brocardé par les historiens contemporanéistes Pascal Ory et Laurent Bilh, est maniée avec précautions. Fustiger le caractère caricatural des personnages est vite dépassé au profit d’un décodage du processus situé dans un lieu fictif mais à l’homophonie historiquement signifiante, ce qui lui donne son caractère attachant. L’entreprise est convaincante par sa précision, sa contemporanéité et sa volonté de ne pas céder aux facilités de langage ou de posture.

Alexandre Joly5, chercheur associé à l’Université d’Artois au Centre de Recherche et d’Études – Histoire et Sociétés (CREHS, UR 4027), spécialiste, avec Olivier Chovaux, de l’histoire de l’arbitrage, retrace et évalue, à travers l’évolution de ses structures, mais aussi de ses arbitres ayant connu une certaine notoriété, l’importance de la ligue du Nord de 1919 à nos jours. Les arbitres voulaient « démontrer sur les terrains un savoir-faire identifiable et commun ». Avec force statistiques il éclaire l’influence nordiste sur la formation et le rayonnement des arbitres. La professionnalisation ouvre une époque qui bouleverse les hiérarchies régionales mais l’auteur, taquin, rappelle que « Néanmoins, Le football et ses règles, toujours édité dans le Nord, constitue encore une référence nationale pour qui veut étudier et comprendre les dix-sept lois du jeu. »

Enfin c’est le creuset de l’événement, le stade, que Paul Dietschy6, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Franche-Comté au Centre Lucien Febvre (CLF, UR 2273), directeur de la revue Football(s), et Thierry Arnal, maitre de conférences en STAPS au Laboratoire de Recherche Sociétés et Humanités (LARSH) de l’Université Polytechnique Hauts-de-France (UPHF) abordent. Ce dernier explore l’univers politique, social et sportif qui fait système avec l’évolution des représentations et des enjeux du stade, ici de Valenciennes. Néanmoins lors d’un match de gala en nocturne ce sont les joueurs hongrois et pas turcs du club de Ferencváros TC. Il éclaire les intentions et les réalisations des acteurs qui conduisent à un statu quo par essence instable. Paul Dietschy aborde la thématique des enceintes sportives, encore largement ouverte à la recherche. Il mobilise une documentation inédite qui croise les sources de la presse et d’autres documents sur les évolutions en contexte des acteurs à propos du choix du stade Victor-Boucquey pour servir d’écrin à une rencontre de la Coupe du monde 1938. Le choix d’un stade est le miroir dépoli des ambitions individuelles et politiques à toutes les échelles, sur fond de croissance urbaine et d’influence britannique, d’évolution des représentations et de bouillonnement social. L’auteur, spécialiste de la période et de l’histoire du football, cité par Christian Bromberger dans un article récent dans la revue en ligne d’anthropologie du sport Sport et Citoyenneté consacré au stade de football (2024, propose des mises en perspectives politiques et sociales. Se croisent des personnages de premier plan comme Jules Rimet ou Roger Salengro, sur fond de tensions entre les clubs locaux comme l’Olympique Lillois et son homologue roubaisien dans un territoire en croissance industrielle et socialement bouillonnant. Le choix contre intuitif de ce stade exiguë est mis en perspective globale par l’auteur « Autrement dit, sans céder au monumentalisme fasciste, mais en remplissant mieux les stades, les organisateurs français avaient su satisfaire les attentes financières de la FIFA. » Aux antipodes d’une monographie itérative, c’est, assis dans les gradins, à une vaste et riche évocation de l’époque, qu’il nous convie.

La réussite de cette édition spéciale de la revue est incontestable. Un ouvrage clair, illustré et broché avec soin. Le chercheur français non septentrional ou étranger y puisera des pistes pour interroger ses propres recherches et envisager des points de convergence épistémologiques. Le professeur du second degré permettra à ses élèves de découvrir des démarches et des documents originaux pour enrichir son offre didactique. Le journaliste y trouvera matière à puiser dans l’histoire du football afin de mettre en perspectives le récit des émotions. L’amoureux du ballon rond et de son atmosphère se plaira à établir des connexions entre sa mémoire footballistique et celles de ces nordistes pas si singuliers.

Notes

1 Olivier Chovaux et François Da Rocha Carneiro sont membres du comité de rédaction de Football(s). Histoire, culture, économie, société. Return to text

2 Didier Rey est membre du comité de rédaction de Football(s). Histoire, culture, économie, société. Return to text

3 Jean Bréhon est membre du comité de rédaction de Football(s). Histoire, culture, économie, société. Return to text

4 Laurent Grün est membre du comité de rédaction de Football(s). Histoire, culture, économie, société. Return to text

5 Alexandre Joly est membre du comité de rédaction de Football(s). Histoire, culture, économie, société. Return to text

6 Paul Dietschy est membre du comité de rédaction de Football(s). Histoire, culture, économie, société. Return to text

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