Les archives des footballs au Centre des Archives d’outre-mer à Aix-en-Provence, l’exemple des départements français d’Algérie

  • The football archives at the Centre des Archives d'Outre-mer in Aix-en-Provence, the example of the French departments of Algeria

p. 191-196

Texte

Du 8 septembre au 8 décembre 2023, s’est tenue au Centre des Archives d’outre-mer (CAOM) une remarquable exposition intitulée Histoires du rugby malagasy 1900-2023, organisée par les Archives nationales d’outre-mer et le Service de Coopération et d’Action Culturelle de l’Ambassade de France à Madagascar1. Elle a permis de vérifier, si besoin était, l’importance des fonds conservés à Aix-en-Provence pour qui voudrait se pencher sur l’histoire des footballs en terres coloniales.

Le CAOM rassemble notamment les fonds des ministères qui furent chargés d’administrer depuis le xviie siècle et jusqu’à sa disparition, l’empire colonial autant que l’éphémère Union française (1946-1958), ainsi que les archives de souveraineté transférées des anciennes colonies et de l’Algérie2. En revanche, celles qui concernent les protectorats marocains et tunisiens sont conservées au Centre des Archives diplomatiques de Nantes. Enfin, doit-on signaler les archives privées entrées par dons legs, achats etc. À ces dossiers s’ajoutent une bibliothèque, une cartothèque, une photothèque et des documents microfilmés. Le catalogue3 de l’exposition sur les sports aux colonies tenue en mai-juillet 1992 au CAOM, offre, entre autres, un aperçu de la richesse des fonds photographiques à travers les 57 clichés reproduits sur les 126 documents que comportait l’exposition. On y trouvera par exemple, concernant le football-association, des photos d’une équipe scolaire au Cameroun en 1927 (p. 11), de l’équipe féminine du Gallia club oranais en 1921 (p. 47) ou encore d’un match à Tananarive en 1947 (p. 49). Sans oublier les apports que peut fournir la cartothèque, comme pour les réalités topographiques des villes, des villages et des lieux où s’érigeront les stades par exemple, pour ne rien dire de la bibliothèque où l’on trouvera de précieux renseignements, en particulier à travers certaines monographies.

Figure n° 1 : photographie du stade de Lomé (Togo) en 1929.

Figure n° 1 : photographie du stade de Lomé (Togo) en 1929.

L’entre-deux-guerres voit le développement de la pratique des sports et du football dans les villes coloniales d’Afrique sub-saharienne. La population indigène, notamment les « évolués », se passionne pour le football promu par les missionnaires. L’un des premiers grands clubs togolais, l’Étoile filante de Lomé, s’adjuge en 1960, la Coupe de l’AOF.

Crédits : CAOM.

Figure n° 2 : match de football à Tananarive en 1947.

Figure n° 2 : match de football à Tananarive en 1947.

Le match a lieu l’année de l’insurrection malgache dont la répression fit 40 000 morts et de la création de la ligue de football de Madagascar affiliée à la Fédération française de football le 16 octobre 1947. Trois ans plus tard, elle aurait compté selon le FIFA Handbook 250 clubs et 6 335 joueurs. Madgascar et ses hauts-plateaux ont été aussi une terre de rugby.

Ce n’est certes pas emprunter un long fleuve tranquille pour qui veut voyager dans les méandres archivistiques du CAOM. En effet, outre les dossiers clairement identifiés, il faut souvent chercher ailleurs et, comme chacun le sait, même dans les endroits les plus improbables. La place manquerait ici pour détailler l’ensemble des fonds disponibles – si tant est que nous les connaissions –, aussi nous permettra-t-on de nous en tenir à un exemple, celui du football-association en Oranie entre les années 1897 et 1962. Nous laisserons de côté les archives de presse car, de ce point de vue, le site Gallica offre de meilleures reproductions et des recherches plus rapides et plus efficaces. Il en va de même pour les délibérations du Conseil général d’Oran et celles concernant les Délégations financières, sorte de parlement local accordé à l’Algérie (1898-1945). Inutile de préciser que tous contiennent des éléments de première importance pour les footballs – surtout dans la version association – dans les territoires coloniaux. Outre Gallica, trois fonds importants peuvent donc être mobilisés :

Le premier, tout d’abord, concerne le ministère d’État chargé des affaires algériennes, rassemblant des documents s’étalant sur la période 1947-1964, très intéressants en termes de construction d’infrastructures, voire de projets, d’où la date tardive indiquée précédemment. On trouvera notamment dans ce fonds les travaux de la Commission du plan d’équipement scolaire dite « Commission Le Gorgeu » (1952-1955), ainsi que de la documentation et le suivi de travaux du Haut Comité de la jeunesse (1953-1964). Deux autres dossiers également assez fournis concernent les Constructions scolaires (réglementation, programmes de travaux, projet de loi sur le plan de construction scolaire ; coût de la construction ; travaux d'intérêt communal ; vœux de collectivités locales, 1951-1961) et le Service des affaires administratives et sociales, Bureau des affaires sociales. Éducation, jeunesse et sports (1947-1960). On peut y ajouter le plan de la ville d’Oran divisée en secteurs ethniques dressé en 1962, afin de mesurer l’importance des bouleversements que connaît la métropole de l’Ouest à la veille de l’indépendance. Cette carte pourra être comparée avec l’état des lieux fait en 1930 par le géographe René Lespès et, plus encore, avec les recensements d’avant la Première Guerre mondiale pour mesurer l’étendue de la véritable « révolution ethnique » que subit la ville en un demi-siècle et qui s’accélère à la veille de l’indépendance, avant même le départ des Européens. Ces documents permettent ainsi de s’imprégner au mieux de certaines réalités qui déterminèrent pour partie les origines et le devenir du football oranais. La situation des stades, par exemple, certes liée à la topographie mais aussi à la possession foncière et à la répartition ethnique, de même pour les lieux d’implantation des sièges des sociétés sportives et les adresses des pratiquants que l’on peut récupérer grâce à la Série continue4.

Le second ensuite a trait au Gouvernement Général de l’Algérie, autrement dit aux éléments politiques. Ici, c’est à travers la surveillance très stricte des mouvements nationalistes PPA-MTLD, UDMA et des Oulémas entre 1945 et 1954 que l’on rencontre des éléments concernant le football, en particulier à travers le parcours de certains militants. Avec le déclenchement de la Guerre d’Indépendance, on trouvera également des informations concernant le FLN, parfois surprenante comme la quasi-absence de mention concernant l’équipe du FLN. Plus précis et plus complets encore se révèlent les dossiers contenus dans la Surveillance politique des indigènes du département d’Oran (1931-1945). Enfin, le carton consacré spécifiquement aux Sociétés sportives musulmanes sur la décennie 1931-1941 contient des documents très suggestifs sur le football, même s’il n’est pas, évidemment, le seul concerné par cette surveillance. Ces deux derniers cartons, où se lit la surveillance tatillonne et ombrageuse de l’administration coloniale à travers des rapports détaillés, permettent de mesurer « d’en bas », la maturation progressive du nationalisme algérien avec une accélération dès la fin des années 1920, remettant ainsi en question une chronologie longtemps acceptée comme immuable.

Figure n° 3 : liste des membres du Zidoria club d’ Aïn Témouchent (Algérie) en 1923.

Figure n° 3 : liste des membres du Zidoria club d’ Aïn Témouchent (Algérie) en 1923.

Bien que musulman, le Zidoria club d’Aïn Témouchent, ville située à 91 km au sud-ouest d’Oran, compte des membres européens et juifs. Le club participe aux compétitions de la Ligue d’Oranie de football association créée en 1919 et affiliée à la Fédération française de football association.

Crédits : CAOM.

Le troisième, enfin, le plus fourni et le plus passionnant est celui rassemblant l’énorme documentation du département d’Oran et de la préfecture d’Oran à travers la Série continue. Dans cette dernière – dont la numérotation a été totalement modifiée assez récemment –, on dispose de pas moins de 31 cartons ayant trait aux déclarations, fonctionnement et éventuelles disparitions des associations entre 1900 et 1953, parmi lesquelles une écrasante majorité sont des clubs de football. Un seul de ces cartons ne contient aucun document sur le ballon rond5. On y suit pratiquement au jour le jour la vie de ces clubs en une foule de détails d’une grande importance comme, par exemple, la composition socio-ethnique de leurs membres et son évolution. On y voit également le dynamisme d’un football « musulman » dès avant 1914, en partie sous l’influence des Jeunes algériens, chose largement sous-estimée, si ce n’est ignorée, jusqu’alors. Au même moment, au moins dans certaines cités, le ballon rond se trouve associé aux festivités religieuses musulmanes, et commence donc à subir un processus d’intégration culturelle, remettant ainsi en cause certaines représentations dans le rapport du football à la religion musulmane. Il apparaît alors très clairement que les clubs réellement mixtes – toujours très minoritaires – disparaissent après 1945. Suivent quatre dossiers sur les demandes de subventions de manière discontinue entre 1929 et 1951 pour les dates extrêmes ; ici, la presse est plus prolixe de détails même si ceux contenus ne sont pas négligeables pour autant. Un seul carton mais qui n’est pas inintéressant, est consacré à l’Éducation physique et sport de 1942 à 1947. Trois derniers enfin, d’une importance très grande concernent les Associations sportives, incidents 1951-1953, les Incidents entre Européens et musulmans, 1929-1950 et, enfin, les Associations sportives musulmanes, 1952-1959 ainsi que de la documentation politique pour les années 1960-1961, avec des biographies rapides des personnalités les plus influentes de l’Oranie où figurent des éléments en rapport avec le football. Le premier carton recoupe et amplifie les données déjà perceptibles sur la radicalisation nationaliste des clubs algériens, le début des années 1950 marquant, en fait, un point de non-retour ; souvent d’ailleurs, sous la pression des joueurs, jeunes, face à des dirigeants plus âgés et plus prudents. Ici aussi les chronologies classiques sont bousculées. Précisons que plus aucun de ces documents ne nécessite, en 2024, de demande de dérogations.

On le voit donc, une documentation nombreuse, riche et diverse dont le dépouillement exhaustif par territoire ne manquerait certainement pas de renouveler l’histoire des footballs en terres coloniales et probablement aussi dans leurs perceptions « métropolitaines ».

Figure n° 4 : composition du Comité de direction du Football Club Médioni à Oran (1928)

Figure n° 4 : composition du Comité de direction du Football Club Médioni à Oran (1928)

Le Football Club Médioni est un petit club amateur européen du quartier populaire Médioni à Oran.

Crédits : CAOM.

Listes des pays concernés par les fonds du Centre des Archives d’outre-mer à Aix-en-Provence :

Algérie, Benin (ex-Dahomey), Burkina Faso (ex-Haute-Volta), Cameroun, Canada, Centrafrique, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Djibouti, Dominique (île de La), Gabon, Guinée, Haïti, Inde, Laos, Madagascar, Mali, Maurice (Île), Mauritanie, Niger, Sénégal, Seychelles, Tchad, Togo, Trinité et Tobago, Vanuatu, Vietnam.

Notes

1 http://www.archivesnationales.culture.gouv.fr/anom/fr/PDFs/Presse/DOSSIER_PRESSE_EXPORUGBYGASY_AIX_2023.pdf. Retour au texte

2 On trouvera à la fin de ce texte la liste des pays pour lesquels des documents sont conservés au CAOM. Retour au texte

3 Collectif, L’empire du sport, Aix-en-Provence, ANAROM, 1992, disponible auprès du CAOM. Retour au texte

4 Voir plus bas. Retour au texte

5 Il s’agit de l’ex-n° 2542. Retour au texte

Illustrations

  • Figure n° 1 : photographie du stade de Lomé (Togo) en 1929.

    Figure n° 1 : photographie du stade de Lomé (Togo) en 1929.

    L’entre-deux-guerres voit le développement de la pratique des sports et du football dans les villes coloniales d’Afrique sub-saharienne. La population indigène, notamment les « évolués », se passionne pour le football promu par les missionnaires. L’un des premiers grands clubs togolais, l’Étoile filante de Lomé, s’adjuge en 1960, la Coupe de l’AOF.

    Crédits : CAOM.

  • Figure n° 2 : match de football à Tananarive en 1947.

    Figure n° 2 : match de football à Tananarive en 1947.

    Le match a lieu l’année de l’insurrection malgache dont la répression fit 40 000 morts et de la création de la ligue de football de Madagascar affiliée à la Fédération française de football le 16 octobre 1947. Trois ans plus tard, elle aurait compté selon le FIFA Handbook 250 clubs et 6 335 joueurs. Madgascar et ses hauts-plateaux ont été aussi une terre de rugby.

  • Figure n° 3 : liste des membres du Zidoria club d’ Aïn Témouchent (Algérie) en 1923.

    Figure n° 3 : liste des membres du Zidoria club d’ Aïn Témouchent (Algérie) en 1923.

    Bien que musulman, le Zidoria club d’Aïn Témouchent, ville située à 91 km au sud-ouest d’Oran, compte des membres européens et juifs. Le club participe aux compétitions de la Ligue d’Oranie de football association créée en 1919 et affiliée à la Fédération française de football association.

    Crédits : CAOM.

  • Figure n° 4 : composition du Comité de direction du Football Club Médioni à Oran (1928)

    Figure n° 4 : composition du Comité de direction du Football Club Médioni à Oran (1928)

    Le Football Club Médioni est un petit club amateur européen du quartier populaire Médioni à Oran.

    Crédits : CAOM.

Citer cet article

Référence papier

Didier Rey, « Les archives des footballs au Centre des Archives d’outre-mer à Aix-en-Provence, l’exemple des départements français d’Algérie », Football(s). Histoire, culture, économie, société, 4 | 2024, 191-196.

Référence électronique

Didier Rey, « Les archives des footballs au Centre des Archives d’outre-mer à Aix-en-Provence, l’exemple des départements français d’Algérie », Football(s). Histoire, culture, économie, société [En ligne], 4 | 2024, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : https://preo.u-bourgogne.fr/football-s/index.php?id=692

Auteur

Didier Rey

Professeur d’histoire contemporaine – Université Pascal Paoli, Corse

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