En 2014, lors d’un match opposant leur équipe favorite à Gand, les supporters du club anversois du Beerschot déployèrent une banderole sur laquelle ils affirmaient : « Zij Zeehaven, Wij Wereldhaven1 », soit « Eux port de mer, nous port mondial ». Tout en renvoyant à l’imaginaire des deux principaux ports belges2, cette assertion avait pour objectif de rappeler le plus grand dynamisme du port d’Anvers, dynamisme qui ne manquait pas de rejaillir sur l’équipe du Beerschot et, plus largement, sur l’ensemble du football anversois. Pour contribuer à l’écriture de l’histoire du football belge, il paraît en effet important de retracer l’essor du ballon rond dans la cité scaldéenne3, ici entre 1880, année de fondation du premier et autre principal club de football de la ville, l’Antwerp FC, et 1939, année du dernier titre de champion de Belgique remporté par le Beerschot. Au cours de cette période, le port d’Anvers s’affirme comme un port européen de première importance. Profitant du rachat du péage sur l’Escaut en 1863 et de la guerre franco-prussienne de 1870, Anvers devient une ville portuaire internationale : 6e au rang des ports européens en 1870, elle se hisse en tonnage au 3e rang en 1901 et même au second en 1910, juste derrière Londres mais devant Hambourg et Rotterdam4. Cette année-là, 12 millions de tonnes de marchandises transitent par le port flamand5. Le port d’Anvers ayant été épargné par les destructions provoquées par le siège de la ville au début de la Première Guerre mondiale, on assiste à une reprise rapide des activités après 1918 avec un boom au cours des années 1927 et 1928. L’année suivante, ce sont 26 millions de tonnes de marchandises qui entrent ou sortent de ses bassins. On atteint les 28 millions de tonnes en 1937 malgré un ralentissement au tournant des années 19306. Dans le même temps, Anvers connaît une forte croissance démographique. La population augmente de 304 % entre 1830 et 1913, soit la plus forte progression enregistrée dans le pays après Charleroi (+ 346 %)7. Après la Première Guerre mondiale, le centre d’Anvers perd des habitants mais la ville continue de s’agrandir, gagnant 4 600 hectares. Les faubourgs voient leur population augmenter : Berchem, Borgerhout, Deurne, Hoboken et Merxem représentaient 216 000 habitants en 1940 contre 141 000 vingt ans plus tôt. Au total, Anvers compte plus de 550 000 habitants en 19408. À titre de comparaison, l’agglomération bruxelloise en recense 1 277 847 en 19399. À partir des archives de l’Union royale belge de football (URBSFA), notamment des dossiers des clubs, et de la presse sportive et d’information, nous verrons tout d’abord dans quelle mesure le mouvement associatif anversois a marqué une plus grande vitalité que dans le reste du pays. Puis, nous analyserons comment la Métropole, surnom de la ville d’Anvers, est devenue le cadre de la grande fête nationale du football belge avant de montrer que, au moins jusqu’en 1930, Anvers possédait les stades les plus modernes de Belgique.
Un mouvement associatif dynamique
En Belgique, le ballon rond fut d’abord pratiqué dans les écoles fréquentées par de jeunes britanniques ou des Belges ayant étudié outre-Manche. Puis il connut un épanouissement au sein du mouvement sportif associatif. Ce dernier serait né à Anvers en 1880. Présents dans la Métropole depuis les années 1850, décennie au cours de laquelle le port d’Anvers est encore en formation10, les Britanniques jouent un rôle de première importance puisque c’est au sein de cette communauté que l’on trouve les fondateurs de l’Antwerp Athletic Club11. On ne peut savoir avec exactitude quel football fut pratiqué par cette société à ses débuts. Il semble que les membres aient d’abord joué au football-rugby avant d’adopter l’« association » à la fin des années 1880 pour affronter des équipes néerlandaises et surtout les nouvelles formations belges qui apparaissent à Bruxelles et à Liège au tournant des années 189012. Le club devient alors l’Antwerp Football Club. Ses dirigeants jouent un rôle important dans la constitution de l’Union belge des sociétés de sports athlétiques (UBSSA) et la mise en place d’un premier championnat national de football en 1895. C’est au cours de cette période que les éléments belges prennent le contrôle du club avec l’aide, semble-t-il, de membres de la très importante communauté allemande de la ville. Dans les années 1900, l’homme fort du Great Old13 est Oskar Molkau, un agent maritime et commissionnaire-expéditeur qui dirige la filiale anversoise d’une agence maritime basée à Hambourg14. Il est président du club de 1900 à 1906 puis président d’honneur. Il compte parmi ses successeurs Henri Elbaers dont l’activité d’assureur est intimement liée à l’industrie et au commerce du port d’Anvers. Après avoir fondé avec son frère Émile la société scaldéenne de courtage en assurance E. & H. Elbaers, celui qui fut président de l’Antwerp FC pendant près de 25 ans, soit de 190815 à 1932, est nommé directeur général pour la Belgique de la société écossaise General Accident Fire & Life Assurance Corporation Ltd, particulièrement connue dans le monde des affaires16. À partir de 1924, il cumule cette fonction avec celle de directeur de la filiale belge de la firme londonienne The General Life Assurance Company. Henri Elbaers est aussi vice-président du Comité général des assurances, en charge du département industriel. Certains des dirigeants de l’Antwerp jouent un rôle important dans le développement du football belge. Dès 1896, Cecil Jacobs est l’un des trois membres du sous-comité « football » de l’Union belge des sociétés de sports athlétiques17 avec de Laveleye et Sparrow du club bruxellois Léopold. Il fut remplacé au début des années 1900 par Robyns, un autre dirigeant important de l’Antwerp. Oskar Molkau, président du comité provincial d’Anvers, est membre du comité restreint de la sélection de l’équipe nationale belge qui se met en place au milieu des années 1900. Surtout, l’ancien gardien de but et trésorier du club, Alfred Verdyck, est le secrétaire général de la fédération belge de football (URBSFA) de 1911 à 1954. Il est ainsi, comme Henri Delaunay en France, la cheville ouvrière du football belge pendant 43 ans, exerçant une influence considérable sur les sociétés sportives et les comités provinciaux, notamment dans les domaines administratif et financier.
Le mouvement associatif anversois n’est pas seulement le plus précoce du pays. Il est aussi le plus dynamique au moins jusqu’en 1926. Cette année-là, le 21 décembre, l’URBSFA publie la liste complète de ses associations affiliées afin de mettre en place son nouveau système de matricule. Sur les 869 clubs recensés, pas moins de 125 clubs sont originaires de la cité scaldéenne18. L’agglomération bruxelloise en compte alors 9319 et Liège 3820. Leurs meilleurs représentants, à savoir l’Antwerp, le Beerschot et, dans une moindre mesure, le Berchem, dominent le football belge de l’entre-deux-guerres. Jusqu’en 1914, le Beerschot et l’Antwerp évoluent dans l’élite du football belge mais sans remporter de titres. Ils se classent à des places honorables leur permettant de se maintenir, même si le Beerschot connaît les affres de la 2e série au cours de la saison 1906-1907. En revanche, les deux clubs remportent sept des douze titres de champion de Belgique mis en jeu entre 1920 et 1931. Le Beerschot est vainqueur en 1922, 1924, 1925, 1926 et 1928 et vice-champion en 1923, 1927 et 1929. Il l’est encore en 1937 avant d’être à nouveau sacré champion de Belgique en 1938 et 1939. L’Antwerp remporte le titre en 1929 et 1931 et est vice-champion en 1930, 1932 et 1933. À cela s’ajoute la présence au sein de l’élite du football belge du Berchem, un club fondé en 1906 et dirigé par des marchands et des membres des professions libérales de la cité scaldéenne21. Logiquement, la ville d’Anvers fournit de nombreux internationaux. Entre 1900 et 1902, la sélection nationale belge comptait déjà plusieurs joueurs anversois. Ils étaient 4 en 1900 – pour 3 Liégeois et 4 Bruxellois – pour affronter les Pays Bas. En janvier 1902, on dénombre à 5 Anversois – pour 6 Bruxellois – dans l’équipe devant rencontrer le voisin néerlandais, dont 4 joueurs du Beerschot et 1 de l’Antwerp22. Puis les joueurs anversois se font plus rares, la sélection nationale étant alimentée essentiellement par des footballeurs bruxellois et brugeois. Avec l’arrivée des clubs anversois sur le devant de la scène footballistique à partir de 1920, le nombre de joueurs issus des rangs du Beerschot, de l’Antwerp et de Berchem au sein de la sélection nationale croît rapidement. En mars 1925, on ne compte pas moins de huit anversois dans le onze de départ devant affronter la Hollande. Il faut dire que le football anversois est à son zénith, le Beerschot étant alors en tête de la Première division belge, l’Antwerp second et Berchem occupant la quatrième place23. L’année suivante, toujours face à la Hollande, la sélection nationale belge aligne encore cinq Anversois24. Par ailleurs, les clubs de la Métropole fournissent à l’Union belge de football un nombre important de dirigeants dont certains jouent un rôle considérable dans le développement du ballon rond dans le pays, comme on l’a rappelé pour l’Antwerp. Mais le Beerschot n’est pas en reste. Paul Havenith, son président pendant 41 ans, de 1901 à 1942, est membre du comité central de l’UBSSA. Il intègre le nouveau comité de sélection de l’équipe nationale belge avec Albert Frilling, un autre dirigeant du Beerschot, lors de sa création en 1904-1905 et prend la tête de la commission des terrains qui se met en place en 1911. Les fonctions de dirigeant de Paul Havenith dépassent les frontières du ballon rond puisqu’il a été membre du comité de candidature puis d’organisation des Jeux olympiques d’Anvers de 1920 et président du comité des sports de l’Exposition internationale d’Anvers de 1930. Le mouvement associatif anversois compte aussi dans ses rangs l’arbitre belge le plus réputé de son époque, également l’un des meilleurs arbitres internationaux, John Langenus. Ce dernier passe son examen théorique d’arbitre classe II en 1910 alors qu’il est licencié de la modeste Association Sportive Anversoise-Borgerhout25. Il devient secrétaire général de ce même club l’année suivante26 tout en poursuivant sa carrière d’arbitre qui le mène, au cours de l’entre-deux-guerres, à officier dans trois Coupes du monde (1930, 1934 et 1938) et lors des Jeux olympiques d’Amsterdam de 1928.
Berceau du mouvement associatif, Anvers est aussi le berceau du football corporatif dans le pays. Cela s’explique par le dynamisme économique du port d’Anvers. Tout d’abord, si elle perd son statut de capitale financière de la Belgique au profit de Bruxelles dans les années 183027, la cité scaldéenne compte encore un nombre important de banques. Ces dernières connaissent même un essor après 1863 et contribuent à stimuler le trafic portuaire et à moderniser les infrastructures maritimes. De nombreuses maisons de commerce et d’armement ainsi que des sociétés d’assurances trouvent un terrain favorable à partir des années 1860-1870 au sein de la Métropole. Enfin, si la maritimisation de l’industrie se fait ressentir tardivement à Anvers – elle n’aura effet qu’au xxe siècle selon Roland Baetens28 – elle est déjà une réalité à la fin du xixe siècle. Avec l’activité portuaire se développent toutes les industries qui y sont liées, en particulier la transformation des produits importés, ainsi que la spécialité de la taille du diamant. Les usines de biscuits De Beukelaer s’installent à Anvers dès 1869, le sidérurgiste Cockerill en 1873, les téléphones Bell en 1882, la société métallurgique de Hoboken en 1888 et Gevaert en 1894. Après 1914, le mouvement se poursuit. Anvers accueille les nouvelles industries alimentaires et surtout des constructeurs automobiles américains comme Ford en 1922, General Motors en 1924 et Chrysler en 1935, la ville étant déjà le siège de la firme belge d’automobiles Minerve. Les premières raffineries de pétrole viennent s’y établir en 1925, 1934 et 1935. Les communes de la banlieue d’Anvers que sont Merxem et Hoboken connaissent alors une industrialisation plus poussée29. Les entreprises issues de ces différents secteurs d’activité forment des clubs sportifs d’entreprise qui pratiquent surtout le football. Dès le mois d’avril 1914, la société sportive des téléphones Bell lance un appel pour créer une compétition réservée aux associations corporatives :
Instigué par l’extension que prend actuellement le sport de football dans les milieux commerciaux d’Anvers et, eu égard au nombre toujours croissant des équipes qui se forment dans presque toutes les firmes de la Métropole, le « Bell téléphone Athletic and Social Club » prend l’initiative de fonder une « Commercial League of Football Association ». Ce cercle invite différentes équipes dont l’Agence maritime Watford, Warrant and Produce Company, la banque de l’Union, la Banque française à prendre contact avec lui afin d’organiser une réunion30.
La guerre empêche la création d’une fédération corporative. Il faut attendre 1920 pour assister à la fondation de la Ligue sportive du commerce d’Anvers. Elle est créée en septembre/octobre 1920. Elle a pour premier président Josef Pressel, du Diamant FC, et comme vice-président Fernand Waumans de la très respectable maison de commerce Kreglinger. Le comité exécutif compte aussi : Florimond Van Avondt, du Cercle athlétique de la Francibank, la filiale belge de la banque française Société Générale ; René Schevenhels du Minerva Motors FC ; Medaets du Stadhuis VV, le club des employés communaux ; Eugène Van Dyck, de Bell Telephone AFC ; Auguste Vangheel du Crédit anversois SC et enfin Van Ham du General Accident FC31. La nouvelle association ne compte que huit clubs affiliés lors de sa fondation. Lorsqu’elle fête son cinquième anniversaire en 1925, la Ligue sportive du commerce d’Anvers recense en revanche 60 clubs et environ 2 000 membres32. L’organisation des championnats est calquée sur ceux de l’URBSFA avec une 1re division, une promotion, deux réserves, une 2e et une 3e division. Il y a aussi des tournois de fin d’année : coupe de l’industrie, coupe maritime, coupe interbanques, coupes des adhérents. Ces compétitions jouissent d’une bonne réputation en raison de la qualité du football pratiqué lors des rencontres. Il faut dire que la Ligue sportive du commerce d’Anvers accepte la double affiliation, au football corporatif et aux championnats civils de l’URBSFA, même pour les indépendants33. Ainsi, des joueurs de haut niveau, issus des grands clubs anversois, pratiquent aussi le ballon rond au sein des équipes corporatives de la ville : Raymond Braine (Bancredit et Beerschot), Henderyckx (Diamants et Beerschot), De Roeck et Meiren (Bell téléphone et Antwerp), Claes, Dries et Van Goethem (Minerva Motors et Berchem)34. Le football corporatif connaît également un développement dans les autres centres footballistiques de Belgique mais s’y implante avec quelques années de retard par rapport à Anvers. Des championnats réservés aux clubs d’entreprise sont créés à Liège et Bruxelles en 1922 et plus tardivement encore à Gand.
Anvers, cadre de la grande fête du football belge
Dès l’origine, la Belgique a joué un rôle dans la construction d’un football international35. Les clubs anversois, en particulier l’Antwerp et le Beerschot, ont apporté leur pierre à l’édifice. Il est attesté que l’Antwerp dispute des rencontres de football-association contre des équipes néerlandaises en 1890. Le même club affronte une équipe anglaise en avril 189736. Le Beerschot organise plusieurs matches internationaux contre des formations néerlandaises et anglaises en 190237. À partir de 1901, semble-t-il, les deux principaux clubs anversois prennent part au tournoi international de Tourcoing qui est organisé annuellement depuis 1897. Ils y côtoient des équipes françaises comme le Racing, Tourcoing ou encore Le Havre38. Au cours des décennies suivantes, ils multiplient les matches internationaux en privilégiant tout de même les adversaires néerlandais. À partir 1909, une équipe représentative de la ville d’Anvers dispute par exemple la coupe Maas en Schelde (Meuse et Escaut) contre son homologue de Rotterdam. Mais au tournant des années 1900, le grand tournoi international de football-association de Belgique se déroule à Bruxelles, plus précisément sur les installations du Léopold. La coupe Van der Straten-Ponthoz, créée en 1900, accueille chaque année, au moment de Pâques, des équipes belges, suisses, néerlandaises, anglaises et françaises. S’inspirant du tournoi bruxellois, le Beerschot souhaite organiser aussi un tournoi international sur son terrain du Kiel, au sud d’Anvers. Il s’agit en effet d’un club qui nourrit de grandes ambitions dans le domaine du ballon rond.
Il voit le jour en 1899 sur l’initiative d’Alfred Grisar un courtier maritime, administrateur de plusieurs sociétés et membre d’une riche famille anversoise d’origine allemande ayant fait fortune dans le commerce maritime. La nouvelle société est omnisports mais accorde une place importante au football, sport pratiqué par Alfred Grisar lors de ses études à Vevey, en Suisse, et au Brighton College en Grande-Bretagne39. Avant de partir parcourir le monde, le fondateur du Beerschot fait appel à Paul Havenith pour prendre la présidence du club. Ce dernier, de retour d’Amérique du Sud, n’est autre que le beau-frère d’Alfred Grisar puisqu’il a épousé Valentine Grisar. Il appartient aussi à l’élite anversoise et a exercé quelque temps comme directeur de la société Le comptoir des produits coloniaux. Quelques semaines après son arrivée, soit le 11 avril 1901, Paul Havenith transforme la société sportive en une société anonyme qui a pour objet « de prendre en location et d’exploiter des terrains destinés aux sports athlétiques et exercices sportifs, spécialement en lawn-tennis, football, au cricket, au golf et autre40 ». La durée de la nouvelle société est de 30 ans et son capital social de 20 000 francs, soit 800 actions de 25 francs chacune. Les administrateurs sont donc Paul Havenith, rentier, Charles William Twelves et Delyn Thomas, tous deux courtiers de navires41. Le Beerschot a alors pour secrétaire général Van den Meersch, qui travaille pour Bunge et Born, une importante firme argentine solidement implantée à Anvers d’où sont originaires ses fondateurs spécialisés dans le négoce de matières premières. Les dirigeants du Beerschot recrutent des footballeurs parmi les sociétaires de l’Antwerp. Ce racolage auquel se livre le Beerschot dès 1899/1900 est à l’origine d’une très forte rivalité footballistique entre les deux clubs et explique le retard pris par Anvers dans la formation d’une entente sportive par rapport à Bruxelles, Bruges ou encore Liège42. Il permet dans tous les cas au Beerschot d’intégrer rapidement l’élite du football belge puisque l’équipe fanion joue immédiatement en Première division. Paul Havenith fait du Beerschot le club de football le plus important de Belgique : en juin 1922, la société sportive anversoise compte 1 087 footballeurs licenciés contre 1 000 pour le Daring de Bruxelles et 841 pour le Standard de Liège43.
En revanche, le club échoua en 1900-1901 dans sa tentative de mettre sur pied un grand tournoi réunissant les meilleures équipes d’Europe de l’Ouest. Il faut attendre le week-end de Pâques 1905 pour assister à la naissance d’une compétition annuelle réunissant des clubs anglais, français et néerlandais sur le terrain du Beerschot44. Mais les dirigeants des Mauve et Blanc, cherchant à créer un évènement qui permettrait d’attirer les foules et donc de remplir les caisses du club, ne se résignent pas : ils imaginent la tenue d’un match international opposant une sélection belge à une sélection néerlandaise. La rencontre est dotée d’un trophée offert par Frédéric Vanden Abeele, issu lui aussi d’une riche famille de commerçants anversois, bien connu dans les milieux de l’escrime et dont le fils est membre du Beerschot. La coupe Vanden Abeele, appelée Het Koperen dingetje (le « truc » en cuivre) par les Néerlandais, peut être considérée comme le premier match inter-nations du Continent. Surtout, disputée annuellement, elle s’affirme progressivement comme la grande fête nationale du football belge. Dès les années 1900, la rencontre Belgique-Pays-Bas devient la plus populaire du pays.
Année de la rencontre | Affluence |
1901 | 100 |
1902 (janvier) | 500 |
1902 (décembre) | 1 000 |
1904 | 1 200 à 1 500 |
1905 | 700 à 800 |
1906 | 2 000 |
1907 | 2 500 |
1908 | 3 000 |
1909 | 6 000 |
1910 | 8 000 |
1912 | 13 à 14 000 |
1913 | 14 000 |
1914 | 20 000 |
1920 (Jeux olympiques) | 30 000 |
1921 | 30 000 |
1924 | 30 000 |
Source : La Vie Sportive45
En 1926, année au cours de laquelle la rencontre se dispute pour la première fois sur le terrain de l’Antwerp, La Vie Sportive note qu’il s’agit de « la plus grande mobilisation de la masse sportive connue jusqu’ici46 », la capacité du nouveau stade de l’autre club anversois permettant de battre sans aucun doute un nouveau record d’affluence.
Jusqu’en 1908, seules les exhibitions bruxelloises des maîtres anglais sont plus populaires que la rencontre Belgique-Hollande. Ils sont 4 000 au stade du Vivier d’Oie le 5 mai 1907 pour assister à une opposition entre la sélection nationale belge et le club londonien de Woolwich Arsenal47 et encore 4 000 pour le match Belgique-Angleterre au stade du Léopold en avril de l’année suivante48. Par la suite, les confrontations contre les équipes britanniques attirent moins de spectateurs : 2 000 en mai 1908 pour une rencontre entre le Racing Bruxelles et les Queen’s Park Rangers au Vivier d’Oie49 ; « peu de public » à Bruges pour assister au match entre le Club Brugeois et Hull City, également professionnel, en mai 190850 ; 3 000 à 4 000 au terrain du Léopold pour Belgique-Angleterre en 191051 ; 5 000 à 6 000 en 191252 et 10 000 en 191453 pour la même rencontre, toujours à Bruxelles. Encore, dans l’immédiat après-guerre, le Belgique-Angleterre enregistre des affluences sensiblement inférieures à celles des Belgique-Pays-Bas : ils sont 20 000 en 1920 au stade du Léopold FC à Uccle (Bruxelles)54 et 25 000 en 1921 au stade du Daring à Molenbeek (Bruxelles)55. La rencontre Belgique-France qui se dispute à Bruxelles parvient à rivaliser en 1904, pour la première édition de la coupe Evence Coppée : 1 500 spectateurs. Mais elle perd vite en attractivité par rapport à la coupe Vanden Abeele : 300 à 500 spectateurs en 1905, 2 000 en 1907. En 1911, La Vie Sportive évoque « la foule peu compacte au terrain de l’Union Saint-Gilloise pour Belgique-France »56. Deux ans plus tard, le même journal note à propos de l’opposition belgo-française : « le public ne connut pas l’emballement ni l’enthousiasme que suscite seul jusqu’à présent le fameux match Belgique-Hollande »57. Au début des années 1920, l’affiche Belgique-France attire autant que les rencontres contre les Anglais : ils sont 25 000 spectateurs au Parc Duden de l’Union Saint-Gilloise58. Avant 1914, les rencontres contre les autres nations enregistrent moins de spectateurs encore. L’Allemagne attire 3 000 personnes à Liège en avril 191159et 6 500 à Anvers, au stade de l’Antwerp, en novembre 191360. Il faut attendre l’après-guerre pour avoir des rencontres qui attirent autant que Belgique-Hollande tel ce Belgique-Espagne de février 1923 qui attire 30 000 personnes au stade du Beerschot61. Mais comme le rappelle La Vie Sportive du 6 mars 1925, Belgique-Hollande demeure le « Great Event ».
La rencontre s’est en effet imposée comme l’évènement sportif le plus important de Belgique. Dès 1907, un article paru dans l’organe officiel de l’URBSFA rappelle que :
Ce match constitue, depuis quelques années, le véritable évènement sportif de la saison de football car la lutte intense qu’y soutiennent tous les ans nos représentants contre ceux de la Hollande, a créé une émulation énorme. De tous les coins du pays, les amateurs de football se rendront à cette solennité sportive et le nombreux public qui se pressera au Beerschot dimanche, prouvera de façon certaine les immenses progrès auprès du public anversois et belge62.
En 1913, le même journal n’hésite pas à rappeler que le Belgique-Hollande est la grande fête du football belge, à l’instar de la Cup pour le football anglais :
Il est pour nous ce que la finale de la coupe d’Angleterre représente aux yeux de nos maîtres et initiateurs. C’est notre fête annuelle à nous ! c’est la foire du football belge ! De partout débarque dans notre Métropole commerciale un flot tumultueux et grouillant de spectateurs placides et de supporters chauvins et bruyants63.
On assiste bien là à l’invention d’une tradition, sanctionnée en 1921 par la présence au match du Premier ministre belge, le catholique Henry Carton de Wiart, et de son ministre des Colonies, Louis Franck. Le succès de la rencontre tient en effet dans sa capacité à s’affirmer précocement comme un vecteur de l’identité nationale belge tout en reconstituant la rivalité ancestrale avec les Néerlandais, anciens maîtres du pays et aux dépens desquels la Belgique a obtenu son indépendance en 1830.
Quand on parle match international en Belgique, explique La Vie Sportive en 1910, l’imagination se transporte immédiatement à Anvers, au terrain du Beerschot AC où, depuis dix ans déjà, se dispute chaque année la coupe Vanden Abeele. Les autres rencontres entre nations, qui n’ont lieu d’ailleurs que tous les deux ans en Belgique, ne semblent pas exciter les esprits comme le match Belgique-Hollande. Plusieurs raisons sont à donner de cet état de choses. Tout d’abord la coupe Vanden Abeele a une histoire. Ensuite nos voisins du Nord nous sont plus familiers, mieux connus ; vis-à-vis d’eux nous nous sentons en présence d’individus presque de même race, de même tendance, de même langue souvent que nous. Sans nous en rendre compte, nous les recevons un peu en famille, comme des cousins64.
De 1901 à 1904, l’évènement est organisé directement par le Beerschot. Ses dirigeants, considérant qu’il s’agit déjà d’un évènement national, décident que le comité de sélection de l’équipe belge doit être constitué des dirigeants des différents clubs de football affiliés à l’UBSSA, notamment ceux jouant en Première division. Pour chacun des postes, ils votent pour le meilleur joueur. C’est ainsi que sont désignés les titulaires et les remplaçants de la sélection nationale belge pour les deux premières éditions de l’épreuve qui se déroulent en 1901 et au début de 1902. Mais pour la troisième édition qui se doit tenir en décembre 1902, le mode de désignation des internationaux est modifié :
La coupe Vanden Abeele voit son règlement changer. Ce ne sont plus les représentants des clubs qui font l’équipe car l’esprit de clocher présidait souvent à la formation de l’équipe préconisée par eux. C’est un comité qui sélectionnera les joueurs65.
Cette troisième édition marque déjà un tournant dans l’histoire de la compétition et surtout dans celle des matches internationaux de l’équipe nationale belge. C’est lors de la rencontre du 14 décembre 1902 que pour la première fois les joueurs d’Outre-Quiévrain arborent des maillots aux couleurs nationales et adoptent un galon désignant le nombre de matchs joués par chaque joueur dans cette compétition66. Surtout, les observateurs notent que, déjà, le public s’est montré « chauvin et peu sportif67 ». Cette exacerbation du sentiment national ne se dément pas au cours des années suivantes :
Si les matches inter-nations sont suivis avec intérêt par les sportsmen belges et si les résultats en sont discutés et employés pour établir des comparaisons entre nos joueurs et ceux des autres pays qui nous rencontrent annuellement, il est cependant avéré que c’est le match international se disputant annuellement en Belgique aux belles installations du Beerschot AC qui est regardé comme la rencontre capitale qui excite les esprits et dont le résultat est attendu avec impatience ; et, lorsque la victoire daigne nous sourire, un contentement général se manifeste, l’amour-propre belge est satisfait68.
La rencontre est aussi une bonne affaire commerciale. Pour le club anversois du Beerschot d’abord, puisque les recettes aux guichets sont intégralement versées dans les caisses du club69. De fait, l’organisation de Belgique-Pays-Bas intéresse d’autres clubs, notamment ceux de la capitale. Dès 1903, l’Union Saint-Gilloise se porte candidate, sans succès, pour accueillir l’évènement70. Elle encourage aussi l’autre grande société sportive anversoise, l’Antwerp FC, à proposer à l’UBSSA l’organisation, sur son terrain, d’une rencontre internationale contre l’Allemagne, dans l’espoir d’augmenter elle aussi ses revenus71. L’intérêt commercial se manifeste aussi à l’échelle de la ville d’Anvers, puisque la rencontre permet de drainer dans la cité scaldéenne des milliers de supporters venus de toute la Belgique mais aussi des Pays Bas voisins – 2 500 en 1912 –, et qui sont autant de consommateurs, ce dont profitent les commerçants locaux :
Anvers, sous l’initiative de commerçants habiles, prend ce jour-là un air de fête […] Cette fois, l’on assure que la ville d’Anvers sera officiellement en fête, non pas uniquement pour recevoir les Hollandais, mais surtout pour fêter dignement ce grand évènement sportif amenant dans la Métropole des milliers d’étrangers72.
Dans son édition du 16 mars 1914, le journal Le Matin revient sur l’effervescence qui règne dans les rues de la ville d’Anvers :
Partout, aux balcons des hôtels, aux fenêtres des maisons, sur le toit des taxis, partout, flottaient hier des drapeaux belges et hollandais ; quantité de boutonnières faisaient se marier des rubans orange et tricolores. Vers une heure, la foule se rua, à pied, en voiture, en tram, en taxi, en omnibus […], n’importe comment, vers le terrain du Beerschot où devait, vers deux heures et demie, se jouer le plus grand match de football de l’année.
Ainsi, c’est bien à Anvers que se déroule le match le plus important du football belge, et non à Bruxelles. Quoique la capitale accueille la rencontre une première fois en 1930, lors de l’inauguration du stade du Centenaire. Jusqu’à cette date, l’URBSFA avait rechigné à délocaliser l’évènement et avait œuvré pour qu’il reste organisé à Anvers où se trouvaient les plus grandes enceintes sportives de Belgique.
Les stades anversois : les plus modernes de Belgique ?
Le succès croissant du match Belgique-Hollande oblige le Beerschot à construire une nouvelle enceinte en 1913. Elle est alors la plus grande de Belgique. Toujours enclin à vouloir dépasser son rival, l’Antwerp lui emboîte le pas au début des années 1920. En 1923, la ville d’Anvers possède ainsi les deux plus grands stades du pays, à une époque où la modernité des enceintes sportives se jauge à l’aune de leur capacité. Jusqu’en 1913, les deux sociétés sportives anversoises possèdent des stades de qualité mais ne se démarquent pas de leurs homologues bruxelloises ou liégeoises. À ses débuts, l’Antwerp déménage à plusieurs reprises. Entre 1895 et 1903, il occupe par exemple le vélodrome du Zurenborg dans le quartier de Berchem. À cette époque, les grands clubs bruxellois et le FC Liège s’adonnent aussi au football dans des vélodromes73. En 1908, les footballeurs de l’Antwerp se fixent pour une durée de 15 ans au Kiel, dans le sud de la ville. Le nouveau stade présente une tribune de 350 places et des gradins pouvant contenir jusqu’à 5 000 personnes. Il doit l’agrandir pour certaines rencontres comme lors du Belgique-Allemagne de novembre 1913. L’infrastructure est de qualité puisqu’elle compte des terrains de football, quatre courts de tennis, des vestiaires, une buvette, des jardinets et des pelouses74. L’organe officiel de l’URBSFA ne manque pas de vanter les mérites de l’Antwerp, assurant que son stade « est, si pas le plus grand ni le plus luxueux, au moins le mieux compris et le plus coquet du pays75 ». Un an plus tard, le même journal prétend que, après la remise à neuf de l’enceinte de l’Antwerp, cette dernière « peut être comptée parmi les meilleures du pays76 ». Les mêmes propos sont tenus au sujet de l’enceinte du Beerschot construite en 1899, également dans le quartier du Kiel, sur un ancien champ de courses appartenant à la famille Grisar. Le terrain de football est aménagé sur la piste de course, le bâtiment du pesage est transformé en vestiaire alors que la tribune devient une buvette-restaurant77. Le terrain « est de très bonne qualité78 » et « les installations (sont) magnifiques79 ». Comme les dirigeants de l’Antwerp, ceux du Beerschot font des aménagements pour accueillir les foules sportives, toujours plus importantes, notamment pour la rencontre opposant la Belgique aux Pays Bas. En 1909, une tribune pouvant accueillir 3 000 personnes assises est aménagée80. Deux ans plus tard, de nouvelles estrades permettent d’augmenter la capacité de 2 000 places81. Mais si le stade de l’Union Saint-Gilloise ou de Bruges sont de mauvaise qualité selon La Vie Sportive, Bruxelles et Liège possèdent des stades qui rivalisent avec ceux des clubs anversois. Les enceintes du Racing ou du Léopold sont particulièrement appréciées par les spécialistes82. Comme à Anvers, on y multiplie les aménagements : en 1907, les tribunes et gradins du Vivier d’Oie, terrain du Racing, sont agrandis pour porter sa capacité à 6 000 places afin de recevoir le club anglais d’Arsenal83.
Une première rupture intervient en 1913 avec la construction, toujours dans le quartier du Kiel, du nouveau stade du Beerschot. Les affluences de Belgique-Hollande de 1911 et 1912 ainsi que l’ambition d’une partie des élites sportives anversoises d’accueillir les Jeux olympiques dans la cité scaldéenne en 1920 poussent le club mauve et blanc à faire l’acquisition d’infrastructures plus vastes. Pour ce faire, Paul Havenith crée une société anonyme, L’Industrie du Bâtiment, en charge de lever des fonds parmi les riches commerçants de la Métropole alors que la famille Grisar met à disposition les terrains nécessaires84. Les capitaux réunis85 permettent d’ériger un stade de 30 000 places, soit le plus important de Belgique. Comme le rappelle La Vie Sportive le 18 septembre 1913, soit trois jours avant l’inauguration de la nouvelle enceinte, « nous voilà loin de tout ce qui existait jusqu’à présent […]. Tout cet ensemble, projet hardi d’une réalisation tellement coûteuse qu’il semble impossible, en dehors de notre Métropole commerciale, de trouver des mécènes assez généreux pour en imiter la fastueuse construction ». La tribune principale, qui compte 3 000 places assises, est construite par la filiale anversoise de la firme Humphreys de Londres. Cette dernière, également implantée au Caire et à Buenos Aires, est spécialisée dans les enceintes sportives. Elle a déjà réalisé celles de Glasgow, de Manchester et du club londonien d’Arsenal au moment de son installation à Highbury86. De nouveaux aménagements sont réalisés en 1920 afin d’accueillir les Jeux olympiques. La capacité du stade est portée à 32 000 places87. Les rivaux bruxellois ne manquent pas de réagir. En mai 1914, l’Union Saint-Gilloise prévoit de s’installer au parc Duden dans une enceinte de 25 000 places. Mais l’opération ne s’effectue qu’en 1921. Quelques mois plus tard, en juillet 1914, c’est au tour du Daring d’investir 200 000 francs pour faire l’acquisition d’un terrain située chaussée de Gand, à Molenbeek, sur lequel le club souhaite faire ériger un nouveau stade. Mais la guerre oblige ses dirigeants à reporter leur projet au début des années 1920.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, d’autres clubs belges fournissent un effort considérable pour construire des enceintes sportives. C’est à Malines qu’un stade plus grand que celui du Beerschot sort de terre : 35 000 places. Il est inauguré en août 1923. Mais moins de trois mois plus tard, l’Antwerp ouvre les portes de son nouvel écrin qui peut accueillir jusqu’à 50 000 personnes. En 1922, les dirigeants du club créent une société anonyme pour faire l’acquisition d’un terrain dans la commune de Deurne, en banlieue anversoise. Le conseil d’administration de cette société a pour président l’incontournable Alfred Verdyck et compte plusieurs industriels et avocats anversois88. En novembre de la même année, ils annoncent la construction du nouveau stade pour un coût de 1,5 million franc. L’infrastructure doit s’organiser de la façon suivante :
Le terrain comprend 80 000 m². Le chemin d’accès aura 45 m de largeur. Il y aura 11 autres chemins de 25 mètres de large. En face de l’entrée il y aura un étang. On doit établir aussi des courts de tennis, un bassin de natation avec tribune […]. Un monument sera érigé en mémoire des membres de l’Antwerp morts au champ d’honneur. La tribune fera 130 mètres de long et pourra accueillir 6 000 spectateurs. Pour la presse, un local avec 12 téléphones. Les populaires pourront caser 45 000 personnes dont 20 000 sur les gradins89.
Pas moins de douze courts de tennis sont donc aménagés ainsi qu’une piste d’athlétisme. En revanche, le projet de bassin de natation est repoussé. Les dirigeants mènent aussi une réflexion sur l’accès au stade, qui est peut-être le point faible du terrain du Beerschot, et favorise une approche globale de la mobilité urbaine. Tous les moyens de transport sont envisagés. D’abord, un parc pour 200 automobiles est réalisé90. Ce qui implique le développement du réseau routier en direction du stade. Ensuite, on pense à relier le stade au centre de la ville d’Anvers par les tramways :
Outre la création de nombreuses voies d’accès venant non seulement du centre de la Métropole, mais aussi des communes environnantes, la compagnie des tramways anversois se déclare disposée à relier le nouveau stade à tous les points de départ intéressants91.
Les services d’autobus ne sont pas négligés et sont sollicités dès le premier match de football qui se déroule dans le nouveau stade en novembre 192392. Surtout, la nouvelle enceinte doit être à l’origine d’un nouveau quartier :
Pour la commune de Deurne, la création du Stadion lui donne le coup de baguette magique, assurant l’avenir et le développement le plus heureux de cette localité de la banlieue. Entre la chaussée de Turnhout et le stade, les terrains sont acquis par une société qui va créer les nouveaux quartiers, cités-jardins, etc. ainsi que les boulevards et les différentes artères qui donneront accès au stade93.
Elle s’inscrit dans un plan de développement urbain, nécessitant pour les dirigeants de l’Antwerp de discuter avec les autorités provinciales ainsi que communales d’Anvers et de Deurne :
Il sera pour le sport en même temps que pour l’extension et l’amélioration d’un énorme quartier nouveau d’une utilité considérable […] Les autorités communales des communes d’Anvers et de Deurne, ainsi que les Ponts et Chaussées ont apporté un large appui à ce projet tout simplement grandiose […]. Voilà donc un fait à souligner : la ville, la Province, les compagnies de transports se préoccupent de l’établissement d’un stade modèle, car l’on a enfin compris son importance au point de vue du développement des banlieues94.
Le stade de l’Antwerp, encore appelé Borsuilstadion, devient alors la plus grande enceinte sportive de Belgique. Il le demeure jusqu’en 1930 et l’inauguration à Bruxelles du stade du Centenaire qui peut contenir 75 000 spectateurs95.
Conclusion
Le dynamisme du port d’Anvers a eu un impact sur l’évolution du football local. Jusqu’en 1914, les bases du ballon rond anversois sont déjà bien établies et font de la Métropole l’un des bastions du football belge. Le mouvement associatif y a vu le jour, certains dirigeants des deux grands clubs de la ville jouent un rôle important dans les instances dirigeantes nationales, la cité portuaire accueille le match de football le plus important du pays et, en 1913, elle se dote du plus grand stade de Belgique. Mais ce sont bien les années 1920 qui correspondent à l’âge d’or du football anversois. Au cours de cette décennie, Anvers devient la place forte du football belge. Tout en confortant ses atouts de la période précédente, le ballon rond anversois domine sportivement celui des autres grandes villes du pays, sans compter qu’il est à l’origine de la pratique corporative en Belgique et que son mouvement associatif se montre particulièrement dynamique. Cette hégémonie est contestée par Bruxelles à partir des années 1930 avec la construction du stade de Centenaire, qui accueille à plusieurs reprises Belgique-Hollande, et le retour sur le devant de la scène footballistique des clubs de la capitale, en particulier l’Union Saint-Gilloise et le Daring. Une remise en cause du football anversois qui coïncide avec un certain ralentissement du port d’Anvers depuis la fin de l’année 1930 et le début de la crise économique en Belgique.