Éditorial

  • Editorial Note

p. 11-12

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« Quand les mouettes suivent un chalutier, c’est parce qu’elles pensent que des sardines seront jetées à la mer. » On serait tenté d’inclure « des ballons » dans le célèbre aphorisme footballistique prononcé par Éric Cantona le 31 mars 19951, tant l’histoire de la globalisation du ballon rond est affaire de bateaux, de ports et de circulations maritimes. Peut-être « King Eric » qui manqua alors d’être déchu, s’était rappelé ses origines marseillaises pour composer sa métaphore halieutique… En tout cas, le football association est autant le produit des jeux des public schools anglaise et de la culture ouvrière britannique du xixe siècle, que des échanges de la « première mondialisation2 » qui aurait pris la forme d’une « anglobalisation3 ». Quittant les ports britanniques dans les navires de la Royal Navy, dans les cargos et paquebots transportant les sujets de Sa Gracieuse Majesté ou des étudiants ayant séjourné dans son royaume, le ballon de football trouve outremer un premier lieu d’implantation dans l’espace littoral, qu’il s’agisse des ports civils et militaires (Laurent Grün, Richard Mills, Didier Rey) ou des stations balnéaires (Olivier Chovaux, François Prigent). Les pratiques sportives balnéaires jouent ainsi un rôle important dans le développement du football en créant un environnement social et culturel favorable à l’introduction du football à l’image des clubs d’aviron de Rio de Janeiro (Victor Andrade de Melo). Plus tard, les escales portuaires voient l'invention de traditions sportives opposant deux nations comme à Anvers, théâtre d’homériques Belgique-Pays-Bas dans l’entre-deux-guerres (Xavier Breuil). Elles sont aussi le point de départ de tournées sud-américaines vers le vieux continent, manifestation de la vigueur de la greffe footballistique latino-américaine (Bernardo Buarque) ou vers la première Coupe du monde de football organisée à Montevideo, un autre port de la mondialisation économique (Paul Dietschy), signe cette fois de l’indépendance acquise à l’égard des Britanniques. S’étant d’abord implanté sur les côtes, le football pénètre ensuite l’hinterland tout en conservant ses premières places fortes. Parmi les grandes villes de football, ne compte-t-on pas encore aujourd’hui Barcelone, Buenos-Aires, Liverpool, Marseille ou Naples ? S’ils ne sont pas toujours les premiers à le faire (Didier Rey et Laurent Grün), les groupes sociaux organisant la vie économique portuaire, notamment les armateurs et négociants, jouent un rôle conséquent dans l’essor du football-spectacle comme dans l’Anvers de l’entre-deux-guerres (Xavier Breuil), en Bretagne (François Prigent) ou à Gdansk après la Seconde Guerre mondiale (Radoslav Kossakowksi et Albrecht Sonntag). En raison du milieu maritime qui conditionne jusqu’au jeu avec l’estran pour premier terrain et le vent comme véritable abonné des stades, le football des ports ne peut se comprendre sans faire référence à la notion de « maritimité ». À savoir, « réfléchir sur les constructions sociales et culturelles qui ont été édifiées par les groupes humains pour organiser leurs relations à la mer, pour s’en protéger, pour la socialiser, pour la baliser, pour l’aimer. Ces constructions s’ancrent bien entendu dans la profondeur historique, mais en même temps, elles sont évolutives4. » L’imaginaire construit par les joueurs d’Hajduk Split, surnommés « les Maîtres de la mer » dans l’entre-deux-guerres, puis leur épopée partisane et maritime pendant le second conflit mondial (Richard Mills) participent évidemment de cette histoire culturelle des ports et des littoraux. Il en va de même pour les derbies opposant Genoa et Sampdoria illustrés par les tifosi et autres ultras génois qui convoquent dans leurs manifestations de soutien les grands navigateurs de la Superbe (Andrea Doria, Cristoforo Colombo) ou des figures maritimes de la culture populaire telles que Popeye ou le capitaine Haddock. Mais la maritimité ne suppose pas forcément l’hégémonie du ballon rond comme le prouve l’histoire du Sporting Club de Toulon contraint de vivre dans l’ombre du Rugby Club toulonnais (Pierrick Desfontaine). Dans le port de la « Royale » comme ailleurs, le club de football est tributaire du soutien politique local et des heurts de l’histoire comme celle de la colonisation de l’Algérie à Oran (Didier Rey), de l’occupation allemande en Bretagne (François Prigent) et italienne à Split (Richard Mills). Et à Gdansk, le stade érigé à proximité des chantiers navals, devient un lieu de résistance à l’oppression, ici communiste (Radoslav Kossakowksi et Albrecht Sonntag).

Notes

1 L’attaquant de Manchester United avait été condamné à 120 heures de travaux d'intérêt général et 40 000 livres d'amende pour avoir corrigé d’un véritable « kung-fu kick » un supporter de l’équipe londonienne de Crystal Palace qui l’avait insulté à sa sortie de terrain. C’est la seule déclaration qu’il fait en anglais, puis en français, lors de la conférence de presse suivant le verdict de son procès. Return to text

2 Entendue comme celle de la fin du xixe siècle. Cf. Suzanne Berger, Notre première mondialisation. Leçons d’un échec oublié, Paris, Editions du Seuil, 2003. Return to text

3 Niall Ferguson, Empire: The Rise and Demise of the British World Order and the Lessons for Global Power, Londres, Basic Books, 2002. Return to text

4 Eustogio Dantas, « La maritimité chez les indiens du Brésil », Géographie et cultures, n° 78, 2011, p. 75-96, cité par Sylvain Laubé, « Maritimité et paysage culturel maritime : les apports du modèle « Any-artefact » », Artefact, 2021, 14, p. 297. Return to text

References

Bibliographical reference

Paul Dietschy, « Éditorial », Football(s). Histoire, culture, économie, société, 4 | 2024, 11-12.

Electronic reference

Paul Dietschy, « Éditorial », Football(s). Histoire, culture, économie, société [Online], 4 | 2024, . Copyright : Licence CC BY 4.0. URL : https://preo.u-bourgogne.fr/football-s/index.php?id=594

Author

Paul Dietschy

Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Franche-Comté

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