Éditorial

  • Editorial Note

p. 11-12

Texte

Qui s’aventure dans les pages sportives de la presse de la Belle Époque rencontre souvent le mot football. Loin de désigner le ballon rond, le terme est employé pour louer, comme le fait Pierre de Coubertin, le rugby. Considéré comme le « vrai football » réceptacle des valeurs viriles, le ballon ovale est déjà implanté dans certaines de ses places fortes contemporaines : le Sud-Ouest, notamment Bordeaux et Toulouse, ou Paris. À une époque où toute confrontation sportive avec la Grande-Bretagne passe pour un événement excédant le cadre sportif, l’intégration de l’équipe de France dans ce qui devient en 1910 le Tournoi des Cinq Nations renforce les positions d’un rugby français qui fait très tôt exception sur le continent européen.

Fidèle à sa volonté d’envisager toutes les formes de football, la revue éponyme veut revenir sur l’histoire et le présent d’un rugby qui ne cesse de se réinventer. Tel le phénix, le modèle rugbystique français, a pu renaître de ses cendres après les années de crise de la décennie 2010. Le jeu retrouvé des XV de France féminin et masculin et l’attractivité du Top 14 le prouvent amplement. Mais l’histoire du ballon ovale n’est pas seulement sportive et épouse les scansions de l’histoire culturelle, politique et sociale hexagonale. Il suffit de se plonger dans les riches archives manuscrites ou imprimées, diplomatiques, fédérales ou privées, dont nombre sont encore à découvrir, pour le constater. Il y est d’abord question de transfert culturel et d’acculturation via les passeurs que furent les sportsmen britanniques expatriés en France, notamment en Aquitaine. Sans oublier, ceux qui relèvent du mythe à l’instar de William Webb Ellis mort et inhumé à Menton en 1872. Très tôt, toutefois, le rugby a essaimé dans des territoires longtemps négligés par ses historiens et historiennes comme l’Ouest ou plus tard la Corse. Il s’est aussi vite installé dans des lieux désormais patrimoniaux tels que le stade de Colombes. Des enceintes qui ont su garder la mémoire des rugbymen tombés pour la France pendant la Grande Guerre via l’onomastique ou la statuaire.

Sport collectif de combat, le rugby a connu en France ses déchirements. Au début des années trente, le divorce avec les maîtres d’outre-Manche révèle toutes les préventions pas seulement sportives nourries par les élites britanniques à l’égard de leurs voisins et alliés. Puis, en 1934, l’implantation du rugby league en France, lance le long conflit entre XV et XIII. Au-delà des avanies et persécutions qu’il a subies notamment sous le régime de Vichy, le rugby cher aux ouvriers du nord de l’Angleterre a servi aussi de laboratoire à son frère-ennemi quinziste. En témoignent la mise en place précoce d’un professionnalisme régulé comme à Albi ou les emprunts tactiques pour faire évoluer le jeu quinziste. Mais celui-ci n’a pas manqué de théoriciens ou de débats d’idées à l’image d’un Julien Saby ou d’un Pierre Villepreux qui, avec d’autres entraîneurs français, ont accompagné le développement du rugby italien. Proche des milieux scolaires, ils ont pu aussi bénéficier en France du soutien des professeurs d’éducation physique et sportive autour de René Deleplace et de ses collègues qui ont exercé leur apostolat rugbystique jusque dans le nord de la France. Le rugby français a ses objets fétiches à l’image du joug, outil autant technique que symbolique. Mais il s’est également distingué par les clubs qui l’ont dominé à l’instar de l’AS Béziers qui a remporté onze boucliers de Brennus entre 1961 et 1984, grâce notamment à un trio d’exception : son président Georges Mas, son entraîneur Raoul Barrière et son capitaine et demi de mêlée Richard Astre. Deux décennies plus tard, avec l’adoption du professionnalisme en 1995, le rugby français a su rompre avec une certaine hypocrisie financière. Le Top 14 devenu aujourd’hui la compétition nationale de clubs la plus attractive au monde, combine les ingrédients anciens (mécénat) aux nouveaux (droits télés). En matière de nouvelles technologiques, le rugby a su franchir précocement le Rubicon de l’arbitrage vidéo sans les polémiques stériles et parfois archaïques qui accompagnent l’usage de la VAR dans le football. S’il n’a pas toujours été exemplaire, si le XIII connaît aujourd’hui des heures difficiles avec le renoncement à l’organisation de la Coupe du monde 2025, le rugby français propose depuis la fin du xixe siècle un modèle original et vigoureux au sein de la planète rugby.

Citer cet article

Référence papier

Paul Dietschy, « Éditorial », Football(s). Histoire, culture, économie, société, 3 | 2023, 11-12.

Référence électronique

Paul Dietschy, « Éditorial », Football(s). Histoire, culture, économie, société [En ligne], 3 | 2023, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : https://preo.u-bourgogne.fr/football-s/index.php?id=305

Auteur

Paul Dietschy

Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Franche-Comté

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