Laurent Sébastien Fournier, Mêlée générale. Du jeu de soule au folk- football

p. 231-233

Référence(s) :

Laurent Sébastien Fournier, Mêlée générale. Du jeu de soule au folk- football, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, 274 p.

Texte

Couverture de l’ouvrage Mêlée générale. Du jeu de soule au folk- football.

Couverture de l’ouvrage Mêlée générale. Du jeu de soule au folk- football.

Cet ouvrage est fondé sur des descriptions très détaillées du folk-football et de la soule qui ont fait l’objet d’enquêtes menées, pour le premier cité, aux îles Orcades, en Écosse, dans la région des Borders (entre l’Écosse et l’Angleterre), dans une localité anglaise et, pour la soule, dans l’Oise et en Ardèche. Ces enquêtes se sont étalées de 2006 à 2012. Autant dire que le travail de terrain est sérieux et riche ; les 14 pages de bibliographie, commentées au fil des chapitres, confortent cette opinion d’ensemble.

Qu’est-ce que le folk-football ? Un jeu de balle à la main et au pied, sans terrain dédié, sans règles écrites, où deux camps s’opposent et où la mêlée pour s’approprier le ballon est la phase fondamentale. Contrairement aux sports modernes, il faut rapporter le ballon dans son propre camp, et non inscrire un but dans le camp de l’adversaire. Telles sont les caractéristiques du jeu à Kirkwall, dans les îles Orcades, où le ba’game oppose les Uppies aux Doonies (Downies), les vainqueurs remportant le ballon. Sous l’influence des sports modernes (le football-soccer, le football-rugby), le folk-football s’est transformé en Écosse continentale et en Angleterre ; ainsi, ici et là, on peut changer d’équipe d’une année à l’autre, il s’agit d’amener le ballon dans le but adverse, etc., mais les caractéristiques générales du jeu restent les mêmes (mêlée, absence de règles écrites…). La soule (ou choule) présente les mêmes caractéristiques d’ensemble mais, contrairement au folk-football, elle ne s’est pas propagée de façon continue, mais fait l’objet de réinventions, sauf à Tricot dans l’Oise où deux parties de choule ont lieu tous les ans. Ici, comme en Grande-Bretagne, la rivalité entre les deux équipes symbolise un des facteurs de la division de la société locale : célibataires contre hommes mariés, partisans du comte contre partisans de l’évêque, membres d’un quartier contre membres d’un autre quartier, etc. Dans les deux cas, ces affrontements ont lieu à des moments significatifs, soit à la fin de l’année (à Kirkwall, il y a deux ba’game, l’un à Noël, l’autre au Nouvel An) soit lors du cycle Carnaval-Carême (le Mardi gras, le mercredi des cendres). Laurent Sébastien Fournier en vient à qualifier ces pratiques traditionnelles de « jeux rituels partiellement sportifiés ».

Ces pratiques ont fait l’objet et font l’objet de multiples interprétations à rebours de ce que nous apprend l’histoire ; ces interprétations qui font du folk-football « un jeu mythique à connotation guerrière » sont diffusées par les médias et par le web, à l’affût des « histoires qui frappent le plus l’imagination » ; ainsi l’ancêtre du ballon serait une tête coupée… Autre interprétation fautive, mais sans commune mesure avec la précédente : la soule serait l’ancêtre du rugby ; or celle-ci avait disparu depuis plusieurs générations quand ce sport fut introduit en France. Le livre de Laurent Sébastien Fournier est donc riche et fort bien documenté. Loin d’être une pratique insignifiante, le folk-football traduit une vision de l’existence et du monde. « L’empilement des corps dans la mêlée, écrit l’auteur, reflète le feuilletage complexe des divisions » – « sociales, politiques, symboliques » – « qui constitue le monde. Deux ou trois critiques pour achever cette recension. Parmi les facteurs qui expliquent le maintien du folk-football et la renaissance de la soule, Laurent Sébastien Fournier invoque le goût de nos contemporains pour « un jeu bizarre et décalé ». Las de leur sport de prédilection, « les supporters auraient tendance à déserter les stades ». Que l’auteur se rassure, ou se désespère, les supporters sont toujours aussi nombreux dans les gradins des stades ! Voici des remarques plus fondamentales. L’auteur introduit, au fil de sa démonstration, des commentaires sur les opinions et analyses de tel ou tel auteur, des sortes de fiches de lecture critiques, qui témoignent de son érudition mais qui nuisent à la continuité de son propos. Enfin, on peut se demander en quoi les faits analysés apportent un démenti à la thèse de Norbert Elias sur le processus de « sportivisation » dans l’Angleterre du xixe siècle. Qu’il y ait des exceptions, comme en témoigne le maintien, ici et là, du folk-football, ce ne sont que des confirmations de la règle. Que certains auteurs aient adopté une position trop tranchée, insensibles à la permanence de ces pratiques qui tiennent à la fois du jeu, du sport et du rite, soit. Mais jamais Elias n’a écrit que « tout jeu serait amené à se sportifier ». Ces quelques remarques critiques ne doivent pas masquer l’intérêt de ce livre, contribution majeure sur le folk football et la soule.

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Référence papier

Christian Bromberger, « Laurent Sébastien Fournier, Mêlée générale. Du jeu de soule au folk- football », Football(s). Histoire, culture, économie, société, 3 | 2023, 231-233.

Référence électronique

Christian Bromberger, « Laurent Sébastien Fournier, Mêlée générale. Du jeu de soule au folk- football », Football(s). Histoire, culture, économie, société [En ligne], 3 | 2023, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : https://preo.u-bourgogne.fr/football-s/index.php?id=576

Auteur

Christian Bromberger

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