Ludovic Lestrelin, Sociologie des supporters

p. 201-203

Référence(s) :

Ludovic Lestrelin, Sociologie des supporters, Paris, La Découverte, 2022, 128 pages.

Texte

Couverture de l’ouvrage Sociologie des supporters.

Couverture de l’ouvrage Sociologie des supporters.

Auteur d’un ouvrage sur L’autre public des matchs de football. Sociologie des supporters à distance de l’Olympique de Marseille (Éditions de l’EHESS 2010), Ludovic Lestrelin traite, dans cet excellent livre, fort documenté et bien écrit – qualité assez rare pour être signalée – du supportérisme tel qu’il est analysé par les chercheurs dans les pays européens, et, en particulier, en France. En dehors d’une allusion, bienvenue, aux barras bravas en Équateur, les références aux autres continents sont, en effet, absentes.

Le terme « supporter » entre dans le dictionnaire Larousse en 1933 et évoque aujourd’hui aussi bien « le passionné obsessionnel mais bonhomme » que « l’excité des tribunes que l’on déplore », p. 3. Pour rendre compte de cette nébuleuse, Lestrelin consacre six chapitres à ce phénomène dont les formes et les significations ont varié selon les époques et les acteurs.

Dans le premier chapitre (« Histoire des supporters et du supportérisme »), l’auteur note que l’éclosion du soutien organisé à « son » équipe a fluctué d’un pays à l’autre, en fonction de la diffusion, plus ou moins précoce, du football. Les clubs de supporters apparaissent en Angleterre dès la fin du xixe siècle, en Belgique en 1920, puis se répandent dans le nord de la France si bien que l’on compte 130 associations dans l’ensemble de la nation en 1939. Les « pionniers », p. 14 de ces clubs appartiennent à la petite bourgeoisie urbaine. Des années 1930 à nos jours, Lestrelin propose une périodisation des types de supportérisme. De 1930 à 1960, c’est le temps d’un « supportérisme ordonné » ; la décennie 1960-1970 voit la « progressive valorisation d’un soutien débridé et ostentatoire », p. 16 ; en 1969, la Fiorentina est déjà soutenue par 317 clubs ; mais c’est dans les années 1980-1990 que s’autonomisent et se diversifient les formes de supportérisme : à côté des associations « officielles », dit-on en Italie, proches des instances dirigeantes des clubs de football, apparaissent des groupes d’Ultras, composés de jeunes, plus ou moins violents, occupant une place particulière dans le stade, en général les virages et affichant par divers moyens (verbaux, gestuels, par des banderoles, etc.) leur soutien à l’équipe locale. Dans les décennies suivantes et jusqu’à aujourd’hui, on note un recul des associations « officielles » et un développement international de la culture ultra, relayée par les médias et les réseaux sociaux. Dans le chapitre II (« Comment peut-on être supporter ? »), l’auteur analyse les ressorts de la partisanerie sportive, du « déclic » à l’origine du soutien, du « rapport affectif intime et intense » qui s’instaure progressivement, des formes d’engagement, des processus de différenciation à l’intérieur du groupe. Le chapitre III (« Le stade haut lieu du supportérisme ») fournit à Lestrelin l’occasion de s’interroger sur la place du stade dans la ville. Cette « stadisation », p. 45 de quartiers urbains peut entraîner la dégradation de leur image (ainsi des espaces du 16e arrondissement parisien, proches du Parc des princes, occupés bruyamment lors des matchs par les supporters du PSG). Le stade est lieu où s’organise le soutien, où s’entonnent les chants, où se retrouvent amis et parents au sein d’associations, où se tissent « des liens pouvant rejaillir sur la société environnante », p 1, où se décident des « voyages pour des “raisons supportéristes” » qui renforcent la complicité. Dans le chapitre IV (« La télévision et son rôle dans la reconfiguration des formes de soutien »), l’auteur analyse la sophistication des formes de soutien « sous l’œil des caméras ». L’essor des retransmissions télévisuelles a largement contribué à une spectacularisation des virages occupés par les Ultras, mais aussi des tribunes dans leur ensemble, au développement du « supportérisme à distance » et, plus généralement, donne matière à réflexion sur les relations entre le local et le global. Dans le chapitre V (« Violences et désordres »), Lestrelin aborde le problème que bien des médias associent au supportérisme : les débordements brutaux. Il note, tout d’abord, que « la violence du public est contemporaine de la naissance du football au Royaume-Uni », p. 70. À partir des années 1950-1960 (un peu plus tard sur le continent européen) « les formes et le sens de la violence évoluent » et se « détachent des circonstances du match », p. 71, « un supportérisme extrême » conçu « comme une fin en soi », p. 74 faisant son apparition. Plusieurs explications ont été données à ce phénomène, appelé trop rapidement « hooliganisme » alors que celui-ci revêt des comportements fort différents (agressions physiques, vandalisme, envahissement du terrain). L’auteur passe en revue les différentes interprétations de ces désordres : une rébellion, selon Ian Taylor, un retard, dans certaines couches sociales, du « processus civilisateur » que symbolise le sport, selon Eric Dunning, élève de Norbert Elias, « la rage de paraître » chez des individus qui n’en ont guère l’occasion, selon Alain Ehrenberg, la recherche d’un mixte de combatif et de festif, l’aguante des barristas en Amérique latine, les différences régionales et sociales telles qu’elles sont ressenties selon une étude plus récente d’Eric Dunning, « la quête d’excitation en rapport avec l’exposition au danger et à l’incertitude », selon Ramón Spaaij, etc. Le dernier chapitre VI. « Encadrements sécuritaires et captations marchandes » livre une histoire très complète des mesures sécuritaires prises par les pouvoirs publics pour pacifier l’atmosphère des stades. Chemin faisant, l’auteur note avec raison que les insultes à l’égard des adversaires sont d’autant plus ressenties quand des tiers en ont connaissance (par la télévision par exemple). Les clubs souhaiteraient « convertir les supporters en fidèles consommateurs », p. 97, mais il est bien difficile de concilier commerce et supportérisme. Ce qui est, en revanche, en progression, c’est un supportérisme contestataire, révolté contre la marchandisation du football et revendiquant le retour à un sport populaire. Dans la conclusion Lestrelin constate la « sportification de l’espace public », comment les hommes politiques, naguère indifférents, affichent leurs préférences pour tel ou tel joueur ou équipe et comment le supportérisme gagne d’autres secteurs de la vie sociale.

Voilà donc un ouvrage qui, par sa rigueur et par la richesse de ses données, fait le tour d’un phénomène peu étudié et aux multiples visages.

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Référence papier

Christian Bromberger, « Ludovic Lestrelin, Sociologie des supporters », Football(s). Histoire, culture, économie, société, 2 | 2023, 201-203.

Référence électronique

Christian Bromberger, « Ludovic Lestrelin, Sociologie des supporters », Football(s). Histoire, culture, économie, société [En ligne], 2 | 2023, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : https://preo.u-bourgogne.fr/football-s/index.php?id=421

Auteur

Christian Bromberger

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