Couverture de l’ouvrage La valeur du footballeur. Socio-histoire d’une production collective.
Contrairement à ce que pourrait indiquer son titre, ce livre ne fournit pas de méthode pour déterminer le « prix » d’un footballeur. Il cherche à expliquer plus fondamentalement les raisons, historiques, sociologiques et économiques de la place du football dans notre société et de la « valeur », dans sa pluralité, qu’on lui accorde, notamment celle de ses principaux acteurs, les joueurs. Faire la synthèse d’un tel ouvrage (plus de 300 pages) est difficile tant les thèmes abordés sont nombreux et les matériaux empiriques mobilisés très divers (archives, entretiens, enquête, prosopographies…).
La première partie, historique, revient sur l’origine et l’expansion du football et nous explique comment on est passé d’une pratique sportive destinée à la formation des futures élites anglaises et qui s’est fortement popularisé à un « business » mondial. La seconde traite des fondements de la popularité du football que ce soit au niveau des propriétaires, entrepreneurs, parfois milliardaires et aujourd’hui fonds de placements ou États, qui acceptent la plupart du temps de perdre de l’argent dans les clubs et au niveau des supporters qui permettent d’expliquer la demande de football dans les stades et à la télévision. Cette partie, nodale, permet d’expliquer la forte croissance de l’économie du football depuis les années 1990 grâce aux apports financiers des présidents, de l’explosion des droits TV et, plus récemment, de l’inflation des revenus commerciaux justifiés par la mondialisation. La troisième partie s’intéresse au marché du travail des footballeurs et traite notamment du fait que ce sont les joueurs qui « captent la rente » footballistique. Enfin, la dernière partie examine les fortes inégalités salariales entre footballeurs, notamment entre les superstars et les autres. En résumé, plus qu’une simple explication de « la valeur du footballeur », l’auteur nous propose une lecture critique, non économique, de l’économie du football et de son évolution.
Le livre offre sans conteste une base de connaissances considérable sur l’économie du football. De ce point de vue, on ne peut qu’en recommander la lecture. Certaines thèses qui y sont défendues ouvrent cependant plus le débat qu’elles n’en tranchent la question. L’hypothèse la plus forte concerne sans nul doute la « rupture » historique consécutive à « l’arrêt Bosman », chapitre 9. Pour l’auteur, il s’agit d’une « fausse rupture », « un de ces mythes savants qui, à force d’être invoqués, finissent par avoir tous les atours d’un fait scientifiquement établi. », p. 221. Si on ne peut qu’être d’accord avec l’auteur sur l’invocation abusive de cet arrêt, notamment dans les médias, pour expliquer toutes les « soi-disant » dérives du football moderne, affirmer qu’il n’a eu que peu d’effet et que les tendances précédaient 1995 suscite néanmoins quelques interrogations.
Pour de nombreux économistes, l’arrêt Bosman a été un tournant qui a permis la libre circulation des footballeurs en Europe. Le marché des joueurs est vraisemblablement le marché le plus mondialisé pour un seul type de compétence ; rares sont en effet les autres professions qui se déplacent aussi facilement. En ce sens, le marché des footballeurs est intéressant car il donne une idée de la manière dont fonctionnerait un marché du travail mondial totalement ouvert. Et cela a forcément eu des conséquences en matière de distribution des talents entre ligues et entre clubs, d’inégalités salariales et de segmentation du marché du travail, d’équilibre compétitif, etc. Il est vrai que si cette législation a été une condition nécessaire, elle n’a cependant pas été suffisante pour expliquer les « trente glorieuses » du football. Deux autres « chocs » l’ont accompagné : l’augmentation des droits TV d’un côté, et l’achat de clubs par des milliardaires et des États de l’autre. La comparaison avec les États-Unis où le football (soccer) est fortement régulé avec notamment un marché du travail monopolistique aurait été ici intéressante.
D’autres passages du livre peuvent prêter à débat. Affirmer dans l’introduction que la théorie économique « se contente d’envisager les choses dans la perspective du prix », p. 14 fait l’impasse sur la distinction que fait l’économie classique entre « valeur d’usage » et « valeur de marché » (distinction déjà proposée par A. Smith). Parler d’une « bulle », p. 251 pour caractériser le marché des transferts pourrait être cette fois réellement « un mythe savant » repris un peu partout mais sans véritable fondement. Invoquer un sondage du syndicat européen des clubs (ECA) pour conclure qu’il y aurait un désintérêt du football chez les jeunes, p. 304 est un peu imprudent en regard de la représentativité de l’enquête et du potentiel conflit d’intérêt de ces clubs, cherchant, par cette conclusion, à « vendre » le projet de Super League européenne. Enfin, la référence au football féminin, p. 299 aura mérité une lecture plus analytique.
Toutes ces remarques n’enlèvent bien entendu rien à la richesse et à l’intérêt de cet ouvrage roboratif, mais sont formulées au contraire pour alimenter l’échange scientifique.