La FIFA (Fédération Internationale de Football Association), fondée en 1904, est l’instance dirigeante du football mondial. Organisation à but non lucratif, elle a pour vocation principale de gérer et de développer le football dans le monde. Le « joyau » de sa couronne et son principal « actif » est la Coupe du monde créée en 1928 (sous l’impulsion de son président Jules Rimet), un tournoi international qui se tient tous les quatre ans. La première Coupe du monde, organisée et remportée par l’Uruguay, eut lieu en 1930. Ce premier tournoi consistait en un seul tournoi final de treize équipes nationales. La compétition a été élargie ensuite à seize équipes qualifiées lors de phases éliminatoires, puis à 24 en 1982 et à 32 en 1998. La Coupe du monde 2026 en Amérique du Nord réunira 48 sélections nationales. Si le nombre d’équipes du tournoi final est limité, toutes les nations membres de la FIFA peuvent concourir à la phase de qualification. Le nombre de participants aux épreuves qualificatives n’a cessé de croître au cours de l’histoire de la Coupe : d’une trentaine en 1934 en Italie, il atteint aujourd’hui plus de 200 formations (soit plus que l’ONU) appartenant aux six confédérations continentales.
Au cours de la période d’après-guerre, notamment à partir de la Coupe du monde de 1966 en Angleterre1, le tournoi a connu une très forte croissance en termes de notoriété sportive, d’enjeu social et d’activité économique2. La compétition est devenue un événement global, bénéficiant des progrès technologiques de la diffusion et de la couverture médiatique dans le monde entier3. Aujourd’hui, la Coupe du monde est non seulement la principale source de financement de la FIFA, mais un grand nombre de fédérations nationales et de gouvernements souhaitent organiser cet événement pour bénéficier d’éventuelles retombées en matière sociales et économiques.
Le joyau de la couronne FIFA
Pour mesurer le prix de cette couronne et sa valorisation tout au long du siècle, nous nous intéresserons successivement aux budgets des Coupes du monde et à leur profitabilité.
Des budgets qui explosent…
La dimension économique et le potentiel de croissance financière de la Coupe du monde apparaissent dès ses origines. Le tournoi uruguayen, bien que modeste par rapport aux standards contemporains, montre que, dès le début, la compétition a été un événement de grande ampleur, exigeant une organisation du pays hôte en dehors même du terrain. Homburg4 estime que le budget FIFA de cette première Coupe du monde s’élevait à environ 63 250 francs suisses de l’époque, soit près de 415 000 francs suisses en valeur actuelle. En 1934, en Italie, le budget FIFA augmente légèrement, soit environ 65 500 francs suisses (526 000 francs suisses actuels) et en 1938 en France, atteint plus de 63 750 francs suisses (plus de 485 000 francs suisses). Ces revenus provenaient pour plus de 85 % de la part de la billetterie revenant à la FIFA (qui représentait 5 % du total des recettes des stades), le reste étant constitué des droits d’inscriptions des équipes participantes. La billetterie constituera la quasi-totalité des ressources de la FIFA jusqu’en 1950 (Coupe du monde au Brésil).
Les innovations technologiques des années 1950 et 1960 en matière de retransmission permettent à la FIFA de diversifier son modèle économique même si les négociations mettent du temps à être intéressantes financièrement pour la FIFA5. La Coupe du monde de 1954 en Suisse fut ainsi la première à être télévisée : l’European Broadcasting Union paya alors des droits de l’ordre de 2 500 dollars (environ 27 500 dollars actuels) à la FIFA pour retransmettre neuf matchs6. En 1958 en Suède, les droits furent négociés à hauteur de 103 448 livres pour onze matchs (environ 2 millions de livres en valeur actuelle) pour des recettes de billetterie de l’ordre de 716 000 livres (soit plus ou moins 14,25 millions de livres). Les droits de la Coupe du monde 1962 au Chili atteignent 75 000 dollars (environ 727 000 dollars actuels). La retransmission de la Coupe du monde de 1966 en Angleterre7 dans 75 pays est négociée à hauteur de 300 000 livres (soit environ 4,7 millions de livres actuels) pour des revenus de billetterie cinq fois supérieur, de l’ordre de 1,5 million de livres (23,5 millions de livres), ce qui peut apparaître comme une valeur sous-estimée compte tenu du fait que plus de 400 millions de personnes auraient suivi à la télévision la finale entre l’Angleterre et la RFA de 1966, soit plus que l’alunissage d’Apollo 11 en 1969. Enfin, même si des revenus commerciaux existent dès les premières Coupes du monde, il faut néanmoins attendre les années 1970 pour les voir véritablement émerger.
Le graphique 1 recense les budgets globaux à partir de la Coupe du monde 1974 en RFA issus des rapports de la FIFA. Deux sous-périodes se distinguent nettement, la Coupe du monde en Corée du Sud et au Japon de 2002 marquant le point de rupture. Avant cette date, entre 1974 et 1998, les revenus issus des Coupes du monde se situent entre 150 (pour la Coupe du monde 1974) et 500 (pour la Coupe du monde en France) millions de francs suisses (en valeur actuelle). Le budget de l’événement explose en 2002 puisqu’il sera multiplié par cinq par rapport à celui de 1998, cette croissance s’expliquant par la croissance des droits TV (multipliés par plus de neuf) et des revenus commerciaux (par plus de sept). Cette augmentation se poursuit après 2002, le tournoi russe en 2018 dépassant les cinq milliards de francs suisses, soit plus de deux fois le budget de 2002.
Même si les sommes semblent importantes et placent pour cette raison la FIFA sous le feu des critiques, elles doivent cependant être relativisées. Quand on parle d’une Coupe du monde, on fait référence à un événement planétaire dont la finale est suivie par une grande partie de l’humanité : 3,5 milliards de téléspectateurs ont regardé au moins une minute du tournoi russe en 2018 et 1,12 milliard ont assisté, via leur écran de télévision, à la victoire de la France lors de la finale à Moscou. La FIFA est cependant très loin de rivaliser financièrement avec les multinationales : AXA, le leader de l’assurance en France, présente par exemple un chiffre d’affaires mondial de l’ordre de cent milliards d’euros en 2021. Le phénomène est bien connu par les économistes8 : il est très difficile de s’approprier toutes les retombées financières du « bien football » (problème de l’appropriabilité des biens économiques). On « refait (tous) le match », au café, sur les plateaux télé, les émissions de radio, les journaux (spécialisés ou non), les blogs et les réseaux sociaux… Mais toutes ces activités « annexes » rapportent au final peu à l’économie du football en général et à la FIFA en particulier lors des tournois internationaux.
Ces budgets, comme on l’a vu précédemment, se composent principalement de trois postes : la billetterie, les droits TV et les revenus commerciaux (sponsoring, merchandising, licensing…). Le graphique 2 en montre l’évolution depuis 1974. La croissance des revenus s’explique à la fois par l’augmentation des droits TV et par celle des revenus commerciaux. L’évolution des recettes de billetterie est plus irrégulière et dépend du pays organisateur (elles étaient par exemple très faibles en Afrique du Sud en 2014). En termes de structure, on constate que les droits TV sont devenus majoritaires (entre 50 et 66 %) à partir de 2002 (48 % en 1998) et que la part des recettes de billetterie est toujours inférieure à 15 % à partir de la même date. On observe le même phénomène dans l’évolution de la structure des budgets des ligues du Big 59.
Un événement planétaire qui rapporte de plus en plus à la FIFA…
La Coupe du monde dégage des profits pour la FIFA depuis la première édition organisée en 1930 et la marge bénéficiaire est de plus en plus importante. Homburg note que le tournoi initial en Uruguay a déjà permis à la FIFA de générer près de 200 % de bénéfices. Par ailleurs, dans son étude, l’historienne allemande calcule la part des bénéfices des tournois revenant à la FIFA pour la période 1930-1998. Jusqu’en 1982 la FIFA percevait 10 à 15 % de ce surplus. Après 1950, la fédération du pays organisateur touchait entre 25 et 30 % de cette marge financière et les fédérations participantes entre 50 et 70 %. La FIFA percevait par ailleurs de 5 à 10 % du total des recettes de billetteries du pays organisateur. À partir de la Coupe du monde 1986, la FIFA renonce à sa part du « surplus » mais bénéficie de la croissance des revenus issus des droits TV, du sponsoring et du merchandising qu’elle gère indépendamment.
L’étude de Homburg nous permet de distinguer trois régimes sur le xxe siècle : la période d’avant-guerre durant laquelle les profits de la FIFA sont inférieurs au million de francs suisses (en valeur actuelle) ; celle de l’après-guerre jusqu’au tournoi espagnol de 1982 où la part de la FIFA se situe entre cinq et vingt millions de francs suisses ; enfin la période ultérieure jusqu’à la Coupe du monde française où les marges bénéficiaires de la FIFA dépassent les trente millions de francs suisses avec un forte croissance en 1998 (cinq fois la part du tournoi américain, soit plus de 300 millions de francs suisses actuels). Cette forte augmentation n’est pourtant que la première étape d’une croissance encore plus importante à partir de la compétition de 2002 en Corée du Sud et au Japon.
Comme nous le disions précédemment, le tournoi 2002 marque un changement dans les règles de calcul de la répartition des revenus des compétitions. Nous pouvons compléter notre analyse de la profitabilité de l’événement en rapportant uniquement les excédents financiers des Coupes du monde (revenus moins dépenses). L’évolution de ces bénéfices depuis 1974 est retracée sur le graphique 4. Le sentier de croissance des profits change de régime au xxie siècle : l’unité de base est alors non plus le million mais le milliard.
En 2002, les excédents liés à la Coupe du monde ont été multipliés par près de cinq par rapport à 1998, le taux de croissance moyen étant ensuite d’environ 26 % quadri-annuellement. La Coupe du monde en Russie a été une grande réussite financière, l’excédent approchant les 3,5 milliards de francs suisses, ce qui a permis à la FIFA de presque doubler ses réserves (2,745 $M en 2018 vs. 1,523 $M en 2014). La Coupe du monde est aujourd’hui vraisemblablement devenue l’un des événements les plus profitables au monde pour ses organisateurs10.
Depuis 2002, plus de 80 % des revenus totaux de la FIFA sur les cycles de quatre ans proviennent des recettes liées à la Coupe du monde. La profitabilité de l’affaire est liée à son modèle économique. La popularité grandissante du football, notamment sur certains marchés continentaux, et le fait que la FIFA dispose de l’exclusivité des droits de propriété de la compétition lui assure, du côté des revenus, des sommes de plus en plus conséquentes. Simultanément, du côté des dépenses, sa position de monopole permet à la FIFA de transférer une grande partie des coûts associés à l’événement sur le pays hôte. De plus, pendant la compétition, les salaires des joueurs internationaux continuent d’être payés par leurs clubs et les coûts salariaux supplémentaires (en général relativement faibles) liés au tournoi sont supportés par les fédérations nationales. Les joueurs, même les superstars, acceptent en effet de participer à la compétition mondiale pour des raisons autres que pécuniaires : ambition sportive, patriotisme, notoriété, etc. La motivation des joueurs et des fédérations nationales conjuguée au très fort intérêt des supporters du monde entier pour la compétition contraignent alors les clubs à accepter de mettre leurs footballeurs à la disposition des équipes nationales sans grandes compensations financières. Il est vrai que la visibilité internationale des joueurs sélectionnés peut bénéficier indirectement aux footballeurs, mais aussi aux clubs (ou au deux) à travers leur pouvoir de négociation salariale, leur valeur de transferts et leur potentiel commercial11. Enfin, les coûts les plus importants pour les infrastructures sportives, la logistique et la sécurité sont supportés financièrement par le comité d’organisation local (COL) et sont souvent largement financés par les fonds publics du pays hôte. Malgré des frais importants d’organisation, la FIFA (contrairement au CIO) n’a jamais eu de difficultés pour trouver un pays hôte : la compétition entre les nations candidates est toujours âpre et le processus de sélection a maintenant une dimension très géopolitique.
La FIFA est un monopole qui vend, pour une année donnée, les droits (dont elle a l’exclusivité) d’organiser la Coupe du monde et qui a le dernier mot sur toutes les questions concernant l’organisation de l’événement12. La structure économique du modèle ressemble à un système de franchise dans lequel le droit d’organisation est limité à un seul tournoi à une date donnée. Ce droit est attribué à une fédération nationale à la suite d’une sorte d’enchère avec plusieurs concurrents. Cependant, alors que les enchères habituelles sont généralement fixées par les prix, le processus d’appel d’offres pour la Coupe du monde est plutôt axé sur la qualité13.
Ce modèle économique permet à la FIFA de financer la quasi-totalité de ses activités de promotion du football dans le monde entier grâce aux recettes de la Coupe du monde et en fait probablement l’organisation sportive la plus riche du monde14.
Si la Coupe du monde masculine est le fer de lance de la stratégie économique de la FIFA, le potentiel de croissance du tournoi mondial féminin qui a connu huit éditions, depuis la première compétition en Chine en 1991, pourrait ajouter un joyau de plus à sa couronne, notamment pour générer des revenus supplémentaires15. Le dernier tournoi qui a eu lieu en France en 2019 a battu des records d’audiences, environ 1,12 milliard de supporteurs dans 205 pays ayant regardé au moins une minute de la compétition (plus de 260 millions pour la finale)16.
L’impact de la Coupe du monde dans les pays organisateurs
Les grands événements sportifs sont-ils bénéfiques à l’économie du pays organisateur ? L’impact économique d’une grande compétition est difficile à déterminer avec certitude mais son évaluation se déroule toujours de la façon suivante : les études d’impact faites avant – souvent financées par l’organisateur – montrent toujours des effets positifs sur la croissance, l’emploi, le tourisme, etc. et les études faites ex post, académiques, concluent la plupart du temps à un effet nul, voire négatif17.
Les problèmes des études d’impact sont multiples :
- il y a des effets de substitution : par exemple, si les touristes viennent assister à la Coupe du monde en juin, ils ne viennent ni avant ni après ;
- il y a des effets d’éviction : des touristes ne viennent pas pendant les compétitions car les prix augmentent ou ils n’aiment pas le sport ;
- les effets indirects sont mal évalués (ce qu’on appelle la fuite dans le multiplicateur).
Même en tenant compte de tous ces problèmes, il est encore difficile d’identifier la part due à l’organisation d’un événement sportif : en 1998, par exemple, beaucoup d'observateurs ont a souligné l’effet positif de la Coupe du monde mais, à cette époque, la France était en période de croissance forte et le nombre de touristes augmentait depuis le milieu des années 199018.
Les effets économiques attendus de l’organisation d’une Coupe du monde
Stefan Szymanski19 a fourni un cadre d’analyse détaillé pour quantifier l’impact économique d’un grand tournoi de football. Comme il l’explique, les bénéfices économiques du tournoi peuvent être de natures très différentes :
- les bénéfices privés directement liés au fait d’assister à l’événement : vente de billets, droits de retransmission, revenus de sponsoring, vente de produits dérivés ;
- les bénéfices privés indirectement liés au fait d’assister à l’événement : transport, hôtellerie, vente de nourriture et de boissons, revenus liés au tourisme connexe ;
- les bénéfices privés liés à la préparation de l’événement : emploi dans la construction et dans les industries qui y sont liées ;
- les bénéfices privés se matérialisant après l’événement (« l’héritage ») : utilisation des nouvelles infrastructures créées pour le tournoi ;
- les bénéfices publics : stimulation keynésienne20 de l’économie via l’investissement et le tourisme, plus grande efficacité grâce à l’amélioration des infrastructures, amélioration de l’image du pays induisant davantage de commerce et d’investissement.
Les études pionnières concluent à l’absence d’impacts économiques
Baade et Matheson21 se sont intéressés à l’impact économique de la Coupe du monde 1994 aux États-Unis. Ils estiment que les villes hôtes ont subi une perte globale estimée à plus de neuf milliards de dollars, en contraste avec les gains projetés de l’ordre de quatre milliards de dollars avant l’événement. Toutefois, les estimations varient d’une ville à l’autre, positives pour Chicago (près d’un milliard de bénéfices) et négatives, notamment pour Los Angeles et Dallas (d’un peu plus de 3,5 milliards pertes chacune). Dans l’ensemble, les villes hôtes et leur région ont connu une croissance du revenu disponible inférieure à la croissance prévue. Allmers et Maennig22 ont analysé les effets des Coupes du monde 1998 et 2006 sur le nombre de nuitées supplémentaires, sur le commerce de détail et le chiffre d’affaires du tourisme de manière générale. En France, il n’y a eu aucun effet, et en Allemagne, les auteurs ont montré que le nombre de nuitées et le chiffre d’affaires du tourisme ont augmenté. Si après 2006, la grande récession de 2008 a rendu difficile les évaluations d’impact pour le tournoi allemand, en 1998, la France était en période de croissance forte et le nombre de touristes augmentaient depuis le milieu des années 1990.
Avant les grands événements sportifs, les gouvernants des pays hôtes promettent toujours de nombreuses embauches. Mais quand on compare le taux de chômage avant et après les grands événements sportifs, on ne note dans le meilleur des cas, aucune différence. Hagn et Maennig23 analysent les effets à long terme sur l’emploi des neuf villes organisatrices de la Coupe du monde 1974 en RFA. Leurs résultats concluent que la Coupe du monde n’a pas généré d’effets statistiquement significatifs sur l’emploi, ni à court ni à long terme. Les mêmes auteurs s’intéressent ensuite aux effets à court terme sur le chômage de la Coupe du monde 2006, également organisée en l’Allemagne24. Comme précédemment, les résultats montrent qu’après la Coupe du monde, le taux de chômage dans les douze villes où se sont déroulés les matchs n’est pas significativement différent de celui des villes non organisatrices. On peut même observer des effets négatifs lorsque l’événement a lieu dans des pays en voie de développement. En effet, une grande compétition crée des demandes d’emploi supplémentaires qui attirent des individus à l’écart du marché du travail. Après la compétition, ces derniers restent sur le marché du travail, mais se retrouvent au chômage.
Les grands événements sportifs peuvent également avoir des conséquences sur les absences au travail et sur le retour à l’emploi des chômeurs25. Drut et Duhautois26 observent que les salariés travaillaient une demi-heure de moins en moyenne pendant l’Euro et la Coupe du monde tandis que Doerrenberg et Siegloch27 ont montré que les personnes sans emploi sont plus motivées pour trouver un emploi et retravailler après les grands événements sportifs.
On peut également évoquer les « éléphants blancs », ces stades prestigieux dont l’entretien devient un fardeau après le tournoi. Les exemples sont nombreux, notamment après la Coupe du monde de 2010 en Afrique du Sud et celle de 2014 au Brésil (Brasilia, Manaus…).
De forts effets sur les affluences sportives
D’un point de vue sportif, une multitude d’études ont montré l’effet bien connu et positif de jouer à domicile. Mais s’il y a également un type d’acteurs qui ressort gagnant de l’organisation de la Coupe du monde, ce sont bien les clubs locaux. Kuper et Szymanski28 ont effectué une étude sur l’impact des grands tournois de football (Coupes du monde et Euros) sur l’affluence au stade des clubs professionnels du pays organisateur. Les résultats sont les suivants : en moyenne, l’affluence au stade augmente de 15 à 25 % pour les clubs de première et deuxième divisions, que les villes accueillent l’événement ou non. Comme on peut le voir sur le graphique 529 sur la Coupe du monde 1998, l’effet a été particulièrement fort : l’affluence moyenne par match de Ligue 1 a été de 21 400 spectateurs sur les cinq ans qui ont suivi la Coupe du monde, contre 13 300 spectateurs sur les cinq ans qui ont précédé l’événement, soit une augmentation de 61 % ; l’augmentation a été de 55 % pour les clubs de Ligue 230.
Une hausse aussi forte peut s’expliquer par au moins trois facteurs :
- l’affluence était extrêmement basse avant la Coupe du monde 1998 ;
- la capacité de certains stades accueillant le tournoi a fortement augmenté ;
- la victoire des Bleus a suscité un certain engouement pour le football.
À titre d’exemple, l’affluence moyenne par match au stade Vélodrome est passée d’une trentaine de milliers de spectateurs sur la décennie qui a précédé la Coupe du monde à environ 50 000 quand les travaux d’agrandissement ont été terminés. D’une manière générale, au-delà de l’augmentation de la capacité, l’effet « nouveau stade » en ce qui concerne l’affluence persiste assez longtemps31.
Autre effet sur le sportif, Frick et Wicker32 montrent que sur la période 1950-2014 en Allemagne, les titres mondiaux de la Mannschaft se sont traduits par une augmentation significative du nombre de licenciés dans les clubs amateurs.
Des effets moins attendus : bonheur, santé, marchés financiers et même sur les prénoms…
Si d’un point de vue purement quantitatif les effets sur la croissance et l’emploi ne sont pas probants, il pourrait exister des effets plus qualitatifs. En effet, l’une des limites de ces études empiriques est qu’elles ont tendance à négliger les éventuels avantages « intangibles » qui découlent de l’accueil d’une Coupe du monde. Adopter une vision plus large des avantages potentiels de l’organisation d’un grand événement sportif pourrait notamment aider à expliquer la concurrence que se font les potentiels organisateurs33.
Depuis les années 1980 et l’avènement de l’économie comportementale et psychologique, les économistes s’intéressent aux effets de certaines irrationalités, des biais cognitifs ou encore des émotions sur les comportements des individus. Ils se sont penchés également sur l’économie du « bonheur » et à sa mesure. Et là, l’impact d’événements sportifs peut-être plus intéressant à étudier. C’est l’objet par exemple des études de plusieurs économistes du bonheur qui se sont intéressés récemment à l’impact des grands événements sportifs sur le bien-être des populations34. Ils montrent que pendant les Jeux Olympiques de Londres, entre la date d’ouverture et de fermeture des Jeux, le bonheur mesuré sur une échelle de zéro à dix, augmente de manière significative à Londres, plus encore qu’à Paris et à Berlin : alors qu’il plafonne partout à 6,5 en moyenne avant les Jeux, il atteint 6,8 à Paris et à Berlin, et culmine à 7,0 à Londres. Cet effet est cependant éphémère puisqu’au mois de septembre, le niveau de bonheur auto-déclaré redescend à 6,6. Dans la même veine, Mutz35 montre que l’Euro 2016 a produit les mêmes effets sur le territoire allemand : plus de bonheur pendant la compétition, mais un effet qui ne dure pas.
Les grands événements sportifs semblent avoir aussi des effets sur la santé des populations : une augmentation des crises cardiaques a pu être observé ; inversement, le sentiment de « bonheur » induit par l’événement a un effet direct sur la diminution des suicides. Néanmoins, d’autres études ont noté une augmentation des violences familiales pendant les matchs de football américain diffusés à la télé, surtout lorsque l’équipe locale était favorite mais était en échec.
Un autre exemple de l’impact d’une victoire en Coupe du monde concerne les marchés financiers. Erhmann et Jansen36 se sont intéressés aux transactions sur les marchés boursiers de quinze pays durant les Coupes de monde de 2010 et 2014. Ils observent des preuves d’inattention importante des investisseurs et le manque d’attention pour les transactions est particulièrement important lorsque leur équipe nationale est en compétition, les volumes échangés diminuant jusqu’à 48 %. Conséquence, pendant les matches de l’équipe nationale des traders, les prix sur les marchés boursiers locaux peuvent temporairement dévier de l’évolution des marchés financiers mondiaux. Les économistes de Goldman Sachs37 vont plus loin dans l’analyse et observent que les marchés boursiers des Champions du monde montrent certaines spécificités : entre 1974 et 2014, le marché financier national de toutes les équipes gagnantes, à l’exception du Brésil en 2002, ont surperformé par rapport aux marchés mondiaux de 3,5 % en moyenne dans la période qui suit la finale gagnée. Comme la plupart des effets, cette tendance s’atténue par la suite pour s’annuler dans l’année.
Pour terminer, Drut et Duhautois38 ont montré qu’un des principaux effets de la Coupe du monde de 1998 et de la victoire française à la compétition avait été l’augmentation du nombre de nouveau-nés prénommés Zinédine (+ 251 %) ou Lilian (+ 195 %). Et en 2018, le nombre de petits Kylian a augmenté alors que la tendance était à la baisse précédemment.
Y aura-t-il encore plus de Kylian en 2023 ?