Tony Mason, Association Football and English Society, 1863-1915

p. 207-211

Référence(s) :

Tony Mason, Association Football and English Society, 1863-1915, Brighton, Harvester Press, 1980, 278 p.

Texte

Couverture de l’ouvrage de Tony Mason.

Couverture de l’ouvrage de Tony Mason.

Lorsque j’effectuais mes recherches et rédigeais mon doctorat sur l’histoire de la ligue anglaise de football dans les années 1990, l’ouvrage de Tony Mason, Association Football and English Society, était l’un des trois livres clés qui me servirent de guide et d’inspiration. Avec Pay Up and Play the Game (1988) de Wray Vamplew et Sport and the British (1989) de Richard Holt, il s’agit aussi de l’un des textes qui a marqué l’arrivée du sport, si ce n’est son acceptation complète, en tant qu’objet légitime dans les départements d’histoire britanniques. Des trois livres, c’est celui de Mason qui a exercé l’influence la plus profonde sur mon travail. Il s’agit d’un ouvrage purement empirique et profondément documenté, qui s’appuie sur des journaux locaux et nationaux et sur quelques sources d’archives, et qui démontre la richesse du matériel disponible pour l’histoire sociale des débuts du football. Il aborde également bon nombre des questions clés qui allaient préoccuper les spécialistes de l’histoire du football pendant plusieurs décennies et offre un modèle à suivre pour les futures monographies du jeu dans différentes régions et nations. Dans cette brève réflexion sur le livre novateur de Mason, je souhaite examiner quatre questions centrales : le contexte et les origines de sa création, sa réception à l’époque, son contenu et ses apports et enfin, sa postérité dans l’étude universitaire de l’histoire du football, en particulier en Grande-Bretagne.

Mason est venu à l’étude du football en tant qu’historien du travail. Son doctorat, obtenu à l’université de Hull à la fin des années 1960, portait sur la grève générale dans le nord-est de l’Angleterre. En 1971, il rejoint le Centre for the Study of Social History1 de l’université de Warwick, un laboratoire de recherche pionnier pour le développement de « l’histoire par le bas ». Edward P. Thompson, l’auteur de La Formation de la classe ouvrière (1963), avait contribué à la création du centre en 1968 et, au cours des années 1970, il était resté influent dans le développement de nouvelles approches de l’histoire sociale et du travail. Mason a travaillé aux côtés de personnalités clés dans ce domaine, telles que Royden Harrison, Jay Winter et, plus tard, Carolyn Steedman. Il a lui-même été directeur du Centre for the Study of Social History pendant un certain temps.

Comme la plupart des historiens britanniques du travail et de la société de l’époque, Mason s’intéresse avant tout à la question des classes sociales. Mais en se penchant sur le football, il remettait en question, à certains égards, les approches établies des historiens du travail, en particulier ceux qui écrivaient dans une perspective ouvertement marxiste. Mason avait l’intuition que l’étude du temps libre et de son occupation était essentielle pour approfondir la compréhension de la vie de la classe ouvrière. Comme il l’a rappelé dans une interview de 2014 : « J’avais le sentiment que nous n’en savions pas assez sur les vies ordinaires, et que si nous voulions en savoir plus sur la politique, peut-être devions-nous en savoir plus sur les vies ordinaires qui […] constituaient le contexte de la politique. »

Mason a travaillé sur ce livre tout au long des années 1970. Entre-temps, un autre universitaire, James Walvin de l’université de York, avait publié une histoire du football britannique, mais cette étude (The People’s Game, 1975) était beaucoup plus réduite et moins substantielle et passait sous silence la plupart des thèmes clés que Mason allait explorer en profondeur. Lorsqu’il a finalement été publié par Harvester Press en 1980, l’ouvrage de Mason intitulé Association Football and English Society, 1863-1915 n’est pas resté invisible dans les cercles intellectuels. Il a été bien accueilli dans des critiques parues dans un certain nombre de forums littéraires importants tels que le New Statesman, le Spectator et, surtout, dans une critique globalement positive de 2 000 mots de l’historien politique Paul Smith qui a occupé toute la première page du Times Literary Supplement. L’article de Hans Keller dans la London Review of Books, qui accusait notamment Mason d’être obsédé par les classes sociales et de les voir « partout », était beaucoup moins positif. En réponse, Mason pensait que Keller se montrait « tout simplement stupide » à propos de la classe sociale et que, même si « elle ne peut pas tout expliquer […] en Angleterre […] elle a eu de l’importance, et elle nous aide à comprendre la façon dont le football association s’est développé. »

Sans aucun doute, la classe sociale est un thème qui traverse le livre du début à la fin. Le chapitre trois, par exemple, est la première tentative majeure de décrire le processus qui a conduit à la légalisation du professionnalisme par la Football Association (FA) en 1885. Mason a soigneusement démêlé les préoccupations complexes et imbriquées qui ont alimenté le conflit et a montré clairement que si les positions étaient liées à des notions d’identité de classe, elles ne pouvaient pas simplement être interprétées à « un différend entre les hommes des publics schools et de l’université d’une part et les commerçants et les fabricants indépendants […] d’autre part », p. 4. Les rivalités géographiques et tactiques étaient également de la partie. Le dernier chapitre, intitulé « Football and the Workers », aborde directement l’une des questions clés de Mason : dans quelle mesure le football était-il, à cette époque, un jeu de la classe ouvrière ? Sa réponse est somme toute nuancée. Il montre comment et pourquoi le jeu a été associé à un sentiment de fierté locale et à une conscience communautaire et souligne combien le fait de regarder, de jouer ou de lire sur le football encourageait « l’idée parmi les ouvriers qu’ils faisaient partie d’un groupe ayant des expériences et des intérêts similaires qui n’étaient pas partagés par la majeure partie d’un autre groupe, les classes moyennes », p. 242. Bien que cela puisse nous sembler évident aujourd’hui, c’est Mason qui a fourni les données et les analyses détaillées, ainsi que les arguments subtils sur la classe sociale et le sport en Grande-Bretagne, sur lesquels des historiens tels que Richard Holt, Wray Vamplew, Dave Russell, Mike Huggins et Tony Collins se sont appuyés par la suite de manière si pertinente.

Au cœur du livre se trouvent trois chapitres sur les principales composantes du football : les clubs, les joueurs et le public. La richesse du matériel et les découvertes faites dans les 142 pages qui constituent ces chapitres ont servi de base à de nombreux ouvrages et thèses de doctorat ultérieurs. Dans le chapitre deux, Mason décrit les modes de création des clubs de football, leur développement, leurs dirigeants et les raisons de ces structurations. Son travail sur les antécédents socioprofessionnels des membres et des directeurs a été crucial pour les histoires économiques et commerciales ultérieures du sport et son analyse approfondie des origines des clubs à tous les niveaux est lieu de passage obligé pour tout universitaire désireux de comprendre les interconnexions historiques entre le sport et l’église, le lieu de travail et le commerce des boissons en Angleterre. Son analyse des différents types de joueurs dans le chapitre 4 est magistrale. En retrouvant ceux qui ont joué au football au plus simple niveau, en amateur et au niveau professionnel, il fournit les cadres qui ont façonné notre compréhension du « football player », non seulement pendant cette période mais aussi pendant la majeure partie du xxe siècle. J’ai approfondi certaines de ces questions – telles que la rémunération des joueurs, les accords contractuels et les relations de travail – dans le cadre de mes recherches, mais ce qui est remarquable, c’est la quantité de choses que Mason a découvertes et qui sont exactes dès le départ. Le cinquième chapitre, consacré aux spectateurs, est tout aussi riche, et démontre combien il est possible de glaner des informations en lisant la presse en profondeur, mais aussi avec intelligence, en travaillant avec et à contre-courant du texte. Les autres chapitres, intitulés « Drink, Gambling and the Sporting Press » et « The Game », sont plus courts mais recèlent néanmoins des éléments fabuleux sur le contexte culturel plus large du football et du sport lui-même. Mason devait écrire davantage sur ces deux sujets dans des articles et des livres ultérieurs, et les chapitres présentés ici peuvent donc être considérés comme sa première incursion dans ces thèmes. Il en va de même pour les relations entre le football anglais/britannique et le reste du monde, qui sont à peine abordées ici mais qui deviendront l’objet de certains des travaux ultérieurs de Mason.

Certes, le livre comporte des lacunes et des points faibles. S’il avait été écrit aujourd’hui, il ne fait aucun doute que Mason aurait eu plus à dire sur le genre et la « race ». Il traite brièvement des femmes en tant que spectatrices, mais pas du tout en tant que joueuses ou occupant tout autre rôle significatif. À l’époque où il faisait ses recherches, peu de choses avaient été écrites sur les premières expériences de jeu féminin dans les années 1890 et avant. Si la chronologie du livre s’était étendue au-delà de 1915, il est probable que Mason aurait inclus des informations sur Dick, Kerr Ladies2 et les autres équipes de munitionnettes, étant donné qu’il a été l’un des premiers à faire des recherches sur le phénomène (bien qu’une grande partie de ce travail reste inédite). L’absence de toute considération détaillée sur le football et la masculinité en dehors des écoles publiques et une ou deux références aux conceptions de la virilité dans la classe ouvrière sont peut-être moins explicables. En ce qui concerne la « race », les pionniers tels qu’Andrew Walker, Arthur Wharton ou Walter Tull n’ont été exhumés que bien plus tard, tandis que l’identification et les allégeances raciales ou ethniques étaient extrêmement rares dans les clubs de football anglais (par opposition aux clubs irlandais ou écossais). Certains critiques se sont plaints qu’en dépit de tous les détails, le lecteur de l’ouvrage apprenait peu de choses sur ce que devait être l’expérience du spectateur d’un match de football avant la première guerre mondiale. Dans une certaine mesure, ces critiques trahissent une ignorance des types de sources dont disposait l’historien à l’époque. Les sources iconographiques auraient pu être davantage utilisées, mais les films de Mitchell & Kenyon sur le sport édouardien n’avaient pas encore été retrouvés et, à partir de bases aussi fragiles, Mason estimait que, sur certains points, il ne pouvait offrir qu’« une spéculation ici ou une généralisation provisoire là », p. 151. Cependant, l’absence de sources explicites ne signifie pas que ces archives ne disent rien. Comme l’ont souligné des historiennes telles que Barbara Rosenwein, des significations et des émotions plus profondes sont souvent « cachées dans les textes » que la plupart des historiens utilisent couramment. Des méthodes différentes doivent être employées pour interpréter les mots, les gestes et les comportements qui constituaient le paysage émotionnel du football et, bien que Mason se soit par la suite montré beaucoup plus attentif à ces approches (dans son travail sur le football sud-américain, par exemple), elles étaient notablement absentes de son Association football and English Society.

Ce maître ouvrage a inspiré des dizaines de monographies et d’articles qui ont suivi de près les pas de Tony Mason. En Angleterre, English Football and Society, 1910-1950 de Nicholas Fishwick (1989), Football and the English de Dave Russell (1997), Rugby’s Great Split: Class, Culture and the Origins of Rugby League, de Tony Collins, (1998) et mon propre ouvrage The Leaguers: the Making of Professional Football in England, 1900-1939 (2005) ont tous une dette énorme envers les idées et les approches présentées dans le livre de Mason. Le modèle de Mason est également clairement évident dans la structure et les méthodes de l’ouvrage de Martin Johnes, Soccer and Society: South Wales, 1900-1939 (2002), Association Football and Society in Pre-Partition Ireland (2004) de Neal Garnham et, dans une moindre mesure, Cricket and England: a Cultural and Social History of the Inter-War Years de Jack Williams (1999). De nombreux autres exemples pourraient être cités, au Royaume-Uni et sans doute ailleurs. Les chercheurs qui écrivent de nouvelles histoires sociales du sport s’inspireront invariablement de l’exemple de Mason et, dans les faits je continue à recommander ce livre à tout étudiant en doctorat sur le point d’entreprendre des recherches sur l’histoire du sport, notamment pour la manière dont il utilise les sources et structure les arguments.

Plus de quarante ans après sa publication initiale, une version révisée de Association Football and English Society sera publiée par Routledge en mars 2023. Complétée par une excellente introduction de Dilwyn Porter qui contextualise et analyse les origines et l’impact du livre, sa publication contribuera certainement à rappeler aux spécialistes du football la pertinence durable de ce qui reste l’une des meilleures histoires universitaires du sport britannique.

Notes

1 Centre pour l’étude de l’histoire sociale. Retour au texte

2 Voir article Audrey Gozillon, « Du carton rouge au but en or : retour sur l’histoire des “Ladies” du ballon rond (1894-2022) », Football(s). Histoire, culture, économie, société. 2023-1, 2023, p.XXXXXXXXXXXX Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence papier

Matthew Taylor, « Tony Mason, Association Football and English Society, 1863-1915 », Football(s). Histoire, culture, économie, société, 2 | 2023, 207-211.

Référence électronique

Matthew Taylor, « Tony Mason, Association Football and English Society, 1863-1915 », Football(s). Histoire, culture, économie, société [En ligne], 2 | 2023, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : https://preo.u-bourgogne.fr/football-s/index.php?id=290

Auteur

Matthew Taylor

Professeur d’histoire contemporaine à la De Montfort University (Leicester, Royaume-Uni)

Droits d'auteur

Licence CC BY 4.0