Rachid Chebli, Amor l’arbitre ! Chronique d’un arbitre du dimanche

p. 197-198

Référence(s) :

Rachid Chebli, Amor l’arbitre ! Chronique d’un arbitre du dimanche, Mariac, Jacques Flament, 2021, 410 pages.

Texte

Couverture de l’ouvrage Amor l’arbitre. Chronique d’un arbitre du dimanche.

Couverture de l’ouvrage Amor l’arbitre. Chronique d’un arbitre du dimanche.

Les recherches scientifiques portant sur l’arbitre de football se sont multipliées depuis désormais plusieurs années. Quel que soit le champ scientifique, les études académiques ont tenté de mieux comprendre la fonction assumée par l’homme en noir sur le rectangle vert. Le plus fréquemment, la focale est portée sur l’élite des arbitres, plus identifiable et médiatisée que la masse des hommes de l’ombre. Alors que les arbitres d’élite français sont désormais des professionnels (rémunération très conséquente, athlètes surentraînés) disposant de multiples technologies (avec l’apparition de la Goal Line Technology et de l’Assistance Vidéo à l’Arbitrage), cet ouvrage de Rachid Chebli permet de prendre un contre-pied en mettant en lumière la carrière et la vie d’un arbitre du « football du dimanche » (c’est-à-dire un arbitre amateur, évoluant au niveau départemental). Cette chronique relate l’expérience de l’auteur, qui a dirigé des rencontres de football pendant plus de vingt années en Normandie. Elle nous permet d’entrer au cœur de la pratique de l’homme en noir du football du dimanche, avec ses motivations, ses angoisses, ses peurs, ses doutes et ses remises en question.

Ce livre de 410 pages, dense, très agréable à lire – car fluide et ponctué de nombreuses références littéraires, jeux de mots et touches d’humour – est structuré autour de différentes parties qui font référence aux différentes sections d’une rencontre de football. Mais c’est une saison de la carrière de l’auteur qui est principalement relatée (tel un carnet de bord) hebdomadairement par le principal intéressé. Il évoque aussi, tout du long, des souvenirs de ses années d’arbitrage ou d’autres informations portant sur l’arbitrage. À ce titre, même si cela n’enlève en rien à la qualité de l’ouvrage, il est dommage que l’auteur, notamment lorsqu’il évoque l’histoire de l’arbitrage ou la violence, ne se soit pas appuyé sur la récente littérature en développement autour de la sociologie ou l’histoire des arbitres.

Pour relater ses expériences, Rachid Chebli s’appuie sur ses souvenirs, mais aussi sur les annotations d’un carnet, recueillies après chaque rencontre arbitrée. Tel un anthropologue, l’auteur partage sa passion pour l’arbitrage et les situations vécues sur le rectangle vert. Il nous fait comprendre la fonction de l’arbitre en situation, avec ses équipements (son sifflet, sa carte d’arbitrage, ses cartons jaune et rouge), ses arbitres assistants (bénévoles ou officiels) et surtout sa manière de diriger une rencontre. Alors que l’auteur dévoile qu’un grand nombre des avertissements adressés aux joueurs a eu pour motif la contestation de ses décisions, il nous semble néanmoins dommageable que le carton blanc (signifiant que le joueur doit sortir pendant dix minutes du terrain), mis en place dans nombreux districts et ligues de France et ayant prouvé son efficacité depuis plusieurs années, n’ait pas été évoqué. Au-delà de ce détail, l’auteur dévoile très pertinemment au profane qu’encore plus que la connaissance du règlement et des dix-sept lois du jeu, l’arbitre amateur doit disposer de fortes ressources mentales et d’une capacité de management pour officier sur les terrains. L’objectif est de « tenir son match » tout en garantissant l’équité sportive. Rachid Chebli met en avant dans l’ouvrage ses stratégies pour que le match arrive à son terme : faire la sourde oreille parfois, se montrer intransigeant à d’autres moments. Cette chronique s’apparente quelques fois au champ de la psychologie sociale, le directeur de jeu devant gérer les joueurs, les entraîneurs et les dirigeants dans un contexte où la passion l’emporte souvent sur la raison. Ramener à la raison, rester dans la rationalité, c’est justement le rôle de l’homme en noir qui a pour but que le match se déroule dans le respect des règles et aille à son terme sans problème majeur.

L’histoire nous tient en haleine tout du long avec un fil rouge, le moment-clé de sa carrière d’arbitre : le 26 mai à 16 h 23, date à laquelle il se fait agresser sur le terrain par un joueur. La thématique principale traitée par l’auteur concerne dès lors la violence dans le football et celle plus particulièrement subie par les arbitres au niveau amateur. Par ailleurs, le titre Amor l’arbitre ! semble bien faire référence au film de Jean-Pierre Mocky, À mort l’arbitre, sorti en 1982, où l’acteur principal Eddy Mitchell (arbitre de la rencontre dans le film) se fait poursuivre par une bande de supporters révoltés. Qu’elle soit verbale ou physique, c’est bien la violence qui est mise en avant et qui jalonne la majorité des pages où sont relatées des événements qu’il a, ou que ses collègues ont, vécu sur le terrain, entraînant parfois des commissions de discipline (qui sont aussi très bien relatées et détaillées par l’auteur).

Rachid Chebli décrit bien la solitude de l’arbitre du football du dimanche, encore plus lorsqu’il subit de tels actes. À ce niveau de pratique, l’arbitrage se vit souvent seul, mais il est aussi partagé grâce aux liens forts créés avec ses collègues arbitres. Rachid Chebli refait ses matchs a posteriori et échange à ce sujet avec ses collègues arbitres tous les dimanches soir, durant le traditionnel Canal Football Club. Concernant cette relation avec les autres arbitres, l’auteur aurait pu également évoquer la concurrence qui existe parfois entre les arbitres, soumis, comme les clubs, à des descentes et à des montées à chaque fin de saison en fonction de leurs performances évaluées. Mais ce livre montre essentiellement que l’arbitre du football du dimanche est avant tout un homme, qui a une vie professionnelle (à ce titre, nous aurions aimé en savoir plus sur l’exercice de son métier d’enseignant et son rapport à l’autorité), une famille et des gens qui s’inquiètent pour lui. Cette très belle chronique permet ainsi d’humaniser les arbitres et de mieux comprendre ces hommes de l’ombre, indispensables au football et au sport en général.

Illustrations

Citer cet article

Référence papier

Alexandre Joly, « Rachid Chebli, Amor l’arbitre ! Chronique d’un arbitre du dimanche », Football(s). Histoire, culture, économie, société, 2 | 2023, 197-198.

Référence électronique

Alexandre Joly, « Rachid Chebli, Amor l’arbitre ! Chronique d’un arbitre du dimanche », Football(s). Histoire, culture, économie, société [En ligne], 2 | 2023, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : https://preo.u-bourgogne.fr/football-s/index.php?id=416

Auteur

Alexandre Joly

Droits d'auteur

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