Michel Hidalgo compte une sélection en 1962. Il a également été sélectionneur de l’équipe de France de 1976 à 1984. À ce poste, il participe aux Coupes du monde en Argentine (1978) et en Espagne (1982)
Comment êtes-vous venu au football ?
Naturellement ! On habitait une cité ouvrière à côté de Caen, mon père était ouvrier métallurgique, il venait d’Espagne. À onze, douze ans, on commençait à jouer dans la cité où on habitait, et puis l’usine avait un club, l’US Normande. J’étais en cadet au club, j’ai été sélectionné Cadet de Normandie. En faisant une finale régionale de juniors, je jouais avec mon club contre le club professionnel du Havre et on a réussi à les battre. On ne s’y attendait pas. On a gagné 6-3 et j’ai marqué cinq buts. Le sixième a été marqué par mon jumeau. Alors, voilà comment ça a stimulé les choses. Ceci dit, j’avais déjà eu des demandes de clubs parce que j’avais fait un essai à Saint-Étienne, mais j’étais très jeune et on ne quittait pas comme ça son village, surtout la cité. On habitait la cité de l’usine, donc me retrouver à Saint-Étienne, ça m’a paru difficile. C’était l’après-guerre, et j’ai refusé. Mais quand avec notre club on a gagné 6-3 la finale de Normandie, le club du Havre est venu tout de suite, le lendemain ou le surlendemain. Ils sont venus voir mon père et ils m’ont pris avec mon frère. On était jumeaux. C’est comme ça qu’on a débuté professionnels au Havre. J’ai signé au mois de mai et, trois mois après, j’ai joué en équipe première du Havre, en championnat de Première division. Voilà, tout est allé très, très vite !
Ensuite, vous avez passé quelques années au Havre ?
Eh bien, deux années au Havre et puis j’ai fait un très bon match contre le Stade de Reims qui était le grand club de l’époque. Il y avait Albert Batteux, qui était l’entraîneur, il y avait les Kopa, Jonquet, Penverne et autres. Et en jouant contre eux, j’ai réussi un bon match, j’ai marqué deux buts. Voilà comment je me suis retrouvé au Stade de Reims.
Vous passerez trois ans au Stade de Reims ?
Effectivement, je suis resté trois ans, mais j’ai été militaire pendant deux ans. J’étais militaire avec Raymond Kopa, qui était également du Stade de Reims. On était habitués à ce qu’on vienne nous chercher, de Reims, car on était dans l’équipe militaire de football du bataillon de Joinville. Avec Raymond, on jouait au club de l’armée, et on se connaissait très bien. Je jouais, et toutes les semaines je revenais jouer, Raymond aussi. Mais moi je n’avais pas de famille là-bas, à Reims, où j’ai débuté dans un grand club, surtout avec un grand entraîneur, aux côtés de grands joueurs également, parce que Raymond Kopa, Justo Fontaine, Robert Jonquet et autres, ce n’était pas rien hein !
En quoi Albert Batteux était un grand entraîneur ?
Pour moi, c’est le meilleur entraîneur que j’ai connu. Je pense que c’est le meilleur entraîneur qu’il y ait eu en France. Il avait une façon de voir le football, un football de qualité, et il avait les mots pour faire un football technique. Le Stade de Reims, c’était comme ça, un football technique. Il ne faut pas oublier que c’était un temps où on n’achetait pas encore partout des joueurs comme maintenant, mais déjà le Stade de Reims avait formé beaucoup de jeunes joueurs. Et Penverne, Jonquet et tout ça ne venaient pas d’autres clubs, hein. L'équipe a modifié un petit peu le football français, puisque le Stade de Reims a très vite été le meilleur club des années 1950 et, lorsqu’il y a eu la première Coupe d’Europe, le Stade de Reims a été le club français qui est allé en finale contre le Real Madrid. C’était un peu le lancement du Stade de Reims, sur le plan international.
Vous êtes ensuite transféré à Monaco…
Trois ans après. Monaco a fait d’un seul coup un effort considérable pour monter une équipe qui n’existait pas encore, et je me suis retrouvé sur le Rocher avec Raymond Kaelbel, Henri Biancheri et Léa Glovacki, qui était au stade de Reims. Donc, on s’est retrouvés dans un autre club, un grand club, c’était un peu spécial, c’était Monaco, c’était une petite ville. En ce temps-là, il y avait quoi, quatre mille, cinq mille Monégasques. Il n’y avait pas d’immeubles, ce n’était rien que des petites maisons, contrairement à ce qu’il y a maintenant. Et j’y suis resté dix ans !
Et vous étiez entraînés par Lucien Leduc à l’époque ?
Oui, c’était lui qui avait monté l’équipe quand nous sommes arrivés. Il y a eu d’autres entraîneurs, mais rien à voir avec Lucien Leduc, avec qui on a écrit les grandes heures de Monaco !
Quelles étaient les différences entre les méthodes d’Albert Batteux et de Lucien Leduc, s’il y en avait ?
La différence était surtout technique. Albert Batteux était un entraîneur qui aimait tout ce qui était technique, « le beau football », c’est facile à dire parce que tout le monde veut faire du « beau football », un football précis. Il avait des joueurs pour ça aussi, quand on a des Raymond Kopa, des Piantoni, des Glovacki et autres, Jonquet derrière. Il avait une équipe de grande qualité et il y avait aussi le sens des mots d’Albert Batteux. C’était un homme remarquable dans ce domaine-là, tous ceux qui ont été à Reims ont compris que c’était un homme qui sortait de l’ordinaire. Voilà, il nous parlait du football, avec des mots, avec un sens de la beauté, mais, en même temps, c’était efficace. Ce n’était pas seulement le « beau football », et puis plus rien derrière. Ce n’est pas facile à rencontrer des hommes de cette valeur.
Vous connaissez votre sélection assez tardivement en fait, en 1962 ?
Oui, mais c’était une période où il n’y avait pas de remplacements dans l’équipe de France. J’ai été souvent appelé, mais je ne jouais pas. J’étais ailier droit et il y avait un autre joueur à ce poste, de grande qualité, qui s’appelait Marian Wisniewski, un type délicieux. C’était un joueur de grande valeur et il était titulaire en équipe de France. Du fait qu’il n’y avait pas de remplacement, c’était délicat d’avoir une place de titulaire.
Vous prenez aussi la tête du syndicat des joueurs, de l’UNFP ?
Alors, ça, c’est un autre aspect de ma carrière. Il y a d’abord N’Jo Léa qui a remué un peu le football français, pour monter un syndicat, qui a réussi à le faire et Just Fontaine a pris la tête de ce syndicat2. Et il est resté deux ans. Moi, je jouais à Monaco, qui n’était pas tellement inscrit dans ce truc-là, parce qu’on n’était pas en France, on n’avait pas les problèmes du football français à Monaco. Je suis allé une fois à une séance du syndicat à Paris et Justo m’a demandé de prendre sa suite, à la tête du syndicat. C’est lorsque j’étais président qu’on a obtenu le contrat à temps3, qui a été une belle victoire pour le football français. Ça n’a pas été simple. J’ai quitté le syndicat et le football dans les clubs à la création de la Direction technique nationale (DTN4) avec Georges Boulogne, et ils ont partagé la France en quatre. Ils ont mis un entraîneur dans chaque quart de France, et moi on m’a mis dans le Sud-Ouest.Nous devions animer les actions définies par la Fédération, à qui on appartenait. C’était le grand truc de la Fédération de monter une Direction technique, dirigée par Georges Boulogne qui était un type extraordinaire. On n’a pas assez estimé la qualité de cet homme-là. Il ne se mettait pas en avant, mais c’est lui qui a orienté tout le football français dans un aspect technique et de préparation. Il a accompli un travail considérable avec le football français. Il n’a pas été reconnu comme il aurait dû l'être. Moi je l’aimais beaucoup, on l’aimait beaucoup, mais quelquefois, vis-à-vis de la presse, vis-à-vis de tout le monde, il était un peu distant. Il y eut aussi un grand dirigeant, Fernand Sastre.
Comment êtes-vous devenu sélectionneur ?
Alors qu’il était sélectionneur, Georges Boulogne m’a pris avec lui. Quand il est parti, Stefan Kovacs l’a remplacé. La France était allée le chercher, parce qu’il y avait un gros problème de choix en France. Et le nom de Stefan Kovacs, qui venait de faire de belles années à l’Ajax, avait quelque chose de magique. Comme l’équipe de France était à la dérive, un Stefan Kovacs a permis de repartir sur des bases plus posées. Georges Boulogne a eu beaucoup de mal avec la presse, parce qu’il n’y avait peut-être pas les moyens de faire des résultats qu’on exigeait en ce temps-là.
Lorsque Kovacs arrive, vous devenez son adjoint…
Oui. J’étais l’adjoint de Georges Boulogne, puis l’adjoint de Stefan Kovacs.
Et lorsque Stefan Kovacs démissionne…
Stefan Kovacs avait des problèmes, la France voulait le garder, mais la Roumanie a exigé son retour5. Il a pu rester un an de plus, puis il a été obligé de partir. Et c’est comme cela qu’on m’a nommé, après des hésitations, entraîneur de l’équipe nationale.
À quoi étaient dues les hésitations en question ?
J’étais relativement jeune ! J’avais quitté le football cinq ans plus tôt et je n’avais pas eu d’expérience d’entraîneur de club ou autres. J’avais juste eu une expérience avec les entraîneurs de l’équipe nationale, avec Georges Boulogne et avec Stefan Kovacs.
Quelles ont été vos premières impressions de sélectionneur ? Est-ce que c’était différent d’adjoint ?
Oh, oui, oui, oui ! Mais j’ai eu la chance, toujours, d’avoir rencontré des gens de grande qualité. On parlait tout à l’heure de Batteux. Albert Batteux était un homme de grande qualité. Et puis après, j’ai eu la chance de rencontrer Georges Boulogne, un type formidable. Il n’est pas reconnu comme ça. Il est reconnu par tous ceux qui connaissent le football, mais comme il n’était pas toujours très avenant, tout est là. Il a fait un travail considérable, c’est lui qui a tout organisé de la sorte en France.
Lorsque vous devenez sélectionneur, y a-t-il une volonté de continuité ou d’affirmation de particularité de votre part ?
J’étais bien entouré par la Direction technique, avec Georges Boulogne et Henri Guérin, que j’ai pris avec moi également en équipe de France. Il avait une grande expérience, il avait aussi été entraîneur de l’équipe de France. J’avais besoin de gens d’expérience. Ah ! On n’a eu pas toujours les résultats qu’on pouvait espérer, mais on a grimpé quand même dans la hiérarchie. On avait aussi un président de Fédération de grande qualité.
Une fois que vous êtes sélectionneur, vous dites que la période a quand même permis de redorer un petit peu le blason de l’équipe de France.
Ah oui ! Mais qu’est-ce qu’il faut dans ce cas-là ? Il faut trouver des joueurs. Et là, dans ma première sélection, j’ai pris un joueur qui jouait en équipe de France de football amateurs qui s’appelait Platini. Et quand on a un Platini, les choses changent. Il ne faut pas enlever le mérite aux autres, hein, mais Platini y est pour beaucoup. Il a apporté non seulement ce qu’il faisait sur le terrain, ce qu’il était capable de faire. Il a apporté également une joie de vivre… Intelligent, amusant, mais un joueur de grande classe ! Et puis il y a en a eu d’autres qui ont atteint un certain niveau. Marius Trésor a été un arrière central extraordinaire. Je ne vais pas les citer les uns après les autres, mais on a eu des joueurs formidables. Giresse, qui était un petit bonhomme d’1,65 m, a donné des leçons à Platini. C’étaient deux joueurs qui pouvaient parler du foot de A à Z.
Comment vous pouviez régler les problèmes d’ego qui pouvaient se poser entre l’un et l’autre, entre d’autres joueurs ?
J’ai laissé beaucoup de liberté aux joueurs. Je discutais, j’avais des relais. Marius Trésor était un homme qui, lorsqu’on lui parlait, répondait toujours : « Oui ! Oui, Michel, Oui, Michel ! ». Sur le terrain, il était impeccable. Giresse, c’était quelqu’un avec qui on pouvait discuter sur la façon de jouer. Platini, il n’avait pas besoin de ça, il avait naturellement la qualité d’un football, où il faisait souvent lui-même la différence. Il y a eu des joueurs de grande qualité. Amoros à 20 ans, 19 ans, c’était un lion derrière !
Oui, en 1982…
Oui, il était très jeune, mais c’était un joueur qui sur le terrain, malgré son 1,75 m, était un lion. Il n’y avait pas que lui. On ne parle pas beaucoup de Bossis, c’était un arrière extraordinaire. Vous voyez, si je commence, je parlerai de tous, de leurs qualités. Alors je n’avais pas beaucoup de mérite avec des joueurs comme ça, je n’ai pas de mérite. Les gardiens de but, ça a été plus délicat !
Pourquoi ?
Parce que l’on n’a pas trouvé un gardien. J’en avais trouvé un et il s’est blessé, on ne l’a pas revu… André Rey. Rey était un gardien qui avait trouvé sa place de titulaire et il s’est cassé le bras juste avant la Coupe du monde. Ça nous a porté peut-être un petit préjudice quand même, parce qu’il avait pris une place importante. Il était très simple, c’était un joueur de qualité, mais qui ne montrait pas qui il l’était. Malheureusement, il a eu la fracture du bras, là, et il ne s’en est pas remis. Après, on a eu du mal à trouver un gardien titulaire.
Oui, il y en a eu beaucoup pendant vos sélections…
Oui, il y a eu des gardiens de grande qualité. Ettori était un gardien de qualité, mais sans être mauvais, il n’a jamais réussi à être… indispensable.
Jusqu’à Bats en fait…
Voilà, c’est Bats qui est arrivé, qui a donné une forme de certitude à ce poste-là. Il était tranquille et, en même temps, très bon.
Et pour vous, c’était le poste le plus difficile à…
C’était le plus délicat.
Le plus délicat ?
Oui, oh ! Là où c’était toujours délicat, c’était quand même devant. Mais, devant, on était moins gênés, parce qu’on avait un Platini qui marquait autant de buts que les attaquants, sinon plus. Quand même on a eu des joueurs de qualité devant, mais ce numéro 10 était presque un numéro 9. Il a marqué je ne sais combien de buts. Quand on a ça, c’est quand même une pointure au-dessus ! De l’autre côté, il y avait Giresse, vous aviez deux inters6, en ce temps-là, c’étaient des inters, inter droit, inter gauche… quand vous avez deux inters comme ça ! J’ai eu beaucoup de joueurs de milieu de terrain de grande qualité… Tigana, nous a apporté au milieu de terrain à droite. On l’a vu sur certains matchs où il dribblait tout le monde. Et, à gauche, il y avait Genghini, qui était un vrai gaucher. J’ai eu beaucoup de joueurs de milieu de qualité, mais j’ai rarement eu un autre gaucher comme Genghini, qui a été un joueur très sobre mais très, très bon. Donc, quand on avait ce milieu de terrain… Quelquefois on m’a reproché, d’ailleurs, d’avoir quatre milieux de terrain qui étaient plus des demi-attaquants que des défenseurs. À gauche, j’avais Genghini, à droite, j’avais Tigana, et dans l’axe, j’avais Platini et Giresse. C’était quand même plutôt des gens pour attaquer et marquer des buts que pour défendre. Mais, quand on a déjà quatre défenseurs derrière, on ne rencontrait pas beaucoup d’équipes où il y avait quatre attaquants. Il n’y avait même pas trois attaquants. C’était surtout, en ce temps-là, des équipes avec deux attaquants.
Comment vous décidiez de choisir plutôt tel joueur que tel autre ?
D’abord, en parlant avec les joueurs. En parlant avec certains joueurs. On ne parle pas avec tous les joueurs, mais il y a des joueurs qui sont plus mûrs que d’autres, il y a des joueurs qui sont plus réalistes que d’autres. En discutant beaucoup avec les joueurs, en parlant aussi avec les adjoints, Marc Bourrier qui était un adjoint de grande qualité. J’avais Henri Guérin qui a été aussi un adjoint et qui avait une très grande expérience internationale. Quand on a des gens comme ça, il faut s’en servir. Et, en discutant avec ces entraîneurs-là, en discutant avec les joueurs qui étaient les joueurs marquants de l’équipe, on faisait une équipe qui était celle que les joueurs désiraient avoir.
Ceux qui étaient titulaires pouvaient donner leur avis ?
Oh ! Certains quand même voulaient avoir plus de possibilités de jouer que ce qu’ils ont eu. Mais une équipe, c’est toujours onze joueurs et quand on est à la tête d’une équipe nationale, il y a même vingt-deux joueurs… En ce temps-là, c’était vingt-deux, maintenant, c’est vingt-trois. Vous avez vingt-deux joueurs, vous pouvez faire ce que vous voulez… vous ne serez jamais sûr de faire plaisir à tout le monde en faisant une équipe de onze. Jamais ! Mais à partir du moment où les joueurs donnent ce que l’on attend d’eux sur le terrain, c’est difficile, même quand on ne joue pas, de dire « je ferais mieux, moi ». Il y a eu certaines fois, des joueurs qui auraient peut-être mérité de jouer un peu plus… Un joueur comme Baratelli comme gardien aurait pu faire également plus de matchs que ce qu’il n’a fait. Mais il y avait un choix entre Ettori et Baratelli qui n’était pas facile, qui était délicat. Mais beaucoup de joueurs préféraient un Ettori qui n’hésitait pas à sortir de son but, plutôt qu’un Baratelli très bon sur sa ligne de but. Il y a un choix à faire. Oui, c’est ça !
Quand un de vos joueurs titulaires incontestables arrivait en fin de carrière, comment gériez-vous la chose ? Quelles données deviez-vous prendre en compte pour le remplacer ?
Oh, c’est souvent, les joueurs en fin de carrière. Je vais parler de celui qui n’a pas joué 1984, c’est Marius Trésor. Marius Trésor était un garçon qui a marqué son époque, et il est parti naturellement. Ce n’est pas comme une sanction, il est parti naturellement, un peu âgé. Les joueurs intelligents savent quand ils sont à leur niveau et que ça devient un peu trop difficile. Mais il y a toujours quand même des petits problèmes qui existent à partir du moment où vous avez vingt-deux joueurs et qu’il n’y en a que onze sur le terrain, hein ! Et encore, on était à une époque où on pouvait changer les joueurs. Moi, quand j’ai joué, enfin je n’ai joué qu’un match en équipe de France, mais en ce temps-là, on ne pouvait pas changer de joueur.
Et la vie en groupe ? Il y a le terrain, c’est une chose, mais la vie en groupe, en particulier à l’occasion des compétitions, comment ça se passe ? L’équipe de France, c’est quoi ?
Eh bien, on avait à la tête du football français un homme tout à fait exceptionnel, Fernand Sastre7. Il n’y a personne qui dira du mal de lui, au niveau du football. Donc on n’a jamais eu de problème à l’intérieur de l’équipe de France, jamais. Il peut y avoir des problèmes personnels d’un joueur ou ceci ou cela pour une chose qui n’a rien à voir avec le sport, mais… Par exemple, je n’ai jamais fait la formation d’une sélection sans la donner au président avant de passer à la presse. Et il est toujours venu avec moi, quand on présentait l’équipe à la presse. Ce que je n’ai pas vu toujours après. On donnait rendez-vous à 11 heures. Il fallait que je sois à 8 heures à la Fédération et il fallait que je lui dise ce que j’avais envie de faire et de discuter avec lui le pourquoi des choses, voilà. Donc, il venait avec moi à 11 heures devant la presse, et il était au courant de tout, et il était en accord avec tout. On a discuté, parfois, on a changé certaines choses ensemble, mais je n’ai jamais fait une équipe de France sans en parler au président, jamais.
Et la journée type, une fois que l’équipe de France était réunie, la journée type en équipe, en groupe, c’était quoi ? C’était un entraînement le matin ?
Oui, oui, selon le jour, si c’est trois jours avant, si c’est deux jours, mais il y avait un entraînement le matin, et un entraînement l’après-midi. Alors, bien sûr, l’entraînement, l’intensité de l’entraînement était en fonction de la journée. Si c’est trois jours avant, deux jours avant ou la veille, ce n’est pas pareil. Et toujours, donner l’équipe la veille, voilà !
En fonction de l’entente que vous pouviez voir pendant ces trois jours, est-ce que vous pouviez modifier les idées initiales que vous aviez de l’équipe ?
Oui, parce qu’on arrive toujours avec certaines choses que l’on connaît, les derniers matchs des uns et des autres, mais qui jouent dans des clubs différents, mais ça donne une indication quand même. Il y a ceux qu’on a l’habitude de voir en sélection, qui ont un certain niveau en équipe de France et ceux-là, pour ainsi dire, il faut qu’ils soient blessés ou qu’ils soient un peu mal à l’aise pour qu’on ne les fasse pas jouer. Il y a toujours une ossature, une ossature de sept ou huit joueurs sûrs, et après, les trois ou quatre autres, c’est selon l’état du moment. La forme du moment, l’état de santé du moment, la réussite du moment. Il faut quand même toujours tenir compte de cela ! Ce n’est pas pour ça qu’on a toujours raison ! Parce que ce qui est vrai parfois dans un match de championnat ne l’est plus en match international. Mais bon, tout le monde connaît cela. D’abord, s’ils sont dans la sélection, c’est qu’ils le méritent, et deuxièmement, après, c’est la forme du moment qui peut changer les choses. La réussite du moment peut donner l’avantage à un joueur.
Et ceux que vous ne reteniez pas comme titulaires ? Ça se passait comment avec les remplaçants ?
Eh bien, on essaie toujours de rester au milieu d’eux quand même, d’essayer toujours d’expliquer le pourquoi. C’est surtout individuellement, on les rencontre comme ça, on dit : « Voilà, je ne t’ai pas mis dans l’équipe, ceci, cela ». Mais on essaie de justifier sans être sûr de convaincre. Voilà ! Et puis, tout dépend de l’âge. Si c’est un joueur qui a vingt ans, il accepte tout, mais si c’est un joueur qui a trente ans, c’est plus délicat.
Quelles ont été vos plus grandes émotions en tant que sélectionneur ?
L’émotion ou la plus grande chose qui… C’est, c’est la demi-finale de la Coupe du monde.
C’est Séville ?
C’est ce qui est arrivé à Séville ! Parce que c’est au-dessus, une succession de choses, ce soir-là… on était en finale et on s’est retrouvés éliminés. Peut-être que les Allemands méritaient autant que nous, je ne sais pas, mais nous on avait fait le maximum, et, par contre, on n’a pas été aidés par l’arbitrage, il faut le dire ! Il faut le dire, c’est toujours délicat, mais c’est vrai. On n’a rien dit ouvertement à l’arbitre en reprenant l’avion, le lendemain, ou à l’aéroport, mais… Quand on lui a demandé pourquoi il n’avait pas sanctionné Schumacher, il n’a jamais répondu. Donc, ça c’est le match… à 3-1, on était en finale de la Coupe du monde. C’était quand même quelque chose. Et après, on n’a même pas joué, on n’a presque pas voulu jouer le match de la troisième place. On a dit : « Les joueurs qui veulent jouer ! ». C’est surtout ceux qui n’avaient pas joué qui ont fait le match. Pour nous, c’était devenu secondaire. Et vous savez, les joueurs après le match, les joueurs le lendemain sont venus me voir en disant : « Refaites maintenant une équipe ! ». Parce que deux ans après, il y avait le championnat d’Europe. Ils étaient tous déçus de cette demi-finale. Ils disaient : « Refaites une équipe avec des jeunes pour jouer le championnat d’Europe ». J’ai écouté… Au bout de quelque temps, j’ai téléphoné à l’un, j’ai téléphoné à l’autre, et tout le monde, tout le monde a pour ainsi dire souhaité revenir, sauf Marius Trésor qui n’a pas joué. Enfin qui n’est pas venu parce se sentait, un peu âgé. Donc, on a quand même joué deux ans après, et on a bien fait puisqu’on a été champions d’Europe. Malgré tout, c’était une récompense, mais ça ne nous a pas donné la joie qu’on aurait dû avoir.
Cela n'a pas fait oublier Séville ?
Pourtant, c’était le premier titre du football français, le premier grand titre, et on aurait dû sauter de joie, je ne sais pas quoi. Et pas du tout ! Et le soir de cette finale, gagnée à Paris, on est allés manger, dîner à la Fédération. On n’est pas allés dans un grand restaurant. On n’est pas allé dans un grand truc, on n’a pas fait la fête, on n’a pas fait la foire. On est allés à la Fédération avec les femmes des joueurs qui étaient au match, avec les familles qui étaient au match, et la Fédération a fait un diner où nous n’étions aucunement dérangés, puisqu’on était à la Fédération. Le président avait pensé à autre chose, mais, on a voulu fêter ça entre nous.
L’idée du devoir accompli malgré tout ?
Oui, oui, il y avait une grande satisfaction, parce que ce qu’on avait vécu deux ans avant, c’était dur à digérer. Ça permet quand même d’éliminer un peu l’annonce de la non-participation à la finale. Mais la finale, on aurait pu la perdre aussi, tandis que là, on était champion d’Europe. C’était le premier titre du football français. Et ce que l’on oublie, c’est que cette année-là, 1984, on a été également champion olympique. Deux titres, à un mois d’intervalle ! Moi je suis parti avec le président rejoindre un petit peu les joueurs là-bas, en Amérique. Et on a eu, on a eu la joie, la joie nouvelle… Quelque chose, on ne s’y attendait pas ! Et, champions olympique… Donc, on n’avait pas de titre, et en un mois on est champion d’Europe et champion olympique. Ah, c’était bien ! C’était le mérite d’un grand président, voilà !
D’accord, et une fois que vous obtenez le championnat d’Europe, vous démissionnez, il était prévu que vous arrêtiez…
Après 1982, j’avais dit à Henri Michel qui était mon homme de confiance, enfin qui était le n° 2 avec moi, je lui ai dit : « Écoute-moi, en 1984, je te laisserai la place » Voilà ! Et je n’ai pas voulu, je n’ai pas voulu, les joueurs me demandaient de rester mais je n’ai pas voulu ne pas faire ce que j’avais dit à Henri Michel qui était un gars de grande qualité. Mon adjoint de grande qualité et de belle mentalité surtout. Et d’ailleurs, on a vu par la suite, il a été très bon avec l’équipe de France.
À votre avis, si vous deviez retenir un match de vos années de sélectionneur, non pas pour les émotions, mais en termes de qualité de jeu. Là, où vous avez été le mieux entendu par les joueurs, à votre avis, quel serait ce match ?
On a fait un grand match au Brésil, quand on a fait 2 à 2. On était menés 2-0 à la mi-temps et on a fait 2 à 2, mais c’était un match amical, hein, c’est autre chose. Le match qui a marqué les esprits par la qualité et par tout ce qui est arrivé, les bonnes et les moins bonnes choses, c’est la demi-finale de 1982. C’est le match qui a marqué, qui m’a marqué le plus. J’ai eu plein de trucs gérer, mais aussi réagir sur ce qui se passait dans les vestiaires. C’était…, j’avais mis sur le terrain des athlètes, même si on faisait 1,65 m comme Giresse, c’étaient des athlètes et après le match, ben, j’avais une équipe de maternelle, des gens qui pleuraient. On en voulait tous à l’arbitre. Voilà !
Et puis il y avait l’inquiétude pour Battiston ?
Oui. Parce que le truc de Battiston, la blessure de Battiston, c’est cela le plus important, c’est cela le plus grave. En même temps, ça ne nous fait pas gagner le match qu’on aurait dû gagner. Là, il y avait pénalty, et le gardien allemand devait être… Bon, on ne va pas refaire le match, hein ! Voilà ! Mais tout ça, mais tout ça nous a marqué quand même. Et c’est pour ça, je dis 1984, on a été champions d’Europe, c’était une belle chose, mais on ne l’a pas fêté comme on l’aurait dû, parce que l’on avait toujours un petit peu en tête ce qu’on avait subi deux ans avant, cette injustice.
À propos des préparations à la Coupe du monde, la préparation de la Coupe du monde 1982 a été peut-être un petit peu moins difficile que celle pour l’Argentine. Il n’y a pas eu les polémiques politiques. Comment avez-vous vécu cela ?
En Argentine, ça a été délicat, mais ça a été délicat pour moi. Ça n’a pas été délicat pour les joueurs. Bon, on a vécu en Argentine l’aspect politique. Hein, mais ce n’est pas ça qui nous a tellement gênés. Moi, j’étais gêné beaucoup plus que cela parce que… Vous savez ce qui m’est arrivé avant de partir8. Ma femme a été obligée de venir avec moi là-bas, alors qu’elle était dans l’enseignement, et moi j’avais deux gardes du corps. Ce n’est pas marrant non plus, enfin, c’étaient des gars très bien, mais je veux dire que… Bon, et ça n’a pas été simple d’essayer d’évacuer, d’éliminer, tout ce qui m’était arrivé, quoi. C’était quand même un truc qui sortait de l’ordinaire, quand on s’en sort comme ça, mais ça n’a pas été le meilleur départ puisque c’était juste avant celui en Argentine. Mais, en Argentine, il ne faut pas oublier qu’on a été meilleurs qu’on ne pense. En Argentine, on est tombé quand même dans un groupe, où il y avait deux grandes équipes…
Les champions du monde, déjà…
Oui, donc, ça n’a pas été simple. Et malgré tout, malgré tout, contre l’Argentine, notamment la main de Trésor… Est-ce qu’il avait main ? Est-ce qu’il n’y avait pas main ? Donc pénalty, et si on fait match nul, on se qualifie. Mais bon ! On a accepté certaines choses parce que c’était une période quand même un peu délicate, ce qui se passait en Argentine. Vous savez, avant d’y aller, on a subi pas mal de choses. On a été… Les joueurs, on leur disait : « N’allez pas là-bas, n’allez pas en Argentine, c’est ceci, c’est cela. Vous allez voir, c’est contre le… contre tout ce qui est fait dans le sport. N’y allez pas ! ». Je crois que l’on a dû dire ça à toute l’équipe, mais il y a certains joueurs qui ne voulaient pas partir. Rocheteau ne voulait pas partir, mais, heureusement, nous sommes partis. On a essayé, sur place, de s’occuper des Français qui étaient emprisonnés, pour faire quelque chose… On a permis à quelques-uns d’être rapatriés en France. On avait demandé au président Videla que les Français emprisonnés aient les moyens de se défendre. On ne pouvait pas dire de les relâcher, mais au moins les moyens de se défendre. Après, aller contrôler ce qui a été fait, c’est très difficile. Mais personnellement, j’ai apprécié l’équipe, j’ai apprécié les joueurs, je n’ai pas apprécié, moi, d’avoir deux gardes du corps en permanence pendant une Coupe du monde. Mais, pour ce qui s’est passé là-bas, je dis aux joueurs « bravo ! ». Parce que le match contre l’Argentine, on ne méritait pas de le perdre, et l’arbitrage a encore une fois été délicat, voilà. Bon, mais c’est du passé !