Morgan Poggioli, La CGT du Front populaire à l'État français (1934-1940). De la réunification à la scission, de la scission à la dissolution, Thèse d'histoire contemporaine, Université de Bourgogne, sous la direction de S. Wolikow, 2005, deux volumes. Volume I, 611 p. Volume II, Bibliographie et annexes, 348 p.

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L'obstacle le plus important pour cette recherche résidait dans sa capacité à apporter des éléments nouveaux à propos d'un sujet sur lequel il existe déjà une documentation fournie. De ce point de vue, l'impétrant ne renouvelle pas le savoir et la compréhension de l'action de la CGT durant la période. Néanmoins, sur la base des archives disponibles, il fournit de nombreux enrichissements supplémentaires concernant des aspects peu explorés du fonctionnement de la centrale, de ses structures et de son projet. En fait, la base archivistique susceptible de vraiment renouveler la compréhension manque car les archives des fédérations, indispensables pour saisir l'action cégétiste durant le mouvement de grève de mai-juin 36, ne sont toujours pas ouvertes à la recherche. Classiquement le plan s'ordonne en trois temps, correspondant aux séquences chronologiques. La première partie couvre l'élan unitaire, du 6 février 34 au congrès de Toulouse, qui voit s'accomplir la réunification des deux branches, CGT et CGTU. La seconde partie court des grèves de mai-juin à l'automne 36. Le dernier temps s'étale de la rentrée à la CGT dans la guerre. Sans revenir sur l'action de la centrale durant cette période, longuement détaillée au fil des pages, on voudrait se concentrer sur l'apport de cette thèse, basé sur des archives originales, qui porte essentiellement sur quatre points : le planisme cégétiste, Syndicats , le syndicalisme à bases multiples et enfin l'action internationale de la CGT. La majorité confédérale se reconnaît dans la notion de Plan. Alors qu'au sein de la SFIO les tenants de cette conception sont exclus pour déviation droitière, la CGT va adopter le plan comme axe stratégique, plan qui sera repris dans une large mesure par les unitaires lorsqu'ils dirigeront la confédération après la guerre. Poggioli consacre de longs développements à cette question, aspects souvent méconnus d'un réformisme syndical affirmé. En lien avec cette option, l'émergence d'un syndicalisme de masse qui lui en fournit les moyens matériels, et l'évolution législative consécutive au mouvement gréviste, la CGT va s'engager dans le développement d'un syndicalisme à bases multiples. Cette dimension, inachevée au moment où la guerre se développe, demeurait jusqu'alors peu explorée. Des pages tout à fait intéressantes sont consacrées aux efforts pour créer de nouvelles institutions, comme le CCEO, pour la formation des militants, pour prendre en compte le développement du temps libre avec Tourisme et vacances, pour intégrer la dimension de la santé au travail au registre d'action syndicale avec l'Institut d'étude et de prévention des maladies professionnelles ou encore pour installer un système mutualiste ouvrier. Ces réalisations s'inscrivent dans la volonté de mettre en place une démocratie sociale, soutenue par le gouvernement Blum. On peut tout à fait légitimement lire cette tentative de la majorité confédérale, même si ce n'est pas l'interprétation de l'auteur plus circonspect en la matière, comme un effort conscient de s'appuyer sur une dynamique révolutionnaire pour promouvoir une aspiration au réformisme syndical, adossé à un gouvernement ami qu'il s'agit de soutenir. Après l'épisode gréviste de juin, la CGT va se diviser en trois courants : le centre autour de Jouhaux, les anciens unitaires, et un courant animé essentiellement par l'anticommunisme regroupé autour de son organe, Syndicats . Grâce à un précieux travail prosopographique, Poggioli offre des informations inédites sur l'implantation de cette sensibilité, dont la dynamique poussera un certain nombre de membres, Belin son dirigeant au premier chef, vers Vichy et la collaboration syndicale. Enfin, Poggioli apporte des informations inédites sur le rôle, sous l'impulsion des unitaires, que la CGT a joué en faveur d'une unification du mouvement syndical international. Jouhaux participera à plusieurs réunions et rencontres visant à intégrer l'Internationale syndicale rouge à la FSI. Efforts qui ne déboucheront pas, l'ISR se dissolvant sous l'impulsion de Staline, pressé de ne pas heurter les démocraties occidentales dans le cadre de la stratégie de Front populaire. Ces différents points n'épuisent pas la lecture de la thèse. Ainsi Poggioli offre des aperçus, qui auraient demandé plus d'ampleur, sur les divergences entre la majorité confédérale et les unitaires, tout en enrichissant notre connaissance de l'action de la principale centrale syndicale de la période. Il est d'ailleurs dommage qu'aucune attention ne soit consacrée à la CFTC, sauf en toute fin de période. L'hostilité de la CGT à l'égard du syndicalisme chrétien aurait mérité d'être documentée. Souhaitons que ce travail puisse accéder à un large public par une publication sous forme livresque.

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Georges Ubbiali, « Morgan Poggioli, La CGT du Front populaire à l'État français (1934-1940). De la réunification à la scission, de la scission à la dissolution, Thèse d'histoire contemporaine, Université de Bourgogne, sous la direction de S. Wolikow, 2005, deux volumes. Volume I, 611 p. Volume II, Bibliographie et annexes, 348 p. », Dissidences [En ligne], Février 2012, Nos archives : le mouvement syndical, publié le 04 novembre 2011 et consulté le 18 avril 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=772

Auteur

Georges Ubbiali

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