Michel Pigenet, Patrick Pasture et Jean-Louis Robert (dir.), L'apogée des syndicalismes en Europe occidentale, 1960-1985, Paris : Publications de la Sorbonne, 2005, 282 p.

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Malgré des apparences modestes, cet ouvrage dirigé par trois spécialistes de l’histoire du syndicalisme à savoir M. Pigenet, P. Pasture et J.-L. Robert, affiche un programme impressionnant. Trois disciplines représentées : la sociologie, les sciences politiques et l’histoire, une quarantaine de chercheurs mis à contribution, dix ans de collaboration, le tout synthétisé dans huit chapitres, chacun étant écrit à plusieurs mains.

On imagine aisément les difficultés tant humaines que techniques pour mener à bien un tel projet ce que ne manque pas de souligner M. Pigenet dans l’introduction de l’ouvrage. Le défi a cependant été relevé et les résultats délivrés sont tout à la fois pertinent et innovant.

L'apogée des syndicalismes en Europe occidentale, démontre, si besoin en était l’intérêt d’une écriture collective dans une perspective comparatiste. Trop souvent en effet ce type d’approche se contente de juxtaposer les contributions, rendant la comparaison malaisée en définitive. La discussion permanente entre chercheurs, nécessaire à la production des contributions écrites qui composent l’ouvrage, obligea ceux-ci à convenir d’une expression commune et à interroger les concepts mis en œuvre et le regard que l’on peut porter

Même si l’ouvrage ne reprend pas exactement la structure du colloque qui s’est tenu à Paris, les 8-9 novembre 2002, organisé par le Centre d'histoire sociale du XXème siècle dont il est le fruit, celui-ci répond néanmoins aux trois interrogations qui ont conditionné sa tenue :

La première (« Quelles sont les pratiques de terrain effectives ? ») tente, à travers les exemples du syndicalisme dans l’industrie automobile ou bien parmi le monde des enseignants, de prendre la mesure des évolutions et mutations à l’œuvre en matière notamment de relations du travail durant la période choisie.

La question du rôle des institutions, de l’incidence des conjonctures et de l’apparition de certaines pratiques aux marges du syndicalisme à l’image des nouveaux mouvements sociaux (NMS) constitue le deuxième gros bloc de l’enquête collective. Dans cette perspective l’Etat social et la sphère de l’entreprise sont passés au crible des chercheurs. L’entreprise connaît en son sein des progrès significatifs en terme de droits pour les travailleurs. Les NMS qui font, dans l’ouvrage, l’objet d’un long développement, apparaissent concomitamment dans les pays examinés et, par delà leur apparence, ils se révèlent interconnectés. En effet, mouvement de jeunesse, mouvement féministe ou ouvrier tout en ayant des propriétés distinctes semblent interagir entre eux.

Le développement sur l’Etat social a retenu ici notre attention. Constitué ou confirmé dans les années d‘après guerre il est très nettement mis à mal durant les années 1960-1985 par la récession, l’augmentation du chômage mais aussi par le reflux de l’activité militante. Dans ce contexte les syndicats s’adaptent et agissent alors en fonction de leur positionnement dans les institutions sociales mais aussi en fonction des stratégies de négociation et de compromis qu’ils jugent alors adaptés. Les résultats seront contrastés puisqu’en fonction des configurations nationales, certains syndicats parviendront à se maintenir alors que d’autres, à l’image du cas français, se trouveront en situation d’échec et apparaissent fragilisés.

La dernière grande interrogation des rédacteurs de ce projet de recherche consistait à prendre la mesure des pratiques et des représentations à l’œuvre notamment avec la montée en charge des enquêtes d’opinion publique et leurs effets en retour mais aussi avec les modalités singulières d’engagement et de maintien dans les structures dans les contextes français et belges ou encore avec le poids croissant du rapport aux médias dans l’activité et les représentations syndicales.

Il serait nécessaire d’exposer ou détailler ici tous les apports de ce travail à la connaissance du syndicalisme européen. A défaut, on peut en revanche rapporter les principales conclusions que tirent les animateurs de ce projet.

Il existe en premier lieu une singularité du syndicalisme européen, au regard de celui qui s’exprime dans les autres pays occidentaux tel que le Japon et les Etats-Unis. De la même manière les syndicats, et ce d’une manière quelque peu paradoxale tout en participant à la pacification des relations sociales et à l’élaboration de nouvelles règles du jeu contractuel, mais aussi en occupant des fonctions à différentes échelles (de l’entreprise aux institutions de prévoyance), prennent part aux nombreux conflits sociaux qui caractérisent les années 1960 et 1970. Ces phénomènes témoignent si besoin en était de la multidimensionnalité du syndicalisme.

Par delà des discours évoquant une certaine homogénéisation des pratiques syndicales, subsistent, avec force, à la fois l’héritage des cadres nationaux et corporatifs et les expériences et usages propres aux entreprises et secteurs professionnels. Sur le plan sociologique, les années 1960-1985 constituent une véritable charnière. Sous l’effet de l’extension des droits des travailleurs dans l’entreprise, du renouvellement des formes de management, des mutations du salariat, mais aussi des cadres politiques et sociaux les syndicats “ redéfinissent, de fait, les critères de sélection de leurs cadres ” ce qui modifie en profondeur les liens intrasyndicaux.

En définitive, cet ouvrage tout à la fois fécond et prudent, se présente comme un livre-étape, prolongeant les réflexions développées dans les publications qui le précèdent, confirmant certaines pistes mais écartant également des considérations hâtives et admises jusqu'ici. En somme un livre indispensable pour les chercheurs qui souhaitent comprendre le développement et l’hétérogénéité du syndicalisme d’Europe de l’Ouest durant les années d’expansion.

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David Hamelin, « Michel Pigenet, Patrick Pasture et Jean-Louis Robert (dir.), L'apogée des syndicalismes en Europe occidentale, 1960-1985, Paris : Publications de la Sorbonne, 2005, 282 p. », Dissidences [En ligne], Février 2012, Nos archives : le mouvement syndical, publié le 04 novembre 2011 et consulté le 23 avril 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=771

Auteur

David Hamelin

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