Sachant que Jean Feyder est un haut-fonctionnaire luxembourgeois, ancien président du Comité pour les pays les moins avancés auprès de l’OMC et du Conseil pour le commerce et le développement de la CNUCED, et qu’en outre son ouvrage a droit à une préface du premier ministre du Luxembourg, on peut se demander ce que Dissidences peut y trouver en lien avec son champ d’études. En réalité, le propos de Jean Feyder, très clair, riche en exemples et en données extrêmement précises, se rapproche de la démarche d’un Jean Ziegler : de l’intérieur du système, de ses plus hautes sphères institutionnelles, en pointer les limites, voire les incohérences, apportant du grain à moudre aux révolutionnaires et aux synthèses qu’ils peuvent impulser (l’Atlas alternatif coordonné par Frédéric Delorca paru aux éditions du Temps des cerises, par exemple). Certains des chiffres qu’il fournit donnent en effet froid dans le dos, que ce soit les 25 000 morts de faim quotidiens (dont 18 000 enfants), le large milliard qui ne se nourrit pas convenablement ou les 100 milliards d’aide au développement annuels, comparés aux 1000 milliards de dépenses d’armement mondiales. Il montre d’ailleurs que les victimes de la faim sont avant tout rurales, moins revendicatives, moins politisées, et par là même moins visibles que des urbains plus revendicatifs lors de la crise alimentaire de 2008. Le cœur de sa critique des ravages de la malnutrition dans le monde s’articule autour du fonctionnement du capitalisme contemporain (ici seulement qualifié d’économie de marché), qu’il juge excessivement libéral, revenant à maintes reprises sur les conséquences mortifères des politiques d’ajustement structurel du FMI, sur le dumping pratiqué par les pays développés pour favoriser leur agriculture, l’écart de productivité avec celle des pays du Sud se situant dans un rapport de 1 à 1000 ! Les mesures qu’il préconise s’inscrivent dans un réformisme conséquent, respectueux des institutions actuelles (sans s’interroger sur la nature de l’État, par exemple) et saluant les actions de certains gouvernements (chinois ou brésilien, en particulier, quant à la réduction de la pauvreté), mais porteur d’une certaine charge radicale. Mettant la petite exploitation familiale bio au centre de sa réflexion, il insiste sur la nécessaire autosuffisance alimentaire nationale, qui passe par un protectionnisme au moins temporaire, une réduction de la séparation entre villes et campagnes (sur le plan culturel, tout au moins, n’est pas Marx qui veut), mais également par un volontarisme public affirmé, prenant en charge une véritable réforme agraire. On n’est parfois pas si loin de certaines idées-forces de la décroissance, comme lorsqu’il appelle à des changements dans l’alimentation des pays riches (moins de viande). Jean Feyder en vient même à critiquer les OGM, insistant surtout sur leurs dangers, ainsi que le brevetage du vivant, les semences en particulier.
Jean Feyder, La faim tue, Paris, L’Harmattan, 2011, 308 p., préface de Jean-Claude Junker.
05 March 2012.
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Jean-Guillaume Lanuque, « Jean Feyder, La faim tue, Paris, L’Harmattan, 2011, 308 p., préface de Jean-Claude Junker. », Dissidences [Online], Mars 2012, Littérature scientifique, 05 March 2012 and connection on 05 November 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=696