Éric Fournier, La Cité du sang. Les bouchers de La Villette contre Dreyfus, Paris, Libertalia, 2008, 147 p.

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Le sous-titre précise l'enjeu historique et géographique du propos : la Cité du Sang est La Villette, ses bouchers fournirent une part des troupes nationalistes et antisémites lors de l'Affaire Dreyfus. Eric Fournier, qui vient de publier chez Imago Paris en ruines explore là une part de l'imaginaire nationaliste. Son propos fait mouche. Il montre comment la corporation des bouchers fascine l'extrême droite qui y lit une survivance de l'ancienne France aux portes de Paris, qui y voit un modèle à opposer au socialisme, au syndicalisme. Le sang et la force supposée des tueurs (les bouchers) s'inscrivent aisément dans les thématiques de la régénérescence nationale; les bouchers incarnent une part du mythe vitaliste de l'extrême droite, participant à leur manière, sous la houlette de Morès, puis de son lieutenant Guérin et de la Ligue antisémitique Française, au roman de l'énergie nationale. L'auteur situe là son propos dans la suite des travaux déjà anciens de Zeev Sternhell ( La droite révolutionnaire, Maurice Barrès et le nationalisme français ) auxquels il imprime une double inflexion. En effet, il porte son attention sur la rue -et les luttes pour la maîtrise de son espace- plus que sur les textes et les idées. Son travail participe davantage d'une anthropologie politique, nourrie d'un entretien avec Pierre Haddad1, que de l'histoire des idées propres à la démarche de Zeev Sternhell. Ce monde du sang qu'est La Villette paraît l'objet idoine de cette investigation qui mèle l'histoire sociale et culturelle au politique, montrant comment l'antisémitisme constitue un moteur politique de premier plan. A suivre Eric Fournier s'écartant à nouveau des conclusions de Zeev Sternhell, les bouchers enrôlé par Morès, Guérin, procèdent moins des racines du fascisme, mais davantage d'une persistance à l'extrême droite d'us et coutumes d'ancien régime, rétifs aux bouleversements de l'industrialisation. Les bouchers n'annoncent pas les chemises noires, leurs blouses bleues et leurs gros bras construisent certes une réputation flatteuse au sein de l'extrême droite et dans l'opinion publique, mais finalement usurpée : la rue reste aux mains des étudiants (cf. les souvenirs sur l'Affaire de Charles Péguy), des libertaires menés par Sébastien Faure. L'imaginaire révolutionnaire porté en partie par les bouchers s'effondre avec Fort Chabrol, en comédie.

Précisément, ici la démonstration laisse le lecteur sur sa faim. Dans son introduction subtilement militante, Eric Fournier revendique l'appel au rire pour se saisir pleinement du contexte de l'époque : le rire est aussi une arme politique dans l'occupation de la rue. On devine dans cette proposition l'horizon anthropologique de la recherche. Si celui-ci est atteint dans l'analyse des représentations de La Villette, la question du rire, régulièrement rappelé est absente. Il manque au texte des citations de L'Aurore , du Journal du Peuple –soit la verve d'Emile Pouget, par exemple-, il manque des caricatures (mais c'est là sans doute l'effet même des coûts d'édition et de reproduction). Il manque, finalement, un chapitre où le rire qu'oppose les dreyfusards aux antisémites se saisirait à partir des recherches en histoire culturelle sur la Belle époque, dans l'éclat des crieurs de journaux, et des camelots analysé par Jean-Yves Molier. Reste qu'à la lecture, Eric Fournier, s'il ne convainc pas systématiquement, emporte largement l'adhésion pour qui s'intéresse à une histoire politique renouvelée de la Belle époque. Histoire dans laquelle les idées politiques ne sauraient suffire, histoire plus attentive à la rue et dans laquelle surgissent des figures en marges des travaux classiques sur cette question. Le propos militant d'Eric Fournier attire l'attention sur Sébastien Faure et ses compagnons, montrant par là que l'anarchisme ne se réduit pas à la propagande par le fait; rappelons aussi le rôle joué contre le nationalisme par les étudiants autour de la Librairie de Charles Péguy, par les mouvements de jeunesses proches du socialisme français, alors divisé.

Notes

1 Auteur d'une thèse pionnière sur la question, Les chevillards de La Villette, naissance, vie et mort d'une corporation , Pierre Haddad est le descendant de chevillards juifs qui firent le coup de poing et les combats à cannes plombées contre les nationalistes. Retour au texte

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Vincent Chambarlhac, « Éric Fournier, La Cité du sang. Les bouchers de La Villette contre Dreyfus, Paris, Libertalia, 2008, 147 p. », Dissidences [En ligne], Histoires, Historiographies, publié le 06 décembre 2012 et consulté le 14 octobre 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=582

Auteur

Vincent Chambarlhac

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