La commémoration du 70e anniversaire du Front populaire1 offre l’occasion de ce volume richement illustré par les fonds du Musée de l’histoire vivante (Montreuil) et de l’iconothèque de l’IHS-CGT. Le sous-titre précise Une histoire du Front populaire, indiquant par là un parti-pris, comme un art de conter. Cette histoire est économique, sociale et politique. Michel Margairaz et Danielle Tartakowsky s’appuient sur leurs travaux respectifs, se nourrissent de l’historiographie – notamment celle issue du Mouvement social – pour brosser la synthèse de cet épisode tôt érigé en mythe par les gauches. Comme toute histoire, le fil du récit épouse une chronologie aux thématiques classiques : la France en crise, l’invention du Rassemblement populaire, l’Embellie, Les contradictions et les ruptures du chapitre IV explorent alors les difficultés naissantes du Front populaire. La singularité du récit survient dans les trois derniers chapitres, respectivement consacrés à la double révolution culturelle que serait le Front populaire, puis aux Points aveugles de son action, et à l’examen de ses Postérités. Des encarts, régulièrement intercalés, précisent des points d’histoire (les municipalités ouvrières, laboratoires du Front populaire,…), certaines trajectoires biographiques (Giono, Renoir,…) ou s’attardent sur des moments « patrimoniaux » (Les accords Matignon,…), reviennent enfin sur des avancées historiographiques majeures (ainsi les stratégies de rues par la comparaison des manifestations du 6 février 34 au 14 juillet 1935). Telle quelle, cette histoire du Front populaire revisite le genre, s’ouvrant aux polémiques actuelles comme celle sur la question du fascisme français où les thèses en présence sont toutes énumérées – en une courte et dense page – mais également discutées à la lumière des propositions d’Antoine Prost. L’iconographie, de ce point de vue, enrichit les lectures, même si les notices s’avèrent alors parfois frustrantes : ainsi de cette banderole des midinettes de la Seine, frappée des dates 1917, 1936 qui invite à une lecture ouvrière des mémoires de la Grande Guerre, ici seulement mentionnées. Au fil du texte, la Guerre de 14-18 et ses mémoires tiennent aux seuls Anciens Combattants ; pourtant, elle structure le mouvement ouvrier, ses références, et ce jusque dans le vocabulaire qui donne corps au mythe : 1936 est d’abord une affaire de front2 (populaire vs national). De facto, c’est bien une synthèse renouvelée que présente le texte ; la richesse du volume tient aux autres récits, ou associations d’idées, que suggère l’iconographie, qu’encadrent parfois les encarts. Ici, l’histoire culturelle est omniprésente, enrichissant les développements consacrés à la fête, aux politiques culturelles.
Reste qu’il s’agit ici d’une histoire du Front populaire, souvent forclose sur elle-même. L’examen des points aveugles de ce moment, s’il enrichit la lecture de l’épisode par la question coloniale, paraît souvent rapide dans son traitement des procès de Moscou. Lire la dénonciation de ceux-ci comme le seul effet de la mouvance trotskiste hypostasie cette catégorie, tordant le coup aux dissidences de gauche, proches de la Révolution prolétarienne ou membres de la SFIO dans son entier. A cet égard, si la « gauche révolutionnaire » de Marceau-Pivert pèse, elle ne saurait à elle seule structurer cette opposition. Les contemporains, par l’enquête de Roger Millet dans le Temps, saisissaient alors la naissance d’une nouvelle extrême gauche3, singulièrement absente ici, qui pouvait, dans les considérations sur la littérature du Front populaire, sur les grèves de 36 ou la question espagnole, davantage trouver sa place. Enfin, et cela sans doute parce que le procédé des points aveugles - qui questionne le Front populaire à la lumière des polémiques actuelles en histoire - est efficace, il manque au-delà du dernier chapitre consacré aux mémoires du Front populaire, une conclusion substantielle sur la pertinence actuelle de la référence au Front populaire. En regard, l’introduction du dernier ouvrage d’Antoine Prost sur la centralité perdue de la classe ouvrière4 sonne comme un adieu au Front populaire. La page du Monde5, qui s’ouvrait sur la mythologie du Front populaire indique alors que ce n’est pas seulement une histoire que content Danielle Tartakowsky et Michel Margairaz, mais aussi un mythe constamment réactualisé par l’iconographie du mouvement social qui, souvent, affleure dans ces pages, encourageant une lecture traversière.