Pourquoi ce titre, emprunté à Sigmund Freud1, pourquoi à propos d’une livraison pour Syllepse d’un numéro des Cahiers de l’émancipation ? Le propos n’est pas une lecture pathologique, mais davantage symptomale, soit une façon – à la manière assumée d’un usage « sauvage » du lexique psychanalytique tel que pratiquée naguère par l’histoire du temps présent – de questionner une part de l’agency2 de l’extrême gauche française contemporaine, entre stratégie(s) académique(s), reconfiguration(s) politique(s) autour des questions du postcolonialisme, du marxisme et de son efficace politique sur la scène française. Cette livraison offre un dossier « Race et capitalisme » coordonné par Félix Boggio Éwanjé-Épée et Stella Magliani-Belkacem. A la charnière du militant et du chercheur engagé, le dossier déconcerte autant qu’il s’inscrit dans des problématiques contemporaines à l’extrême gauche qui cernent une mouvance que quadrillent éditorialement, outre Syllepse, La Fabrique, La Découverte, les éditions Amsterdam mais aussi au fil des recensions La Revue des livres, Contretemps, quand politiquement le propos semble davantage se restreindre au dialogue du PIR (Parti des Indigènes de la République) et du NPA, aux militants étroitement imbriqués, du moins jusqu'en juillet 2012.
Explicitons notre position : Dissidences, à la fois collectif et revue(s) prend comme objet l’extrême gauche et les mouvements révolutionnaires A la faveur de l’épanouissement français des gender et postcolonial studies concomitant aux émeutes de 2005, paradigmes de recherches et réflexions politiques se sont mêlées, profondément d’ailleurs au sein du NPA, partagées par certains militants (issus de groupes tels de Le socialisme par en bas ou Socialisme international), regroupés partiellement dans la GA (Gauche anticapitaliste) qui a rejoint le Front de gauche début juillet 2012. En l’espèce ce travail ne pouvait nous laisser indifférents d’autant que les propos tenus, l’armature intellectuelle des propositions politiques adossées à des champs de recherche que nous chroniquions régulièrement, participe à leur examen d’une inquiétante étrangeté donc sur laquelle nous ne cessions de nous interroger. Ramassons la proposition, l’expression désigne ce qui n’appartient pas à la maison et pourtant y demeure. On ne saurait mieux qualifier la perpétuelle hésitation de notre collectif, attentif à l’extrême gauche comme objet de l’analyse devant le déploiement de ces problématiques.
Race et capitalisme approfondit, sans y répondre clairement pourtant, la controverse sur l’emploi du mot « race » dans une logique émancipatrice que présente l’introduction programmatique du recueil, « Ce que pourrait être une gauche antiraciste ». Discuter ces propositions est peu mon propos, m’intéresse davantage ce que la composition même du recueil montre comme alliage : des articles à forte connotations scientifiques, souvent d’universitaires anglo-saxons, et deux textes les encadrant plus directement politiques, signé pour le dernier qui vaut conclusion – « Nous avons besoin d’une stratégie décoloniale » – par Sadri Khiari, militant tunisien un temps membre de la IVe Internationale et fondateur du Parti des Indigènes de la République. Ces lectures croisées posent en termes racialisés la production de l’espace, les zoning urbains, les questions d’identités… soit des textes de spécialistes à la lecture difficile, mais rendus nécessaires selon l’introduction du volume par la nécessité de « penser précisément la race » (p. 9). L’introduction précise :
« La spécialisation est souvent le fait de l’ancrage académique qui partitionne les disciplines et morcelle la compréhension globale d’un système. Mais elle est peut-être la seule façon de rendre compte d’aspects du racisme qui sont habituellement négligés ou mal problématisés dans le sens commun à gauche » (p. 10).
C’est précisément cet alliage qui retiendra ici l’attention pour peu que l’on en décompose les logiques. Au ras du champ académique, ce mouvement procède de l’irruption du postcolonialisme venu d’outre-atlantique ; sa politisation dont témoigne le Mouvement des Indigènes de la République, puis le PIR s’acte définitivement autour de 2005. La théorie, radicalisée, arme alors un programme politique, son lexique en innerve les propositions.
Du ‘‘gauchisme scientifique’’ à l’expertise : légitimité du postcolonialisme politique.
L’irruption du postcolonialisme dans le champ académique circa 2005 serait, pour Jean François Bayart, un carnaval académique3. Ce constat de 2010 en forme d’essai au vitriol note dans le succès de ces thématiques l’addition de logiques éditoriales, d’une stratégie de niche académique et « une façon de réinventer la figure pourtant bien française de l’intellectuel engagé dans de justes luttes4 ».
Rebondissons sur cette proposition pour restituer une part de la préhistoire de cette réinvention. Dans le champ académique, la théorie postcoloniale participe d’un transfert des postcolonial studies anglo-saxonnes. Si celles-ci procèdent de la French Theory cartographiée par François Cusset5, l’horizon de leur réception en France est plus singulier sous l’égide du genre6 et du colonial. Seul le second nous importe ici, dans les liens qu’il tisse entre engagement du chercheur et radicalisation politique, même si le premier n'est pas étranger à nombres de prises de position dans cet horizon là. En amont et autour de 2005, la trajectoire d’un collectif, l’ACHAC, animé notamment par Nicolas Bancel et Pascal Blanchard renseigne une part du propos7. Les travaux de l’ACHAC (l’Association pour la connaissance de l’histoire de l’Afrique contemporaine) débutent autour de 1989 par des expositions et catalogues sur le monde colonial. Ces recherches rencontrent dans la seconde moitié de la décennie 1990 l’essor de l’histoire culturelle, qui propose de penser autrement les objets du politique, et les problématiques des postcolonial studies, à partir notamment des travaux d’Hermann Lebovics sur les figures de la Vraie France et la Plus grande France8. Désormais c’est au sein de la métropole que l’ACHAC construit un questionnement postcolonial à partir de l’exhibition (Les zoos humains) mais surtout d’un essai qui vaut rapidement manifeste, La République coloniale9 où se discute à l’aune des problématiques postcoloniales l’universalisme républicain. Ces propositions débordent largement la sphère académique par un jeu sur les medias (Le Monde Diplomatique, La bas si j’y suis sur France Inter notamment) d’autant plus efficace que Nicolas Bancel et Pascal Blanchard jouent une stratégie de challenger dans l’espace académique qui participe, par le biais de l’agence de communication qu’ils ont créé (Les Bâtisseurs de mémoire : http://www.lesbdm.com/) de l’History Business10. Il importe moins ici de juger cette stratégie, mais davantage d’en discuter la contextualisation et les effets.
Le succès des zoos humains et de La République coloniale participe d’un « moment colonial » de la société française succédant à une forme, sinon d’amnésie, au moins de refoulement, du passé colonial dans la mémoire collective française. Sur son versant académique, ce travail militant de l’ACHAC participe de l’invention d’un champ (le postcolonialisme) et de l’avènement d’une nouvelle génération de chercheurs français11. Le souhait d’une ‘’paxtonisation’’ de l’historiographie français du colonial, émis par Pascal Blanchard et Nicolas Bancel12, semble se réaliser dans l’irruption de ce nouveau paradigme bientôt surplombant. Cette irruption des postcolonial studies dans le champ académique français irrite, tant il recouvre l’historiographie précédente sur la question13, tant il s’affirme dans l’espace public dans un mode où s’enchevêtre le travail historique et l’engagement citoyen. Pour qualifier ce nouage singulier, Christophe Prochasson évoque un « gauchisme scientifique14 ».
Le qualificatif vaut, par sa péjoration, que l’on s’y attarde. Il épouse à sa manière le constat de « réinvention de l’intellectuel » forgé à partir des mêmes auspices par Jean-François Bayart. Tous deux s’inscrivent dans un contexte où la question postcoloniale fait sens dans la société française autour de 2005. Édition et événement politique s’entrelacent ici. Aux éditions La Découverte, Pascal Blanchard, Nicolas Bancel et Sandrine Lemaire publient une enquête menée auparavant à Toulouse, La fracture coloniale15. Le titre fait d’autant plus sens qu’il coïncide avec les polémiques initiées à la faveur de l’article 4 de la loi du 23 février 2005 portant sur l’enseignement de la colonisation16, et surtout, permet d’appréhender les émeutes de l’automne 2005. L’analyse que donne Romain Bertrand d’usages du passé colonial comme participant de la routine du jeu législatif à propos de la polémique fait écho à la gestion du couvre-feu dans les banlieues qui réactive une part de l’arsenal légal dont usaient les gouvernements au moment de la guerre d’Algérie. Un continuum colonial se donne ici à voir et les historiens du collectif, auquel s’agrègent des sociologues, des anthropologues, se conçoivent d’une certaine manière comme des experts aptes à diagnostiquer dans les failles de la société française ce passé refoulé toujours présent du colonialisme. Le postcolonialisme devient clé de lecture des questions sociales et politiques. Rapidement, les débats glissent d’une discussion portant sur la violence coloniale et les deux temps de la colonisation, à l’établissement d’un lien de causalité directe entre la condition d’immigré et le passé colonial. Reconnaître les torts passés (se repentir) absout alors d’une lecture politique des émeutes. La controverse sur le fait colonial semble ainsi occulter toute portée d’un questionnement social et/ou politique sur cet embrasement. Il y a là une lecture postcoloniale des émeutes. Le débat sur le fait colonial vaut alors palimpseste. Il déplace son enjeu initial sur le terrain du fait républicain par l’immédiateté de l’équivalence colonisés/immigrés. Dans cette nouvelle configuration, la discussion sur l’enseignement du fait colonial se comprend surtout dans l’orbite de l’acculturation républicaine (topique de l’intégration). Il sera donc question de pédagogie à mettre en œuvre, de valeurs républicaines : toutes les institutions sociales se questionnent alors au titre du colonial, l’Ecole au premier chef. La prise en compte des collectifs mémoriels dans l’ordre de la plainte, de la revendication, et des luttes pour la reconnaissance, participe alors de l’équation colonisés/immigrés, décentrant la question sociale vers l’équivoque des ressentiments mémoriels. Cette lecture transforme le « gauchisme scientifique » de ses producteurs en capacité d’expertise. La trajectoire du collectif de l’ACHAC épouse ce mouvement, s’infléchissant en une stratégie d’académisation pour s’arrimer au dispositif de l’histoire politique et culturelle française : colloques, participation scientifique à l’exposition « l’invention du sauvage » au Musée du Quai Branly scandent ce mouvement17. Il importe peu ici.
Il compte peu car, au moment de son triomphe en 2005, cette stratégie de paxtonisation est subsumée par l’évidence politique – martelée médiatiquement – de la clé postcoloniale pour se saisir des réalités de la société française. Une nouvelle configuration travaille la scène intellectuelle et politique. L’une de ses manifestations voit le gauchiste scientifique se muer en expert (cf. supra). Cette mutation n’est pas seulement académique : dans l’espace public, elle affirme la légitimité du postcolonialisme politique, autorise l’irruption du mot d’ordre de décolonisation de la société française impliquant par là que l’ensemble des relations politiques, sociales et culturelles s’ordonnent par la référence coloniale pensée dans un continuum de l’indigène à l’immigré. Elle s’accompagne de l’émergence d’un nouveau mouvement, construit par la grille postcoloniale, directement politique à l’extrême gauche : le Mouvement des Indigènes de la République (MIR) d’où naît le Parti des Indigènes de la République (PIR).
Subjectivation et radicalité révolutionnaire
L’Appel des Indigènes de la République pour des Assises de l’anticolonialisme et une marche (le 8 mai 2005) surgit en janvier 2005. Dans l’intervalle la question de l’enseignement de la colonisation (article 4 de la loi du 23 février 2005 finalement abrogé) place la question coloniale au cœur de l’espace public ; en aval l’Appel est utilisé par une part des médias comme une clé de lecture des émeutes de novembre 2005. Ce tempo serré masque une part des déplacements opérés par ce texte dans le champ de l’antiracisme.
L’Appel est tout entier construit dans la perspective d’un continuum de l’indigénat colonial à l’identité d’immigré postcolonial contemporaine :
« La figure de l’« indigène » continue à hanter l’action politique, administrative et judiciaire ; elle innerve et s’imbrique à d’autres logiques d’oppression, de discrimination et d’exploitation sociales18. »
Ce continuum doit d’abord se lire comme une opération de traduction de la production postcoloniale, singulièrement de l’ouvrage de L’indigène à l’immigré (Gallimard, 1998) de Pascal Blanchard, à vocation vulgarisatrice, qui ramasse toute une série de propositions issues de la production scientifique postcoloniale. Revenant sur les condamnations qui pleuvent sur cet appel qui recueille environ 1200 signatures, Sadri Khiari cite d’ailleurs longuement Pascal Blanchard19. Les effets politiques de cette traduction sont doubles. L’invention de cette nouvelle figure rend sinon caduque, tout du moins obsolète la rhétorique de SOS racisme ou des marches des immigrés des décennies 1980-1990, affirmant que la question sociale ne saurait à elle seule recouvrir l’ensemble des torts portés à l’indigène, autorisant l’irruption du critère de l’ethnicité dans la prise en compte des logiques d’oppressions et d’exploitations. Une identité nouvelle se définit et marque son autonomie historique et contemporaine vis-à-vis du champ politique, un nous s’affirme, dont la subjectivité se donne dans une filiation historique et ethnique :
« En employant le terme d’« indigène », une catégorie juridico-administrative stigmatisante produite par la République pour désigner l’ensemble des populations colonisées de son empire, ainsi que leur assujettissement, nous ne revendiquons pas d’autre communauté que celle qui subit, reconnaît et critique activement l’intériorisation de certaines normes coloniales par le pays dans lequel nous vivons20. »
Dans son mode d’apparition, l’Appel des Indigènes est profondément politique au sens des thèses sur le politique de Jacques Rancière21 : il manifeste de manière intempestive à l’extrême gauche la part des sans parts, bouleversant les coordonnés du champ tout en se maintenant aux bords de celui-ci. Le politique de l’Appel tient également, par delà le retournement d’une figure historique stigmatisée, à ce qu’il modifie de la vulgate émancipatrice prégnante dans l’horizon de l’extrême gauche : au social s’ajoute une dose d’ethnicité le tout dans l’horizon d’une république coloniale. La théorie postcoloniale rend possible ce nouage, autorisant l’impératif d’une « stratégie décoloniale » dans Race et capitalisme. Dans l’intervalle, le Mouvement des Indigènes de la République, né de l’Appel, donna naissance au Parti des Indigènes de la République (2010).
Dans une perspective plus ample, cette transformation participe des mutations du champ politique français par la problématique identitaire : ethnicisation croissante du discours politique par l’UMP naguère au gouvernement, Ministère de l’Identité nationale pérenne durant la présidence de Nicolas Sarkozy, enracinement durable du Front national, développement à l’extrême droite des Identitaires… En regard de l’Appel, la transformation du MIR en PIR, vaut sans doute rétrécissement de son assiette militante. Cette transformation peut se lire comme l’un des possibles de l’autonomie prônée dès l’Appel, possible qui dans les termes de l’analyse de Jacques Rancière participe d’une tension du politique vers la police. Contre la logique du politique, la logique de la police suppose l’ordonnancement de la communauté politique en lieux, places et fonctions à assumer. Il sera donc question de frontières qu’éclaire en partie la production éditoriale du PIR.
Sadri Khiari ouvre ainsi sa conclusion à Race et capitalisme :
« Parler de question raciale en France, c’est affirmer que le champ politique français est le lieu d’une lutte pour le pouvoir entre races22 »
L’abrupt du propos informe la trajectoire du MIR au PIR, pose la question raciale comme clé du politique et fixe comme objectif au PIR l’exercice d’un pouvoir politique indigène antithétique du pouvoir blanc. La dialectique qui l’anime se construit dans un rapport étroit au répertoire postcolonial décliné par une part de la gauche scientifique radicale étatsunienne et canadienne23 : subalternité, luttes de libération, la race décliné comme un système de relations sociales et ethniques… L’application de ce répertoire au vif des configurations françaises pose la question des alliances24 et l’impératif de la clôture ; son efficace se tisse aussi en grande partie par le recours à la figure de la République impériale, ou coloniale, thématique d’abord anglo-saxonne avant son acclimatation hexagonale par le succès de la République coloniale de Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Françoise Vergès25. L’usage directement politique de cette grille de lecture implique de casser l’articulation qui pré-existait à 2005 entre recherche et engagement citoyen, puisque ce dernier ne peut-être que leurre dans un système républicain tout entier structuré par le racisme dans un continuum colonisation/postcolonisation. C’est en ce sens qu’il faut entendre l’édification de la « frontière BBF » par Houria Boutteldja, porte-parole du PIR, au centre de recherche de Coimbra, à Lisbonne, le 19 mars 2011 :
« J’ai vu se dresser progressivement devant nous [Le PIR, nda] ce que j’appellerais symboliquement la Frontière BBF, du nom de « Benbassa », « Blanchard », « Fassin(s)) », trois intellectuels blancs, reconnus et médiatiques (Cette frontière ne se réduit évidemment pas à ces trois acteurs. J’aurais pu en rajouter d’autres comme Geisser, Stora, Lacoste et bien d’autres mais ceux que j’ai cités précédemment me paraissent emblématiques) qui se sont emparés du terrain postcolonial et sur lequel ils font autorité. Une frontière qui a permis de rendre la problématique postcoloniale et raciale respectable aux yeux du champ politique blanc. Désormais, c’est eux qui vont représenter le pôle de radicalité sur cette question. Une frontière au-delà de laquelle la radicalité devient extrémisme. De l’autre côté, il y a pêle-mêle le sectarisme, l’extrémisme, le revanchardisme… Cette frontière n’a pas été tracée par des ennemis. Objectivement, ces chercheurs et intellectuels militants font avancer et respecter la question raciale et postcoloniale dans les milieux de gauche, des universités et des médias. L’engagement et la sincérité de certains d’entre eux (pas tous) n’est même pas vraiment en cause. Ils poussent les frontières du débat et radicalisent la pensée de gauche, l’encanaillent parfois. La parole blanche étant plus audible et plus respectée que la nôtre, nous en prenons pragmatiquement notre parti. (…). C’est là que se trouve le PIR, involontairement. Et volontairement surtout26. »
Ce long extrait pour revenir in fine à la distinction logique du politique/logique de police. L’intempestif de l’Appel des indigènes, politique, cède la place à un dispositif de police où des places s’assignent et une articulation se distend, sinon s’abolit, dont la campagne du NPA aux régionales en 2010 témoigne. La distinction d’Houria Bouteldja entre radicalité et extrémisme signifie implicitement une frontière : à la suivre, la radicalité participe du système partisan ordinaire de la République quand l’extrémisme l’excède, constitue un en-dehors27 ; la radicalité serait intellectuelle et citoyenne, l’extrémisme militant. Il y a dans cette proposition à la fois le refus du système partisan républicain (intrinsèquement raciste pour le PIR) et l’horizon d’une reconfiguration du champ politique par le paradigme racial et religieux (la figure de l’islam). La question des quartiers, tangentielle tant à la fondation du NPA que celle du PIR, est le lieu géométrique de ces tensions ; elle contient toute l’ambiguïté d’un recours au concept de race pensé comme système et formation sociale durables par emprunt aux postcolonial studies mais donné également comme idéologie appliquée au vif du champ politique de l’extrême gauche.
Une inquiétante étrangeté ?
Pour conclure revenir au propos initial, l’inquiétante étrangeté de ce surgissement, non de la problématique postcoloniale, ni même de la question posée par l’appel des Indigènes, mais bien davantage des productions textuelles du PIR dont cette livraison des Cahiers de l’émancipation, comme le recours au site des Indigènes de la République (http://www.indigenes-republique.fr/), constituent autant de fenêtres. « L’inquiétante étrangeté est cette variété particulière de l’effrayant qui remonte au depuis longtemps connu, au depuis longtemps familier28 ». Appliquée à notre propos, la citation enracine les questions soulevées par le paradigme racial tel que théorisé par le PIR dans l’extrême gauche. Il s’agit là de questionner ce depuis ‘‘longtemps familier’’.
Cette familiarité est d’abord celle d’un lexique commun qui, dans un cas, construit l’abord de la question sociale et se retourne, au titre du paradigme de la race dans le second cas. Cette proximité était d’autant plus forte dans le cas du processus de subjectivation de l’Appel fondant un mouvement (2005-2010), elle s’estompe au fur et à mesure de la construction programmatique du PIR. Sadri Khiari ne dit rien d’autre, concluant ainsi son propos de Race et capitalisme :
« Penser un programme « décolonial » procède d’une démarche similaire puisqu’il faudra consacrer la division raciale pour abolir les hiérarchies raciales qui produisent les races, conserver la nation pour dépasser la nation une et homogène, conserver la laïcité pour dépasser la séparation bourgeoise entre le politique et le spirituel, étreindre la citoyenneté individuelle pour faire éclore une citoyenneté qui soit à la fois individuelle et collective, sociale et culturelle, emprunter le chemin de l’émancipation tout en lui opposant nos propres voies de libération, et pour commencer, forcer les barrières de l’espace politique blanc pour faire émerger l’espace indigène indépendant.
D’un côté comme de l’autre, il faudra savoir heurter et renoncer à une part de soi-même. Mais dans cette équation, il est bon de prévenir que les Blancs auront beaucoup plus à perdre. Ils perdront le pouvoir (p. 169-170) ».
La logique du propos emprunte à la rhétorique marxiste en substituant à la classe, la « race », pour parvenir à abolir les distinctions raciales. L’étrangeté du propos n’est pas alors qu’il soit le fait d’« indigènes » au terme d’un processus de subjectivation mais bien ce déplacement où mute l’ensemble des propositions clés de l’extrême gauche, au premier chef l’émancipation.