La publication en édition de poche de cette étude parue en 1986 est une excellente initiative. En effet, le livre de ce militant de la LCR, ainsi que le rappelle la quatrième de couverture, figure dans le « peloton de tête » des meilleurs ouvrages disponibles sur le Front Populaire (voir l’article de Vincent Chambarlhac, « Le Front populaire. Remarques bibliographiques autour d’une commémoration » sur notre site). Il s’agit de la réédition à l’identique de l’original, car l’auteur est mort entre temps (29 juillet 1999). La thèse de Jacques Kergoat n’est pas nouvelle, en ce sens que l’auteur reprend celle du courant trotskyste, à savoir que l’expérience du Front populaire tourna le dos à la perspective révolutionnaire, alors que la période l’était. Trotsky lui-même et quelques autres après lui (en particulier Daniel Guérin) ont déjà conduits la démonstration. Ce n’est donc pas sur cet aspect que le livre est précieux, mais sur l’extraordinaire matériau accumulé pour expliciter cette thèse.
En effet, si Kergoat concentre une grande partie de son attention aux partis centraux, PCF en premier lieu, SFIO ensuite et, dans une moindre mesure, Parti radical, il n’omet nullement des courants nettement moins connus. Ainsi, la CFTC, les Auberges de jeunesses, la JOC, les minorités révolutionnaires font l’objet de développements d’une grande pertinence. Si la dimension politique est centrale dans le propos, Kergoat n’oublie pas de prendre en compte d’autres dimensions de la période : Ainsi le mouvement culturel fait l’objet d’un chapitre complet. De même, si son attention au mouvement gréviste est décisive, il ne néglige pas les mouvements ruraux, agissant pour partie en sens inverse, tout comme la centralité du mouvement parisien s’accompagne de nombreux aperçus sur les principales villes de province.
La documentation rassemblée se montre fort originale et pour une bonne partie inédite. Elle lui permet de dresser un portrait fort convaincant de cette France du Front populaire, qui ne délaisse aucune des grandes dimensions de ce mouvement populaire. Un livre à (re)découvrir à l’occasion de ce soixante-dixième anniversaire.