Thomas Bouchet, Noms d'oiseaux. L'insulte en politique de la Restauration à nos jours, Paris, Stock, 2010, 303 p.

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Patiemment, Thomas Bouchet poursuit son projet d'écriture d'une histoire sonore du Parlement, entamée avec Un jeudi à l'Assemblée (Nota Bene, 2007). Le lire nécessite de « tendre l'oreille », à tel point que l'image se fait son pour que chez Daumier, « les corps parlent » (p 39). L'insistance produite sur le bruit parcourt l'ensemble des pages. La lecture, toute silencieuse fut-elle, s'accompagne ainsi du sentiment d'une cacophonie diffuse sur laquelle se découpent quelques situations où volèrent les noms d'oiseaux. Un tohu-bohu parlementaire donc, où l'on suppose les claquements de pupitres, les vociférations à droite, les mouvements à gauche. Ou vice-versa. De la Restauration à nos jours.

S'il se parcourt d'une traite par l'effet d'une plume alerte, ce livre ressort peu pourtant au florilège savoureux mais anecdotique. Le pouvoir de l'insulte résulte moins du mot -si imagé soit-il- et davantage de la situation dans laquelle l'insulte se profère. Ces situations forment autant de chapitres du livre, permettant une première saisie des mécanismes de l'insulte1. La violence s'impose dans chacune des situations évoquées. Etymologiquement, insulter c'est sauter sur . L'insulte peut également être courtoise, comme dans le chapitre inaugural consacré à la Restauration (1823). Pour la droite alors, l'insulte provient du terme « formes nouvelles » utilisé par le Député Manuel qui sonne, en ces temps d'amnésie restauratrice, comme le fâcheux rappel de la Révolution. D'emblée le lecteur perçoit l'abime entre ses représentations de l'insulte et ce qui, de facto , constituent le ressenti de tout ou partie des parlementaires. Il y a là la manifestation d'un entre-soi parlementaire pour l'ensemble de la période, bien que l'approfondissement démocratique par le suffrage universel favorise la bigarrure sociale des députés, le heurt de lexiques opposés. L'insulte serait là l'effet d'une brisure dans l'ordre du tacitement dicible à l'Assemblée. Elle n'est pas pour autant lapsus ; nombre de situations évoquées par Thomas Bouchet montrent que l'insulte est politiquement construite, pensée, instruite. Par celui qui la profère, par celui (ceux) qui la reçoit. L'une des hypothèses fortes de l'auteur tient au lien tissé entre la force des situations d'insulte et la place de l'Assemblée dans la vie politique : quand le pouvoir législatif devient second devant l'exécutif, l'insulte s'affadit irrémédiablement. La Ve République s'éternisant, on pourrait conclure à une forme de civilisation des mœurs parlementaires hors la résurgence de quelques fibres bonapartistes et surannées chez Dominique de Villepin ( Beaucoup de bruit pour rien , p 253-271) ; Thomas Bouchet douche cet optimisme trempé dans les analyses de Norbert Elias, indiquant que l'insulte en politique dans le cadre de l'Assemblée vaut indice du parlementarisme du régime. Abaissement de l'Assemblée donc, s'interroge en conclusion l'auteur ?

L'insulte a partie liée à l'honneur au XIXe siècle, elle peut ainsi mener au duel (Clemenceau). Cette dimension s'effiloche au XXe siècle, jusqu'à apparaître désuète, hors de propos, lors du dernier duel dont Gaston Deferre fut l'un des protagonistes. Cette progressive démonétisation induit un processus similaire certains noms d'oiseaux, au premier chef l'épithète de lâche . Volontairement injurieux et dépréciatif naguère, lorsqu'il se jetait à la face de Jaurès, il est aujourd'hui saugrenu dans la bouche de D. Villepin, asséné à François Hollande. Cette progressive décantation de nombre de noms d'oiseaux jalonne une évolution perceptible où le genre, peu à peu, paraît. L'un des premiers a essuyé l'insulte sous les auspices du genre est Léon Blum ; l'auteur Du mariage , aux propositions résolument modernes, aimante des adjectifs propres au travestissement, quand ce n'est pas sa condition de juif qui arme les flèches d'extrême-droite, ici Xavier Vallat. Le critère du genre opère également quand les femmes entrent au gouvernement (Front populaire), deviennent député. Le chapitre consacré à Simone Veil, comme les occurrences des débats du PACS dans le corps de la démonstration, montre que l'insulte procède également d'un entre-soi masculin des parlementaires. Et l'auteur de mesurer à nouveau, mais à l'aune du genre, les effets de l'approfondissement démocratique sur le corps législatif. L'insulte constitue donc une clé d'entrée nouvelle pour entrer dans une histoire sociale, culturelle, du Parlement à suivre Thomas Bouchet. L'évolution qu'il conte en de courts chapitres de la Restauration à nos jours étalonne également la rupture que constitue la naissance du parti moderne. Individuelle au XIXe siècle, l'insulte procède davantage de l'assaut verbal au XXe siècle. Elle manifeste à l'Assemblée une stratégie partidaire opératoire dans d'autres champs, médiatiques notamment. En 1922 avec Poincarré la guerre , puis en 1947, le PCF illustre les modalités de l'assaut verbal. L'insulte serait là une manière d'entreprendre la société par le parti ; Thomas Bouchet souligne alors implicitement les limites du cadre parlementaire de son analyse pour circonscrire ces stratégies et leur gain politique. L'épisode de 1947, bien mis en page au cœur de l'ouvrage (p 191-193), représente sans doute la pointe paroxystique de ces modalités de l'assaut verbal. La mise en page sert là l'écriture dans ce qu'elle entend transmettre comme horizon de l'analyse : le bruit, le chaos, d'une journée parlementaire.

Le compte-rendu s'achève là. Invitation à une lecture plurielle donc. Celle du curieux des mœurs parlementaires, celle de l'historien qui trouvera ici une réflexion sur la méthode (quelles sources convoquées pour restituer une atmosphère sonore ?), et la pratique de l'histoire culturelle du politique.

Notes

1 L'ouvrage s'appuie sur un travail collectif, cf. Thomas Bouchet, Matthew Leggett, Geneviève Verdo, L'Insulte (en) politique, Europe et Amérique latine, du XIX e siècle à nos jours , Dijon, EUD, 2005. Il s'agit de l'édition des actes du colloque international de Dijon. Un site poursuit une réflexion sur l'insulte. Tous deux débordent le cadre parlementaire stricto sensu. Retour au texte

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Vincent Chambarlhac, « Thomas Bouchet, Noms d'oiseaux. L'insulte en politique de la Restauration à nos jours, Paris, Stock, 2010, 303 p. », Dissidences [En ligne], Histoires, Historiographies, publié le 06 décembre 2012 et consulté le 21 novembre 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=581

Auteur

Vincent Chambarlhac

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