Jean-Claude Milner, L'arrogance du présent. Regards sur une décennie, 1965-1975 , Paris, Grasset, 2009, 252 p. (Figures).

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Intellectuels, Maoïsme

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Publié dans la collection que dirige Bernard-Henri Lévy, autre intellectuel revenu du maoïsme, l'essai de Jean-Claude Milner se veut tentative de réflexion sur une période du passé proche, mais sur un mode en partie impressionniste. Le choix des dates butoirs du titre semble ainsi tenir davantage de leur simplicité mathématique que d'une périodisation fine (l'auteur parle lui-même de « repères flous qui ne servent qu'à fixer l'attention », p. 7). Il en est d'ailleurs globalement de même avec le terme de « gauchisme »1.

Bien qu'ayant été lui-même membre de la Gauche prolétarienne (GP) de l'hiver 68 à l'été 71, participant à la rédaction de La cause du peuple , Jean-Claude Milner se refuse à l'exercice de l'autobiographie, ne laissant filtrer que quelques éléments assez généraux sur son itinéraire. Il justifie surtout son évolution, estimant que l'extrême gauche est une « éternelle nuit des morts-vivants » (p. 24). Son analyse s'articule autour de quelques axes déterminants : la petite bourgeoisie intellectuelle joua un rôle prédominant en Mai 68 ; ce dernier est un fait spécifiquement français, loin d'être mondial ; il a vu le dépassement du dilemme politique récurent entre actifs et passifs, au profit d'une sortie de la politique. À la suite de ce tournant, la GP est, selon lui, la seule organisation à avoir tenté de s'adapter à Mai « sans se perdre » , guidée par une « passion de ne pas durer » , aboutissant à ce que le seul gauchisme véritablement intéressant soit… le sien.

La GP a ainsi refusé le basculement dans la lutte armée par le choix d'une vision de la guerre civile rejetant la mort et le trafic d'armes, donc la compromission ; elle s'est efforcée de marier goût léniniste du petit nombre et recherche des foules ; elle a également perçu au moins en partie le mythe de la classe ouvrière, ce qui expliquerait sa référence à la Résistance plutôt qu'au Front populaire (mais quid de l'utilisation de cette même référence par d'autres organisations maoïstes a priori éloignées du positionnement singulier de la GP  ?). Jean-Claude Milner souligne bien au passage l'identification entre la GP et Benny Lévy, mais estime que ce recours au vocabulaire du nazisme et de l'occupation est une façon de dissimuler le nom juif, « la seule vraie question touchant la Gauche prolétarienne » (sic, p. 187). Jean-Claude Milner aboutit ainsi à la centralité de l'identité juive, par le biais d'un triangle artificiel Linhart – Goldman – Lévy dont la GP serait le centre géométrique ; ce faisant, il inscrit son essai dans la lignée d'un autre de ses livres, Le juif de savoir , tant pour lui « le juif révolutionnaire [marxiste] est un des avatars du juif de savoir » (p. 198), une thèse que l'on nous permettra de trouver en l'état pour le moins insatisfaisante et réductrice.

Attaché à l'importance de la langue et de ce qu'elle peut contenir d'équivoque ou d'ambivalent, sous la forme d'une écriture qui se plaît à elle-même, Jean-Claude Milner délivre des réflexions parfois très convaincantes (la cérémonie de 1981 au Panthéon vue comme clôture de la séquence ouverte en 68, ou la déconstruction postérieure par l'Etat d'un système éducatif ayant abouti à Mai), souvent audacieuses ( Le nom de la rose lu comme condamnation des gauchismes post 68), voire carrément discutables (la naissance du maoïsme en France vue à travers le travail d'Althusser sur Marx, permettant la mise en sommeil du compagnonnage de route). Elles demeurent généralement suspendues dans l'idéologie de par l'absence de références précises, et on y devine comme des reflets du post modernisme.

Notes

1 « Pour restituer les parcours de tels mots [gauchisme et gauchistes], il faut se plonger dans les annales des partis et des groupes révolutionnaires ; il y a peu de choses qui soient plus ennuyeuses et plus stériles » (sic), p. 93. Retour au texte

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Référence électronique

Jean-Guillaume Lanuque, « Jean-Claude Milner, L'arrogance du présent. Regards sur une décennie, 1965-1975 , Paris, Grasset, 2009, 252 p. (Figures). », Dissidences [En ligne], Communisme français, publié le 20 septembre 2012 et consulté le 28 mars 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=473

Auteur

Jean-Guillaume Lanuque

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