Pierre Juquin, De battre mon cœur n'a jamais cessé. Mémoires, Paris, Archipel, 2006, 583 p.

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Communisme, Dissidences

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Ce livre de l'ancien dirigeant communiste aurait pu s'appeler Autocritques , si le même Juquin n'avait déjà utilisé ce titre en 1987 pour un de ses précédents ouvrages. Ce nouvel opus est passionnant à lire à plus d'un titre. Tout d'abord parce que Juquin écrit bien. Loin de ces livres vaguement dictés à un auditeur complaisant puis mis en forme par ce dernier, le texte de Juquin possède le corps et l'ampleur d'une bonne plume. Ensuite, parce que, Pierre Juquin fut des décennies durant un des dirigeants majeurs du Parti communiste français, membre de son CC, de son Bureau Politique, de nombreuses instances, en particulier avec des responsabilités en lien avec les pays de l'Est, au premier chef de l'ex-RDA. Juquin, en effet, agrégé d'allemand (il raconte d'ailleurs avec humour comment souhaitant préparer l'agrégation de philosophie, l'ENS envisageant pour lui celle d'histoire, le compromis tomba sur celle d'allemand) a suivi de très près l'évolution politique de ce pays du fait de ses compétences linguistiques. A travers son témoignage très vivant et parfaitement documenté du fait de ses multiples expériences, il nous offre une vision de l'intérieur des couches bureaucratiques dominantes des anciens pays de l'Est. Il se demande d'ailleurs (et nous aussi, tant la rupture sera tardive) comment ce système put fonctionner, tant l'incompétence, l'absence de sensibilité populaire, l'inculture, le cynisme et autres aspects négatifs y prédominaient. Une seule illustration du climat qui règne : alors que la censure est féroce en RDA, les membres du BP y visionnent tous les films soumis à la censure : «  Un jour, le responsable de la censure, Kurt Hager (…) se fera projeter quatre ou cinq fois Le dernier Tango à Paris, avant de l'interdire à ses concitoyens  », p. 133. A raison de notes multiples et fréquentes, Juquin fait comprendre l'imposture et la pourriture profonde du socialisme « réellement existant » au fil de son récit. Il consacre également de longues et passionnantes pages à la formation du cadre thorézien, proche collaborateur de Thorez qu'il fut. Cette connaissance intime du haut appareil communiste lui permet de dresser d'intéressants portraits de nombreux dirigeants (Kanapa, Marchais, ou encore Aragon). Passionnants, quoique parfois un peu trop détaillés sont également les chapitres consacrés à aux tractations avec le PS sur la construction de l'Union de la Gauche, dont il fut un des principaux négociateurs du côté PCF. Il livre d'ailleurs des extraits verbatim de ces nombreuses séquences qui permettent de suivre au plus près la logique communiste dans cette affaire, d'où finalement il sortira vaincu. A partir du milieu des années 80, avec tout un courant du PC (les rénovateurs), Juquin rentre en dissidence face à la glaciation du Parti, son déclin accéléré, élection après élection, mais aussi au délitement marqué du bloc de l'Est (on lira ses réactions face au coup d'Etat de Jaruselski en 81 ou la campagne contre l'installation des SS 20). On peut d'ailleurs regretter que cette période soit traitée de manière nettement moins détaillée et systématique que d'autres. Par exemple, sur sa candidature à la présidentielle 1988, on apprend assez peu de choses sur la dynamique enclenchée et encore moins sur l'échec subi. Il fait malgré tout de beaux portraits de Maurice Najman, le « pabliste », et de René Dumont, « prophète et pionnier de l'écologie ». De son évolution politique ultérieure, il ne présente que des fragments. Après un passage express chez les Verts, il préside le mouvement Agir de Martine Aubry, soutient Jospin à la présidentielle 95 puis Hue en 2002. Il conclut ses très riches mémoires en se présentant comme un humaniste bon teint, soucieux de marier l'écologie et le socialisme.

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Georges Ubbiali, « Pierre Juquin, De battre mon cœur n'a jamais cessé. Mémoires, Paris, Archipel, 2006, 583 p. », Dissidences [En ligne], Communisme français, publié le 04 septembre 2012 et consulté le 29 mars 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=460

Auteur

Georges Ubbiali

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