Victor Serge, Les années sans pardon, Marseille, Agone, 2011, 334 p.

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Mots-clés

Communisme, Anarchisme, Roman

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Après avoir publié en 2010 Retour à l’Ouest (voir la chronique dans ce numéro) et annonçant déjà la prochaine publication des Carnets, les éditions Agone nous offrent le dernier roman de Victor Serge concluant le « cycle de la résistance » : Les années sans pardon.

De l’avant-guerre en France au Mexique en 1945, en passant par l’URSS et l’Allemagne en guerre, nous suivons le parcours de quelques personnages, pris dans le double chaos du conflit et de la Révolution fourvoyée. Dès les premières pages, le lecteur est capté par cette ambiance inquiétante dont il paraît toujours plus difficile de départager ce qui tient de la peur et de la paranoïa de ce qui tient d’une réalité implacable. Mais ce sont certainement les chapitres, apocalyptiques, situés dans Leningrad et l’Allemagne en guerre qui sont les plus puissants, les plus prenant. Tableaux évocateurs, traversés de personnages secondaires – Klim, Brigitte, Moins-Deux, … – particulièrement fouillés et importants. Participent également de la qualité de l’écriture de Serge, ces apartés, ces parenthèses – du personnage, de l’auteur ou du lecteur ; des trois à la fois ? – qui marquent comme autant de retours, critiques et ironiques, sur ce qui est vu et pensé : (« Qu’as-tu, Moins-Deux, à te souvenir de la Forêt-Noire en t’essoufflant sur des gravats ? Par ici, ça pue plutôt, et bien sûr une famille de réfugiés dort là-dessous, si ça peut s’appeler dormir, si ce n’est pas plutôt pourrir… » (p. 209)). Par ailleurs, même dans les moments les plus sombres, il y a ces pointes d’humour noir, comme la comparaison malicieuse des romans et de la littérature dirigée, qui « vaut mieux que l’autre, ses enfants sont plus saints » (p. 147) ou lors de la présentation de Klim :

« Sous-lieutenant Klimentii Gavrilovitch Rybakov, vingt-trois ans, dix-huit mois au front, trois blessures, trois fois cité, ex-aspirant pédagogue, foncièrement optimiste, mais sceptique quant à la nature humaine.
– Moi, reprit Daria, optimiste quant à la nature humaine, mais à très longue échéance… » (p. 115).

Enfin, l’originalité de ce roman dans l’œuvre de Serge est, comme le mentionne la préface des éditeurs, que le personnage central, Daria, soit une femme (voir à ce propos la préface de Susan Sontag à L’affaire Toulaév, Zones, 2009 – chroniqué dans ce numéro).

Bien sûr, l’écriture romanesque de Serge est en correspondance avec son analyse politique, et constitue une autre voie, une autre manière de poursuivre le combat. Dans ce roman également, se retrouvent donc la volonté de maintenir la mémoire des Vaincus, de rappeler inlassablement les enjeux de la lutte, de rechercher les ressorts d’un art, qui soit aussi politique sans cesser jamais d’être « artistique ». Incidemment, ce livre donne la posture originale du Serge écrivain politique, à la fois contre le faux héroïsme du réalisme socialiste (notamment p. 148) et de la littérature dirigée, et contre le faux désespoir de l’existentialisme : « Je n’aime pas les fabrications littéraires en vogue ; elles se nourrissent souvent de bassesse en cultivant un faux désespoir. Le vrai désespoir dédaignerait les droits d’auteur. Pourquoi écrire, pourquoi lire, si ce n’est pour donner, trouver une image élargie de la vie, une image de l’homme creusée jusqu’aux problèmes qui font sa grandeur ? » (p. 299).

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Référence électronique

Frédéric Thomas, « Victor Serge, Les années sans pardon, Marseille, Agone, 2011, 334 p. », Dissidences [En ligne], 3 | 2012, publié le 01 mars 2012 et consulté le 29 mars 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=256

Auteur

Frédéric Thomas

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