Ce recueil d’articles et de lettres écrit entre 1938 et 1945 (dont plusieurs textes ont déjà été publiés dans le recueil d’Agone, Retour à l’Ouest), présenté par Jean Rière, traite spécifiquement de l’antisémitisme. Il montre la vigilance et l’attention de Victor Serge à ce fléau. Certes, certaines affirmations – la référence à un « nouveau moyen âge », l’absence (en 1939) d’antisémitisme au sein du stalinisme, et la survalorisation de la résistance française et allemande à l’antisémitisme – sont problématiques et discutables, mais dans l’ensemble, ces pages témoignent d’une réflexion peu commune alors parmi les marxistes et les communistes. Cela a permis entre autre à Victor Serge d’écrire un avertissement malheureusement prémonitoire – « Si le IIIe Reich poursuit jusqu’au bout son entreprise, le jour viendra bientôt où le problème de la subsistance même des Juifs dépossédés se posera devant ses gouvernants » (p. 47) – et de reconnaître la nouveauté « de l’extermination totale d’une population sans défense » (p. 82).
Comme l’écrit Rière, les lettres à Wullens (son ancien ami et directeur de la revue Les Humbles) constituent « l’âme de ce recueil » (p. 13). D’une part, elles éclairent les ambiguïtés, revirements, fourvoiements et « l’obscurcissement des consciences », en mettant en avant la défaite comme facteur de démoralisation et de « dérèglement d’esprit » (p. 73). D’autre part, elles exposent l’attitude de Victor Serge, le principe éthique qui le guide – et qui reste d’actualité : refuser d’offrir une tribune à l’antisémitisme, le combattre, ne pas céder à la démoralisation, mais au contraire, préserver son sang-froid et sa lucidité : « Nous ne servirons l’avenir, nous ne ferons un jour l’avenir que si nous réussissons à demeurer plus lucides, plus fermes, plus humains que l’ennemi » (p. 74).