Comme celui de Philippe Raynaud (chroniqué sur notre site www.dissidences.net ), ce nouveau livre de Christophe Bourseiller, auréolé de son récent statut d'enseignant à Sciences politiques, répond à une actualité politique de plus en plus dominée par les prochaines élections présidentielles et la possibilité pour l'extrême gauche d'y jouer un rôle d'arbitre. Plutôt que d'une nouvelle étude, il s'agit en fait d'entretiens réalisés avec Bertrand Richard, entretiens qui donnent furieusement l'impression d'avoir été préparés sans grande spontanéité.
C. Bourseiller, après être revenu sur son itinéraire personnel, aborde l'analyse générale de l'extrême gauche française, soulignant à juste titre l'attraction d'une partie d'entre-elle pour une politique réformiste, dans le cadre toutefois bien ciblé d'une pratique syndicale ou du travail d'élus. Il énonce cependant des conclusions pour le moins discutables, comme lorsqu'il date « la véritable remontée d'influence (…) » de l'extrême gauche de 1989 et de la chute du Mur de Berlin, tant l'impact de ce dernier événement a été contrasté plusieurs années durant. De même, si sa coupure entre « modernistes et invariants » possède une certaine pertinence, elle ne constitue pas une grille d'analyse suffisante, en particulier au sein de la LCR pour laquelle cette dichotomie n'est pas aussi tranchée et peut même se trouver articulée au sein même de bien des militants.
Enfin, sa distinction entre « extrême gauche », assumant un rôle d'éclaireur, et « gauche de la gauche », désireuse d'un retour « aux fondamentaux de leurs partis respectifs » (p. 27), PS ou PCF, manque de clarté et de totalisation. Osons une typologie alternative. Si l'on nomme « extrême gauche » l'ensemble des courants qui souhaitent un changement révolutionnaire, on peut la diviser en deux groupes : les « ultra gauches » (débarrassés de toute connotation péjorative), soucieuses de leur identité propre et irréductible (les maoïstes, certains trotskystes et libertaires, les communistes de gauche) d'une part, et la « gauche radicale », c'est-à-dire tous ceux (d'autres membres des familles trotskystes et libertaires) qui sont attachés à la connexion avec des secteurs de la gauche traditionnelle, réformiste (PCF, une partie du PS, voire des Verts). Dans cette optique, la « gauche de la gauche » désignerait simplement, alors, l'ensemble de ces secteurs et la « gauche radicale » déjà citée, susceptibles de collaborer ensemble à certains moments. La discussion mérite d'être lancée, d'autant que Christophe Bourseiller, sans doute échaudé par les diverses réactions négatives auxquelles il eut à faire face par le passé, l'appelle lui-même de ses vœux en conclusion (p.105).
Plus généralement, si certains de ses développements constituent d'utiles vulgarisations, comme sur l'altermondialisme, les erreurs ou les simplifications ne manquent malheureusement pas. Citons, entre autres, des effectifs actuels de Lutte ouvrière certainement surévalués (8 000 militants ! p. 47), et un raccourci sur les origines de l'organisation, sans discontinuité apparente depuis 1939 ; des confusions sur la « grande scission » de 1952 et sur la notion de centralisme démocratique, partagée, contrairement à ce qu'il dit (p. 50), par les trois principales organisations trotskystes, mais interprétée différemment ; des conclusions exagérées, comme pour la « remise en question de l'internationalisme » au Parti des travailleurs ; des analyses manquant singulièrement de nuance, ainsi lorsqu'il affirme que « nous sommes face à des organisations qui parient sur la violence et le coup de force, au détriment de la voie électorale » (p. 55), négligeant a priori des scénarios révolutionnaires plus complexes…
Dans la troisième partie, sur l'extrême gauche comme laboratoire d'idées, et la quatrième consacrée à l'avenir et la postérité des extrêmes gauches, ces défauts sont moins présents. C. Bourseiller y accorde plus de crédit, outre aux altermondialistes, à une partie des communistes de gauche (Pannekoek, Lefort, ou Debord et l'Internationale situationniste) qu'aux trotskystes, du fait de la supposée réconciliation qu'ils opèrent entre l'individu et le collectif, même si leurs limites sont soulignées. Il reste que cet ouvrage manque en partie son objectif, de par ses erreurs et ses manques (peu de choses sur l'anarchisme, encore moins sur le maoïsme), peut-être d'ailleurs du fait de son absence de réconciliation entre l'individu et le collectif d'une équipe de recherche !
PS : un mot sur le prix de ce petit opuscule, car avec 17 euros de demandé pour une centaine de pages, Textuel semble attendre trop de son lectorat potentiel