Interpréter la locution plantae pinaudi dans une charte de 1183

  • Interpreting the phrase plantae pinaudi used in a Loire Valley charter in 1183

DOI : 10.58335/crescentis.1445

Résumés

Une charte de 1183 mentionne des plantae pinaudi, dont la traduction est délicate. Il est proposé de voir dans cette locution non pas des variétés de vignes, pinot bourguignon ou pineau ligérien, mais les vignes d’un dénommé Pinaud.

In 1183, a charter from Berry, in the center of France, mentions some plantae pinaudi ; the meaning of this latin phrase has long been disputed. It is suggested not to see in this phrase some vine grapes like burgundian pinots ou ligerian pineaux (Chenin) as they appear later but the vineyard of someone named Pinaud.

Plan

Notes de l’auteur

Le présent article est une actualisation du document de travail intitulé Les graphies Pinot et Pineau, tout particulièrement de la section 3.2 co-rédigée avec Monique Bourin, avec le concours de Samuel Leturcq et de Monique Goulet (Galinié 2015).

Texte

Les premières occurrences de noms susceptibles d’être identifiées avec l’actuel cépage « Pinot » probablement dans sa seule forme noire, datent pour l’heure du xive siècle, quoique les travaux les plus récents fassent apparaître des documents qui peu à peu conduisent à remonter le temps (Grillon, Garcia, Labbé 2019). Par ailleurs, pour les ampélographes contemporains, tout particulièrement les généticiens, « Pinot » fait partie des cépages anciens (Lacombe 2012, Annexe D), ceux qui sont susceptibles d’être présents depuis très longtemps en France dans la vigne cultivée à des fins commerciales. C’est pourquoi une mention de 1183 intéresse directement notre propos puisqu’elle contient la locution plantae pinaudi. Désignant un pinot, ces plantae pinaudi feraient gagner près de deux siècles à l’usage attesté du pinot au Moyen Âge. Isolée et ressortissant à un mode de désignation sans équivalent à son époque, la mention demeure d’interprétation délicate.

Cette mention, bien antérieure au xive siècle, se révèle, par sa forme, issue du langage parlé, la langue d’oïl et non de la langue savante, le latin. Elle fait à coup sûr apparaître la traduction forcée du mot pinaudus et peut-être même celle du mot planta, vocables issus de pinaud et de plantes. Cette mention sans équivalents a ouvert la porte à bien des conjectures et demande donc que soit correctement balisé le chemin qui va de ce qui est raisonnablement établi à ce qui est plus spéculatif.

Le document

La charte1 rapporte le règlement, par Hervé, seigneur de Vierzon, d’un contentieux entre les moniales de Beaumont-lès-Tours pour leur prieuré de Mennetou-sur-Cher2, et ses hommes à propos du tènement d’un collibert dénommé Martin du Breuil (« tenementum martini de brolio »). Pour résoudre le différend, Hervé, explique la notice, confirma les moniales dans leurs droits sur ce tènement ; en contrepartie, les saintes femmes abandonnèrent ou restituèrent à ses hommes, entre autres, (les) « plantae pinaudi » qui nous intéressent ainsi qu’un arpent et deux bosselées de terre… : « sanctae moniales… dimiserunt hominibus suis plantas pinaudi et unum aripennum et duas bossellatas terre… ». Les citations de cette brève mention ont jusqu’ici été données en français, sous la forme « Plantes de Pinaud », désignant un toponyme, notamment par H. Duchaussoy qui l’a fait connaître (1887, p. 292) et par P. Rézeau (1998, p. 189, 192 ; 2014, p. 287, 291) d’après les observations de A. Valois, consignées par Duchaussoy. Dans la bibliographie qui lui est postérieure, on voit l’hypothèse prudente de P. Rézeau (pinaud « peut-être » pour Pinot ou Pineau, sous chacun de ces vocables) se transformer subrepticement en certitude. Le contexte de la notice confirme l’interprétation topographique, sinon toponymique, retenue par Duchaussoy3 et reprise par Rézeau car il s’agit d’équivalences en possessions ou en droits fonciers. Les moniales ne s’acquittent pas de leurs exigences sur le tènement par le don de plants (ceps, boutures, marcottes). Elles le font par l’abandon de leurs prétentions sur un bien ou par une restitution de ce bien, à des conditions difficiles à élucider tant le texte est laconique et d’un énoncé peu classique. Ce problème peut ici être laissé pendant car il n’affecte pas directement la signification de plantae pinaudi.

Quel est l’objet de la restitution ?

  • que sont les plantae ? Des plants, des vignes, un clos de vignes, un plantier, voire d’autres végétaux ?
  • s’agit-il vraiment d’un toponyme ?
  • s’il s’agit d’un bien, une terre plantée de vignes, ce bien était-il planté à Pinaud (lieu-dit), de pinaud (variété de vitis vinifera) ou par un dénommé Pinaud ?

Examinons tour à tour pinaudus et planta.

Pinaudus

S’il s’agit d’un nom de raisin4, pinaudus utilisé au singulier est une forme sans équivalent. Quoique très rares, les exemples de désignation attestés dans le domaine ligérien aux xie et xiie siècles employaient une locution nominale (substantif + adjectif) : le substantif indique la permanence, par exemple vigne (ici plantae) et l’adjectif la particularité, « l’accident » : vigne blanche, bordelaise, chauchée…, souvent au pluriel : des vignes ou des ceps distingués de la masse des vignes à des fins particulières5. Le qualificatif était souvent un nom de lieu adjectivé comme les vineae burdigalenses (vignes bordelaises) ou les vites aurelianenses (vignes ou ceps orléanais), en référence aux lieux, souvent des villes, auxquels étaient rattachées les vignes (ou plutôt les vins), de près ou de loin6. Pour distinguer des vignes du lot, on attend plantae pinaudae, donc ici plantas pinaudas, et non plantas pinaudi. La formulation retenue en 1183 serait à la fois anachronique7 et sans postérité. Elle n’est donc pas intelligible au sens de variété cultivée, quelle que soit la signification ou le contexte retenus (clos, plantier, jeune vigne, crossette…), d’un raisin ou plant du nom de pinaud. Cette lecture de pinaudus doit être écartée.

Bien qu’elle ne soit pas entièrement satisfaisante, l’interprétation anthroponymique apparaît plus probable.

La question est alors de savoir si la proximité sémantique de pinaudus et du couple pinot-pineau résulte du hasard ou s’il s’agit d’un dé-onomastique lié à l’un des deux noms pinot ou pineau.

Une lecture anthroponymique de pinaudus est peu satisfaisante parce que les individus étaient alors désignés, comme le collibert8 Martin du Breuil, par leurs nom et surnom (Bourin, Chareille 2014). Le surnom Pinaudus devrait donc être précédé d’un nom. Pour autant, même en admettant qu’il s’agissait d’une désignation ancienne et simplifiée dans sa formulation car elle s’appliquait à un individu décédé, il est hasardeux de voir dans plantas pinaudi une référence de type botanique donc un dé-onomastique à l’origine des noms de cépage pinot ou pineau car cela engendre des implications en chaîne qui mènent à une explication trop hasardeuse par son anachronisme : l’existence, dès avant 1183, de ce qui s’apparenterait à une lignée de Pinaud vignerons ou pépiniéristes aux alentours de Vierzon, voire à un nom de marque, pour assurer la pérennité du patronyme pinaud et sa transformation en substantif désignant une variété de raisin (un cépage) pineau ou pinot. De plus, dans cette perspective, ces Pinaud seraient les auteurs de l’obtention de la variété Pinot (bourguignon) ou Pineau (ligérien) ou auraient usurpé la désignation du raisin ou du plant obtenu ailleurs.

L’allusion anthroponymique simple, sans référence à la vigne, paraît néanmoins acceptable du fait que le texte en langue latine laisse penser que pinaudus est la traduction d’un vocable de la langue parlée. Dans un texte languedocien du tout début du IXe siècle, intervient un dénommé Pinaudus dans un contexte totalement étranger à la vigne. Cet anthroponyme est donc attesté (Vic, Vaissette 1730, p. 779-780)9. Pour autant, le passage du patronyme Pinaud à un ou deux noms de variétés cultivées (pinot et pineau) est une hypothèse dont les prolongements sont irrecevables à partir du seul texte de 1183. Il faudrait qu’aient existé ailleurs qu’à Menetou-sur-Cher des mentions à ce jour inconnues, des chaînons manquants qui établiraient que la variété pinaud (pour pinot ou pineau, à préciser) existait autre part et qu’elle aurait été introduite sous son nom à Mennetou-sur-Cher10.

L’étymologie de l’anthroponyme Pinaudus renvoie plus probablement pour sa part à la racine pin- en référence au latin pinus, pin, (arbre) ou dérivés qu’à pinot-pineau (cépage).

Plantae

En latin classique, planta signifie « jeune plant » (à repiquer), sens que le mot plant retrouve en moyen français, en parallèle à celui de plante ou de variété. En latin médiéval, selon les lexicographes (du Cange, Niermeyer), ce n’est pas le cas : planta peut signifier « lieu planté », voire « pépinière », parfois de vignes mais pas de façon exclusive, parfois même « lieu planté de jeunes vignes » ; planta peut implicitement signifier l’existence d’une clôture, une haie de végétaux et par extension un clos, et encore par extension un clos de vignes parce que ces dernières demandent d’être protégées des prédateurs.

D’autres mots existent en latin médiéval, en divers lieux et à différentes dates, pour désigner tout ou partie de réalités similaires : comme plantum, plantarium au sens de pépinière, plantica au même sens et à celui de plant, plantula au sens de jeune plant.

À défaut de pouvoir trancher à partir d’exemples extraits de textes latins, il est possible d’avoir recours aux sens des mots plant et plante dans les traductions françaises de Barthélémy l’Anglais et de Pierre de Crescens à la fin du xive siècle, recours qui se justifie si l’on estime recevable l’hypothèse selon laquelle plantae pinaudi serait la transcription en latin d’un groupe de mots nominal en langue d’oïl. Dans le Rustican, traduction française (1373-1374) de l’Opus ruralium de Pierre de Crescens (vers 1300), trois sens du mot plante se dégagent dans le Quart livre consacré à la vigne, selon le contexte :

  1. Sarment, scion, bouture à replanter, chap. ix et x, à propos des prélèvements à faire pour disposer de matériel végétal à repiquer sur place ou ailleurs. (Ru 57, 60, 65, 66)
  2. Cep, pied de vigne, synonyme de vigne, chap. x et xi, à propos de la plantation et de l’entretien des vignes (Ru 60, 69, 73) et passim dans les différents chapitres ; mais aussi au sens de matériel végétal (Ru 75, 82)
  3. Au sens de plantes (autres) au chap. xviii (Ru 150)11

Albert Henry (1996, 2, p. 57) mentionne ce sens 3 dans une version en latin de 1474 de l’Opus ruralium (dite Lo74) où la vigne est présente parmi d’autres plantes au livre II qui a pour titre : De natura plantarum

Dans la traduction française, par Jean Corbechon en 1372, du Livre des propriétés des choses, rédigé vers 1240 par Barthélémy l’Anglais, au livre viii consacré à la vigne, le mot plante n’apparaît que deux fois, au tout début, pour caractériser la vigne parmi les végétaux : « la plante de vigne est ainsi appellée… » (PR 2) et « la vigne sus toutes autres plantes requiert grand labourage… » (Pr 4). La vigne est une plante, au sens où nous l’entendons de nos jours, à rapprocher du sens 3 du Rustican. Plant est ici absent, inclus dans le mot vigne12.

Ainsi, la présence de vignes, au sens générique, est rendue probable par tous les contextes d’emploi des mots planta, plant et plante, étroits ou étendus, en latin et en français.

S’agit-il, rapproché de pinaudus, d’un élément à portée toponymique ? Vraisemblablement pas car, si c’était le cas, la formulation serait du type terra ou vinea ad plantas pinaudi. Dans une charte de 1213, rapportant la donation par Hervé, seigneur de Vierzon, de dîmes au monastère de Beaumont-lès-Tours pour le prieuré de Mennetou-sur-Cher près de Vierzon, sont utilisées des prépositions comme ad, infra, in pour introduire une localisation (infra parochiam Luriaci… in terram Graciaci… in terram Danesii… in parochiam de Sellei… in terram Pung-) (voir Pièce justificative 2). Ici la mention a une résonance topographique mémorielle, partagée par les acteurs locaux qui savaient où la terre, objet du litige, était localisée, plus que toponymique, au sens de nom de lieu fixé. Elle ne renvoie pas à un nom de lieu-dit caractérisé par la culture qui y était pratiquée (des vignes de pinot ou de pineau) mais au nom de celui qui la travaillait, qui peut-être la planta de vigne. La situation est très différente de celles des terres plantées de vignes bordelesches ou orléanaises mentionnées plus haut13. L’emploi du génitif pinaudi exprime la relation étroite entre la pièce de terre en question et un nom, de personne selon toute vraisemblance.

Les vignes d’un dénommé Pinaud

Si l’on revient, en conclusion, à la locution nominale plantae pinaudi, alors l’expression du renoncement des moniales touche ce que l’on pourrait dénommer, faute de mieux, et pour conserver l’ambiguïté polysémique de planta, « les vignes de Pinaud », lieu planté assez longtemps auparavant par un dénommé Pinaud dont n’a été conservé que le surnom. La localisation de cette vigne, connue des parties, n’est pas précisée dans la charte. Si la probabilité que planta désigne une vigne est très forte, en revanche il peut être exclu que ces vignes portent le nom d’un plant ou d’un raisin, Pinot bourguignon ou Pineau ligérien, que l’on retrouve plus tard dans les sources écrites.

Bibliographie

Bourin M., Chareille P., 2014, Noms, prénoms, surnoms au Moyen Âge, Paris.

Duchaussoy, H., 1887, Les vendanges dans le Berry de la fin du xve s. à la Révolution française, Mémoires de la Société historique, littéraire et scientifique du Cher, p. 289-319 (En ligne : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5743717d/f297.item).

Fleuret A., 1898, Cartulaire des Bénédictines de Beaumont-lès-Tours (1090-1294), Paris.

Galinié H., 2015, Les graphies Pinot et Pineau (1375-1901), Recherches sur l’histoire des cépages de Loire, 2 (En ligne : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01215908).

Galinié H., 2019, Les façons de différencier et de nommer vignes et plants (1050-1850), Recherches sur l’histoire des cépages, 13 (En ligne : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02106540).

Grillon G., Garcia J.-P. et Labbé Th., 2019, Le « très loyal pinot » : itinéraire d’un cépage mythique de la Bourgogne, Crescentis (En ligne : https://preo.u-bourgogne.fr/crescentis/index.php?id=1003).

Henry A., 1996, Langage œnologique en langue d’oïl (xiie-xve siècle), Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2 vol.

Lacombe T., 2012, Contribution à l’étude de l’histoire évolutive de la vigne cultivée (Vitis vinifera L.) par l’analyse de la diversité génétique neutre et de gènes d’intérêt, Thèse, Montpellier (En ligne : http://www.supagro.fr/theses/extranet/12-0040_Lacombe.pdf).

Laforêt A., 2022, Entre herbe et arbre. Classer les végétaux au statut ambivalent dans la littérature encyclopédique médiévale, Questes (En ligne : http://journals.openedition.org/questes/5980).

Loizeau de Grandmaison Ch., 1894, Archives départementales d’Indre-et-Loire, Archives ecclésiastiques antérieures à 1790. Inventaire sommaire de la série H, Tours (En ligne : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k326465x).

Marchegay P., 1858, Chartes de Fontevraud concernant l’Aunis et La Rochelle, Bibliothèque de l’École des Chartes, tome 19, p. 132-170 (En ligne : https://www.persee.fr/doc/bec_0373-6237_1858_num_19_1_445568).

Rézeau P., 1998, Dictionnaire des noms de cépages de France, Paris, CNRS Éditions (rééd. 2014).

Richemond L.-M. de, 1882, Inventaire des Archives hospitalières de la Charente-Inférieure. Supplément à la série H, Archives départementales de la Charente-Inférieure, La Rochelle (En ligne : https://archive.org/details/inventairedesarc00char/page/n17/mode/2up).

Vic Cl. de, Vaissette J.-J., 1730-1745, Histoire générale du Languedoc, Paris, 5 vol.

Annexe

Pièces justificatives

1. La notice de 1183

La charte de 1183 est conservée aux Archives départementales d’Indre-et-Loire, Série H, où elle est demeurée inédite sous la cote H 982. A. Fleuret, l’éditeur du cartulaire de l’abbaye de Beaumont-lès-Tours dont le prieuré de Mennetou (sur Cher, département du Loir-et-Cher) était une dépendance, n’en avait pas connaissance en 1898 (Fleuret 1898). L’essentiel des pièces qui concernent le prieuré de Mennetou est en effet contenu dans une liasse cotée H 788 conservée aux Archives départementales d’Indre-et-Loire. L’entrée aux archives départementales, ou le tri et l’analyse des pièces de la liasse H 982, ont néanmoins dû être faits avant 1891. En effet, elles se trouvent dans l’inventaire de la série H rédigé par Charles Loizeau de Grandmaison qui en livre le contenu à cette date sans toutefois modifier son analyse des pièces de la liasse H 788 où il présente une charte de 1213 comme l’acte de fondation du prieuré (Loizeau de Grandmaison 1891, p. 259 et 328).

Le document (figure 1 et 2), rédigé sur parchemin originellement scellé sur double queue (le sceau ayant disparu) a les dimensions suivantes : largeur du bord haut = 20,2 cm ; largeur du bord bas = 20,4 cm ; hauteur du bord gauche = 26 cm ; hauteur du bord droit = 25,1 cm. Il s’agit d’une charte notice, donc rédigée au style indirect. Il est plié en deux dans le sens de la hauteur et ne peut être totalement ouvert. Le déchiffrement à la pliure de chaque ligne est délicat.

Figure 1. Charte de 1183, recto.

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Archives départementales d’Indre-et-Loire, H 982.

Figure 2. Charte de 1183, verso.

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Archives départementales d’Indre-et-Loire, H 982.

Texte établi avec le concours décisif de Samuel Leturcq (Université de Tours, UMR Citeres-LAT). Nos remerciements vont à Monique Goulet (Université de Paris 1, UMR LAMOP) qui a levé nos hésitations à propos de la lecture des deux infinitifs passifs diminui et restitui.

Notum sit omnibus tam futuris quam presentibus quod contencio erat inter sanctimoniales de Monesto et homines domini Hervei de Virsione pro tenimento Martini de Brolio qui cuvertus earum erat. Homines enim praefati Hervei tenimentum praefati Martini injuste possidebant. Prefate siquidem sanctimoniales super hoc pluries dominum Herveum de Virsione convenerant ut ex hoc judicium fieret in curia sua. Unde sepedictus Herveus anime sue providens, nollens jus earum in aliquo diminui pro amore dei super hoc judicium fiere precepit. Ita quod ipsis sanctimonialibus tenimentum illud adjudicatum est integre restitui sanctimonales siquidem pro amore domini Hervei demiserunt hominibus suis plantas pinaudi et unum arpentum et duas bossellatas terre censu reddito per singulos annos.
Hujus rei testes sunt ex utraque parte Hunbaudus abbas Oliveti, frater Gauterius de Landela, Herveus de Traciaco, Gaucherius de Virsione, Jobertus de Maciaco, Willelmus de Sancto Amando, Gaufridus Nero, Bricius de Plaiseid, Stephanus de Portu, Radulfus Bosserius, Girardus Nero, Reenbaudus Brulet, Hunbaudus Eutachius, Giroius Berttadus, Bricius sacerdos monestelli, Girardus clericus, Bernardus Osmundus notirus domini Hervei. Factum est autem ab Incarnatione Domini anno M° C° LXXX° III°, vivente etiam Armengard abbatissa Belli Montis et Arenbord de Marla priorissa de Monesto.

2. La charte de 1213 (extraits)

Donation de dîmes par Hervé, seigneur de Vierzon, au monastère de Beaumont-lès-Tours pour le prieuré de Mennetou-sur-Cher, près de Vierzon. Cartulaire des Bénédictines de Beaumont-lès-Tours (1090-1294), éd. A. Fleuret, Paris, 1898, p. 13-14. (ADIL, H 788) (En ligne : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k91441r/f15.item).

L’extrait ci-dessous comporte l’intégralité des biens/dîmes/lieux mentionnés dans la cession, mis en forme pour souligner les lieux mentionnés (sans coupure ou alinéa dans le texte original).

Ego Herveus […] dedi […] domui de Monesto et conventui ejusdem loci
omniam decimam quam habebam infra parochiam Luriaci, tam bladi quam vini et bestiarum et aliarum rerum
et quicquid habebam in decima Potina
et omnem decimam quam habebam extra parochiam, quae de decima Luriaci movebat
et omnem decimam quod habebam in terram Graciaci, tam bladi quam vini et bestiarum et rerum aliarum ;
et omnem decimam quam habebam in terram Danesii
et quicquid decimae habebam in parrochiam de Sellei, quae fuit Guelelmi Sabardini ;
et quicquid decimae habebam in terram Pvngi… ( ?) quae est inter Caronem fluvium et Saldriam…

Toponymie

Pvng… n’a pas été identifié et localisé à partir de Besse 1912.

Les toponymes identifiables : Luriacum = Lury-sur-Arnon, Graciacum = Graçay, Selleis = Selles-sur-Cher dans le département du Loir-et-Cher, de même que les mentions de deux rivières, Caro = Cher et Saldria = Sauldre indiquent, pour les lieux mentionnés, une localisation dans le nord-ouest du département du Cher, à la jonction avec les départements de l’Indre et du Loir-et-Cher.

Le seul toponyme pouvant peut-être être rapproché de Pinaud serait Pignacum = Pigny (canton de Saint-Martin d’Auxigny) au nord de Bourges, donc loin de la confluence Cher-Sauldre que mentionne le dernier § cité : la dîme de la terre [et non de la vigne] de Pvng… entre Cher et Sauldre.

Quant à la terra Danesii, il s’agit de la terre de Denise, la prieure qu’évoque Grandmaison.

La decima Potina, malgré la majuscule de l’éditeur ne semble pas concerner un lieu-dit. Potina n’existe pas, mais potinus désigne une mesure de vin utilisée dans le Lyonnais (Du Cange).

Notes

1 Archives Départementales d’Indre-et-Loire (désormais ADIL), H 982. Ce document a connu une histoire mouvementée. Voir pièce justificative n° 1 en fin d’article. Retour au texte

2 Mennetou-sur-Cher en Sologne dans la généralité d’Orléans avant de se trouver dans le département de Loir-et-Cher, arrondissement de Romorantin. Retour au texte

3 Les quatre feuilles de section de la matrice cadastrale de Mennetou-sur-Cher de 1828 ne mentionnent pas de lieu-dit Plantes de Pinaud, mais les états des sections n’ont pas été consultés. La légende montre la concentration des vignes à proximité immédiate de l’agglomération (Section C). Une dizaine de vignes ou de clos y sont répertoriés sans la moindre référence à pinaud. Archives Départementales du Loir-et-Cher (désormais ADLC), 3P2/136/1-4. Retour au texte

4 Dans le Berry, pinaud en matière ampélographique pourrait, s’il s’agissait de raisins, renvoyer à pinot, cépage bourguignon ou à pineau (chenin), cépage ligérien, l’un et l’autre souvent dénommés pinet dans le Berry à partir du XVIe s. Retour au texte

5 Ce qui correspond au premier mode de différentiation des vignes répertorié dans les sources médiévales (Galinié 2019). Retour au texte

6 Deux exemples plus tardifs, de La Rochelle, dont l’un émis à l’abbaye de Fontevraud, qualifient ainsi des vignes, mancesche (du Mans) pour la première, chauchée (à fouler) pour la seconde.
- acte de 1250 : « Ge Willama, femme Beneeit de Kaorz, borges de la Rochele [...] ai baillé e otreié a cens a Estene de Limoges, borges de la Rochele, une piece de vigne mancesche, en queie a ij quarters, que je aveie on feu sire Willame de Faye, pres de la Veille Aumosnerie de la Rochele ; la quau piece de vigne se tient d’une part a la vigne de la dite aumosnerie de la Rochel, e d’autre part a la vigne au dit Willame de Faye » (Marchegay 1858, Charte xi, p. 154).
- acte de 1283 : « Ge Aleayz feme Thomas Lestabler, charpenter dau Perroc [...] ai vendu [...] à Guillaume Le Luyre de la Gorz estager [...] à Lafonz [...] une pièce de vigne chauchée [...] on fe de Rochefort [...] pour vingt cinc livres » sceau de la sénéchaussée (nov. 1283) (Richemond 1882, p. 2 et 3). Retour au texte

7 Des vignes désignées par un patronyme tel Lutkens ou Malbec(k) ne sont pas antérieures au xviiie siècle. Retour au texte

8 Un collibert est un dépendant de condition servile ou semi libre, attaché au service d’un bien d’un seigneur laïque ou ecclésiastique. Retour au texte

9 Que Monique Goulet, qui nous a fait découvrir l’existence de ce texte, trouve ici l’expression de nos sincères remerciements. Retour au texte

10 Pour les ampélographes et les généticiens, l’Anjou et la Bourgogne sont les lieux respectifs probables d’obtention du Pineau (Chenin) et du Pinot (Pl@ntgrape, sv. Chenin, Pinot). Retour au texte

11 Analyse détaillée, à partir de Henry 1996, dans Galinié 2015, annexe 1c, Plante dans le Rustican. Retour au texte

12 La vigne ne trouve pas sa place dans la classification des Encyclopédistes médiévaux, elle se situe entre les deux classes Herbe et Arbre (Laforêt 2022). Retour au texte

13 Notes 6 et 7. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Henri Galinié, « Interpréter la locution plantae pinaudi dans une charte de 1183 », Crescentis [En ligne], 6 | 2023, publié le 15 décembre 2023 et consulté le 24 novembre 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. DOI : 10.58335/crescentis.1445. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/crescentis/index.php?id=1445

Auteur

Henri Galinié

UMR 7324 Citeres-LAT

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