Le vin blanc de garde d’Arbois connu du xvie au xviiie siècle n’est pas le vin jaune d’aujourd’hui

  • The white long keeping wine of Arbois known from the 16th to the 18th century is not the Vin jaune (yellow wine) of today

DOI : 10.58335/crescentis.1273

Résumés

Les vins d’Arbois sont célèbres depuis le bas Moyen Âge. Cette notoriété est aujourd’hui parfois interprétée comme la rencontre entre un terroir, un cépage (le savagnin) et un mode de vinification très particulier conduisant à l’élaboration d’un vin de garde au bouquet puissant, le vin jaune. Deux textes inédits datant respectivement de 1752 et 1771 permettent de modifier très sensiblement cette vision consistant à assimiler, dans la tradition reconstruite, les vins de garde d’Arbois à des vins jaunes, notamment de voile.

The wines from Arbois (Jura) have been well-known since the late Middle Ages. Their reputation today is sometimes considered to be the meeting of a terroir, a type of grape (Savagnin) and a very particular method of vinification, resulting in the creation of long keeping wine (vin de garde) with a intense bouquet, the Vin jaune. However, two little known documents published respectively in 1752 and 1771 make it possible to very significantly modify this vision of a recreated tradition which assimilates the long keeping wines of Arbois as Vins jaunes under flor. [translation reviewed by Elaine Anderson and LEACA masters students]

Plan

Texte

Les vins d’Arbois sont parmi les vins les plus réputés du vignoble jurassien et depuis au moins le xiie siècle (Dion 1955 ; 1959 ; Grand 1972).

Des villes comme Arbois, Poligny, Lons-le-Saulnier obtiennent le statut de bourg viticole à la fin du xiiie siècle1. Ce statut privilégié sera renouvelé régulièrement par les ducs de Bourgogne2 au siècle suivant et dès 1493 quand la Comté3 passera sous domination de la maison des Habsbourgs ; les franchises pour la circulation des vins d’Arbois sont encore renouvelées quand la Franche-Comté passe dans l’escarcelle de Charles Quint.

Ces multiples parrainages royaux et princiers font connaître les vins d’Arbois dans toute l’Europe et tout particulièrement dans les riches pays du nord de l’Europe4 (Flandre, Belgique, Hollande) (Yante 2018, p. 70). Les vins d’Arbois sont mentionnés dès 1291-1292 à Marville, capitale des terres communes aux duchés de Bar et de Luxembourg. Des négociants des vins d’Arbois sont présents à Anvers au moins dès le XVIe siècle (Yante 2018, p. 62).

La diplomatie bourguignonne propulse les vins d’Arbois et de Château-Chalon dans les rencontres entre princes d’Occident notamment avec le Pape Clément VII et le roi d’Angleterre, en 1375. Les vins d’Arbois sont donc dorénavant des « vins marchands » (Pitte 2009, p. 187).

À quoi est due cette renommée ? Les textes historiques sont très peu explicites et n’apportent en fait que très peu d’informations utiles. De nombreux auteurs ont été tentés de transposer la notoriété de certains vins jurassiens actuels à celle qu’ils pouvaient avoir dans un passé plus ou moins lointain.

Il est notamment souvent rapporté que les abbesses de l’abbaye de Château-Chalon, fondée à la fin du VIIe siècle, se spécialisèrent dans l’élaboration du vin jaune dès le XIVsiècle (Pidoux 1988, p. 49).

Pour essayer de démêler des faits établis, les nombreuses légendes concernant tout particulièrement le vin jaune, il convient d’aborder le vignoble et la vinification d’autrefois avec d’autres yeux que ceux d’aujourd’hui. Soulignons simplement qu’un tel succès implique des vins d’une grande qualité et pouvant voyager sans se piquer.

À partir notamment de deux documents inédits de la seconde moitié du XVIIIe siècle, véritable mode d’emploi de l’élaboration du vin de garde d’Arbois, cet article essaie de le replacer dans une approche historique et d’expliquer ses relations avec le vin jaune (de voile) d’aujourd’hui.

Les terminologies « vin de garde », « vin blanc de garde », « vin de gelée », « vin jaune » et « vin jaune de garde »

Avant le XVIe siècle, les textes n’évoquent aucune de ces dénominations, et Pierre Gresser5, spécialiste du Moyen Âge franc-comtois, montre bien que l’on ne rencontre malheureusement que des expressions très génériques dans les archives comtales des XIVe et XVe siècles : vin novel, vin viez6 ou simplement vin d’Arbois dans des écrits très généraux. Le nom des cépages n’est jamais cité ; on a, au mieux, des informations sur la couleur du breuvage (blanc, rouge, vermeil, cleret, etc.). Nous n’avons jamais d’indications directes des techniques de vinification employées.

On peut noter que lors du transport des vins, il est prévu des contenants particuliers, les  barriz 7 qui servaient à ouiller les vins : « muiz de vin en 24 quehues, parmi 5 barroilles à faire remplaiges sur chemin » (Gresser 2021, p. 88).
Il est donc bien hasardeux de faire remonter l’origine d’un vin jaune de garde à cette période.

À partir de la fin du XVIe siècle seulement, certains écrits sont légèrement plus explicites ; ils mettent notamment l’accent sur la conservation des vins, sur la période des vendanges et sur la nécessité d’attendre les premières gelées.
Évoquons chronologiquement quelques textes :
1552 — Gilbert Cousin de Nozeroy (1506-1572) : « mais ce qui la [Arbois] rend surtout florissante et célèbre, ce sont ses vins, dont la bonté augmente toujours en vieillissant ». (Bousson De Mairet 1865, p. 3)
1592 — Dans les Mémoires historiques de la République séquanoise et des princes de la Franche-Comté de Bourgougne, Loys Gollut évoque de manière assez précise les vins renommés d’Arbois et de Château-Chalon :

« Mais pour les vins blancs, ceux d’Arbois ne se laissent égaller ; et ceux de Chastel-Chalon, Liéle, Besançon, ne se laissent surmonter, moïennant qu’ils haïent estés quelque peu gelés sur le pied de la vis, et lors qu’ils sont déjà entonnés. Car leurs chaleurs naturelles sont par le froid ambiant, comme resserrées et r’enforcées. »8

Ce texte montre l’importance des vendanges tardives et la nécessité de concentrer les « chaleurs naturelles [sucres, alcool] »9 ; le texte permet également de suggérer que le cépage impliqué est le savagnin10 qui a comme caractéristique d’avoir des grains à peau épaisse qui résistent bien aux attaques fongiques automnales ; cette hypothèse est renforcée par Jean Bauhin (1541-1612) qui précise, à la même époque (vers 1590) que le cépage blanc gentil11 de Besançon, est à l’origine des meilleurs vins d’Arbois (Bauhin 1650, p. 73).

1653 — Dès le XVIIe siècle, les bons vins d’Arbois sont susceptibles de voyager dans des bouteilles12 ce qui est loin d’être la règle à cette époque ; comme le souligne Jean-Robert Pitte « Ce sont les vins liquoreux… qui sont mis, historiquement, en bouteilles en premier (marsala en Italie) Jerez en Espagne, Porto pour le Portugal ; Tokaj, du Chiraz… les autres livrés en barrique pendant longtemps jusqu’à la moitié du XXe siècle ». (Pitte 2009, p. 205). Depuis Bruxelles, Béatrix de Cusance envoie régulièrement son secrétaire particulier Claude François Pelletier, en 1653, faire ses emplettes ; sur sa liste de courses pour la fête de Noël, elle lui demande de lui envoyer six bouteilles de vin d’Arbois du Jura13.

Il faut attendre le début du XVIIIe siècle pour trouver des documents plus précis :
1711 — Dans un acte, Catherine, fille de Philibert Mervans émet le vœu suivant : « l’on prelevera trois quarris de vin rouge et un carry de vin blanc de garde qui seront delivrez aux reverends peres capucins du couvent dudit Arbois pour estre usez audit couvent »14. C’est la plus ancienne citation concernant un vin blanc de garde d’Arbois trouvée.
23 août 1717 — Dans les Annales historiques et chronologiques de la ville d’Arbois on peut lire : « Assemblée du conseil et des notables, où il est décidé qu’il serait présenté requête au Parlement, à l’effet d’obtenir un arrêt ordonnant d’extirper et de déraciner toutes les vignes plantées depuis l’an 1636… ainsi que de mettre en vente tous vins blancs de garde récoltés dans des vignes qui ne contiennent que le melon15, dont la qualité nécessairement inférieure, tend à déprécier lesdits vins blancs et à en altérer la renommée ». (Bousson De Mairet 1856, p. 461)
25 mars 1718 — nouvel arrêté, le conseil et les notables d’Arbois précisent que « … plusieurs de ces nouvelles vignes, situées en plaine, produisent des vins blancs récoltés après les gelées, et dont le produit est présenté comme vin de garde, ce qui en détruit la réputation… ordre d’arracher et extirper toutes les vignes plantées depuis 1636, et défense de garder les raisins blancs jusqu’à la gelée, dans les vignes en plaine, destinées aux vins communs. » (Bousson De Mairet 1856, p. 461)
1730-1735 — François-Ignace Dunod de Charnage (1679-1752) précise dans Histoire du Comté de Bourgogne : « les vins blancs d’Arbois et de Château-Chalon, sont vins de liqueur, et l’on en tire pour les Païs étrangers… »16.
1750 — François-Ignace Dunod de Charnage en parlant d’Arbois écrit : « mais [Arbois] est encore plus renommé pour ses vins blancs qui ont mérité d’être mis au rang des vins de liqueur. On y laisse geler le raisin à la vigne, après quoi on le cueille et on presse sans le cuver […] »17.
Décembre 1752 — Annonce officielle sur le vin blanc d’Arbois qui, pour la première fois, à notre connaissance, fournit des indications sur les techniques de vinification :

« le vin blanc d’Arbois […] promet cette année une qualité supérieure à celle qui le mit en réputation à la cour de Charles-Quint… La première récolte a été bonne. La seconde, qui comprend les vins de garde, se fera quand le raisin sera bien gelé à la vigne. Le quartaut de la première récolte se vend 12 à 15 liv., celui de la seconde pourra monter de 24 à 40 liv. proportionnément à la bonté du vin. On en fait emplette au mois de décembre et dans le courant du mois de janvier et du mois de février. La futaille qui coûte 3 liv. qui est comprise dans le prix du vin, renferme soixante et douze pintes de Paris. Lorsque le vin de garde est parfaitement collé dans le tonneau, après avoir cessé de bouillir, on le soutire autant qu’il en est besoin pour le clarifier ; puis on le met en bouteilles au mois de Mars ou d’Avril, lorsque la lune est dans son plein, et que le vent du nord se fait sentir. Quand il est possible de réunir ces circonstances, ce Vin conservant sa liqueur devient mousseux comme du Vin de Champagne, et se maintient ainsi plusieurs années, pourvu que les bouteilles soient bouchées, ficelées, et godronnées avec soin. Il y a des personnes qui aiment le vin d’Arbois bourru. Il n’est pourtant pas alors aussi agréable à l’œil et au goût que quand il a été gardé. On s’adressera, en affranchissant les lettres, au sieur Maréchal Négociant à Arbois. »18

On notera ici que ce vin de garde d’Arbois est un vin pétillant, probablement issu du cépage savagnin et mis en bouteilles précocement au printemps suivant la vinification.

1759 — Nicolas Bidet (1709-1782) indique que « A Arbois et Château-Chalon, on laisse le raisin blanc à cueillir jusqu’au moins de Décembre ; cela donne un vin blanc excellent. Ce vin de raisin a beaucoup de réputation, c’est le seul de cette espèce que l’on peut estimer bon. Le vin d’Arbois est estimé partout »19.
1774 — François-Félix Chevalier de Poligny, dans un manuscrit, évoque les vins d’Arbois : « C’est avec les raisins de ce plant [sauvagnien] que l’on fait les fameux vins de garde d’Arbois, de Pupillin, de Château-Chalon et de Saint-Lothein. La peau en étant dure, il est le plus propre à être conservé sur le pied dans les vignes jusqu’après une gelée, où jusqu’à ce que qu’il ait acquis, par un long séjour sur le cep, une extrême maturité […] » (Chevalier 1873, p. 23).

Pour le XVIIIe siècle, nous trouvons donc des indications sur un vin de garde, des vendanges tardives, élaboré à partir du cépage savagnin et pouvant présenter un caractère pétillant ou non, souvent liquoreux.

Les indications historiques de « vin jaune » sont plus récentes. Classiquement, les premières mentions évoquées sont dues à Gerrier en 1822 dans son Mémoire sur l’état de l’agriculture du Jura20, à Dumont en 1826 dans la Statistique du vignoble d’Arbois ou Description des cépages et des procédés de culture qui sont adoptés dans ce vignoble21 et à Thiebaut de Berneaud en 1827 dans Manuel théorique et pratique du vigneron français, ou l’art de cultiver la vigne, de faire les vins, les eaux-de-vie et vinaigres : « Les Arboisiens l’appelent [le vin de garde] en ce moment [sic] vin jaune »22 .

Nous pouvons faire remonter l’utilisation de la dénomination « vin jaune » seulement au tout début du XIXe siècle : Pierre Grispoux qui a eu l’occasion de consulter les carnets domestiques d’un propriétaire arboisien23, nommé Papillard, relève dans la visite de sa cave, en mai 1808 : 18 bouteilles de vin jaune ; lors de sa visite du 9 septembre 1809 : 4 vins jaunes 1802 ; et enfin lors de sa visite du 8 juin 1810, 74 bouteilles de vin blanc dit jaune de 1802 (Grispou 1989). Par ailleurs, ces inventaires comportent des vins blancs de 1802.

Constatons donc que, pour une même vendange, le vigneron élabore des vins blancs ordinaires (?) et des vins blancs dits jaunes évoquant une vinification particulière pour ce dernier, ou l’utilisation de cépages différents pour ces deux types de vins, ou encore des vendanges pratiquées à des dates différentes. Le nombre de bouteilles de vin jaune 1802 augmente entre les visites de septembre 1809 et juin 1810. Peut-on faire l’hypothèse du vieillissement en tonneau d’une partie de la vendange et d’un embouteillage progressif des tonneaux ? Mais nous n’avons aucune indication si les tonneaux sont ouillés ou non. Nous savons néanmoins que le vigneron pratique des vendanges tardives puisque pour la fabrication de son maquevin [sic] il recueille « 12 channes de vin blanc ou mou pris sous le pressoir » le 3 novembre 1806. Comme le souligne Pierre Grispoux cela permet de conclure que le vigneron possède des parcelles de savagnin et qu’il pratique des vendanges tardives dont une partie est utilisée pour la fabrication de son macvin appelé souvent « roulade » dans les cahiers.

Le frère Ogérien (1825-1869), auteur d’une Histoire naturelle du Jura et des régions limitrophes, en 1865, utilise le terme de vin jaune de garde.

À la suite de toutes ces mentions, les nombreuses citations de « vin jaune » avant le début du XIXe siècle ne sont, à notre connaissance, que des reconstructions des auteurs modernes24.

L’élaboration de vin de garde d’Arbois en 1771

Dans les Avis, Annonces, Notes, & c. d’une gazette économique nationale, un document explique, avec une remarquable précision, l’élaboration du vin de garde d’Arbois. Il porte le titre « Éclaircissemens [sic] (sur le vin d’Arbois », suggérant que ce vin intrigue les élites parisiennes (texte intégral en annexe).

Il n’y a pas de signature à ce document, mais il est indiqué que ces informations proviennent d’un correspondant25 (?) de la revue, et ont été confirmées par un autre correspondant.

Reprenons les principales informations de ce document :

« Le vin blanc d’Arbois, autrement appellé vin de garde, se fait avec un raisin blanc nommé dans le pays Sauvagnum ou naturé, dont le grain est long et d’une peau fort épaisse. Cette espèce de raisin résiste aux plus grands froids. On le laisse sur la souche jusqu’à sa parfaite maturité, & quand on veut en faire un excellent vin, on le laisse sur le cep jusqu’à ce qu’il ait gelé à glace pendant 3 ou 4 jours ».

Sauvagnum (Sauvagnun pour Rouget 1897) est le nom patois du savagnin, et naturé26 le nom spécifique dans le secteur d’Arbois pour désigner ce même cépage. Ces premières informations sont conformes à ce qui est évoqué par les textes plus anciens : on fabrique à Arbois un vin de gelée réputé. Mais comment ?

C’est ici que le texte prend toute son importance et précise, pour la première fois, les étapes de la vinification de ce vin.

« […] le raisin est porté dans une sapine où l’on détache les grains de la grappe ; & ensuite on les met dans un pressoir bien propre. Lorsque le raisin a été bien pressé, & qu’on a exprimé toute la liqueur, on met le vin dans des sapines qu’on couvre d’un linge, pour le garantir de la poussière. On le laisse dans cet état pendant 2 fois 24 heures, tems qu’il lui faut pour reposer. Si après ce terme, on trouve que le vin ne soit pas assez éclairci, on réitère la même opération une seconde & même une troisième fois ».

On retrouve ici l’importance du débourbage et de la clarification du moût, étapes considérées comme essentielles pour la fabrication du vin jaune (Dumont 1845 ; Pasteur 1866).

« Quand le vin est devenu assez clair, on le transvase dans des tonneaux, où quelques jours après il commence à bouillir & à jeter de la crasse. À mesure que le vin se purifie, en fermentant, la quantité diminue insensiblement ; l’on a soin de suppléer à ce qui s’en perd & de remplir toujours exactement les tonneaux en y versant du même vin, qu’on a auparavant l’attention de mettre dans des bouteilles. Les tonneaux étant toujours remplis, la sortie de la crasse en est beaucoup plus facilitée. Dès que le vin ne travaille plus, on bouche les tonneaux. Quand le froid est venu, on transvase le vin dans d’autres ; ce qu’on réitère jusqu’à ce qu’il soit clair fin […] »

La fermentation du savagnin provoque beaucoup d’écume (Dumont 1826 ; Machard 1865 ; Pasteur 1866) ; l’ouillage est pratiqué jusqu’au terme de la fermentation qui est probablement bloquée par les basses températures hivernales ; il est probable que des sucres résiduels sont encore présents dans le vin.

Le vin peut ensuite être éclairci avec de la colle de poisson dont l’utilisation est détaillée, mais l’auteur du texte indique que le vin est meilleur si on l’éclaircit naturellement.

Une fois que toutes ces étapes sont réalisées « on le met en bouteilles ; ce qui se fait ordinairement dans le courant du mois de Mars ». Si les premières étapes concordent en grande partie avec l’élaboration du vin jaune actuel, l’étape décisive d’une maturation longue (plusieurs années), sans ouillage, sous voile protecteur n’existe pas et l’apparition du « goût de jaune » est donc absente27. La mise en bouteilles précoce peut conduire à une prise de mousse et à l’élaboration d’un vin effervescent. Il est donc envisageable de faire remonter la création des vins mousseux jurassiens à l’utilisation de la bouteille pour faire voyager les vins de garde d’Arbois (Anonyme 1752, p. 750).

Une étape supplémentaire très originale est proposée :

« Ceux qui veulent avoir du vin de garde parfait exposent dans un grenier & à la plus forte gelée le tonneau qui le contient, mais débouché. Toutes les parties aqueuses se congèlent par ce moyen, & il ne reste que la pure substance du vin : mais on doit bien prendre garde de le soutirer avant qu’il dégèle. Ce serait nuire à sa qualité & perdre presque tout le prix. »

Il est donc envisagé une concentration en alcool, des sucres et des arômes par congélation28 du vin ! Il est intéressant de noter qu’encore aujourd’hui certains vignerons stockent les tonneaux de vins jaunes dans des greniers ou des pièces subissant des variations de température : « la cave à vin jaune est à l’étage, sous le toit, elle est isolée mais supporte 25° l’été et 0 °C l’hiver. C’est cela qui fait avancer le vieillissement. »29 ; « Plus le vin blanc d’Arbois est gardé, plus il prend de liqueur ; & quoiqu’il perde de sa douceur, il est fort agréable à boire, & conserve mieux son goût que les muscats de Provence & de Languedoc»30.

Comparé au vin ordinaire, le vin de garde d’Arbois était donc plus concentré en alcool par congélation et avec sucres résiduels, comparable quant au résultat aux muscats de Frontignan, très en vogue également au XVIIIe siècle et auparavant. Il est évident que ce sont des vins qui supportent très bien le voyage et le vieillissement.

L’auteur précise que cette technique mériterait d’être généralisée à tout le vignoble et indique les raisons qui expliquent la non généralisation de cette technique :

  • Nécessité de faire les vendanges en deux saisons,
  • Nécessité de faire garder les vignes,
  • Aléas climatiques de l’arrière-saison.

Que nous apporte ce document ?

Il permet avant tout d’avoir pour la première fois, pour le XVIIIe siècle, un véritable mode d’emploi de la fabrication du vin blanc de garde d’Arbois.

Il permet de mieux comprendre le texte de Gollut de 1592 :

« Mais pour les vins blancs, ceux d’Arbois ne se laissent égaller ; et ceux de Chastel-Chalon, Liéle, Besançon, ne se laissent surmonter, moïennant qu’ils haïent estés quel que peu gelés sur le pied de la vis, et lors qu’ils sont déjà entonnés ».

Il semble bien que Gollut évoque déjà la possibilité de faire geler le vin déjà entonné ce qui permettrait de faire remonter ce type d’élaboration du vin de garde d’Arbois à la fin du XVIe siècle et de dédier aux vignerons jurassiens la mise au point de cette ingénieuse pratique.

Il confirme les observations de Lequinio au tout début du XIXe siècle :

« Quand de fortes gelées surprennent ce raisin [savignain], il se flétrit et diminue de quantité, mais gagne encore en qualité : si l’automne est humide ou seulement trop mou, le vin n’est pas si bon : alors on l’expose dans les cours aux glaces de l’hiver, dans de petits tonneaux à douelles minces, où il gêle, concentre ses parties sacchareuses et spiritueuses, est plusieurs fois dégagé de son eau extraite, et convertie en glace, et se rend également exquis ; cette concentration forcée se fait même aussi dans les années sèches, quand on veut avoir un vin très fort et capiteux. » (Lequinio 1800, p. 490).

Le caractère liquoreux du vin est également confirmé par plusieurs auteurs contemporains :

« les vins d’Arbois, de Château-Chalons, en Franche-Comté, sont de tous les vins de France, ceux qui approchent le plus en qualité, ceux d’Italie, c’est-à-dire, les bons vins liquoreux. On n’y vendange qu’à Noël, ou du moins après les gelées on fait tomber les feuilles » (Chalamont de La Visclède 1771, p. 17).

« C’est ce que l’on éprouve dans les vins liquoreux, soit de garde soit de paille ; comme nous les appelons… » (Chevalier 1774, p. 58).

« On dessèche le raisin qui fournit le Tockai ; on procède de même pour quelques autres vins liquoreux d’Italie. Les vins d’Arbois et de Château-Chalons, en Franche-Comté, proviennent de raisins qu’on ne vendange que vers les premiers jours de nivôse » (Chaptal 180131, p. 301).

Le point commun à tous ces textes de cette même période, est la recherche d’un vin de longue conservation et obtenu par concentration des moûts.

On retrouve encore la même préoccupation dans Mémoire sur la meilleure manière de faire et de gouverner les vins de Provence, soit pour l’usage, soit pour leur faire passer les mers en 1770 ; le chapitre IX est consacré à la conservation des vins :

« Il faut donc donner plus de corps & de principes aux vins qui sont transportés & tacher de diminuer le mouvement intestin de la fermentation, afin de conserver ceux qui existent… ; ou ce qui revient32 au même, si on avait laissé longtemps le raisin sur le cep comme à Arbois, à Château-Chalon… » (Rozier 1771).

L’ensemble de ces sources montre combien l’interprétation des textes historiques peut être difficile, et transposer la vinification si particulière du savagnin pour l’élaboration du vin jaune à des sources historiques peu précises est périlleuse ; vouloir utiliser le terme de vin jaune pour des vins d’Arbois, vins vieux d’Arbois, vins dits de garde, est très probablement une erreur.

En 1770, le vin de garde d’Arbois est un vin liquoreux s’apparentant aux vins actuels dits de vendanges tardives, de gelée et de glace33 ; son élaboration peut, avec prudence, être remontée au XVIe siècle.

L’Arbois jaune de 177434

De nombreuses études historiques, scientifiques et œnologiques, ont été conduites sur les « fameuses » bouteilles d’Arbois 1774 souvent qualifiées de vin jaune ou jaune 1774 ; plusieurs auteurs ont utilisé ces vins de garde de 1774 pour faire remonter l’origine du vin jaune au moins à cette période mais, à notre connaissance, aucune source historique ne permet d’utiliser, pour ces bouteilles, le qualificatif de vin jaune, au sens d’aujourd’hui35 ; s’il est certain qu’une tradition en grande partie orale (famille Vercel d’Arbois) permet de retracer l’historique de ces bouteilles36, aucune information ne nous est parvenue sur le mode d’élaboration de ce breuvage d’exception (Chevrier 2018).

Il est intéressant de comparer les notes de dégustation des quelques bouteilles 1774 (1992, 1994) avec le document d’élaboration du vin de garde d’Arbois en 1771.

« Au nez, on note des arômes de fruits secs où dominent la figue, l’abricot et la noix… En bouche évocation du vin de paille d’abord […] Vin cependant plus liquoreux qu’un jaune actuel » (Chevrier 2018 p. 49).

« Nez intense et riche ; fin et délicat ; toutes les caractéristiques d’un vin jaune, avec des parfums fondus s’exprimant tout en nuance… où l’on découvre la noix, des notes épicées (curry, cannelle, vanille), l’abricot, le raison de Corinthe et la figue […] » (Chevrier 2018 p. 50).

Rien ne s’oppose, à notre sens, à ce que ce vin de garde ait été élaboré selon la « recette » de 1771. Le côté liquoreux est bien présent, et comme le souligne Pierre Grispoux, « il fait penser à un Paille ».

Cette vinification semble perdurer, en grande partie, au moins jusqu’au début du XIXe siècle (Lequinio 1800 ; Dumont 1826) et correspond nécessairement à une demande de consommateurs avisés et fortunés.

Origine du vin jaune

Comme le souligne Jean-Robert Pitte, les XVIIe et XVIIIe siècles sont marqués par trois innovations majeures pour les grands vins de garde, dont a bénéficié le vin blanc de garde d’Arbois : le soufre, la bouteille et le bouchon. Ces innovations vont toutes dans le sens d’une meilleure conservation des vins, d’une facilité de transport et d’une adaptation à une clientèle et à des négociants exigeants ; de nouveaux vins font leur apparition37 (Pitte 2009, p. 193-194).

Les premières sources certaines d’une fabrication de vin jaune, avec formation d’un voile protecteur de levures naturelles, remontent seulement au début du XIXe siècle. Certains auteurs proposent, avec prudence, le début du XVIIIe siècle mais le texte étudié ici ne permet pas de confirmer cette hypothèse38 pour Arbois. À Château-Chalon, haut lieu également de l’élaboration de grands vins de garde, des indications historiques laissent à penser que des vins de garde non liquoreux ont pu être élaborés au milieu du XVIIIe siècle, mais peut-on déjà les qualifier de vin jaune ?

André Ferrer rapporte qu’en 1754 « Château-Chalon produit beaucoup de bons vins, cet excellent vin blanc appelé vin de garde de Château-Chalon, si estimé des connaisseurs, quoique plusieurs lui trouvent un goût de goudron, croît dans les environs de l’abbaye »39 (Ferrer 2013).

À Arbois, le docteur Dumont (1826) précise pour les vins de garde :

« Cette espèce de vin [vin blanc de garde] est très sucré [sic], agréablement mousseux, mais il est trop généreux pour les tempéraments délicats ou nerveux. Quand il n’a pas été mis trop tôt en bouteille, il se conserve indéfiniment. Tenu dans des tonneaux pendant 10 à 12 ans, il y prend une couleur jaune dorée, et acquiert l’agréable fumet des vins vieux de Madère ; il perd tout son sucré et prend en échange plus de vineux. Dans cet état, il est nommé vin jaune, et captive l’estime des Arboisiens et des bons gourmets de manière à être du prix de 3 à 5 francs la bouteille, selon son âge et sa qualité » (Dumont 1826, p. 13).

En relisant cet auteur, on se rend compte que l’élaboration du vin jaune est tout sauf une découverte par hasard ; il rélève, bien au contraire, de la part du vigneron, d’une recherche de qualité et d’une constante amélioration d’un produit final.

Un cépage à maturité tardive, le savagnin, dont l’origine est encore très incertaine, a trouvé dans les terres jurassiennes des conditions privilégiées pour s’exprimer ; il peut fournir des vins de gelée d’une très grande qualité pouvant se garder longtemps40, propriété très rare au Moyen Âge, renouant ainsi peut-être avec certains vins antiques. Les faibles rendements et les soins constants nécessitant sa culture41 et sa vinification en réservaient le monopole à des vignerons d’élite.

Que ce soit sous la forme d’un vin sucré mousseux de garde, d’un vin de garde liquoreux ou d’un vin de garde oxydatif, il a séduit une clientèle où ces types de vin étaient, à la fois, vecteur d’un mode de vie raffiné, à la fois ils rendaient compte d’un statut social élevé.

L’élaboration d’un vin de garde à partir de savagnin nécessite de nombreuses étapes de débourbage et de clarification du vin ; comme le propose Roger Gibey d’Arbois42, nous émettons l’hypothèse que « l’invention » du vin jaune pourrait être liée à une recherche de valorisation des sous-produits de ces étapes, le vin, chargé en lies, étant très riche en ferments susceptibles de former le voile protecteur du vin jaune dans des tonneaux non totalement remplis.

Au final, on peut considérer qu’il a existé depuis au moins le XVIe siècle, à Arbois, un vin blanc de garde liquoreux, issu essentiellement du cépage savagnin, élaboré à partir de vendanges tardives et dont les moûts clarifiés ont été concentrés en alcool et en sucre par le gel. On peut également affirmer que des vins effervescents jurassiens sont obtenus lors de la mise en bouteilles dès le milieu du XVIIIe siècle.

La fin du XVIIIe siècle est marquée par la Révolution française qui modifie non seulement la propriété foncière43, mais aussi probablement les circuits économiques de l’époque ; ne faut-il pas voir dans cette période charnière, la naissance du vin jaune actuel et la disparition progressive des vins de garde liquoreux44 étudiés ici ?

L’idée, couramment admise que « l’invention » du vin jaune45 est l’œuvre des abbesses de Château-Chalon doit, à notre sens, être définitivement abandonnée46, car elle n’intervient que dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Nous n’attachons pas plus de crédit à l’hypothèse d’un tonneau oublié au fond d’un cellier. Mais il paraît certain que les abbesses47, les abbayes jurassiennes et les seigneurs locaux, ont, dès le Moyen Âge, largement contribué à la réputation de plusieurs vins blancs liquoreux de garde élaborés essentiellement à partir de savagnin, et dont le vin jaune (de voile) d’aujourd’hui est le digne descendant, de manière certaine, à partir du début du XIXe siècle et, avec doute, dans la seconde partie du XVIIIe siècle.

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Annexe

Gazette d’agriculture, commerce, arts et finances

Introduction de la collection dans le N° du 1er avril 1763 :

Cette gazette, autorisée par un Privilège exclusif de trente ans, lequel supprime tous les ouvrages périodiques qui pourraient y avoir quelque rapport, contiendra tous les articles relatifs au Commerce en gros, en détail & à la banque, tant à Paris que dans les principales villes du Royaume & de l’Etranger… (Introduction de De Sartine 2 février 1763).

Année 1771, samedi 22 juin, n° 50, p. 397-398

Avis, Annonces, Notes, & c. Éclaircissemens sur le vin d’Arboisa

Le vin blanc d’Arbois, autrement appellé vin de garde, se fait avec un raisin blanc nommé dans le pays Sauvagnum ou naturé, dont le grain est long et d’une peau fort épaisse. Cette espèce de raisin résiste aux plus grands froids. On le laisse sur la souche jusqu’à sa parfaite maturité, & quand on veut en faire un vin excellent, on le laisse sur le cep jusqu’à ce qu’il ait gelé à glace pendant 3 ou 4 jours. Après quoi, on fait la vendange ; le raisin est porté dans une sapine où l’on détache les grains de la grappe ; & ensuite on les met dans un pressoir bien propre. Lorsque le raisin a été bien pressé, & qu’on a exprimé toute la liqueur, on met le vin dans des sapines qu’on couvre d’un linge, pour le garantir de la poussière. On le laisse dans cet état pendant deux fois 24 heures, tems qu’il lui faut pour reposer. Si après ce terme, on trouve que le vin ne soit pas assez éclairci, on réitère la même opération une seconde & même une troisième fois. Quand le vin est devenu assez clair, on le transvase dans des tonneaux, où quelques jours après il commence à bouillir & à jeter de la crasse. À mesure que le vin se purifie, en fermentant, la quantité diminue insensiblement ; l’on a soin de suppléer à ce qui s’en perd & de remplir toujours exactement les tonneaux en y versant du même vin, qu’on a auparavant l’attention de mettre dans des bouteilles. Les tonneaux étant toujours remplis, la sortie de la crasse en est beaucoup plus facilitée. Dez que le vin ne travaille plus, on bouche les tonneaux. Quand le froid est venu, on transvase le vin dans d’autres ; ce qu’on réitère jusqu’à ce qu’il soit clair fin. C’est ordinairement par un vent de bise qu’on le soutire ; celui du midi lui est contraire. On ne doit pas craindre en le soutirant d’en diminuer la qualité. Il est gras, & ne s’évapore point ni ne s’affaiblit.
Plusieurs personnes font usage de la colle de poisson pour éclaircir le vin d’Arbois. Elles en mettent ordinairement du poids d’une pièce de deux liards pour un vase de soixante pintes. Il faut que cette colle soit bien battue, & qu’on l’ait laissée infuser pendant 48 heures dans des cendres chaudes. Le vin est pourtant de meilleure qualité, quand il est éclairci naturellement.
Lorsque le vin a passé par toutes les opérations que nous venons de rapporter, on le met en bouteilles ; ce qui se fait ordinairement dans le courant du mois de Mars.
Ceux qui veulent avoir du vin de garde parfait exposent dans un grenier & à la plus forte gelée le tonneau qui le contient, mais débouché. Toutes les parties aqueuses se congèlent par ce moyen, & il ne reste que la pure substance du vin : mais on doit bien prendre garde de le soutirer avant qu’il dégele. Ce serait nuire à sa qualité & perdre presque tout le prix.
Cette méthode nous a été confirmée par une autre lettre dans laquelle nous trouvons quelques circonstances qui ne sont pas dans la lettre précédente. Ce n’est que le vin blanc d’Arbois qui se fait de la manière ci-dessus marquée, & cette espèce de vin n’est guère que la cinquième partie de ceux du pays. L’on destine pour ce vin les cantons les plus exposés au soleil & où il y a une grande partie de muscats. Pour ce qui regarde le vin rouge, on suit à Arbois à peu près la même méthode que dans les autres provinces, & l’on ne laisse pas geler le raisin sur le cep. Plus le vin blanc d’Arbois est gardé, plus il prend de liqueur ; & quoiqu’il perde de sa douceur, il est fort agréable à boire, & conserve mieux son goût que les muscats de Provence & de Languedoc. Il se fait aussi à Arbois de petits vins blancs suivant la manière ordinaire, sans qu’on laisse geler le raisin.
Par une troisième lettre de Moissey, village de Franche-Comté, près d’Auxonne, il est dit que cette méthode contribue beaucoup à perfectionner la qualité des vins blancs. Les seigneurs de cette terre ont un enclos de quelques journaux de vigne qu’ils ne font vendanger qu’après les gelées. Cette précaution leur procure un vin très supérieur à celui des autres Habitans, même à celui de la même vigne, lorsque la récolte s’est fait plutôt. Il est vrai que par là, les Propriétaires perdent environ un quart sur la quantité, mais la qualité les dédommage amplement de cette diminution.
Il serait à souhaiter, ajoute l’Auteur de la lettre, que l’on pût pratiquer cette méthode dans toute l’étendue du vignoble. Comme les gelées seraient nuisibles au vin rouge, l’embarras de faire les vendanges en deux saisons, la difficulté de garder les vignes, l’incommodité des mauvais temps qui surviennent, sont probablement les obstacles qui s’opposent à l’établissement général de cette pratique.

Notes

1 Statut octroyé par Othon IV, sire de Salins et comte palatin de Bourgogne. Retour au texte

2 Philippe le Hardi, par son union avec Marguerite de Flandre, recueille en héritage la Comté ; son petit-fils Philippe le Bon, en 1463, abolira les taxes sur les vins d’Arbois destinés aux villes de la Comté. Retour au texte

3 La Franche-Comté d’aujourd’hui. Retour au texte

4 Les pays du nord apprécient la saveur sucré-salé épicé que la France abandonnera à partir du xviie siècle sous l’influence de la cour royale (Pitte 2009, p. 195). Retour au texte

5 Gresser 2021, p. 100-118 ; com. pers., 2022 Retour au texte

6 Vin classiquement de plus d’un an au Moyen-Âge. Retour au texte

7 Ou « Barry », « Barroilles ». Retour au texte

8 Chapitre XVI, livre II, Mémoires historiques de la République séquanoise et des princes de la Franche-Comté de Bourgougne..., p. 86. Retour au texte

9 On connaît toute l’importance de cet élément pour l’amélioration de la conservation du vin. Retour au texte

10 Dénomination qui apparaît seulement au début du XIXe siècle (Dauphin 1809) ; plus connu sous de nombreuses dénominations dont les principales, pour le Jura sont : sauvagnin, salvagnin et tout particulièrement naturé à Arbois. Retour au texte

11 Un des noms du savagnin dans le vignoble bisontin. Retour au texte

12 Si la fabrication du clavelin ne date que de la deuxième moitié du XIXe siècle, la verrerie de la Vieille-Loye (Jura), possession des Comtes de Bourgogne, est en activité depuis au moins la fin du XIIIe siècle (Kuster et al. 2018). Retour au texte

13 A table en compagnie de béatrix de Cusance et de constantin Huygens : habitudes alimentaires des nobles et des bourgeois au XVIIe siècle par Ineke Huysman (Lettre de Béatrix de Cusance à Claude François Pelletier, 21 décembre [1653], BMB, Ms. 1117, Fo 35-36) In : Delsalle et Delobette 2017, p. 211. Retour au texte

14 Cité par Bénédicte Jeanningros, Vins, vignes et vignerons à travers les testaments du ressort d’Arbois aux XVIIe et XVIIIe siècle (ADJ, 7B 165) In : Delsalle et Delobette 2017, p. 103. Retour au texte

15 Le nom du cépage chardonnay dans le secteur d’Arbois. Retour au texte

16 p. 344. Retour au texte

17 Histoire de l’église, ville et diocèse de Besançon, tome 2, p. 66. Retour au texte

18 Annonces, affiches, et avis divers (Paris), 94e feuille périodique du lundi 4 décembre 1752, p. 750. Retour au texte

19 Bidet N., 1759, Traité sur la nature et sur la culture de la vigne…, seconde édition, Paris, Savoye p. 53 - 54. Retour au texte

20 p. 24 cité par Claude Royer In : Le Château-Chalon, Un vin, son terroir et ses hommes, Berthet-Blondet J., Roulière-Lambert M.-J., (coord.), p. 7. Retour au texte

21 Ibid., p. 13. Retour au texte

22 p. 312. Retour au texte

23 Notes relatives au macvin et aux vins bouchés extraites du carnet domestique de Jean-Charles Papillard d’Arbois – 1805-1810 (Archives privées) In : Grispoux P., 1989, p. 204-206. Retour au texte

24 Il en est de même de l’appellation ‘savagnin jaune’ qui est citée pour la première fois par Tessier et Bosc, en 1819 mais dont la description ampélographique correspond sans équivoque au cépage chardonnay ! (Tessier & Bosc 1819, p. 125). Retour au texte

25 Très probablement un propriétaire, fin connaisseur des techniques de vinification. Retour au texte

26 Première citation, Champi 1774. Retour au texte

27 Il est démontré aujourd’hui que le « goût de jaune » est lié à la présence de sotolon synthétisé par des levures aérobies spécifiques du genre Saccharomyces (S. beticus, S. montuliensis, S. cheresiensis et S. rouxii), levures identiques dans les vins de Xérès. (Chaudat 2004 ; Charpentier 2011). Retour au texte

28 Cette pratique deviendra courante au XIXe siècle dans les vignobles septentrionaux. Retour au texte

29 Mr J., 52 ans, Montigny-les-Arsures, in Chaudat 2004, p. 104. Retour au texte

30 Éclaircissemens sur le vin d’Arbois, p. 397-398, texte intégral en annexe. Retour au texte

31 L’écriture du célèbre Cours d’Agriculture de Jean-Baptiste Rozier débute en 1787. Retour au texte

32 L’auteur propose une réduction d’une partie du moût en sirop par cuisson. Retour au texte

33 Dans ce même document, on précise que l’on cultive également des muscats à Arbois. Retour au texte

34 Nombreuses sources référencées dans Chevrier, 2018 : L’Arbois Jaune 1774. Retour au texte

35 Pierre Grispoux « Personne à ma connaissance, n’a pris de note sur les caractéristiques de la récolte ni la qualité des vins blancs de garde faits à Arbois en 1774... » cité par Chevrier, 2018, p. 50. Retour au texte

36 Conserver pendant plus de 200 ans dans une cave arboisienne de la famille. Retour au texte

37 Se reporter également à l’article important de Claude Royer sur l’origine du vin jaune In : Berthet-Blondet J. et Roulière-Lambert J.-M. 2013. Retour au texte

38 Royer et al. 1988, p. 34 ; Royer 2013. Retour au texte

39 Manuscrit reproduit par Guichard (abbé J.), Mémoires de la Société d’émulation du Jura, 1892, p. 280. Retour au texte

40 L’acidité du savagnin associée à un taux d’alcool naturel relativement élevé assure son lent et long vieillissement. (Pitte 2009, p. 195) Retour au texte

41 Nécessité en particulier de payer des garde-vignes pour éviter le pillage par les oiseaux migrateurs (grives, étourneaux) très présents en hiver. Retour au texte

42 In : Chevrier, 2018, p. 19. Retour au texte

43 Vente des biens nationaux (domaines et possessions de l’Église, propriétés de certains nobles), décret du 2 novembre 1789. Retour au texte

44 Sauf le vin de paille dont l’élaboration semble naître à Poligny vers 1766 selon Chevalier 1774, p. 63. Retour au texte

45 Au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Retour au texte

46 Cette légende fait penser au révérend père Dom Pierre Pérignon, inventeur du Champagne... Retour au texte

47 Des bouteilles de vin de garde de 1754 de l’abbaye sont dégustées à Vienne et « jouter avec le tokay », Ferrer, 2013, p. 180. Retour au texte

a Orthographe du document respectée. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Max André, « Le vin blanc de garde d’Arbois connu du xvie au xviiie siècle n’est pas le vin jaune d’aujourd’hui », Crescentis [En ligne], 5 | 2022, publié le 15 novembre 2022 et consulté le 21 novembre 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. DOI : 10.58335/crescentis.1273. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/crescentis/index.php?id=1273

Auteur

Max André

Société botanique de Franche-Comté, Conservatoire botanique National de Franche-Comté

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