Professeur à l’Université d’Ottawa et historien du vin, Rod Phillips propose une synthèse sur l’histoire du vin en France, qu’il fait commencer dans l’Antiquité (grecque puis romaine), pour l’achever au xxie siècle. Le déséquilibre chronologique de l’ouvrage est cependant assumé en faveur de l’histoire moderne et surtout contemporaine : sur les neuf chapitres, les deux premiers sont consacrés aux périodes antique puis médiévale. Les chapitres trois et quatre traitent de l’époque moderne. Les cinq derniers chapitres concernent le vin au xixe et au xxe siècle, en prenant comme découpage chronologique les principales crises économiques et politiques de la période (phylloxéra, Première Guerre mondiale, crise des années 1930, Deuxième Guerre mondiale). Le but premier d’une telle publication est d’être, l’auteur l’assume en introduction, la première synthèse sur l’histoire du vin en France publiée en langue anglaise, des classiques français (Roger Dion, Marcel Lachiver, Gilbert Garrier) n’ayant en effet jamais été traduits. Le deuxième objectif est d’expliquer la façon dont certaines régions françaises (en particulier la Champagne, le Bordelais, et la Bourgogne) se sont particulièrement imposées dans la mondialisation du vin. Sans pour autant totalement négliger les aspects culturels, l’ouvrage privilégie donc une approche d’histoire économique, en insistant sur la compréhension des régions de production, des routes de circulation et des marchés de consommation, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Tout en restant prudent sur les risques de téléologie, les connexions historiques entre certaines régions viticoles et des territoires étrangers, comme l’Angleterre (chapitre II), les Provinces-Unies (chapitre III), les États-Unis (chapitre V) ou l’Algérie (chapitre VI), sont mises en avant. La démonstration est appuyée par des tableaux de production, de surfaces du vignoble et de prix du vin. Certaines sources, notamment pour l’époque contemporaine (cartes postales, journaux, timbres-poste) fournissent au lecteur de ludiques illustrations. L’Antiquité est vue comme le moment où se construit l’intervention du pouvoir politique sur les vins (avec l’édit de Domitien de 92). Le Moyen Âge verrait l’émergence d’une viticulture « quantitative », dont la principale mission est la production de gros volumes de vin pour les marchés extérieurs. La période moderne serait celle de la constitution d’une viticulture à deux vitesses, entre vins fins d’un côté et vins de masse de l’autre, tandis que la Révolution française serait une période globalement favorable à l’expansion du vignoble, favorisée notamment par les lois libérales. Enfin, le xixe siècle est perçu comme l’apogée d’un modèle de vignoble français qui privilégie nettement la quantité à la qualité. Le “tremblement de terre” de la crise du phylloxéra, évoqué dans le sixième chapitre est le point central de l’ouvrage, et les cinquante années qui suivent constituent, selon l’auteur, le basculement d’une production de quantité vers une production de qualité du vignoble français. De ce point de vue, le phylloxéra n’est vu que comme la première des trois crises (avec la crise des années 1930 et la Seconde Guerre mondiale) qui révèlent des phénomènes de surproduction et de difficultés d’exportation du vignoble français. Les phénomènes de concentration du vignoble et l’encadrement législatif du vin qui suivent la crise du phylloxéra servent de terreau à un mouvement qui aboutit au système des AOC dans le milieu des années 1930. C’est par une législation plus forte contre les fraudes, une production moindre et une mise en avant des terroirs, que la viticulture française a pu conserver une insertion efficace sur le marché international. L’auteur conclut par la continuité de cette logique après la Seconde Guerre mondiale. Le vignoble français, qui mesurait 1,4 million d’hectares en 1945, a perdu 45 % de sa surface depuis, et ce sont les productions de vin de table qui ont été les plus durement touchées. On pourra regretter l’absence de mention des travaux de certains spécialistes français du vin (Geneviève Gavignaud-Fontaine, Thierry Fillaut, Stéphanie Lachaud, Stéphane Le Bras, Rémy Pech), qui, dans une démonstration d’histoire économique auraient pu être très utilement mobilisés. La démonstration de l’ouvrage reste cependant très documentée à défaut d’être particulièrement originale, et elle fournit une clé de lecture cohérente pour comprendre l’insertion de la viticulture française dans le commerce mondial, en particulier pour les trois derniers siècles.
Rod Phillips, French wine. A history
Référence(s) :
Rod Phillips, French wine. A history, Berkeley, University of California Press, 2016
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Nessim Znaien, « Rod Phillips, French wine. A history », Crescentis [En ligne], 4 | 2021, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/crescentis/index.php?id=1205
Auteur
Nessim Znaien
UMR7303 TELEMMe (Temps, Espaces, Langages, Europe Méridionale – Méditerranée), université