Georges-Henri Rivière n’a pas fondé le Musée du vin de Beaune

DOI : 10.58335/crescentis.1048

Résumés

Traditionnellement, la création du musée du Vin de Bourgogne de Beaune est attribuée à Georges-Henri Rivière en 1946. Pourtant, la structure ouverte à cette date est loin d’être la première du nom. En effet, l’histoire du musée du vin commence dès les années 1910 dans une volonté de promotion touristique. Elle est le fruit de la volonté des élites économiques et politiques locales et se veut à la fois une réponse à la crise de mévente de l’entre-deux-guerres et au développement des questions ethnographiques. La mise en valeur du patrimoine vitivinicole beaunois est donc avant tout la résultante d’une mobilisation et d’une réflexion locales. Lorsque Georges-Henri Rivière intervient en 1946, il s’agit avant tout de donner un caractère scientifique et ainsi de relégitimer une institution marquée par la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, Georges-Henri Rivière n’a pas fondé le musée du vin, mais il lui a donné toute sa place au sein du réseau des musées d’ethnographie.

Traditionally, the creation of the Burgundy Wine Museum in Beaune in 1946 is attributed to Georges-Henri Rivière. However, the 1946 structure is far from being the first of the name. In fact, the history of the wine museum began in the 1910s form a desire to promote tourism. It stems from of the will of the local economic and political elites and is intended both as a response to the sales slump between the wars and the development of ethnographic issues. Therefore the development of the Beaune wine heritage is above all the result of local mobilisation and reflection. When Georges-Henri Rivière intervened in 1946, it was above all a question of giving a scientific character and thus to give legitimacy once again to an institution affected by the Second World War. Thus, Georges-Henri Rivière did not found the Musée du Vin, but he gave it its rightful place within the network of ethnographic museums. [Traduction de Candice Médigue]

Plan

Texte

Article soumis le 16 décembre 2020, accepté le 5 juin 2020 et mis en ligne le 15 juillet 2020.

Si l’on fait l’étude des dépliants successifs consacrés au musée du Vin de Bourgogne voire de l’intitulé des conférences du dernier colloque des climats de Bourgogne du 29 novembre 20191, on retrouve toujours la même antienne rappelant la fondation du musée par le seul Georges-Henri Rivière.

La volonté de rattacher la création de ce musée de province, devenu un des emblèmes des musées d’ethnologie, semble s’apparenter à celle de mettre en avant le geste du muséographe, le culte du grand homme et la prééminence des instances culturelles parisiennes au détriment d’une mobilisation locale ancienne et de la forte implication des instances politiques beaunoises dans la naissance de cet établissement.

Ainsi, il nous faudra démontrer combien la naissance du musée du Vin appartient aux associations et aux initiatives individuelles beaunoises, mais aussi comment Roger Duchet, maire de Beaune de 1932 à 1944, puis de 1945 à 1965, s’est emparé du projet pour en faire son « palais du Vin » avant de revenir, dans un troisième et dernier moment, sur le rôle de Georges-Henri Rivière et d’André Lagrange dans la conception du musée du Vin que nous connaissons aujourd’hui.

Ces questions ont pu être éclaircies, notamment grâce à la réapparition des archives du musée du Vin retrouvées en 2008 dans un garage du Service des musées de France. Elles ont fait l’objet d’un versement réglementaire aux Archives municipales et ont été reclassées en série R. La consultation de ces archives a été complétée par celles des séances et des registres de délibérations du conseil municipal et par la correspondance envoyée par Emile Goussery, conservateur des musées à Auguste Dubois, qui fut maire de Beaune entre 1919 et 1929. À ces sources de première main sont venus s’ajouter les travaux de Margot Mazuet (Mazuet 2017) et Estelle Vieux-Fort (Vieux-Fort 2014) ainsi qu’un article d’Annie Bleton-Ruget (Bleton-Ruget 2006) sur la question des musées d’ethnographie en Bourgogne. L’ensemble des archives du musée du Vin n’étant pas encore totalement classé, ni exploité – une partie se trouvant aux Archives nationales ou au musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (MUCEM), cet article est donc avant tout un bilan d’étape.

1912-1938 : prémisses et tâtonnements

C’est en novembre 1912 qu’apparaît pour la première fois – en l’état des recherches actuelles – une association pour la création du musée Viticole et Vinicole présidée par le docteur Vesoux2. Abel Amédée Pierre Vesoux est né à Savigny-lès-Beaune en 1857. Après avoir fait ses études à Lyon, il revient s’installer à Beaune où il devient médecin de l’Hôtel-Dieu en 1892 et anesthésiste. On note qu’il est très engagé dans le groupe espérantiste de Beaune et participe même, aux côtés de son confrère le docteur Dreumont, à la traduction du guide touristique de Savigny en espéranto. C’est donc avec cet homme, engagé dans la vie locale, que commence l’histoire du musée du Vin. Il parvient, grâce à des dons successifs, à rassembler 200 objets qu’il conserve chez lui et à la station œnologique3 créée au début du siècle. Amedée Vesoux, s’il est médecin, est également propriétaire de vignobles, ce qui explique sa sensibilité au sujet et les relations qu’il a pu nouer dans ce milieu.

La volonté de créer un musée est confirmée par un article de l’Indépendant de Semur, repris dans le Journal de Beaune du 23 janvier 1913 et intitulé « M. Fallières à la Bourgogne » : « On sait que nos voisins de Beaune (et de Nuits) songent à créer un Musée du vin. Or, leur initiative serait de demander à M. Fallières, redevenu président des vignerons en cessant d’être celui de la République, de s’inscrire pour la fondation de cette œuvre philanthropique et commerciale. Et pourquoi pas ? Le vin qui donne à notre race tant de qualités ne mérite-t-il pas ce double hommage ? Que de bibelots suggestifs, instructifs, plaisants, sévères et même précieux ne pourrait-on pas voir en ce musée, depuis les bouteilles et les verres à travers les âges jusqu’aux outils de la vigne en passant par les étiquettes, les armoiries, les cachets de cire, générateurs de chansons gauloises. Ce musée, installé à Beaune, aurait du succès, il incarnerait un peu l’histoire de la France… »4. On voit dans cet article qu’une partie des idées présentes dans le musée installé par l’équipe des Arts et Traditions populaires (ATP) à partir de 1945 est déjà présente puisque sont mentionnés « les bouteilles et les verres à travers les âges, les outils de la vigne ».

L’association fait même un appel solennel aux dons auprès « de tous les amis du Vin de Bourgogne, en les priant de lui abandonner tout ce qui serait susceptible de prendre place dans ce Musée […] que celui qui n’en possède pas incite ses voisins à nous abandonner les siens. Les dons en argent seront aussi les bienvenus, pour pourvoir aux frais d’installation et d’entretien des collections »5.

Ce premier projet associatif avorte pour deux raisons essentielles : le déclenchement de la Première Guerre mondiale qui entraîne la mobilisation d’Amédée Vesoux en tant que médecin affecté aux soins des blessés. Vesoux meurt le 19 octobre 1918 à Beaune, atteint par l’épidémie de la grippe espagnole.

D’autres protagonistes tentent de reprendre l’idée, notamment Auguste Dubois, maire de Beaune de 1919 à 1929 et président de la Société d’histoire et d’archéologie de Beaune. Cependant, les années vingt sont avant tout l’objet de conflits avec Dijon concernant l’organisation des fêtes folkloriques : la foire gastronomique pour la capitale des ducs et la Vente des vins et fêtes vinicoles pour Beaune6. On note une exposition « rétrospective du vin » en 1921 à laquelle s’ajoute une exposition d’instruments vinicoles, opération qui se renouvelle chaque année pendant toute la décennie tandis que les années 1930 se concentrent sur les expositions « d’art bourguignon » et… d’automobiles. Ces expositions sont conçues sous l’impulsion d’Auguste Dubois et Emile Goussery, peintre aquarelliste, professeur de dessin au collège, devenu conservateur des musées de Beaune en 1925.

On retrouve traces d’un projet autour du vin au détour d’un article du Journal de Beaune en date du 2 octobre 1928 : « le Conseil général ayant décidé l’aliénation de certains bâtiments départementaux parmi lesquels le tribunal de Beaune et la prison, le Conseil municipal se range à l’avis de M. le Maire qui aimerait voir ces bâtiments occupés par le Musée ou la Bibliothèque ou une maison des services publics ou une maison du Vin »7. Même si le projet n’aboutit pas – le tribunal appartient encore à l’État aujourd’hui, et la prison fut démolie au début des années 1980 – on voit donc resurgir l’idée d’une « maison du vin » dont le contenu n’est pas explicité, mais qui pourrait être une préfiguration d’un musée du Vin même si le terme de musée n’est pas employé.

Auguste Dubois cède sa place à Emile Labet en 1929 à la tête de la municipalité. On peut penser que ce dernier aurait à cœur de mettre en valeur le terroir et le vin, étant lui-même propriétaire de vignobles, mais son mandat est écourté par une crise municipale, et il ne semble pas avoir eu le temps de se préoccuper de la question. Seule celle de l’état de l’ancien Palais des ducs a retenu l’attention de la commission des finances municipales dans un rapport du 19 avril 1932 : « cet immeuble semble devoir être une grosse charge pour la ville. Le jour où elle en prendra possession, elle devra faire des réparations d’entretien d’une telle envergure, et si bien remanier la disposition des lieux, qu’elle sera fort en peine de retrouver dans une majoration des locations l’intérêt des sommes englouties. Si j’ajoute que, puisqu’il s’agit d’un monument classé pour partie, les Monuments historiques pourront nous imposer telles réparations du gros œuvre qu’il leur plaira et tel devis qu’ils auront élaboré […] »8. Aucun projet précis n’est donc associé à ce bâtiment historique dont la propriété est vécue par le conseil municipal comme une charge et non comme une chance dans cette période de récession économique.

Tout commence à changer avec l’élection du nouveau maire, en octobre 19329. Roger Duchet, jeune vétérinaire de 28 ans, devient le premier édile de Beaune, et ce jusqu’en 1965. Deux ans après l’arrivée de l’équipe de Roger Duchet à la tête de la municipalité, la question du musée du Vin revient à l’occasion d’un don évoqué à la séance du conseil municipal du 10 juillet 1934 : un généreux donateur a offert 50 000 F au musée de Beaune. On prévoit alors la construction, au-dessus de la salle dite « du canon » du musée de la ville : « d’une nouvelle salle destinée à abriter le Musée du vin. Cette nouvelle salle sera agrémentée d’un superbe plafond à la française provenant de la Banque de France et donné à la Société d’histoire et d’Archéologie de Beaune qui l’a, elle-même remis à la ville. Le Musée du vin serait, lui aussi, éclairé par une baie sur la cour de la police »10. Si plus aucune trace n’existe de ce musée, il subsiste toutefois à l’étage, dans l’aile droite de l’hôtel de ville, dans une des salles de l’ancien musée Marey fermé en 2004, le plafond peint à la française provenant de l’ancienne maison du maïeur. L’ambition était encore modeste pour le futur musée du vin car la salle est assez petite et ne devait donc être destinée qu’à abriter une quantité très limitée d’objets. Mais, dans l’état actuel des recherches, c’est la première mention d’une volonté municipale de réaliser une ébauche de musée du Vin. Cet emplacement est également évoqué dans une lettre du conservateur Emile Goussery à Auguste Dubois en date du 3 décembre 1934 : « C’est là que je proposerai d’installer le Musée du vin si Charles Maitrot me donne, comme il me l’a laissé entendre, un atelier complet de tonnelier »11. La mention de l’atelier de tonnelier, dès 1934, et donc bien avant toute intervention de Georges-Henri Rivière et d’André Lagrange, montre une volonté de traiter des métiers de la vigne et du vin, préfiguration de la salle des tonneliers qu’on connaît encore aujourd’hui. Le futur musée du Vin fait d’ailleurs l’objet de dons réguliers comme le mentionne Emile Goussery dans une lettre du 7 janvier 1935 où il indique le don « d’une tasse de mariage en argent et une serpette de vendange en fer travaillé, objet ancien de bon style »12.

L’idée d’un musée du Vin plus ambitieux germe toutefois peu à peu dans les esprits, et sa paternité est revendiquée par plusieurs acteurs : les tenants de l’ancienne municipalité Dubois, comme le conservateur Emile Goussery, estiment en avoir eu l’idée les premiers tandis que le maire Roger Duchet reprend lui aussi le flambeau. La question du lieu est le principal sujet de discussion, tout comme son appellation.

En effet, alors que rien dans les comptes rendus précédents ne laissait présager une telle annonce, le maire Roger Duchet émet, lors de la réunion du conseil municipal du 30 octobre 1935, le souhait de disposer d’une salle des fêtes plus spacieuse, mais aussi « qu’on profitât de l’occasion pour faire de cette construction un Palais du vin où se ferait la dégustation permanente de tous les grands crus ; où l’on installerait un Musée du Vin et une Station Uvale »13. Prévoyant déjà les oppositions à venir, le maire se fend, dans le même numéro du Journal de Beaune, d’un article intitulé « Un Palais du Vin » et justifie son annonce par le fait que la « Bourgogne traverse une crise d’une gravité exceptionnelle. Beaune, capitale vinicole a le devoir de se préoccuper d’une telle situation. »

L’entre-deux-guerres est une période de crise pour le commerce du vin. Si la production s’envole dès le début des années 1920, les débouchés internationaux se ferment, tant en Union Soviétique qu’aux États-Unis, qui vivent désormais sous le régime de la prohibition. L’Asie est, de son côté, empêtrée dans les guerres sino-japonaises et ne peut donc remplacer les marchés traditionnels (Lucand 2011). Il convient donc d’attirer une clientèle locale, amatrice de tourisme et de vin.

Le projet qui vient de naître a déjà une certaine structure puisque le maire indique vouloir faire coexister une exposition permanente des vins « de toute la Bourgogne. Les touristes, après avoir admiré les Hospices de Beaune, visiteront le nouveau Palais et son Musée du vin, achèteront des paniers-réclames et dégusteront des crus renommés […] »14. L’emplacement de cette nouvelle structure est encore en réflexion, le maire évoquant un terrain municipal situé sur la route de Dijon, et donc totalement en dehors du centre-ville. Il semble que le projet municipal n’ait pourtant pas fait l’unanimité de l’aveu même de Roger Duchet qui indique en fin d’article : « quelques heures après le vote du projet, certains groupements ont cru devoir annoncer une réalisation analogue. C’est la preuve qu’il est utile de construire un Palais du vin. C’est la preuve aussi qu’il est difficile de faire l’union nécessaire entre tous ceux qui vivent de la vigne et du vin […]. » On ne sait pas exactement à quel projet Roger Duchet fait allusion, mais l’élu radical n’a pas été élu avec l’appui du négoce en 1932 qui a vu son accession à la tête de la municipalité d’un assez mauvais œil, d’autant qu’en octobre 1935, Roger Duchet avait marqué son appui à la constitution d’un front populaire dans une motion rédigée par la Fédération radicale et radicale-socialiste de la Côte-d’Or dont il est président. Faut-il voir dans ces projets concurrents une rivalité politique ou une réponse du négoce à l’absence de concertation en amont et une annonce trop précipitée du jeune édile ?

Dans une lettre du 15 novembre 1935, Emile Goussery écrit à Auguste Dubois et commente l’idée de Roger Duchet d’installer un « Palais du vin » après avoir rasé le Kroumir, le grand lavoir situé au coin de l’avenue de la République. La prose de Goussery ne laisse pas beaucoup de doute sur son adhésion au projet du maire : « le dictateur a saisi toutes les occasions de parler du Palais du Vin, à construire sur le Kroumir. Coïncidence plutôt étrange. Ce sera peut-être le Palais du mauvais pinard… bien des commerçants ne voient pas la chose d’un bon œil. Dans notre petite exposition, tout paraissait devoir trouver place dans ce palais du vin, les tableaux, dessins ou lithographies, au panneau vigne et vin, les affiches-réclames dont une de Chaillet vert et rouge etc. Vingt fois, il est revenu sur ce sujet, quêtant visiblement une approbation de mes deux aides et de moi-même, qui étions sur ce sujet, muets comme carpes ! Seul Loiseau approuvait chaudement. Quand la pipe magistrale s’est éteinte, le trio a regagné le cabinet du tyran de Beaune, ruminant le mirifique projet du Palais du Vin, seule marotte du grand chambardeur, au moins pour le moment »15.

L’étude financière est toutefois menée puisqu’on trouve, dans une note confidentielle conservée dans le dossier de préparation au conseil municipal du 24 janvier 1936, une évocation du palais du Vin pour lequel il faudra emprunter 1 million et demi16. Pourtant, plusieurs équipements municipaux étant prévus, le projet de palais du Vin est écarté au profit de la réalisation d’une piscine qui, elle-même ne verra pas le jour avant la seconde moitié des années soixante. En décembre 1936, l’hôtel de ville et donc les salles du musée sont victimes d’un incendie, ce qui marque un coup d’arrêt aux velléités d’agrandissement des lieux.

Si les choses n’ont guère avancé depuis 1912, le musée du Vin restant une simple salle à l’étage de l’aile droite de l’hôtel de ville, on remarque toutefois que des dons sont effectués, qui ont trait aux métiers de la vigne : le don d’objets et documents concernant la tonnellerie est déjà à l’ordre du jour. Roger Duchet, maire de Beaune depuis 1932, est très conscient de la nécessité d’inscrire Beaune dans le renouveau du folklore porté alors par la foire gastronomique de Dijon, la Paulée de Meursault ou, depuis 1934, par la Confrérie des chevaliers du Tastevin à Nuits-Saint-Georges, jusque-là en retrait malgré ce projet de musée planant depuis 1912. Il doit désormais trouver sa place : il est temps d’ouvrir un musée du vin d’initiative municipale.

1938-1945 : l’ouverture du musée du Vin porté par la ville de Beaune

Aux débuts de son premier mandat, Roger Duchet a fort à faire pour s’imposer comme maire de Beaune : jeune vétérinaire de 28 ans, originaire de Milly-Lamartine, il n’a aucune attache dans le monde du puissant négoce beaunois qu’il s’est aliéné par ses positions radicales et ses discours anticléricaux. Il est, dans la première moitié des années trente, plus proche des milieux agricoles, étant président du syndicat d’Élevage et de la ligue du Bon Lait. Ses premières préoccupations en termes d’investissement public vont plutôt au soutien de l’enseignement public avec la construction de la nouvelle école de filles17, dont l’architecture controversée effraie les Beaunois, ou au développement des colonies de vacances avec l’acquisition de la colonie de Saint-Romain. Il s’intéresse aussi très tôt à la pisciculture avec la construction de bassins piscicoles à la Bouzaize ou à l’enseignement de la natation puisqu’il projette de bâtir une piscine municipale18.

Toutefois, Roger Duchet semble réfléchir à la question de la promotion du vin, même s’il a bien du mal à imaginer quelle forme elle peut prendre. Il reprend donc à son compte la vieille idée du musée, qu’il intitule dans un premier temps le « Palais du vin ». La question du lieu occupe les années trente, et c’est en 1938 qu’on voit apparaître sous la plume d’Emile Goussery la mention de l’ancien hôtel des ducs de Bourgogne : dans une lettre à Auguste Dubois datée du 2 janvier 1938, il écrit : « dans l’hôtel des ducs, à côté de la grandiose conception du Musée du vin […], il y aura le Musée de la Pierre »19. L’hôtel des ducs est propriété de la commune depuis 1919, date à laquelle elle hérite du bâtiment de Mlle Develle. L’ensemble est en mauvais état, en partie loué, et les municipalités successives ne savent pas bien quoi faire de ce legs encombrant. Si, en janvier 1938, l’affaire semble donc faite et le musée prévu à l’hôtel des ducs, changement de programme dès le mois suivant comme l’indique encore Emile Goussery : « changement pour l’emplacement du Musée du Vin. Le local de la rue Paradis est jugé, maintenant trop petit pour l’importance que l’INVENTEUR veut donner à son musée du Vin. Moi, je veux bien, si nous trouvons de quoi le remplir ! Le ministre de l’Agriculture doit venir cette année à la Confrérie du Tastevin et bien entendu, Beaune ferait, à cette occasion, dans les celliers des Hospices, une manifestation en l’honneur du Ministre (celui actuel ou le suivant) et inauguration du Musée du Vin, devinez-où : au Beffroi ! »20.

L’hôtel des ducs est donc destiné à d’autres projets, et la municipalité y installe le musée de la Pierre, inauguré le 19 juin 1938 par M. Hourticq, membre de l’Institut et M. Douarche, directeur de l’Office International du Vin. Le 3 juillet 1938, une auberge de jeunesse de dix lits est également installée dans les bâtiments. Le musée du Vin, lui, est bien inauguré au beffroi, mais sans le conservateur des musées Emile Goussery qui est écarté du projet au profit de Joseph Delissey, proche du maire Roger Duchet et secrétaire général de la mairie. La situation est totalement inédite : le secrétaire de mairie devenant en même temps, par la volonté du premier édile, conservateur du musée du Vin. Une lettre de Goussery datée du 11 avril 1938, le confirme avec aigreur : « aidé de Delissey, le Maire arrange son Musée du vin, qui ainsi devient sa chose ! »21. Le musée du Beffroi est donc inauguré en juin 1938, en même temps que le musée de la Pierre. Joseph Delissey, dans un texte de 193922, rappelle rapidement toute la genèse du projet, n’oubliant pas de mentionner les premières tentatives du docteur Vesoux, les volontés contrariées d’Auguste Dubois ou le travail d’Emile Goussery avant de louer « l’activité de notre jeune Maire, M. Duchet » qui permit l’ouverture d’un établissement digne de ce nom.

En 1938, tout est donc en place, le musée du Vin est ouvert sur l’initiative du maire Roger Duchet, secondé par Joseph Delissey, nommé officiellement conservateur par arrêté préfectoral du 5 décembre 1938, les deux personnages s’appuyant sur des initiatives antérieures.

Le musée est inauguré le 19 juin 1938 en présence de Léon Douarche, directeur de l’Office international du vin qui prononce un discours à connotation historique qui exalte l’importance des vins de Beaune depuis les Éduens. L’orateur convoque toutes les grandes figures d’une Bourgogne mythifiée : les moines cisterciens, les ducs de Bourgogne, les papes et les rois de France. « C’est cette gloire que votre musée du vin est appelé à perpétuer » conclut-il dans un élan de lyrisme23.

Il n’est nullement question d’une quelconque intervention de Georges-Henri Rivière dans cette fondation. Nous pouvons avoir une idée très précise du contenu, la description des salles ayant été donnée par Joseph Delissey dans un article paru dans le Journal de Beaune du 29 juin 1939, qui reprend les notes du conservateur qui ont servi à l’aménagement du Beffroi24. On sait donc que le musée comprend cinq étages avec, au rez-de-chaussée, un espace aménagé autour du métier de tonnelier, que l’on retrouvera également mis à l’honneur au deuxième étage avec l’exposition des objets, gravures et documents de l’ancienne corporation des Tonneliers de Beaune. La description du contenu de ces deux pièces consacrées aux tonneliers rappelle d’ailleurs la salle de la tonnellerie actuellement présentée à l’hôtel des ducs. Le premier étage regroupe les « vieux outils de vignerons, divers appareils pour la lutte contre le phylloxéra […] des hottes, petits barils […] » La salle du troisième étage semble être un curieux mélange entre le métier de tonnelier et celui de caviste, les deux restant assez proches dans l’esprit de ceux qui aménagent les lieux. L’espace du quatrième étage montre une collection de récipients – verres et flacons, bouteilles –, mais aussi des coupes de mariage, tastevins auxquels sont mêlés des éléments du folklore renaissant : chansons à boire et menus à la gloire du vin. Enfin, la salle du cinquième étage est consacrée à la distillation avec un alambic. Enfin, sous le hangar de la cour se trouve entreposé un pressoir provenant de Mimande, petit village aujourd’hui hameau de Chaudenay situé en limite des départements de la Côte-d’Or et de la Saône-et-Loire, non loin des villages d’Ebaty et de Corcelles-les-Arts.

Si le plan paraît assez confus par moments, la tonnellerie se taillant la part belle – sans doute du fait des dons importants dont le musée a pu bénéficier – certains aspects que l’on retrouvera dans le musée actuel sont déjà présents : la tonnellerie, le folklore, la lutte contre le phylloxéra ou encore l’importance des contenants – verres ou bouteilles. Ainsi, lorsqu’il prendra en main, avec l’équipe des ATP, le destin du musée après la Seconde Guerre mondiale, Georges-Henri Rivière aura-t-il déjà une partie des collections à sa disposition et un premier plan sur lequel travailler.

Le travail effectué par Joseph Delissey sous la houlette de Roger Duchet n’est pas passé inaperçu puisque la ville de Beaune reçoit en décembre 1938 une distinction de l’Office international du vin pour « l’œuvre de propagande en faveur du vin qu’a réalisée votre Municipalité par la création du Musée du vin de Beaune »25. Ainsi, à la fin de l’année 1938, l’œuvre est accomplie, le musée du Vin est créé, et le nom de Georges-Henri Rivière n’est pas apparu une seule fois dans cette opération.

La Seconde Guerre mondiale arrivant, ce musée du Vin aurait pu, comme le projet précédent, être mis en sommeil pendant la durée du conflit. En effet, à l’hôtel de ville, Emile Goussery puis son successeur René André ont déménagé les collections du musée des Beaux-Arts afin de leur éviter bombardement et pillage. Le musée du Vin, lui, reste en place, même s’il est appelé à végéter pendant le conflit. C’est alors qu’un nouvel acteur fait son apparition : Albert Soulillou. Né à Chalon-sur-Saône le 15 juin 1905, Soulillou est donc originaire de Saône-et-Loire comme Roger Duchet et André Lagrange, un autre protagoniste dont il sera question par la suite. Dans son dictionnaire des anarchistes26, Jean Maitron le présente comme le créateur du musée du Travail bourguignon devenu « le musée du Vin de Beaune ». Voilà le musée de Beaune doté d’un nouveau père après Amédée Vesoux, Emile Goussery et Roger Duchet et avant Georges-Henri Rivière.

Albert Soulillou est fils d’un militant socialiste qui passe son enfance entre Angers, Chalon-sur-Saône et Dijon. Orphelin de mère à 15 ans, il fréquente l’école des Beaux-Arts de Dijon et milite dans les Jeunesses socialistes. Il monte ensuite à Paris en 1929 où il exerce brièvement le métier de peintre aux usines Ford avant de devenir journaliste. Il collabore à de nombreux journaux et adhère en 1932 au groupement des écrivains prolétariens. Il est notamment l’auteur de reportages sur l’Espagne en pleine guerre civile. Secrétaire de rédaction du journal L’Œuvre, il démissionne en juin 1940. Il devient chômeur, puis intègre un chantier forestier de chômeurs dans la Nièvre. Chef de chantier, il revient à Paris en 1942. C’est en 1943 qu’Albert Soulillou se rapproche de Beaune puisqu’il dirige le chantier de reclassement professionnel de Comblanchien qui participe à la cérémonie de bornage du clos du maréchal Pétain (Vigreux 2015). En octobre 1942, Soulillou prend contact avec Roger Duchet pour lui présenter ce projet de chantier d’art et de taille destiné à apprendre ou réapprendre aux sculpteurs à travailler la pierre de Bourgogne. Le chantier de Comblanchien ouvre le 15 février 1943 sous le nom de chantier école n° 3069. Pour Albert Soulillou, ce chantier n’est que le premier d’un triptyque. Il souhaite implanter à Beaune un chantier de la pierre et un chantier concernant le vin. Il propose à Roger Duchet dans un courrier du 18 octobre 1942 de « reprendre la constitution de votre Musée de la Pierre […]. Je suis convaincu également que la même chose est possible avec votre Musée du vin et du Tonneau si intéressant déjà mais qui doit devenir un véritable museum vivant de la viticulture et des métiers qu’elle touche, conçu de manière à pouvoir motiver à Beaune de véritables semaines d’études »27. Soulillou ébauche pour les musées beaunois un programme scientifique complet alliant mise en scène muséographique et recherche grâce à la constitution d’un centre de documentation qui ferait du musée du Vin un véritable lieu d’études appliquées. Dans une autre lettre, non datée, envoyée au maire de Beaune, il débaptise le musée et le nomme « Musée de la civilisation du vin » montrant son ambition pour le musée beaunois. Il veut créer une bibliothèque du vin, enrichir les collections et créer une véritable documentation reprenant les thématiques du folklore, des métiers du vin, du commerce avec collecte d’archives (livres de comptes, factures, pièces de procès…) : « avec un bureau d’archives juridiques viticoles permanent à consulter par tous les viticulteurs […] »28. L’idée d’un centre de recherches adossé au musée du Vin n’est donc pas du fait de Georges-Henri Rivière, mais a été émise par Albert Soulillou entre 1942 et 1943.

Toutefois, c’est sans doute par l’intermédiaire d’Albert Soulillou que Georges-Henri Rivière entend parler du musée du Vin de Beaune. Soulillou suggère en décembre 1942 à Roger Duchet que les chantiers beaunois pourraient être portés par un employé des ATP. C’est donc Albert Soulillou qui contacte Rivière ; il fait d’ailleurs au maire de Beaune le compte rendu de son entrevue dans un courrier du 12 décembre 1942 en indiquant que « Monsieur Rivière est vivement intéressé. Le travail se ferait, en somme sous sa compétence »29. Georges-Henri Rivière accepte la supervision des chantiers intellectuels de Beaune pour lesquels il serait secondé par Guy Pison pour le musée de la Pierre et de la Terre et Marcel Maget pour ce qui concerne la vigne, le vin et le tonneau. Il semble toutefois que ces chantiers soient restés à l’état de projets sans véritablement voir le jour.

Cette période 1938-1945 est donc une période décisive pour le musée du Vin à plus d’un titre : il ouvre enfin en 1938, au cœur d’un des bâtiments historiques beaunois, emblème du pouvoir civil, le beffroi, et en occupe tous les étages ; une partie des collections est constituée, et certains points forts sont mis en avant comme la tonnellerie, le folklore, la lutte contre les maladies de la vigne et les contenants du vin ; une esquisse plus scientifique voit le jour sous la plume d’Albert Soulillou qui propose un musée-centre de recherche et d’études et met en avant l’importance de l’étude du commerce et de la réglementation du vin ; le lien avec les ATP et les équipes de Georges-Henri Rivière est tissé.

1946-années soixante : la patte Georges-Henri Rivière

Une nouvelle fois les événements viennent mettre un coup d’arrêt aux projets en cours : les chantiers intellectuels cessent avec la fin du régime de Vichy, même si Albert Soulillou continue à déborder d’idées et ne cesse de correspondre avec Roger Duchet30 à propos de ses projets de musées. Mais le temps d’Albert Soulillou31 est passé, l’interlocuteur de la municipalité est désormais Georges-Henri Rivière qui se saisit de la question du musée du Vin dès le début de l’année 1946 comme en témoigne une lettre de Soulillou à l’adjoint au maire Philippon en date du 20 février : « j’oubliais que M. Rivière, directeur du Musée d’Art et tradition populaire qui revient à Beaune le 20, veut déménager le Musée du Vin du Beffroi et que sans doute ce musée sera recueilli par le Palais des ducs et associé au Musée de la Pierre et du Travail bourguignon »32.

Ainsi, Georges-Henri Rivière reprend l’idée, émise par le maire en 1938, d’installer le musée du Vin dans l’hôtel des ducs où il devait former un ensemble cohérent avec le musée de la Pierre installé par Soulillou. Cette idée d’installation à l’hôtel des ducs lui a sans doute été soufflée par la lecture du rapport de Guy Pison en date du 2 février 1943, de son entrevue avec M. Metrot, directeur de l’Enseignement et des recherches au ministère de l’Agriculture dans lequel Pison évoque sa rencontre avec les directeurs de la station Œnologique – M. Ferré – et du lycée viticole – Philippe Trinquet. Guy Pison précise que M. Metrot souligne « l’erreur d’installer un Musée dans le Beffroi où les escaliers sont si étroits que 2 personnes ne peuvent se croiser et l’inconvénient des escaliers à monter pour accéder aux différents étages. L’emplacement du Palais des ducs est de beaucoup préférable puisqu’il permet la présentation de pièces importantes telles que pressoirs et d’artisans tels que tonneliers » (Vieux-Fort, 2014)

Albert Soulillou s’aperçoit vite qu’avec Georges-Henri Rivière, il ne lui reste plus beaucoup d’espace d’expression, le directeur des ATP souhaitant vivement que le musée du Vin occupe l’entièreté du bâtiment, ce qui sera in fine le cas, écartant définitivement Albert Soulillou et son musée de la Pierre et du travail bourguignon. Il faut dire que Georges-Henri Rivière vient voir Roger Duchet avec un argument de poids : l’appui plein et entier de la toute nouvelle inspection des Musées de France et de ses subventions comme en atteste un courrier de Georges-Henri Rivière à Roger Duchet en date du 12 octobre 1946 : « j’ai le plaisir de vous informer que M. Vergnet-Ruiz, inspecteur général des Musées de province a ratifié, sur ma proposition et fait admettre par le Comité des conservateurs, l’acquisition au prix de 45 000 Fr de diverses pièces en cours d’installation dans le cellier des Ducs, notamment le pressoir mâconnais dit “à grand point” d’Hurigny. Cette acquisition est distincte de la subvention de 50 000 Fr dont M. Vergnet-Ruiz demandera l’octroi au Musée du vin de Bourgogne […] subvention destinée à participer aux frais de l’aménagement du cellier et de l’exposition de l’outillage traditionnel de vigneron de Bourgogne […] »33.

Ainsi, l’année 1946 voit Beaune accueillir Georges-Henri Rivière et son équipe des ATP, notamment André Lagrange dont les travaux à Romenay avaient beaucoup inspiré Rivière (Vieux-Fort 2014), un homme de terrain qui a su mener une véritable enquête dans le vignoble bourguignon et un travail de collecte qui permet d’enrichir notablement les collections existantes présentes dans le musée du Beffroi. Avant de démarrer l’aménagement de l’hôtel des ducs, l’équipe des ATP procède à un inventaire des collections avec l’aide de Joseph Delissey, toujours conservateur en titre et qu’il ne faut pas froisser au vu de sa proximité avec le maire et ses fonctions de secrétaire général de la mairie et d’Albert Soulillou qui se voit dépossédé peu à peu. C’est dans une lettre à Soulillou datée du 6 avril 1946 que Georges-Henri Rivière mentionne le plan élaboré par son correspondant pour le musée du Vin en 1943 tout en le qualifiant de « dispersé »34. Dans la même missive, Georges-Henri Rivière propose son propre plan, élaboré avec son adjoint Marcel Maget. Rivière et son équipe proposent huit thématiques : la synthèse historique du vignoble et du vin de Bourgogne, les travaux de la vigne, les travaux du vin, les produits annexes (marcs), les techniques annexes (tonnellerie…), le village vigneron, le commerce et la consommation à laquelle il adjoint « les arts et lettres du vin de Bourgogne », sans doute pour contenter le maire Roger Duchet qui crée cette même année 1946 l’Ambassade des vins de Bourgogne, une véritable académie littéraire dont le siège se trouve précisément à l’hôtel des ducs dans la grande salle de l’étage baptisée pour l’occasion « salle des Ambassadeurs »35.

Les choses avancent vite puisqu’en avril 1946, Georges-Henri Rivière et l’architecte des Monuments historiques Pierre Beck se concertent sur les travaux à réaliser dans le bâtiment de l’hôtel ducal, et Rivière précise l’emplacement de certaines salles thématiques. Les travaux seront réalisés par tranches et jamais entièrement. C’est pourquoi, sans attendre une rénovation complète, l’équipe des ATP ouvre une exposition temporaire au cœur de l’hôtel des ducs, débutant le déplacement de l’ensemble du musée du Beffroi vers son nouvel écrin. Le temps politique nécessite une inauguration assez rapide, pendant le week-end de la vente des vins des 16 et 17 novembre 1946 qui marque également le lancement officiel de l’Ambassade des vins en présence de nombreuses personnalités et journalistes membres ou non de l’Ambassade et de Georges Salles, directeur des Musées de France. On note qu’à cette occasion, le « nouveau musée des Grands Métiers bourguignons est également inauguré » ce qui démontre que le projet d’Albert Soulillou n’est pas encore tout à fait enterré. C’est aussi le moment où le musée du Vin de Beaune change de nom et est désormais appelé musée du Vin de Bourgogne affirmant son ambition régionale, Roger Duchet ayant réussi à persuader le chanoine Kir, maire de Dijon de ne pas aller au bout du projet de musée dijonnais qui devait prendre place au Cellier de Clairvaux36.

Quant à l’exposition temporaire inaugurale, elle reprend les résultats des campagnes ethnographiques d’André Lagrange mis en musique par une équipe des ATP composée de MM. Barré, Perreau et mademoiselle Michelin. L’exposition a pour titre « les outils traditionnels du vigneron dans la Côte de Beaune et en Chalonnais », le tout étant illustré par des photographies de Pierre Balmès. On retrouve deux autres expositions temporaires, l’une réalisée par Joseph Delissey autour des tastevins et coupes de mariage et l’autre due à René André, conservateur du musée des Beaux-arts de Beaune consacrée à la tapisserie avec notamment des œuvres de Jean Lurçat ou de l’enfant du pays Michel Tourlière. On voit, dans ces trois expositions conjointes, la volonté de ménager les susceptibilités des conservateurs beaunois auxquels un espace d’expression est accordé. Si Georges-Henri Rivière supervise l’événement, il ne réalise pas lui-même les expositions de 1946, le travail scientifique étant le fait d’André Lagrange comme Rivière le reconnait bien volontiers. Dans sa préface au catalogue du musée du Vin, Rivière salue d’ailleurs l’apport scientifique d’André Lagrange : « écrire pour les vitrines du musée beaunois ces commentaires toujours succulents, donnant un minime avant-goût de ce qu’aurait été la thèse » (Georges-Henri Rivière, 1965)37. De l’aveu même de Georges-Henri Rivière, certaines salles sont du fait d’André Lagrange et non du sien : c’est notamment le cas pour les salles des Travaux de la vigne, des Travaux du vin et des métiers auxiliaires de la vigne et du vin. Rivière désigne d’ailleurs ces salles comme des « salles Lagrange » dans son rapport de 1961. C’est donc bien le duo qu’il formait avec André Lagrange qui est à l’origine de l’agencement des salles du musée du Vin, même si la conception muséographique est signée Georges-Henri Rivière. On ne peut donc attribuer la « fondation » au seul Rivière puisqu’il réfute lui-même cette assertion. Il est certain que les deux personnages sont complémentaires, Lagrange, l’homme de terrain étant plus à l’aise avec les vignerons, et Georges-Henri Rivière évoluant avec aisance dans les milieux mondains et politiques. Notons enfin que Rivière s’entoure également de chercheurs et d’universitaires qui participent à la conception de certaines salles. C’est le cas de Lucien Perriaux, professeur de géographie qui coordonne la salle des conditions naturelles38.

Toutefois, Georges-Henri Rivière se montre très actif dans le soin apporté au suivi des travaux de l’architecte Pierre Beck, tous deux étant pressés par un Roger Duchet impatient de pouvoir inaugurer de nouvelles salles lors de la vente des vins de 1947. En bon communicant, le maire prévoit l’inauguration d’une nouvelle salle tous les ans. Les subventions pleuvent en 1947 : le 8 janvier, le maire annonce au conseil municipal que l’État octroie une subvention de 15 000 F pour le musée du Vin et 10 000 F pour les Beaux-Arts. C’est également en 1947 que le conseil municipal vote le paiement d’un acompte à Jean Lurçat « chargé de la confection d’une tapisserie destinée à la décoration de la salle de réception des Ambassadeurs des Vins de France à l’hôtel des Ducs de Bourgogne »39. Un crédit complémentaire de 400 000 F est voté le 15 avril 1950 pour le paiement de la moitié de la tapisserie de Lurçat à la gloire du vin. La direction des Musées de France avait payé également 400 000 F, soit la moitié du prix total grâce à l’intervention de Georges-Henri Rivière. Enfin, soulignons que Georges-Henri Rivière va même jusqu’à faire l’acquisition de certaines pièces avec ses deniers, et les musées beaunois conservent la trace de ses dons personnels. Il supervise également les collectes de terrain, même si c’est bien souvent André Lagrange qui sait persuader les vignerons de donner ou vendre leurs objets. De nombreux courriers entre Georges-Henri Rivière et les milieux beaunois (municipalité et personnalités comme Maurice Drouhin40) attestent de l’engagement du directeur des ATP dans la renaissance du musée du Vin : il fait des acquisitions pour le musée41, opère des dépôts du musée national des Arts et Traditions populaires (MNATP) au musée beaunois, préside à l’aménagement des nouveaux espaces, mais il est loin d’y travailler seul puisqu’André Lagrange y prend une part active jusqu’à sa mort en 1959. L’engagement de Rivière va jusqu’à la présidence de la société des Amis des musées de Beaune.

Les inaugurations s’enchaînent très régulièrement jusqu’au début des années soixante, le maire insistant pour donner à voir de nouveaux éléments chaque année. Lors du conseil municipal du 11 janvier 1957, le maire rappelle au conseil municipal que les aménagements du musée du Vin se poursuivent progressivement « sous la direction éclairée de M. Rivière, conservateur du Musée des Arts et Traditions populaires à Paris »42. Une nouvelle salle doit ouvrir. Le conseil donne un avis favorable pour des travaux dont le devis se monte à 1 250 000 F. Le rôle de Rivière est ainsi confirmé, tout comme son implication sans faille, y compris à la tête de la société des Amis des musées dont il est président. Concernant l’aménagement des salles, le travail de Margot Mazuet (Mazuet 2017) montre les réflexions et les remises en cause de Georges-Henri Rivière par rapport au travail de ses prédécesseurs, mais également au sien puisqu’il n’hésite pas à changer de point de vue en cours de route. Le musée du Vin de Bourgogne est même devenu une sorte de modèle comme l’écrit Georges-Henri Rivière à Roger Duchet en 1947 : « le marquis de Lur-Saluces a pris feu pour l’idée que nous lui avons soumise de faire créer un Musée du Vin de Bordeaux ! Beaune fait école ! »43.

Quant à Albert Soulillou, il disparaît du paysage beaunois ainsi que son musée de la Pierre dont on apprend qu’il est dirigé depuis le 1er décembre 1946 par Raoul Juillard qui sera par la suite directeur de l’école des Arts appliqués. La fin du musée de la Pierre reste assez floue et mériterait sans doute une étude à part entière.

Au début des années soixante, alors que son aménagement complet du musée est loin d’être achevé, Georges-Henri Rivière annonce sa décision de prendre ses distances avec le musée du Vin dans son rapport rédigé en 1961 : « j’ai joué dès longtemps, je suis disposé encore auprès du Conservateur, tant que les circonstances l’exigeront, tant aussi que la ville le voudra, un rôle de guide […] le moment viendra où, l’œuvre ayant atteint son point d’équilibre et mon âge s’avançant, mon rôle actuel se transformera en celui d’ami »44. Ce passage sous-entend un certain nombre de non-dits : la mort d’André Lagrange dont on sait qu’il est à l’origine, aux côtés de Rivière, de nombreux aménagements des salles du musée a sans nul doute porté un coup d’arrêt au dynamisme du directeur des ATP. À cela s’ajoute la crise politique qui monte peu à peu au sein de la municipalité beaunoise. En effet, l’intérêt de Roger Duchet pour les affaires beaunoises et le musée du Vin décline. Toujours maire de la ville, il est de plus en plus éloigné de Beaune en raison de ses activités parisiennes partagées entre ses fonctions de secrétaire général du CNI45 et son rôle de producteur de cinéma. Les dissensions au sein des équipes ont sans doute également joué un rôle puisque Georges-Henri Rivière et le conservateur encore en titre Joseph Delissey ne semblent pas s’entendre véritablement. Enfin, les responsabilités de Georges-Henri Rivière dans le lancement des chantiers de recherche de l’Aubrac et du Châtillonnais, ses responsabilités toujours importantes au sein de l’ICOM46 depuis la fin des années 1940 et le poids de l’âge ont pu jouer un rôle dans sa décision de s’éloigner de Beaune.

Les différentes étapes de l’histoire du musée du Vin montrent combien sa gestation est lente et semée d’embûches depuis la première tentative de 1912 due à une initiative associative autour du docteur Amédée Vesoux. Les études autour de la naissance du (ou des) musée(s) du Vin de Bourgogne démontrent également combien le rôle du politique est à reconsidérer dans le portage des projets successifs. Sans la volonté de Roger Duchet d’inscrire Beaune dans le folklore vineux afin de rattraper le retard pris sur Dijon et Nuits-Saint-Georges, le musée du Vin de 1938 n’aurait pas vu le jour sous cette forme. Cette impulsion de départ et les contacts noués par Roger Duchet avec Albert Soulillou pendant la guerre ont amorcé l’idée d’un musée adossé à un centre de recherche, idée que reprend Georges-Henri Rivière après avoir écarté Soulillou avec la complicité d’un Roger Duchet ravi de pouvoir s’appuyer sur une structure d’envergure nationale et de pouvoir drainer des subventions pour son musée.

L’implication de l’équipe des ATP à partir de 1945-1946 avec, à sa tête, un duo formé par Georges-Henri Rivière et André Lagrange, alliée à la volonté politique de Roger Duchet de disposer d’une structure culturelle permettant également la promotion du vin de Bourgogne, a permis au musée du Vin de Bourgogne d’espérer un rayonnement national jusqu’au début des années soixante, où la mort d’André Lagrange et les désintérêts de Roger Duchet et de Georges-Henri Rivière ont mis fin à l’espoir de disposer à Beaune d’un véritable centre de recherche et de valorisation culturelle que la future cité du vin qui doit sortir de terre en 2021 ne semble pas vouloir intégrer dans ses projets à venir à ce jour. La cité s’annonce avant tout comme un projet œnotouristique et commercial et aucun centre d’histoire du vin n’est envisagé dans l’immédiat malgré la richesse des fonds archivistiques beaunois.

Nous pouvons donc conclure que, même s’il a contribué avec André Lagrange et sous l’égide de Roger Duchet, à un renouveau du musée du Vin et qu’il est assurément le concepteur et l’ordonnateur d’une muséographie et d’un projet scientifique complet, Georges-Henri Rivière n’a pas fondé le musée du Vin. Cette affirmation, issue avant tout des milieux muséographiques, est à étudier comme une tentative de s’inscrire dans une généalogie prestigieuse, le « magicien des vitrines »47 étant toujours considéré comme une figure tutélaire et valorisante, quitte à éclipser tout un pan de la longue et difficile histoire de la création d’une structure culturelle majeure du paysage bourguignon (Ménétrier 2018). Effacer le rôle du politique et des milieux érudits ou scientifiques locaux permet d’écrire une histoire vue d’en haut, montrant que les initiatives novatrices ne peuvent venir que de Paris, éclipsant ainsi tout le travail de fond mené à l’échelle de la commune sans lequel le travail des équipes de Georges-Henri Rivière n’aurait pas été possible. La mise en avant de la figure du grand homme, si elle s’avère prestigieuse dans un premier temps, dessert plus qu’elle ne sert le musée, en le figeant dans un culte passéiste qui a longtemps nui à un établissement paralysé dans ses actions par l’ombre tutélaire. Rivière lui-même ne l’aurait sûrement pas souhaité car elle omet le fait que la naissance d’une institution est avant tout un geste collectif.

Bibliographie

Bleton-Ruget A., 2006, Quand l’ethnographie de la France passait par la Bourgogne. Musée du terroir de Romenay et Musée du vin de Bourgogne à Beaune, Cahiers du Centre d’histoire de la vigne et du vin, n° 6, p. 65-89.

Gorgus N., 2003, Le Magicien des vitrines, le muséologue Georges-Henri Rivière, Éditions de la Maison des sciences de l'homme, Paris, 418 p.

Laferté G., 2006, La Bourgogne et ses vins : image d’origine contrôlée, Belin, Paris, 319 p.

Lagrange A., avril-juin 1965, Musée du vin de Bourgogne à Beaune : salle des travaux de la vigne et du vin et des métiers auxiliaires, Paris, Editions G-P Maisonneuve et Larose, Arts et traditions populaires, n° 2.

Lucand C., 2011, Les négociants en vins de Bourgogne de la fin du xixe siècle à nos jours, éditions Férét, Bordeaux, 522 p.

Mazuet M., 2017, Le Musée du vin de Bourgogne de Beaune, un musée vinicole conçu par Georges Henri Rivière, Mémoire de Master 2 sous la direction de Vincent Chambarlhac et Valérie Dupont, Université de Bourgogne, 151 p.

Ménétrier L., 2018, « Par Bacchus, dieu du vin, Georges Henri Rivière et le musée du Vin de Bourgogne », In : catalogue de l’exposition Georges Henri Rivière, voir c’est comprendre, présentée au Mucem du 14 novembre 2018 au 4 mars 2019, coédition Mucem / Rmn GP, p. 169-174.

Vieux-Fort É., 2014, André Lagrange, figure méconnue de l’ethnographie bourguignonne, Mémoire de Master 1 sous la direction de Vincent Chambarlhac, Université de Bourgogne, 101 p.

Vigreux J., 2015, Le clos du maréchal Pétain, Paris, Presses universitaires de France, 168 p.

Notes

1 On ne saurait trop recommander la conservation de ces dépliants touristiques et informatifs, ces éphémères permettant d’étudier comment des institutions communiquent sur leurs équipements culturels. Retour au texte

2 Archives municipales de Beaune, série R 3. Retour au texte

3 Dans l’état actuel des sources, il est impossible de savoir si ces objets ont été, par la suite, dévolus aux collections de l’actuel musée du Vin. Retour au texte

4 Journal de Beaune, 23 janvier 1913, consulté aux Archives municipales de Beaune. Retour au texte

5 Archives municipales de Beaune, série R 3. Retour au texte

6 À ce sujet, il convient de se plonger dans la riche série F des Archives municipales de Beaune sur les fêtes vinicoles et de consulter l’ouvrage de Laferté 2006. Retour au texte

7 Journal de Beaune, 2 octobre 1928, consulté aux Archives municipales de Beaune. Retour au texte

8 Archives municipales de Beaune, 3 D 49, compte rendu de la commission des Finances du 19 avril 1932. Retour au texte

9 Sur le contexte des musées d’ethnographie et des travaux des années 1930, lire Bleton-Ruget 2006. Retour au texte

10 Archives municipales de Beaune, Journal de Beaune du 17 juillet 1934, compte rendu du conseil municipal du 10 juillet 1934. Retour au texte

11 Archives municipales de Beaune, 50 Z 39, correspondance entre Auguste Dubois et Emile Goussery. Retour au texte

12 Archives municipales de Beaune, 50 Z 39, correspondance entre Auguste Dubois et Emile Goussery. Là encore, les inventaires du musée du Vin débutant en 1939, impossible de savoir si ces objets sont aujourd’hui présents dans les collections. Retour au texte

13 Archives municipales de Beaune, compte rendu du conseil municipal du 30 octobre 1935 repris dans le Journal de Beaune du 2 novembre. Retour au texte

14 Archives municipales de Beaune, compte rendu du conseil municipal du 30 octobre 1935 repris dans le Journal de Beaune du 2 novembre. Retour au texte

15 Archives municipales de Beaune, 50 Z 39, correspondance entre Auguste Dubois et Emile Goussery. Retour au texte

16 Archives municipales de Beaune, sous-série 3 D. Retour au texte

17 . Actuel collège Jules Ferry. Retour au texte

18 Projet avorté qui ne verra le jour que sous l’édilité de Lucien Perriaux en 1966. Retour au texte

19 Archives municipales de Beaune, 50 Z 39, correspondance entre Auguste Dubois et Emile Goussery. Retour au texte

20 Archives municipales de Beaune, 50 Z 39, correspondance entre Auguste Dubois et Emile Goussery. Retour au texte

21 Archives municipales de Beaune, 50 Z 39, correspondance entre Auguste Dubois et Emile Goussery. Retour au texte

22 Archives municipales de Beaune, sous-série R 3, archives du Musée du vin. Retour au texte

23 Bulletin de l’OIV, n°122, juillet 1938 « l’inauguration du musée du vin à Beaune », p.72-74. En ligne sur : https://pandor.u-bourgogne.fr/ead.html?id=FRMSH021_00019&c=FRMSH021_00019_BOIV_1938_07_n122, [consulté le 15/06/2020]. Retour au texte

24 Archives municipales de Beaune, sous-série R 3, archives du Musée du vin. Retour au texte

25 Archives municipales de Beaune, sous-série R 3, archives du Musée du vin. Retour au texte

26 Accessible en ligne : http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article155613&id_mot=9573 Retour au texte

27 Archives municipales de Beaune, Sous-série R 3, archives du Musée du vin. Cette partie de l’histoire complexe du musée a été fort bien analysée par M. Mazuet (2017). Retour au texte

28 Archives municipales de Beaune, Sous-série R 3, archives du Musée du vin. Retour au texte

29 Archives municipales de Beaune, Sous-série R 3, archives du Musée du vin. Retour au texte

30 Démis de ses fonctions à la Libération, Roger Duchet redevient maire après les élections du 13 mai 1945. Retour au texte

31 Albert Soulillou n’est pas inquiété à la Libération, il est nommé délégué de la région Bourgogne pour le reclassement des chômeurs intellectuels et artistes jusqu’en 1946. Retour au texte

32 Archives municipales de Beaune, Sous-série R 3, archives du Musée du vin. Retour au texte

33 Archives municipales de Beaune, Sous-série R 3, archives du Musée du vin. Retour au texte

34 Archives municipales de Beaune, sous-série R 3, archives du Musée du Vin. Retour au texte

35 Archives municipales de Beaune, série R, Ambassade des Vins de Bourgogne : création de l’Ambassade. Retour au texte

36 Archives municipales de Beaune, Sous-série R 3, archives du Musée du vin : lettre du chanoine Kir à Roger Duchet. Retour au texte

37 Lagrange devant en effet rédiger une thèse à partir de ses collectes Retour au texte

38 Archives nationales, AN 20130148/57, lettre de Georges-Henri Rivière à Henri Drouot en date du 5 février 1948. Lucien Perriaux sera maire de Beaune de 1965 à 1968 et succèdera à Roger Duchet. Retour au texte

39 Archives municipales de Beaune, 1 D 41, registre des délibérations municipales, 1947-1952. Retour au texte

40 Directeur de la maison de négoce Joseph Drouhin, vice-président de la commission administrative des Hospices de Beaune. Retour au texte

41 Ainsi lors de la séance du 22 juin 1960, le conseil municipal évoque l’acquisition en vente publique d’une statue de Saint Vernier. Archives municipales de Beaune, 1 D 43, registre des délibérations municipales 1952-1961. Retour au texte

42 Archives municipales de Beaune, 1 D 42, registre des délibérations municipales, 1952-1957. Retour au texte

43 Archives municipales de Beaune, sous-série R 3, archives du Musée du vin. Retour au texte

44 Archives municipales de Beaune, sous-série R 3, archives du Musée du vin. Retour au texte

45 Centre national des indépendants. Retour au texte

46 International Council of Museums, soit, le Conseil international des musées. Retour au texte

47 Selon l’expression de N. Gorgus (2003). Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Sonia Dollinger, « Georges-Henri Rivière n’a pas fondé le Musée du vin de Beaune », Crescentis [En ligne], 3 | 2020, publié le 15 juillet 2020 et consulté le 21 novembre 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. DOI : 10.58335/crescentis.1048. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/crescentis/index.php?id=1048

Auteur

Sonia Dollinger

UMR7366 LIR3S, Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche « Sociétés, Sensibilités, Soin »

Droits d'auteur

Licence CC BY 4.0