L’allégorie du voyageur chez Hölderlin et son originalité littéraire et philosophique dans la littérature européenne

Résumés

Hölderlin introduit dans son œuvre l’allégorie de la pérégrination pour présenter le travail du poète comme celui d’un intermédiaire chargé, non seulement d’entretenir le lien des mortels et des dieux, mais aussi d’établir un relais culturel entre la Grèce antique et le monde occidental. Pour nourrir cette allégorie, le poète recourt à toute une symbolique propre à établir une relation entre l’aspect personnel et le sens religieux ou métaphysique que suppose le lien entre les mortels et les dieux. L’originalité littéraire et philosophique de la pérégrination allégorisée par Hölderlin consiste en son double geste : d’une part, elle permet d’émettre une critique de la civilisation trop cloisonnée qui mène à un éclatement des savoirs, et d’autre part, dans une logique néo-platonicienne, elle propose en même temps le remède au mal dénoncé par la contemplation de la beauté à laquelle elle invite le lecteur. Enfin, Hölderlin se distingue de ses contemporains allemands et européens en établissant par l’allégorie de la pérégrination une filiation non seulement entre les Grecs et les Occidentaux, mais aussi entre les Grecs et les Indiens, faisant de ceux-ci, non pas, sur le modèle de ses contemporains, les égaux de ceux-là, mais le véritable modèle historique de l’Occident.

Hölderlin introduces into his works the allegory of peregrination in order to present the poet’s work as that of a mediator charged not only with keeping alive the link between mortals and gods but also with building a cultural bridge between the Ancient Greece and the Western world. To sustain this allegory, the poet resorts to a symbolism specific to the establishment of a relationship between the personal aspect and the metaphysical and religious meaning which the link between mortals and gods presupposes. The literary and philosophical originality of peregrination as allegorized by Hölderlin is two-fold: on the one hand, it allows for criticism of an excessively compartmentalized civilization leading to a fragmentation of knowledge, and on the other, in a Platonic logic, it offers at the same time the remedy for the denounced evil by the contemplation of beauty to which it invites the reader. Finally, Hölderlin distinguishes himself from his German and European contemporaries by creating via his allegory of the peregrination a line of descent, not only between the Greeks and the Occidentals, but also between the Greeks and the Indians not making the latter the equal of the former, as his contemporaries did, but the true historical model for the west.

Plan

Texte

Fasciné par la Grèce antique, Hölderlin n’a jamais pu s’y rendre de sa vie pour plusieurs raisons, notamment économiques et politiques. En revanche, ce grand poète n’en fut pas moins un grand voyageur qui parcourut à pied la France et l’Allemagne, de Francfort à Bordeaux en passant par Stuttgart. Cette expérience du voyage l’amena à développer dans sa poésie tout un réseau d’images liées à son admiration pour la Grèce antique. Pérégrinations littéraires, artistiques et philosophiques, ses errances imaginaires l’amenèrent à élaborer une véritable allégorie du voyage qui structure l’ensemble de sa pensée et de sa poésie. Destinée à dire les choses autrement, l’allégorie véhicule une pensée à partir d’un jeu de correspondances métaphoriques. Riche dans le cas de Hölderlin, cette pensée repose sur une tension entre un point de départ et une destination qui, modulée à partir d’une échelle de grandeurs, suggère le cheminement spirituel du poète. Dans le cadre de ce colloque consacré à la circulation prise au sens large, il conviendrait ainsi de s’interroger sur la force lyrique et philosophique de cette pérégrination allégorisée tant dans sa poésie que sa prose et d’envisager son originalité dans l’histoire littéraire et philosophique en Allemagne et en Europe.1

1. Fonctionnement lyrique et philosophique de la pérégrination allégorisée

1.1. Présence de l’allégorie du voyage dans la poésie de Hölderlin

Tout d’abord, nous pouvons entreprendre de définir cette allégorie du voyage chez Hölderlin. Dans son œuvre, Hölderlin met régulièrement en scène le poète dont émanent l’élan et la pensée lyriques et autour duquel s’articulent les mouvements du poème. Le poète est alors souvent présenté comme un voyageur. Le terme qui revient le plus souvent est „Wanderer“, que, dans l’édition de la Pléiade, François Fédier (Jaccottet 1967 : 799) traduit par l’« errant ».  La traduction proposée par François Garrigue (2005 : 349) « le voyageur » semble toutefois plus satisfaisante dans la mesure où, comme le mot allemand, elle ne suggère pas un cheminement hasardeux, contrairement à celle de Jaccottet. Cette distinction s’avère importante car il existe par ailleurs dans l’œuvre de Hölderlin une pérégrination davantage fortuite qui doit également retenir notre attention. Ce terme comprend de nombreuses occurrences dans son œuvre. Il correspond à trois titres éponymes : « Le Voyageur » („der Wanderer“), « Le Marcheur nocturne »2 (Garrigue 2005 : 57), « Chemins du voyageur »3 (Garrigue 2005 : 875). et apparaît souvent aussi sous la forme d’un mot issu de la même base lexicale, soit du groupe verbal „wandern“ (faire de la randonnée, de la marche) à l’infinitif ou au participe, passé comme présent, soit sous la forme d’un substantif très proche comme „Wandersmann“ (Hölderlin 1992 a : 365) – ce terme fut également traduit par « voyageur » sous la plume de François Garrigue (2005 : 805) – ou comme celui qui désigne l’action elle-même „Wanderung“ (Hölderlin 1992 a : 331), c’est-à-dire les « Chemins courus » (Garrigue 2005 : 649). Par ailleurs, Hölderlin n’hésite pas à jouer sur l’image du voyageur et à lui donner une fonction, notamment commerciale comme dans l’« Archipel » où le voyageur est un commerçant : „der fernhinsinnende Kaufmann“ (Hölderlin 1992 a : 255), ici un « marchand pensant au long cours » (Garrigue 2005 : 563), expression rapportée au poète par le prisme d’une comparaison :

Vois ! d’ici lançait ses vaisseaux le marchand pensant au long cours,

Joyeux que la brise ailée soufflât aussi pour lui, et les dieux

L’aimaient ainsi, tout comme le poète, en ce que les bons fruits

De la Terre il échangeait, liant le proche au lointain.4

(Garrigue 2005 : 563)

Le poète-voyageur est donc vu ici comme celui qui rapproche les lointains horizons.

1.2. Les différents sens de l’allégorie

Par ailleurs, la pérégrination suppose, quelle qu’elle soit, un va-et-vient entre deux lieux, un point de départ et un point d’arrivée. Comme Hölderlin opte pour une écriture allégorique, il est possible d’établir différentes échelles dans ses voyages et d’y distinguer, au niveau de l’allégorie, un microcosme et un macrocosme.

1.2.1. Lecture autobiographique

Le microcosme correspondrait à la lecture autobiographique que l’exégète pourrait faire de ses pérégrinations poétiques. Les élégies « Retour  » („Heimkunft“), « Stuttgart », « La Promenade à la campagne » („Der Gang aufs Land“) ou encore « Le Voyageur » („Der Wanderer“) ont ainsi un arrière-plan clairement autobiographique. « Retour » („Heimkunft“) évoque le retour de Hölderlin en Souabe qu’il avait quittée pour Hauptwill en Suisse, d’où il rentre après avoir été congédié d’un emploi de précepteur. « Stuttgart » a ainsi vu le jour dans la capitale badoise où le poète attendait la visite de son ami Siegfried Schmid, auquel il dédie l’élégie et à la venue duquel il fait allusion :

Mais, de crainte qu’ainsi qu’aux trop prudents, ne nous échappe

Cette saison qui décline, je la devance

Jusqu’aux frontières du pays où baignent des eaux bleues

L’île du fleuve et, bien-aimé, le lieu natal.5

(Jaccottet 1967 : 805-806)

Inachevée et dédiée à son ami Landauer qui le loge, « La Promenade à la campagne » („Der Gang aufs Land“) évoque une promenade destinée à découvrir une maison d’hôtes : « Viens dans l’Ouvert »6 (Jaccottet 1967 : 803). Enfin, « Le Voyageur » („Der Wanderer“) dépeint son voyage de Homburg à Stuttgart. Ces retours sont alors pour l’auteur l’occasion de célébrer la patrie d’origine, ses charmes et les souvenirs qui lui sont attachés.

1.2.2. Une lecture métaphysique et religieuse

Hölderlin utilise les deux termes de la langue allemande pour évoquer sa patrie : „das Vaterland“ et „die Heimat“. Les deux termes apparaissent dans « Le Voyageur » („Der Wanderer“) (Hölderlin 1992 a : 273-274). Il en va de même dans « Retour » („Heimkunft“) (Hölderlin 1992 a : 292-293) et dans « Stuttgart » (Hölderlin 1992 a : 284). Par ailleurs, le poète consacre plusieurs poèmes à ces concepts : « Patrie » („Heimat“), « La Patrie » („Die Heimat“), « La Mort pour la patrie » („Der Tod fürs Vaterland“).

Quelle différence Hölderlin établit-il alors entre les deux termes ? Si la Heimat, mot féminin, évoque l’aspect sécurisant et maternel des origines, comme le suggère le poème « La Patrie  » („Die Heimat“), où le terme est explicitement rapproché de la figure maternelle : « de mon pays/ Frontière respectée, maison de ma mère/ Et l’étreinte de mes frère et sœur aimants,/ Je vais vous fêter, »7(Garrigue 2005 : 611), le terme Vaterland, quoique signifiant neutre selon la gramQuerellemaire allemande, renvoie au père et à ses significations symboliques. Outre un sens épique, il recouvre un signifié religieux et renvoie au père céleste. Lorsque dans « Le Voyageur » („Der Wanderer“) il écrit « Père de la patrie ! puissant Ếther ! »8 (Fédier, in Jaccottet 1967 : 802), il semble avoir à l’esprit l’expression latine pater patriae qui confère à la tournure allemande un souffle épique digne des prières antiques, comme le corrobore l’évocation de l’éther, principe de vie, assimilé au divin dans la civilisation antique. De même, dans « Stuttgart », les « anges de la patrie » („Engel des Vaterlands“) évoquent la divinisation des ancêtres sur le modèle romain. Nous voyons donc à travers cette distinction lexicale se profiler un premier sens allégorique, en l’occurrence religieux, sinon métaphysique, de la pérégrination. Il s’agit pour le poète, à une échelle symbolique, de se rapprocher du divin et de prêcher sa venue prochaine. Si, dans la représentation métaphysique et spirituelle de Hölderlin, les dieux se sont retirés de l’univers des mortels, comme le suggèrent les vers : « Mais nous venons trop tard, ami. Oui, les dieux vivent,/ Mais là-haut sur nos fronts, au cœur d’un autre monde. »9 (Roud, in Jaccottet 1967 : 809-813), il revient au poète d’entretenir, tel un prêtre, la mémoire du divin en arpentant le monde des mortels, plongé dans la nuit, pour tenir ces derniers éveillés et prêts dans l’attente du retour des dieux. C’est tout le sens des fameux vers de « Pain et vin » („Brot und Wein“) qui répondent à la si célèbre question portant sur l’utilité des poètes : « Mais ils sont, nous dis-tu, pareils aux saints prêtres du dieu des vignes,/ Vaguant de terre en terre au long de la nuit sainte. »10(Roud, in Jaccottet 1967 : 813). Ainsi, si les voyages poétiques de Hölderlin se distinguent par un premier caractère autobiographique, ils peuvent s’élever à un signifié métaphysique, sinon religieux et revêtir le sens d’un véritable culte divin.

De même, la période quasi pré-adamique qui précède le départ funeste des dieux et l’abandon des mortels se caractérise également par une pérégrination symbolique qui suggère la paix et l’idylle et peut concerner tant les mortels que les dieux. Un verbe désigne parfaitement ce mouvement idéal. Il s’agit du verbe wandeln que l’on peut traduire par « déambuler ». Dans un geste tout élégiaque, Hölderlin écrit ainsi dans un poème dépourvu de titre « Des dieux jadis déambulaient ».11C’est le verbe utilisé également dans le poème « Chant du destin » („Schicksalslied“) inclus dans Hypérion : « Vous avancez là-haut dans la lumière/ Sur un sol tendre, bienheureux génies ».12 Ce verbe qui suggère le mouvement léger et libre des dieux, affranchis de contraintes et de soucis, mouvement caractérisé par une certaine sérénité, voire une joie réelle, semble inspiré d’Homère qui, dans L’Odyssée VI, 42-46, distingue, par leurs mouvements sereins les dieux des mortels. Se remémorant son idylle avec Diotima, Ménon emploie ce verbe pour désigner les promenades sereines et joyeuses de son couple : « Ainsi cheminions-nous sur la terre. »13(Jaccottet 1967 : 796).  De même, lorsqu’il invoque le souvenir de Diotima et qu’il lui semble la voir revenir à lui, il recourt à nouveau à ce même verbe pour désigner sa démarche sereine : « C’est elle, tout elle encor ! Oui, planant encore en pied, / Muette, comme avant, passe à mes yeux l’Athénienne »14 (Garrigue 2005 : 567). À l’inverse, depuis la disparition funeste de Diotima, Ménon erre : « Chaque jour, je m’en vais, cherchant toujours une autre voie, / Et j’ai sondé depuis longtemps tous les chemins. »15 (Jaccottet 1967 : 795). Ainsi, comme dans toute allégorie, il existe bel et bien deux lectures possibles dans l’image de la promenade ou du voyage chez Hölderlin et le lecteur se doit d’y distinguer un microcosme et un macrocosme. Il est toutefois intéressant de constater qu’il existe un troisième niveau d’interprétation.

1.2.3. Une lecture de la translatio studiorum

Au-delà de la lecture autobiographique et du signifié métaphysique et religieux, il existe une étape en quelque sorte intermédiaire dans l’analyse du voyage chez le poète. Hölderlin peut suggérer à travers le voyage la translatio studiorum ou translatio artium opérée entre la Grèce antique et ce qu’il appelle l’Hespérie, soit l’Occident. Cette thématique traverse toute la poésie de Hölderlin. Le poète n’hésite pas à faire remonter à l’Indus le mouvement culturel qui va d’est en ouest en passant la Grèce. Dans « L’Ister » („Der Ister“), il écrit :

Mais nous chantons, nous de l’Indus

Au loin parvenus et de l’Alphée, avons longtemps

Cherché ce qu’il nous faut

[…]

Et passer de l’autre côté. Mais ici nous voulons bâtir.16

(Garrigue 2005 : 873)

Dans la même logique, le poète évoque la venue du dieu Bacchus depuis le Gange :

Les bords du Gange ont ouï du dieu de Joie

Le triomphe, quand de l’Indus, conquérant

Vint le jeune Bacchus, par le vin

Sacré du sommeil éveillant les peuples.17

(Garrigue 2005 : 383).

Cette volonté d’élargir le phénomène culturel de la translatio studiorum à l’Inde et d’attribuer l’origine de l’inspiration occidentale aux rives de l’Indus ou du Gange relève d’une particularité allemande et trouve son origine dans l’anthropologie et la philosophie d’outre-Rhin. Herder, puis Schelling et les Romantiques après lui situent en Inde l’origine des religions et de la culture. La Grèce antique, célébrée au XVIIe siècle par Winckelmann pour ses trésors artistiques, se présente ainsi comme le réceptacle et le conservatoire de la culture occidentale. L’allégorie du voyage présente in fine trois niveaux de signification : une première lecture autobiographique permet au lecteur de se figurer concrètement le mouvement de la pérégrination décrite. Une seconde lecture suggère en outre le déplacement d’est en ouest de l’inspiration culturelle et artistique, des lointaines et mythiques Indes à l’occident, notamment germanique, en passant par la Grèce antique. Enfin, une lecture plus métaphysique et spirituelle permet d’y distinguer une véritable confession de foi, tant en la venue prochaine du divin qu’en la poésie comprise comme un moyen de célébrer ce même divin et de maintenir un lien avec ce divin, soit un médium religieux au sens étymologique du terme. À partir de ces données, il convient de s’interroger sur la manière dont Hölderlin fait émerger cette allégorie de son texte poétique.

1.3. Comment Hölderlin fait émerger cette allégorie dans son texte poétique

1.3.1. Un contexte germanique

Tout d’abord, afin de suggérer une lecture autobiographique, Hölderlin ancre ses poèmes dans un contexte germanique, propre à évoquer les siens et ses origines, et ce faisant, il insiste sur une certaine couleur locale. Il consacre ainsi plusieurs de ses poèmes à des fleuves allemands : le Main, le Rhin, le Neckar, l’Ister, le Danube, à des villes allemandes : Heidelberg, Stuttgart, et il y insère des confessions autobiographiques, notamment par la référence à ses parents (« Père et mère […] Je leur semblais mort ; eux, à moi. »18(Fédier, in Jaccottet 1967 : 802).

1.3.2. Le personnage idéalisé de Diotima, situé aux confins de la lecture autobiographique et du sens religieux de l’allégorie

En outre, il est possible de deviner derrière le personnage idéalisé de Diotima Susanne Gontard, la célèbre muse du poète. Il est vrai que dans sa correspondance, Hölderlin reconnaît à Susette Gontard les qualités divines qu’il attribue à Diotima. Il écrit ainsi à son ami Neuffer en juin 1796 : « La grâce et la majesté, le calme et l’animation, l’esprit, l’âme et le corps font de cet être un Tout radieux. »19(Naville, in Jaccottet 1967 : 390) Cependant, l’idéalisation du personnage que nous retrouvons dans le roman épistolaire Hypérion participe à la lecture spirituelle des poèmes. Le prénom de Diotima, que le lecteur retrouve dans le roman Hypérion revêt quelque caractère symbolique. W. Binder insiste sur l’ambiguïté grammaticale du prénom, qui suggère de toute façon le caractère honorable du personnage : « Diotima » signifierait ainsi en grec soit « qui honore les dieux », soit « honorée des dieux ».20 L’élégie confirme cette analyse étymologique. Diotima n’est-elle pas honorée des dieux lorsque ceux-ci la bercent : « Et le Père lui-même, en la douce haleine des Muses, / Te dispense pour berceuses de tendres airs. »21(Jaccottet 1967 : 798) ? Cette citation rappelle malgré tout que Diotima n’est pas vraiment une Muse puisqu’elle bénéficie elle-même de leur inspiration. L’ambiguïté s’avère bel et bien confirmée. À l’origine, le prénom « Diotima » vient également d’un dialogue platonicien : Le Banquet où Diotima est une prêtresse de l’amour, dont Socrate rapporte les propos sur la question amoureuse – 201 d, 202 –. Prêtresse, elle communique directement avec les dieux.

1.3.3. Syncrétisme religieux entre paganisme et christianisme

Par ailleurs, afin de construire ses propres représentations mythologiques aux inspirations tant chrétiennes que païennes, le poète opère un véritable syncrétisme entre sa lecture de la Bible et la mythologie antique. Si le mythe s’appuie sur des allégories, il repose, comme ces dernières, sur toute une série de symboles. Si Hölderlin donne à ses mythes et allégories un sens qui n’appartient qu’à lui seul, il désigne les éléments mythologiques, voire allégoriques par une symbolique traditionnelle qui correspond à un code culturel et traditionnel et permet au lecteur d’identifier les éléments mythologiques. Il s’appuie sur toute une symbolique polysémique. Hölderlin écrit ainsi dans « Le Pain et le vin » („Brot und Wein“) : « Mais le fils du Très-Haut, durant la longue attente, le Syrien descend comme un porteur de torche parmi les ombres »22 (Roud, in Jaccottet : 814). Le terme Fackelschwinger, « celui qui brandit la torche » (« πυρφορος »), renverrait à Dionysos dont les fêtes nocturnes avaient lieu à la lumière de torches. D’ailleurs, Hölderlin emploie le terme dans sa traduction d’Œdipe Roi :

Lui aussi, auquel on donne le nom de ce pays,

Le Bacchus enivré, je l’appelle l’Ếvohé,

Lui qui vit retiré avec les Ménades ; que celui-ci vienne

Avec une torche flamboyante

Sur lui, le dieu à qui tout honneur est refusé face aux dieux !23 (Hölderlin 1992 a : 796)

Toutefois, il y a ici une ambiguïté car la périphrase « celui qui brandit la torche » peut également désigner le Christ, en raison de la métaphore christique du feu : « Je suis venu mettre un feu sur la terre ».24D’ailleurs, Hölderlin applique cette image du feu au divin dans le poème « Fête de paix » („Friedensfeier“) : « Alors fit, prompt à rallumer, le Père / Descendre ce qu’il avait de plus cher, / Faisant jaillir le feu, »25(Garrigue 2005 : 669). En outre, dans la Bible, le Christ incarne également la lumière, par opposition aux ténèbres.26De même, la notion de joie, attachée ici à Dionysos, revêt un caractère chrétien. Hölderlin n’appelle-t-il pas le Christ « le plus joyeux » („den Freudigsten“) dans le poème « Patmos » ?27Or la notion de joie joue un rôle primordial dans la croyance du chrétien. Elle apparaît à de nombreuses reprises dans la Bible.28Enfin, l’allusion à la descente aux Enfers de Dionysos n’est pas sans rappeler que Jésus est lui-même descendu en Enfer selon le dogme. Cette référence permet à nouveau de fondre les deux traditions, grecque d’une part, et chrétienne d’autre part. L’auteur opère ainsi une véritable synthèse du christianisme et du paganisme grec qui pourrait sans mal être illustrée à travers de nombreux autres exemples tirés de sa poésie. L’habileté de Hölderlin consiste à fusionner les deux aspects en une seule et même expression. Or c’est précisément la fonction de la poésie qui, par le jeu des symboles polysémiques, parvient, en un seul élément, à renvoyer à plusieurs réalités. De ces analyses de la symbolique, il ressort que Hölderlin recourt tant à des symboles convenus et traditionnels qu’à des allusions philosophiques à portée symbolique.

2. L’originalité littéraire et philosophique de la pérégrination allégorisée

2.1. La critique de la civilisation

Après avoir circonscrit les significations et logiques de cette allégorie, il convient d’en déterminer l’originalité littéraire et philosophique. La pérégrination, l’excursion ou encore le voyage apparaissent dans l’histoire de la littérature européenne, et en particulier allemande, comme des allégories, mais aussi des motifs ou des thèmes très récurrents. De Pétrarque à Wordsworth en passant par Rousseau, Goethe ou encore Hazlitt, la pérégrination, prise au sens large, se caractérise par une intense intériorisation, favorable à la réflexion et à la méditation. Axel Gelhaus, Christian Moser et Helmut J. Schneider opposent ainsi les expériences intimes et authentiques des Spaziergänge - que l’on pourrait appeler « pérégrinations bourgeoises » - aux promenades aristocratiques et courtoises – Promenaden – destinées à satisfaire un besoin de représentation sociale.29

L’originalité de la réflexion véhiculée par la pérégrination poétique de Hölderlin se situe dans sa critique de la civilisation. Le contenu spirituel de cette allégorie qui repose sur l’éloignement des dieux et la nécessité pour le poète de maintenir éveillés les mortels dans la nuit où les a plongés leur absence et de nourrir l’espoir en leur retour participe directement à la critique que Hölderlin fait de la civilisation. Dans la fameuse diatribe lancée par Hypérion contre les Allemands, à la suite de son voyage de Grèce en Allemagne, le personnage éponyme du roman fustige dans un geste satirique, la société allemande dans son organisation compartimentée qui réduit et aliène chaque citoyen à sa spécialité au détriment de son humanité :

C’est ainsi que j’arrivai en Allemagne. […] Des barbares de longue date, rendus plus barbares encore par leur zèle, leur science et leur religion même, profondément incapables de sentir le Divin […] on ne peut concevoir de peuple plus déchiré que les Allemands. Tu trouveras parmi eux des ouvriers, des penseurs, des prêtres, des maîtres et des serviteurs, des jeunes gens et des adultes certes : mais pas un homme. On croirait voir un champ de bataille couvert de bras, de mains, de membres pêle-mêle, où le sang de la vie se perd lentement dans les sables…30(Jaccottet 1967 : 267)

Le voyage permet d’observer et de critiquer. Cette critique de la civilisation s’inspire directement de Rousseau. Dans son Discours sur les sciences et les arts, le philosophe écrit : « Nous avons des physiciens, des Géomètres, des Chymistes, des Astronomes, des Poëtes, des musiciens, des Peintres : nous n’avons plus de citoyens. »31 Il s’agit alors d’une réflexion qui a le vent en poupe puisque Schiller la développe également dans son Éducation esthétique de l’homme, notamment dans la lettre six :

C’est la culture elle-même qui a infligé cette blessure à la nouvelle humanité. Dès que fut nécessitée d’une part une séparation plus nette des sciences par un élargissement de l’expérience et une précision de la pensée, et d’autre part une distinction plus stricte des professions et des activités par la complexité mécanique des États, se rompit également le lien interne de la nature humaine et une discorde délétère brouilla ses forces harmonieuses.32 (Schiller 2000 : 22)

Au fond, ce qui constitue l’originalité de cette réflexion, ce n’est pas tant la critique, partagée dans son ensemble par les trois auteurs, que la solution envisagée. Si pour Rousseau, le salut se trouve dans le retour à une vie simple éloignée des sciences et des arts corrupteurs et rythmée par des tâches utiles et formatrices, Schiller voit une solution à cette situation délétère dans la recherche de l’esthétique :

Il doit être donc faux de dire que la formation des forces individuelles exige le sacrifice de leur intégrité, ou si malgré tout la loi de la nature tendait dans cette direction, il nous appartiendrait nécessairement de reconstituer par un art supérieur cette intégrité inhérente à notre nature que l’art a détruite.33(Schiller 2000 : 28)

Dans une logique néo-platonicienne, Schiller part du principe que la contemplation du Beau doit mener l’homme au Bien et qu’il permet de rétablir l’unité originelle de l’homme perdue selon lui lors de la séparation des deux instincts dits primitifs, l’« instinct sensible » et l’« instinct formel », comme il le précise dans sa vingt-cinquième lettre :

Nous ne devons donc plus éprouver de gêne à établir une transition entre la dépendance des sens et la liberté morale, dès lors que la beauté a permis que celle-ci puisse parfaitement coexister avec celle-là et que l’homme, pour s’affirmer comme esprit, n’ait pas besoin d’échapper à la matière.34 (Schiller 2000 : 106)

Quant à Hölderlin, s’il demeure très proche de Schiller dans la solution envisagée, il est intéressant de constater que c’est le voyage ou la pérégrination elle-même qui offre la solution. Dans la lettre suivante, Hypérion décrit la symbiose dans laquelle il entre avec la beauté de la nature allemande et qui lui permet de redécouvrir l’unité de l’humanité :

Ô sources de la terre ! O fleurs ! aigles, forêts, et toi, lumière fraternelle, notre amour est en même temps ancien et nouveau ! […] Mais tous nous aimons l’Éther, et nos ressemblances profondes sont à l’intérieur. […] Nous sommes des notes vivantes, accordées dans ton concert, ô Nature ! Qui le romprait ? Qui diviserait les amants ? Ô âme, âme ! Beauté du monde ! Toi l’indestructible, la fascinante […] Les dissonances du monde sont comme les querelles des amants. La réconciliation habite la dispute, et tout ce qui a été séparé se rassemble.35 (Jaccottet 1967 : 273)

Dans une autre épître, située au début du roman, Hypérion explique à Bellarmin : « Savez-vous son nom ? Le nom de ce qui constitue l’Un et le Tout ? »36 (Jaccottet 1967 : 177) Hölderlin renoue ici avec le précepte spinoziste inspiré d’Héraclite de l’« Un dans le Tout » (Ειν και παν). La beauté permet en effet, selon Hölderlin, de réconcilier les dieux avec les mortels, comme le déclare Hypérion au milieu des ruines d’Athènes :

Au début, en effet quand régnait la Beauté éternelle, à soi-même inconnue, l’homme et ses dieux ne faisaient qu’un. […] L’art est le premier enfant de la beauté divine. […] Le second enfant de la beauté est la religion. La religion est l’amour de la beauté.37(Jaccottet 1967 : 201)

Dans une lettre adressée à Niethammer le 24 février 1796, Hölderlin insiste sur l’apport de l’esthétique :

Dans les lettres philosophiques, je voudrais trouver le principe qui m’explique les divisions dans lesquelles nous pensons et existons, mais qui possède aussi le pouvoir de faire disparaître l’opposition, l’opposition entre le sujet et l’objet, entre notre moi et le monde, voire entre raison et révélation – sur le plan théorique, par l’intuition intellectuelle, sans notre recours à notre raison pratique. Pour cela nous avons besoin du sens esthétique et j’appellerai mes lettres philosophiques « Nouvelles lettres sur l’éducation esthétique de l’homme ».38(Naville, in Jaccottet 1967 : 381)

Ce choix de titre s’inscrit directement dans le contexte de cette lettre adressée à Niethammer et révèle ainsi sa volonté de concurrencer le maître. Pour rendre justice à la pensée complexe de Hölderlin, il conviendrait d’expliciter le rôle dévolu à l’amour et au jugement qui participent aussi largement à la reconstitution de l’« Un dans le Tout », du sujet et de l’objet pour reprendre les catégories de l’auteur, du divin et des mortels. Cependant, le développement de cette question nous éloignerait du sujet de la pérégrination allégorique. La solution envisagée au problème soulevé par la critique de la civilisation, occasionnée par la pérégrination ou le voyage, se trouve ainsi bel et bien dans la pérégrination elle-même : tout d’abord, le voyage d’Hypérion en Allemagne, quoique décevant, ne l’empêche pas de goûter la beauté de la nature allemande et de retrouver ce faisant l’unité originelle de l’« Un dans le tout ». En outre, Hypérion, héros éponyme et narrateur intra-diégétique en tant qu’auteur de la quasi-totalité des lettres qui constituent ce roman épistolaire, apparaît comme une figure du poète, et le poète, c’est la seconde réponse de la pérégrination, se doit d’arpenter le monde pour maintenir éveillés et attentifs les mortels et les préparer au retour des dieux sur terre. La lettre occupe cette fonction pédagogique.

2.2. Originalité de cette allégorie dans la Querelle des Anciens et des Modernes39

Enfin, le motif hölderlinien de la pérégrination peut, à un second niveau de l’allégorie, témoigner de son originalité dans le contexte de la Querelle des Anciens et des Modernes. Nous nous rappelons en effet que le voyage ou l’excursion mène le sujet des poèmes de l’Inde vers l’Allemagne en passant par la Grèce, et que la Grèce constitue l’étape majeure de cette translatio studiorum. Hölderlin situe ainsi sa poésie directement dans la tradition de la Querelle, reconnaissant aux Grecs anciens une réelle supériorité. De Herder et Lessing à Goethe, en passant par Kant, les contemporains de Hölderlin ont vu la nécessité de prendre de la hauteur et de s’émanciper de la Querelle en prônant une attitude qui consisterait à imiter, non pas tant les Anciens que leur élan créateur. Le poème suivant de Klopstock illustre bien ce raisonnement :

Imiter m’est interdit, et pourtant me nomme-t-elle

Ta sonore louange toujours et encore la Grèce ?

Si le génie consume ton âme,

Alors imite le Grec. Le Grec inventait.40 

(Klopstock 1771 : 12)

Hölderlin a toutefois poussé la réflexion un peu plus loin. Dans une lettre fameuse, adressée à son ami Casimir Ulrich Böhlendorff et rédigée le 4 décembre 1801, il approfondit et précise sa pensée :

Rien n’est pour nous plus difficile à apprendre que de savoir user librement du nationel. Et je crois que la clarté de l’exposé nous est à l’origine aussi naturelle que le feu du ciel aux Grecs. C’est aussi pour cette raison qu’il doit être plus facile de les surpasser par la belle passion, que tu as d’ailleurs su conserver aussi, que par leur homérique présence d’esprit et leur don d’exposition. […] à travers le progrès de la culture, l’élément proprement nationel sera toujours le moindre avantage. Voilà pourquoi les Grecs sont moins maîtres du pathétisme sacré, car celui-ci leur était inné, par contre ils excellent à partir d’Homère dans le don d’exposition, car cet homme extraordinaire avait assez d’âme pour ravir, au profit de son royaume apollinien, la sobriété junonienne de l’Occident, et s’approprier ainsi véritablement l’élément étranger. Chez nous c’est l’inverse. Voilà pourquoi il est si dangereux de déduire nos lois esthétiques de la seule et unique perfection grecque. J’ai longuement réfléchi à cette question, et je sais maintenant que […] nous ne pouvons probablement rien avoir de commun avec eux. Mais ce qui nous est propre, il faut l’apprendre tout comme ce qui nous est étranger. C’est en cela que les Grecs nous sont indispensables. Pourtant c’est justement en ce qui nous est essentiel, nationel, que nous n’atteindrons jamais leur niveau, car, répétons-le, le plus difficile c’est le libre usage de ce qui nous est propre.41(Naville, in Jaccottet 1967 : 1003-1004)

En réalité, le poète conçoit la différence qu’il observe entre les Grecs et les Allemands comme un chassé-croisé : si les Grecs héritent de leur climat fort ensoleillé un style ardent, les Allemands disposent d’un style naturellement sobre. Or Hölderlin estime que l’on ne maîtrise véritablement que ce que l’on acquiert et non ce que l’on hérite de sa propre nature. Les Grecs se seraient approprié la sobriété occidentale42 dès Homère, tandis que les Occidentaux auraient acquis leur passion enflammée. Il juge le modèle grec indispensable car il fournirait aux Occidentaux un repère, à l’aune duquel ils pourraient mesurer leur évolution. Il comprend ainsi ce modèle comme le reflet d’un miroir : il renvoie l’image inversée de l’Occident. Le modèle grec se voit alors instrumentalisé comme régulateur de l’Occident. De modèle quasiment divinisé, la Grèce antique devient instrument. Dans ses Remarques sur Antigone (Anmerkungen zur Antigonä), Hölderlin emploie ainsi l’expression „vaterländische Umkehr“ (« renversement patriotique ») qui a fait couler beaucoup d’encre.43 Nous pouvons dès lors nous interroger sur l’éventualité d’une nostalgie romantique à l’égard de la Grèce chez Hölderlin. Au fond, comme le souligne Beda Allemann44, cette hypothèse se voit annulée par ce même raisonnement : la Grèce ne tend aux Allemands qu’un reflet inversé de leur nature et de leur identité littéraire. Il ne s’agit pas de revenir à la Grèce antique, il convient au contraire de développer son originalité littéraire en se distinguant des Grecs après les avoir, dans ce but, suffisamment contemplés et étudiés. C’est la raison pour laquelle Hölderlin écrit à Böhlendorff : « [je] sais maintenant que […] nous ne pouvons probablement rien avoir de commun avec eux. »45À partir de ce postulat, Hölderlin entend observer de très près la littérature grecque et propose une traduction allemande des tragédies de Sophocle. Le poète juge en effet formateur l’exercice de la traduction. C’est ainsi qu’il entend accentuer dans la sienne la particularité hellénique qu’il désigne comme un orientalisme :

Par conformisme national et par certains défauts dont il a toujours su s’arranger, l’art grec nous est étranger ; j’espère en donner au public une idée plus vivante qu’à l’ordinaire, en accentuant le caractère oriental qu’il a toujours renié et en rectifiant, quand il y a lieu, ses défauts esthétiques.46 (Naville, in Jaccottet 1967 : 1011)

De même, il commente sa traduction en ces termes :

Je crois avoir écrit tout à fait contre l’enthousiasme excentrique et avoir ainsi atteint la simplicité grecque ; j’espère demeurer toujours fidèle à ce principe, dussé-je être amené à exposer plus hardiment ce qui est interdit au poète, contre l’enthousiasme excentrique.47 (Naville, in Jaccottet 1967 : 1016)

Hölderlin aurait ainsi mis l’accent dans sa traduction sur la simplicité grecque, tant louée par Winckelmann, en s’opposant au premier « enthousiasme excentrique » des Grecs. La réflexion de Hölderlin aboutit de ce fait à une forme bien particulière. La traduction lui permet de visiter en profondeur la culture grecque et ainsi de mieux en appréhender l’essence. Passeur de culture, le traducteur peut prétendre distinguer mieux que quiconque l’esprit des cultures qu’il entend rapprocher. Le lecteur est en droit de conclure que Hölderlin cherche dès lors, en particulier à travers la pérégrination poétique, la voie allemande dans une certaine forme d’enthousiasme, caractéristique selon lui de la culture germanique et contraire à la civilisation hellénique. C’est le sens de la translatio studiorum.

La position de Hölderlin dans ce débat a été fréquemment abordée par la recherche, mais elle n’a pas encore véritablement abordé la question de l’orient indien. Si Hölderlin s’intéresse essentiellement à la Grèce et intègre ainsi sa réflexion dans le contexte de la Querelle, il n’élargit pas moins pour autant à l’Inde sa conception de la translatio studiorum. Cette particularité demeure spécifique à la pensée allemande de la fin du XVIIIe au XIXe siècle, soucieuse de s’émanciper de la raison dont la pesante et tyrannique tutelle fut imposée par l’Aufklärung pour se tourner vers l’irrationnel. Hölderlin s’inspire manifestement de son aîné Herder, le premier penseur allemand selon Veena Kade-Luthra à s’intéresser à l’Inde et à présenter ce pays comme un paradis perdu, une terre de l’âge d’or :

C’est au sein même des montagnes les plus élevées que se situe le royaume du Cachemire, dissimulé tel un paradis sur terre. De belles et fécondes collines sont entourées de montages de plus en plus élevées dont les dernières, couvertes de neige éternelle, s’élèvent vers les nuages. Il y coule de jolis ruisseaux et fleuves : la terre est ornée d’herbes et de fruits sains : les îles et les jardins se distinguent par une verdure rafraîchissante, tout est recouvert de pâturages ; les animaux venimeux et sauvages sont bannis de ce paradis.48 (Herder, in Kade-Luthra 1991 : 221)

Dans sa préface à la traduction qu’il réalisa au printemps 1791 du drame indien Sakontala de Kalidasa et qui enthousiasma tant ses contemporains, en particulier Herder et Goethe, mais aussi les Romantiques, Georg Forster envisage dans son sillage le rapprochement de la culture indienne et de la culture occidentale, via notamment la culture grecque :

Peut-être serait-il même nécessaire de prévenir très sérieusement contre une comparaison trop hâtive de nos produits culturels avec ceux d’un peuple si lointain, si distinct des mœurs européennes, de prévenir contre l’application de nos règles à quelque chose né sans la moindre idée de ces mêmes règles. Par équité, il conviendrait sans doute de réfléchir clairement à la manière dont la différence entre d’une part la mythologie, l’histoire et les mœurs indiennes et d’autre part leur pendant grec par exemple confère nécessairement aux œuvres artistiques de ce pays une forme et un fonctionnement qui nous sont inhabituels, mais aussi de réfléchir à l’intérêt d’une œuvre de ce genre qui ne dépend nullement de savoir si elle contient cinq ou sept actes, mais du fait que les sensations les plus délicates dont soit capable le cœur humain puissent se manifester aussi bien sur le Gange et auprès d’hommes de couleur foncée que sur le Rhin, le Tibre, l’Ilissos, et auprès d’une race blanche.49(Forster, in Kade Luthra 1991 : 52)

Hegel quant à lui confirme une parenté entre l’Inde et le monde occidental :

L’Inde est en outre le point de départ de tout le monde occidental, mais ce rapport extérieur lié à l’histoire du monde est plus qu’un déploiement naturel des peuples depuis cette terre. Même si en Inde on pouvait trouver les éléments d’évolutions ultérieures et si on avait également des traces de leur passage à l’ouest, cette émigration est pourtant si abstraite que ce qui peut nous intéresser chez des peuples plus tardifs, ce n’est plus ce qu’ils ont hérité de l’Inde, mais plutôt ce qu’ils se sont constitué concrètement, tout en oubliant pour le mieux les éléments indiens.50(Hegel, in Kade-Luthra 1991 : 105-106)

L’originalité de Hölderlin consiste alors à clairement affirmer une filiation entre l’Inde et le monde occidental, incarné par l’Allemagne avec la Grèce comme étape intermédiaire, et à intégrer cette réflexion dans le contexte de la Querelle des Anciens et des Modernes. Lorsque Forster constate une égalité des émotions entre l’Inde, la Grèce et l’Allemagne, Hölderlin insiste sur la priorité historique des Indiens et des Grecs, faisant implicitement de ceux-ci les élèves, sinon les enfants de ceux-là et véhiculant cette idée par l’esthétique poétique, et non par l’écriture sèche et aride de l’essai.

En conclusion, l’allégorie de la pérégrination se distingue chez Hölderlin par l’existence de plusieurs niveaux de signification – biographique, littéraire et philosophique, voire religieuse – qu’elle n’hésite pas à fondre les uns dans les autres au profit d’une réflexion raffinée dont l’expression variée – poétique, romancée, épistolaire, voire essayiste dans certains cas – n’en paraît pas pour autant absconse et permet d’opposer à sa société une critique sévère, mais pas nécessairement désespérée. Proche des débats philosophiques et littéraires, le sens de cette allégorie se voit renforcé par une esthétique littéraire déclinée à l’envi qui lui confère sans doute une plus grande portée que la simple écriture essayiste de ses homologues philosophes. Par ce choix esthétique, Hölderlin se montre ainsi fidèle au Plus Ancien Programme systématique de l’idéalisme allemand (Das älteste Systemprogramm des deutschen Idealismus), texte très vraisemblablement co-rédigé par Hegel, Hölderlin et Schelling et destiné en particulier à fondre la réflexion philosophique et l’expression poétique dans une nouvelle mythologie.51

Bibliographie

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Notes

1 Sauf mention contraire, les traductions des citations sont de notre plume. Retour au texte

2 „der nächtliche Wanderer“ Retour au texte

3 „Wege des Wanderers“. En réalité, il s’agit du premier vers du poème « Grèce » („Griechenland“). Retour au texte

4 „Siehe! da löste sein Schiff der fernhinsinnende Kaufmann,/ Froh, denn es wehet’ auch ihm die beflügelnde Luft und die Götter/ Liebten so, wie den Dichter, auch ihn, dieweil er die guten/ Gaben der Erd’ ausglich und Fernes Nahem vereinte“ (Hölderlin 1992 a : 255) Retour au texte

5 „Aber damit uns nicht, gleich allzuklugen, entfliehe/ Diese neigende Zeit, komm’ ich entgegen sogleich,/ Bis an die Grenze des Lands, wo mir den lieben Geburtsort/ Und die Insel des Stroms blaues Gewässer umfließt.“ (Hölderlin 1992 a : 282) Retour au texte

6 „Komm! ins Offene“ (Hölderlin 1992 a : 276) Retour au texte

7 „der Heimat/ Verehrte sichre Grenzen, der Mutter Haus/ Und liebender Geschwister Umarmungen/ begrüß ich bald“ (Hölderlin 1992 a : 245) Retour au texte

8 „Vater des Vaterlands ! mächtiger Äther !“ (Hölderlin 1992 a : 275) Retour au texte

9 „Aber Freund ! wir kommen zu spät. Zwar leben die Götter,/ Aber über dem Haupt droben in anderer Welt“ (Hölderlin 1992 a : 289). Retour au texte

10 „Aber sie sind, sagst du, wie des Weingotts heilige Priester,/ Welche von Lande zu Land zogen in heiliger Nacht“ (Hölderlin 1992 a : 290). Retour au texte

11 „Götter wandelten einst bei Menschen.“ (Hölderlin 1992 a : 215) Retour au texte

12 „Ihr wandelt droben im Licht/ Auf weichem Boden, selige Genien!“ (Hölderlin 1994 : 157) Retour au texte

13 „So auf Erden wandelten wir“ (Hölderlin 1992 a : 269) Retour au texte

14 „Ja! noch ist sie es ganz! noch schwebt vom Haupte zur Sohle,/ Stillherwandelnd, wie sonst, mir die Athenerin vor“ (Hölderlin 1992 a : 271) Retour au texte

15 „Täglich geh’ ich heraus, und such‘ ein Anderes immer,/ Habe längst sie befragt alle die Pfade des Lands;“ (Hölderlin 1992 a : 267) Retour au texte

16 „Wir singen aber vom Indus her/ Fernangekommen und/ Vom Alpheus, lange haben/ Das Schickliche wir gesucht, […]/ Und kommen auf die andere Seite./ Hier aber wollen wir bauen.“ (Hölderlin 1992 a : 362) Retour au texte

17 „Des Ganges Ufer hörten des Freudengotts/ Triumph, als allerobernd vom Indus her/ Der junge Bacchus kam, mit heilgem/ Weine vom Schlafe die Völker weckend.“ (Hölderlin 1992 a : 206) Retour au texte

18 „Vater und Mutter ? […] Ich dünk’ ihnen gestorben, sie mir.“ (Hölderlin 1992 a : 275) Retour au texte

19 „Lieblichkeit und Hoheit, und Ruh und Leben, u. Geist und Gemüt und Gestalt ist Ein seliges Eins in diesem Wesen“ (Hölderlin 1992 b : 235) Retour au texte

20 « Le nom de Dio-tima, composé comme la plupart des noms grecs, contient les éléments Zeus (génitif de Διός), ou bien compris en un sens plus général, Dieu et le divin (voir Divus), ainsi que l’honneur (τιμή). Leur association peut signifier : celle que Dieu honore, ou bien celle qui honore Dieu. » : „Der Name Dio-tima, wie die meisten griechischen Namen zusammegesetzt, enthält die Bestandteile Zeus (Gen. Διός), oder allgemeiner Gott und göttlich (vgl. Divus), und Ehre (τιμή). Ihre Verbindung kann bedeuten: die von Gott geehrte oder: die Gott ehrende.“ (Binder 1961-1962 : 148) Retour au texte

21 „Und der Vater, er selbst, durch sanftumatmende Musen/ Sendet die zärtlichen Wiegengesänge dir zu.“ (Hölderlin 1992 a : 271) Retour au texte

22 „Aber indessen kommt als Fackelschwinger des Höchsten/ Sohn, der Syrier, unter die Schatten herab.“ (Hölderlin 1992 a : 291) Retour au texte

23 C’est nous qui soulignons : „Auch ihn nenn’ ich, benannt nach diesem Land/ Den berauschten Bacchus, den Evier,/ Mit Mänaden vereinsamt; dieser komme,/Mit der glänzend scheinenden Fackel brennend,/ Auf ihn, der ehrlos ist vor Göttern, den Gott!“ (Hölderlin 1992 a : 796) Retour au texte

24 Luc, 12, 49. Retour au texte

25 „Da schickte schnellentzündend der Vater/ Das liebendste, was er selbst hatte, herab/ Damit entbrennend“ (Hölderlin 1992 a : 890). Retour au texte

26 Psaumes 112, 4 ; Jean 1, 5 ; Jean 1, 9 ; Jean 3, 19 ; Jean 12, 46 ; 2 Pierre 1, 19. Retour au texte

27 (Hölderlin 1992 a : 352). Retour au texte

28 Jean, 15, 16, 17 ; Rom. 14, 17 ; Gal. 5, 22 ; Apoc. 13, 52. Retour au texte

29 « La pratique culturelle de la pérégrination se place sous le signe de l’intimité et de la sphère privée. Elle s’oppose par conséquent à la forme courtoise de la promenade, prétexte à la représentation. […] En revanche, celui qui se balade tente de se soustraire aux regards des autres. Il ne veut pas paraître aux yeux des autres, mais il veut être face à la nature. La balade doit rendre possible des expériences authentiques. » C’est l’auteur qui souligne : „Die kulturelle Praxis des Spaziergangs steht im Zeichen der Intimität und des Privaten. Sie bildet somit einen Gegensatz zur höfischen Form der Promenade, der Gelegenheit einer Selbstrepräsentation […] Der Spaziergänger dagegen versucht, sich den Blicken der anderen zu entziehen. Er will nicht in den Augen der anderen scheinen, sondern im Angesicht der Natur sein. Der Spaziergang soll authentische Erfahrungen ermöglichen.“ (Gelhaus, Moser, Schneider 2007 : 10-11) Retour au texte

30 „So kam ich unter die Deutschen. […] Barbaren von Alters her, durch Fleiß und Wissenschaft und selbst durch Religion barbarischer geworden, tiefunfähig jedes göttlichen Gefühls […] ich kann kein Volk mir denken, das zerrißner wäre, wie die Deutschen. Handwerker siehst du, aber keine Menschen, Denker, aber keine Menschen, Priester, aber keine Menschen – ist das nicht, wie ein Schlachtfeld, wo Hände und Arme und alle Glieder zerstückelt untereinander liegen, indessen das vergoßne Leben im Sande zerrinnt?“ (Hölderlin 1994 : 168) Retour au texte

31 (Rousseau 1964 : 26) Retour au texte

32 „Die Kultur selbst war es, welche der neuern Menschheit diese Wunde schlug. Sobald auf der einen Seite die erweiterte Erfahrung und das bestimmtere Denken eine schärfere Scheidung der Wissenschaften, auf der andern das verwickeltere Uhrwerk der Staaten eine strengere Absonderung der Stände und Geschäfte nothwendig machte, so zerriß auch der innere Bund der menschlichen Natur, und ein verderblicher Streit entzweyte ihre harmonischen Kräfte.“ (Schiller 2000 : 22) Retour au texte

33 „Es muß also falsch seyn, daß die Ausbildung der einzelnen Kräfte das Opfer ihrer Totalität nothwendig macht; oder wenn auch das Gesetz der Natur noch so sehr dahin strebte, so muß es bey uns stehen, diese Totalität in unserer Natur, welche die Kunst zerstört hat, durch eine höhere Kunst wieder herzustellen.“ (Schiller 2000 : 28) Retour au texte

34 „Wir dürfen also nicht mehr verlegen seyn, einen Uebergang von der sinnlichen Abhängigkeit zu der moralischen Freyheit zu finden, nachdem durch die Schönheit der Fall gegeben ist, daß die letztere mit der erstern vollkommen zusammen bestehen könne, und daß der Mensch, um sich als Geist zu erweisen, der Materie nicht zu entfliehen brauche.“ (Schiller 2000 : 106) Retour au texte

35 „Ihr Quellen der Erd’! ihr Blumen ! und ihr Wälder und ihr Adler und du brüderliches Licht! Wie alt und neu ist unsere Liebe! […] wir lieben den Äther doch all’ und innigst im Innersten gleichen wir uns. […] Lebendige Töne sind wir, stimmen zusammen in deinem Wohllaut, Natur! Wer reißt den? Wer mag die Liebenden scheiden? – O Seele! Seele! Schönheit der Welt! Du unzerstörbare! Du entzückende! […] Wie der Zwist der Liebenden, sind die Dissonanzen der Welt. Versöhnung ist mitten im Streit und alles Getrennte findet sich wieder.“ (Hölderlin 1994 : 174-175) Retour au texte

36 „Wißt ihr seinen Namen? den Namen deß, das Eins ist und Alles? Sein Name ist Schönheit.“ (Hölderlin 1994 : 62) Retour au texte

37 „Denn im Anfang war der Mensch und seine Götter Eins, da, sich selber unbekannt, die ewige Schönheit war. […] Das erste Kind der göttlichen Schönheit ist die Kunst […] Der Schönheit zweite Tochter ist die Religion. Religion ist Liebe der Schönheit.“ (Hölderlin 1994 : 90) Retour au texte

38 C’est nous qui soulignons : „In den philosophischen Briefen will ich das Prinzip finden, das mir die Trennungen, in denen wir denken und existieren, erklärt, das aber vermögend ist, den Widerstreit verschwinden zu machen, den Widerstreit zwischen dem Subjekt und dem Objekt, zwischen unserem Selbst und der Welt, ja zwischen Vernunft und Offenbarung, - theoretisch, in intellektualer Anschauung, ohne daß unsere praktische Vernunft zu Hilfe kommen müßte. Wir bedürfen dafür ästhetischen Sinn, und ich werde meine philosophischen Briefe "Neue Briefe über die ästhetische Erziehung des Menschen nennen".“ (Hölderlin 1992 b : 225) Retour au texte

39 Consulter à ce sujet les ouvrages suivants : Pago, Thomas (2003). Johann Christoph Gottsched und die Rezeption der "Querelle des Anciens et des Modernes" in Deutschland. München : Meidenbauer, ainsi que Roloff, Volker (1989). Tradition und Modernität : Aspekte der Auseinandersetzung zwischen "Anciens" und "Modernes". Hessen : R. Hobbing. Retour au texte

40 „Nachahmen soll ich nicht, und dennoch nennet/ Dein lautes Lob mir immer Griechenland?/ Wenn Genius in deiner Seele brennet,/ So ahm den Griechen nach. Der Griech erfand.“ (Klopstock 1771 : 12) Retour au texte

41 C’est l’auteur qui souligne : „Wir lernen nichts schwerer als das Nationelle frei gebrauchen. Und wie ich glaube, ist gerade die Klarheit der Darstellung uns ursprünglich so natürlich wie den Griechen das Feuer vom Himmel. Eben deswegen werden diese eher in schöner Leidenschaft, die Du Dir auch erhalten hast, als in jener homerischen Geistesgegenwart und Darstellungsgabe zu übertreffen sein. […] das eigentliche Nationelle wird im Fortschritt der Bildung immer der geringere Vorzug werden. Deswegen sind die Griechen des heiligen Pathos weniger Meister, weil es ihnen angeboren war, hingegen sind sie vorzüglich in Darstellungsgabe, von Homer an, weil dieser außerordentliche Mensch seelenvoll genug war, um die abendländische Junonische Nüchternheit für sein Apollonsreich zu erbeuten, und so wahrhaft das fremde sich anzueignen. Bei uns ists umgekehrt. Deswegen ists auch so gefährlich sich die Kunstregeln einzig und allein von griechischer Vortrefflichkeit zu abstrahieren. Ich habe lange daran laboriert und weiß nun daß […] wir nicht wohl etwas gleich mit ihnen haben dürfen. Aber das eigene muß so gut gelernt sein, wie das Fremde. Deswegen sind uns die Griechen unentbehrlich. Nur werden wir ihnen gerade in unserm Eigenen, Nationellen nicht nachkommen, weil, wie gesagt, der freie Gebrauch des Eigenen das schwerste ist.“ (Hölderlin 1992 b : 459-460) Retour au texte

42 La sobriété est qualifiée ici de « junonienne », sans doute par référence à Héra, ennemie de Pâris et de Troie et alliée divine des Grecs dans la prise de Troie, et par opposition à Apollon, cité dans la même ligne, dieu protecteur de Troie. Ce choix de présentation mythologique suggère une opposition et une alternative. Retour au texte

43 Consulter à ce propos, outre Michel, Wilhelm (1922). Hölderlins abendländische Wendung. Weimar : Feuerverlag, l’ouvrage suivant : Lawitschka, Valérie (2003). Hölderlin und die Griechen. Tübingen, Eggingen : Isele, ainsi que l’article : Szondi, Peter (1970). « Überwindung des Klassizismus in Hölderlins Brief an Böhlendorff vom 4. Dezember 1801 », in : Schmidt, Jochen, Ed. Über Hölderlin. Frankfurt am Main : Insel Verlag, 320-338. Retour au texte

44 [à propos de la poésie de Hölderlin] « La Grèce antique des temps classiques est l’incarnation historique de la réconciliation globale, dont l’apparition se fait comme présence des dieux. […] Tout cela est bien connu et a même fini par attirer à Hölderlin le renom d’être seulement un nostalgique de la Grèce. […] Le soupçon de nostalgie envers la Grèce, en ce qui concerne le Hölderlin tardif, est tout simplement absurde. Il ne partage même plus l’idée dominante de ses contemporains, celle qui voudrait que l’art grec soit pour ainsi dire un art naturel. » (Allemann 1989 : 299-305) Retour au texte

45 C’est l’auteur qui souligne : „[ich] weiß nun, daß […] wir nicht wohl etwas gleich mit ihnen haben dürfen.“ (Hölderlin 1992 b : 460) Retour au texte

46 C’est nous qui soulignons : „Ich hoffe, die griechische Kunst, die uns fremd ist, durch Nationalkonvenienz und Fehler, mit denen sie sich immer beholfen hat, dadurch lebendiger, als gewöhnlich dem Publikum darzustellen, daß ich das Orientalische, das sie verleugnet hat, mehr heraushebe, und ihren Kunstfehler, wo er vorkommt, verbessere.“ (Hölderlin 1992 b : 468) Retour au texte

47 „Ich glaube durchaus gegen die exzentrische Begeisterung geschrieben zu haben und so die griechische Einfalt erreicht ; ich hoffe auch ferner, auf diesem Prinzipium zu bleiben, auch wenn ich das, was dem Dichter verboten ist, kühner exponieren sollte, gegen die exzentrische Begeisterung.“ (Hölderlin 1992 b : 473) Retour au texte

48 „Mitten im Schoos der höchsten Gebürge liegt das Königreich Kaschmire, verborgen wie ein Paradies der Welt. Fruchtbare und schöne Hügel sind mit höhern und höhern Bergen umschlossen, deren letzte sich mit ewigem Schnee bedeckt, zu den Wolken erheben. Hier rinnen schöne Bäche und Ströme: das Erdreich schmückt sich mit gesunden Kräutern und Früchten: Inseln und Gärten stehen im erquickenden Grün, mit Viehweiden ist alles überdeckt; giftige und wilde Tiere sind aus diesem Paradiese verbannet.“ (Herder, in Kade-Luthra 1991 : 221) Retour au texte

49 „Vielleicht wäre es sogar nöthig, vor einer zu raschen Vergleichung der Kunstprodukte eines so entfernten, so von europäischen Sitten abgeschiedenen Volks mit den unsrigen, und vor der Anwendung unserer Regeln auf etwas, das ohne einen Begriff von diesen Regeln entstand, recht ernstlich zu warnen. Die Billigkeit forderte wohl, daß man es deutlich auseinandersetzte, wie die Verschiedenheit der indischen Mythologie, Geschichte und Sitten, von der griechischen zum Beispiel, den Kunstwerken jenes Landes eine uns ungewohnte Gestalt und Maschinerie verleihen müsse, wie aber das Interessante eines solchen Werks gar nicht darin bestehe, ob es fünf oder sieben Aufzüge habe, sondern daß die zartesten Empfindungen, deren das menschliche Herz fähig ist, sich so gut am Ganges und bei dunkelbraunen Menschen, wie am Rhein, am Tyber, am Ilissus bei unserem weißen Geschlechte äußern konnten.“ (Forster, in Kade Luthra 1991 : 52) Retour au texte

50 „Indien ist ferner der Ausgangspunkt für die ganze westliche Welt, aber diese äußere welthistorische Beziehung ist mehr nur ein natürliches Ausbreiten der Völker von hier aus. Wenn auch in Indien die Elemente weiterer Entwicklungen zu finden wären, und wenn wir auch Spuren hätten, daß sie nach Westen herübergekommen sind, so ist diese Übersiedlung doch so abstrakt, daß das, was uns bei späteren Völkern Interesse haben kann, nicht mehr das ist, was sie von Indien erhielten, sondern vielmehr ein Konkretes, das sie sich gebildet haben und wobei sie am besten taten, die indischen Elemente zu vergessen.“ (Hegel, in Kade-Luthra 1991 : 105-106) Retour au texte

51 Consulter à ce sujet la référence suivante : Hansen, Frank P. (1989). Das älteste Systemprogramm des deutschen Idealismus, Rezeptionsgeschichte und Interpretation. Berlin: W. de Gruyter. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Thomas Buffet, « L’allégorie du voyageur chez Hölderlin et son originalité littéraire et philosophique dans la littérature européenne », Textes et contextes [En ligne], 11 | 2016, publié le 28 novembre 2017 et consulté le 29 mars 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=714

Auteur

Thomas Buffet

Professeur agrégé d’allemand, docteur en littérature allemande et comparée, a soutenu sa thèse en 2011 sur « le renouvellement du genre élégiaque sous la plume d’André Chénier et de Friedrich Hölderlin sur le modèle antique », sous la direction de Jean-Yves Masson à Paris IV. Il est rattaché au Centre de Recherche en Littérature Comparée (CRLC) (EA 4510) de Paris IV, en exercice en Classes préparatoires aux Grandes Ecoles au lycée Louis-Le-Grand, Paris, résidant au 11, allée du Parc, 95170 Deuil-la-Barre – thomas.buffet@dbmail.com

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