Introduction
Alors que la communication et le fonctionnement du monde médiatique retiennent l’attention aussi bien des chercheurs que du grand public, certains segments de la presse écrite demeurent invariablement ignorés. Les publications des associations d’expulsés font partie de ces oubliés de la vie médiatique. Souvent considérées comme passéistes ou les porte-voix d’incorrigibles revanchistes, elles présentent pourtant une diversité étonnante qui contraste avec l’image donnée dans les grands journaux généralistes. On peut s’interroger sur la place des publications des associations d’expulsés de l’est dans le paysage médiatique allemand. Alors que la presse écrite vit une grave crise depuis plusieurs années qui voit sa santé économique se dégrader notamment à cause de la concurrence des médias électroniques, les journaux de ces associations continuent de paraître en dépit du vieillissement de leurs lecteurs et de l’effondrement de la presse généraliste. Faut-il en conclure que ces journaux ne sont pas de véritables journaux et qu’ils relèvent davantage du bulletin d’information interne à une association ? On observe dans bien des cas que ces publications s’apparentent à des journaux spécialisés. Ce segment de la presse vit naturellement tourné vers ses lecteurs et donne la part belle aux sujets politiques concernant les expulsés.
La Fondation Ostdeutscher Kulturrat a lancé en 1982 une grande opération de recensement de la presse des expulsés visant à saisir l’ensemble de la production médiatique des associations d’expulsés. Le mode de travail des rédactions et les conditions de la création des journaux ne sont pas interrogés, leur contenu n’est même pas évoqué, mais cette étude permet de saisir les dimensions du phénomène. Elle donne également une définition aussi simple que pertinente de ce qu’est la presse des expulsés :
Par expulsés [en italiques dans l’original, L.P.], on entend ce groupe de personnes qui vivaient avant 1945 dans les anciens territoires allemands de l’est (frontières de 1937) ou comme minorités germanophones dans les pays d’Europe centrale ou orientale et qui ont été obligées de quitter leur Heimat1 à la suite de la Seconde Guerre mondiale et vivent depuis sur le territoire de RFA ou à Berlin-Ouest. (…) Est considérée comme presse [en italiques dans l’original, L.P.] des expulsés toute publication périodique qui est produite et diffusée hier comme aujourd’hui par les expulsés eux-mêmes et pour les personnes décrites ci-dessus2. (Chmielewski 1982 : XIII)
Afin de procéder à l’analyse de la circulation de l’information dans la presse des expulsés, il convient de brosser un tableau de l’histoire de ces journaux mettant en avant les liens qu’ils entretiennent non seulement entre eux, mais aussi avec les associations d’expulsés et les médias généralistes. L’organisation au sein des rédactions et la dimension économique viendront ensuite donner les clés pour mieux comprendre les mécanismes d’interaction entre les journaux. Enfin, l’étude d’un cas concret de traitement d’une polémique soulevée par la presse montrera le cheminement de l’information dans ces journaux.
1. Histoire de la presse des expulsés
1.1. Développement des journaux
Les premières publications des expulsés sont diffusées dans les mois qui suivent l’expulsion. Il s’agit pour eux avant tout de permettre de renouer les contacts entre les personnes séparées par la guerre et ses suites. Les feuilles volantes qui sont distribuées à la sortie de l’église sont le premier moyen d’expression pour des gens victimes de la censure. Soucieux d’éviter la naissance de foyers de revanchisme, les Alliés interdisent effectivement les publications des expulsés en leur refusant les licences indispensables à tout organe de presse, tout comme la création d’associations. Les prêtres jouent un rôle décisif dans l’organisation des expulsés : ils apportent soutien et réconfort à ces victimes de l’après-guerre et ils offrent un alibi aux publications d’expulsés en les faisant passer pour des bulletins paroissiaux, si bien que les prêtres sont majoritaires parmi les éditeurs de publications d’expulsés jusqu’au début des années 1950 (Biehler 1979 : 403-413).
Les titres dans ce segment de la presse spécialisée sont si nombreux que c’est une gageure que d’en dresser un inventaire. Plusieurs tentatives ont été réalisées, principalement lorsque ces journaux étaient au faîte de leur diffusion dans les années 1950 à 1970. En 1953, ce sont quelque 320 périodiques qui s’adressent directement aux expulsés (Kurth 1953). On observe déjà une caractéristique majeure qui explique le foisonnement des titres. Les journaux, comme les associations d’expulsés, s’organisent selon des principes opposés. Deux modes principaux se distinguent : soit le journal s’adresse à l’ensemble des expulsés vivant désormais dans une région précise de RFA, soit il s’adresse aux expulsés d’une région précise de l’est vivant dorénavant en RFA (dans une ville ou une région précise ou bien sur l’ensemble du territoire ouest-allemand). C’est ainsi qu’il n’est pas rare que des expulsés lisent plusieurs journaux différents : celui publié par des expulsés vivant près de chez eux et celui publié par d’anciens voisins vivant à présent à plusieurs centaines de kilomètres. La diversité des journaux tient aussi beaucoup à la composition de leurs rédactions. Il s’agit le plus souvent de dirigeants bénévoles d’associations d’expulsés. Rares sont les journaux qui peuvent s’offrir les services de salariés. Seuls les journaux avec les plus gros tirages peuvent se le permettre. Or, beaucoup de journaux ont un tirage inférieur à mille exemplaires. Cette situation s’explique par le fait que nombre de publications sont le fruit d’un travail artisanal. Les rédacteurs se soucient peu de respecter les codes et règles de travail de la presse. Les tentatives passées d’établir une typologie des journaux d’expulsés ont échoué, car les classements atteignent vite des limites ne permettant pas de cerner toute la richesse des journaux. Les différents classements proposés tentent de mettre de l’ordre dans un ensemble bigarré, mais ils échouent à donner une vue d’ensemble cohérente sur un segment de ce presse. Le système proposé par Isolde Stanzel (1955 : 17-25) est le plus prometteur à première vue, mais sa typologie ne suffit pas à embrasser la diversité des publications. Elle propose en effet de distinguer revues, journaux, lettres de la Heimat et lettres d’information, chacune de ces quatre catégories étant définie par des critères précis. Mais si cette typologie s’applique à certains journaux, elle s’avère inopérante pour couvrir tout le spectre de presse des expulsés. Elle permet certes des avancées, mais ne parvient pas à établir un classement systématique des journaux. Leur diversité et leur caractère artisanal expliquent que toute entreprise de classement soit vouée à l’échec : les dirigeants et rédacteurs sont trop peu nombreux et trop peu soucieux de rigueur journalistique dans l’élaboration de leurs publications, si bien que celles-ci varient tant dans la forme que sur le fond au gré des changements de rédacteurs.
Selon Gaida (1973), les publications des expulsés doivent être assimilées à la presse parce qu’elles travaillent en collaboration avec de nombreux services de presse, que ceux-ci dépendent des partis (parti chrétien-démocrate ou parti social-démocrate), des Landsmannschaften3, (opp (= Ostpreußen-press), Kulturpolitische Korrespondenz du Ostdeutscher Kulturrat), de la Fédération des expulsés (BdV, Bund der Vertriebenen) (Deutscher Ostdienst) ou encore du Göttinger Arbeitskreis, ce groupe d’universitaires expulsés qui s’est rassemblé à Göttingen en 1946 et produit un service de presse reconnu, hvp (= Pressedienst der Heimatvertriebenen). Les sources de l’information s’apparentent donc en partie à celles de la presse généraliste. Toutefois, les sources d’information s’intéressant aux expulsés sont peu nombreuses et il en découle nécessairement que les informations traitées dans les journaux sont issues de canaux souvent identiques, ce qui conduit inévitablement à des contenus identiques dans les journaux. Ce phénomène est renforcé par le fait que les rédacteurs ne sont pas journalistes de profession et donc peu habitués à s’approprier ces communiqués de presse pour rédiger des articles en leur nom propre.
Ulrich Bunzel (1963) répertorie 333 journaux d’expulsés de Silésie et estime qu’ils sont lus par 350 000 personnes. La presse des Silésiens (surtout en Basse-Silésie) est de loin la plus riche et la plus diversifiée. Presque tous les cantons silésiens disposent d’un journal de la Heimat. Dans certains cas, il y a même concurrence entre plusieurs publications s’adressant aux habitants d’un même canton. L’analyse de Hans Neuhoff (1970) montre l’évolution du secteur sur une quinzaine d’années. Il observe une diminution du nombre de titres, mais explique que ce phénomène doit moins à une désaffection des lecteurs qu’à une réorganisation du secteur (fusion ou rapprochement de titres). Les journaux publient au total près de 1,75 million d’exemplaires par an, soit une baisse d’environ 12% par rapport aux chiffres proposés par Karl Kurth en 1953. C’est au mitan des années 1950 que se situe l’apogée de la presse des expulsés, tant en termes de titres publiés que d’exemplaires vendus. En 1977, 10% des publications ont un tirage supérieur à 10 000 exemplaires tandis que 60% ont un tirage inférieur à 3 000 exemplaires.
Dans les premières années, les journaux poursuivent des objectifs clairement définis : informer les lecteurs sur leurs droits sociaux (logement et emploi) et se mettre au service de leurs revendications politiques d’une part, et surtout perpétuer les liens entre les personnes vivant désormais réparties sur tout le territoire ouest-allemand d’autre part. Selon Gaida, le contenu politique de ces journaux existe bel et bien, mais il n’est pas aussi fort qu’on pourrait le penser. Les objectifs initiaux ont laissé la place à une orientation nouvelle visant à maintenir vivant le sentiment d’appartenance à une région d’origine tout en portant les revendications politiques et juridiques des expulsés.
1.2. Liens entre les journaux et les associations
Le classement des journaux peut se faire aussi selon leur degré d’autonomie vis-à-vis des associations. Le journal le moins indépendant serait alors certainement le Deutscher Ostdienst (DOD). Il s’agit de l’organe de presse officiel du BdV qui paraît depuis 1959. Il a vocation à informer autant les associations membres du BdV (diffusion verticale selon l’organisation pyramidale du BdV) que les organisations politiques (partis), administratives (Bundestag, parlements des Länder) ou médiatiques (presse écrite) (diffusion horizontale au-delà du cercle des expulsés). Le DOD n’a pas ou peu de ‘vrais lecteurs’, c’est-à-dire de particuliers qui utilisent ce journal pour s’informer à titre individuel. Il s’adresse plutôt aux institutions ou à des relais de la vie publique. En ce sens, le DOD ne cherche pas à plaire pour gagner ou conserver ses lecteurs, il ne se soucie que de la diffusion de son message. Par ‘message’, on entend ici ce que le BdV veut faire savoir officiellement. Il est donc un porte-parole médiatique qui reprend notamment les communiqués de presse de la présidence du BdV, ou bien de dirigeants des Landsmannschaften (qui sont affiliées au BdV). Il relaie les prises de position publiques de la direction du BdV qu’il tâche de diffuser aussi largement que possible. Il s’enrichit également d’articles parus dans d’autres journaux d’expulsés. Dans ce cas, le choix relève d’une libre décision du rédacteur en chef du DOD. Dans le cas d’articles au contenu politique, la concordance du contenu de l’article et de la ligne officielle du BdV est primordiale. Le DOD n’est pas un lieu de débat et doit au contraire donner une image publique d’unité au sein de l’institution qui prétend parler au nom de tous les expulsés4. Une voix discordante dans le DOD brouillerait le message du BdV et serait donc contreproductive pour le DOD qui doit seulement amplifier la voix du BdV.
A l’opposé, un journal totalement indépendant serait un journal n’entretenant aucune relation avec des associations. Que signifie ‘indépendance’ dans ce cas ? S’il s’agit d’une indépendance financière, les titres n’ayant aucun lien d’argent avec une association sont légion. Si l’indépendance signifie en revanche que le journal en question n’entretient aucune relation avec des membres d’une association, il devient plus délicat de désigner un titre. En effet, un rédacteur peut très bien être membre d’une association locale d’expulsés et rédiger un journal de manière indépendante sans parler au nom de l’association.
Les journaux les plus nombreux sont ceux qui sont publiés par une association locale. Ceux-ci ne relaient que peu les articles publiés par d’autres journaux. Ils accordent davantage d’importance à leurs propres informations. Celles-ci reflètent généralement la vie interne de l’association, insistant plus sur les rencontres ou voyages de ses membres que sur des questions politiques. Toutefois, il est possible d’y lire des textes provenant du BdV ou des Landsmannschaften. C’est la preuve que le rédacteur du journal reçoit les publications officielles des grandes organisations auxquelles son association locale est peut-être affiliée et qu’il prend connaissance des informations qui y sont publiées. Le DOD, notamment, compte sur ce facteur pour diffuser son message. Les rédacteurs de petits journaux sont alors des multiplicateurs. Ils reçoivent un message qu’ils diffusent à leur tour. L’indépendance existe dans la mesure où les rédacteurs de ces publications sont libres dans le choix des articles.
1.3. Place entre presse généraliste et presse spécialisée
La presse des expulsés se situe à mi-chemin entre la presse généraliste et la presse spécialisée. La difficulté à la situer repose une nouvelle fois sur sa diversité. Il suffit de citer l’exemple d’un journal comme l’Ostpreußenblatt pour saisir la difficulté à délimiter les genres médiatiques. L’Ostpreußenblatt a pris le nom de Preußische Allgemeine Zeitung (PAZ) en 2003 lorsqu’il a cessé d’être un journal d’expulsés et qu’il est devenu un journal généraliste. L’Ostpreußenblatt est alors devenu un supplément à l’intérieur du PAZ. Le journal n’a pas perdu son intérêt pour la cause des expulsés et les questions qui les concernent. Mais en devenant un journal généraliste et élargissant ses centres d’intérêt, il a élargi son lectorat, contribuant dans le même temps à attirer l’attention de plus de personnes sur les sujets touchant les expulsés. Ce journal illustre parfaitement les ponts qui peuvent exister entre la presse généraliste et celle des expulsés.
2. Lectorat et économie de la presse des expulsés
2.1 Qui sont les lecteurs ?
La presse des expulsés a ceci de particulier qu’elle fait partie des rares secteurs médiatiques qui peuvent prétendre connaître chacun de leurs lecteurs potentiels. C’est l’ensemble des expulsés (ou leurs descendants) de la Heimat dont traite le journal qui constitue les lecteurs potentiels d’un journal. S’agissant d’une Heimat à l’échelle d’un village, les rédacteurs d’un journal peuvent donc avoir connaissance des noms et adresses de l’ensemble des personnes susceptibles d’acheter leur journal. Les associations d’expulsés entretiennent le souvenir de la Heimat notamment à travers des cartes des villages et régions perdus où chaque maison et chaque famille sont répertoriées. Le travail de rassemblement qui a prévalu dans l’immédiat après-guerre a consisté entre autres à retrouver les nouvelles coordonnées postales de chaque ancien habitant d’un village. Par la suite, des personnes ont été chargées de tenir à jour des fichiers compilant les adresses de chacun. Il n’est donc pas difficile de s’adresser directement à chaque personne susceptible de lire un journal. La plupart des journaux ont des tirages relativement confidentiels, qui varient selon la taille de la Heimat concernée. Mais les journaux qui sont les plus petits quant à leur tirage sont aussi ceux qui ont la longévité la plus remarquable. On constate en effet que les lecteurs marquent un attachement d’autant plus grand à leur journal que celui-ci s’adresse directement à eux.
2.2. Revenus de la presse des expulsés
Les revenus de la presse des expulsés sont modestes. Tous les journaux ne contiennent pas de publicité. S’agissant de publications au tirage modeste, la chose n’est pas surprenante. Pour les publications de plus grande envergure, on trouve quelques publicités à travers les pages des journaux. Si dans les années 1950 et 1960, des entreprises de la Heimat qui étaient parvenues à s’établir en RFA faisaient de la publicité dans les journaux en soulignant leur origine géographique, ce n’est aujourd’hui plus le cas et les publicités concernent le plus souvent des agences spécialisées dans les voyages organisés vers l’Europe centrale et orientale ou bien des hôtels situés dans la Heimat.
Les journaux indépendants ne reçoivent pas de soutien financier de la part des grandes associations. Les Landsmannschaften ont leurs propres publications, et leur soutien aux plus petites publications n’est pas financier. Il se limite à la mise à disposition d’articles qui peuvent être reproduits gratuitement.
Les journaux comptent avant tout sur leurs lecteurs et leur fidélité. Ces journaux ne sont disponibles que par abonnement, et à chaque fin d’année s’engage un nouveau combat pour les journaux qui doivent inciter leurs lecteurs à renouveler leur abonnement et à procéder à un nouveau virement bancaire. C’est aussi parfois l’occasion de constater le décès d’un lecteur durant l’année.
L’économie des journaux reposant presqu’uniquement sur les lecteurs, elle est extrêmement fragile. C’est pourquoi au cours des années 1970, de nombreux titres ont disparu, soit à cause de faillite, soit parce qu’ils ont fusionné avec d’autres titres, préférant l’union à une concurrence préjudiciable à tous. Ce phénomène de fusion de titres économiquement viables a d’ailleurs été encouragé par le BdV, également pour éviter que certains titres ne tombent entre les mains de groupuscules d’extrême droite à la recherche d’un nouveau public (Stickler 2004 : 172-191). Ces journaux ne percevant pas d’aides financières de la part des grandes associations, la rédaction choisit donc ses articles sans obligation de répondre à un ordre venu de la hiérarchie associative.
2.3. Auteur des articles publiés
La plupart des journaux sont élaborés de manière artisanale. La rédaction se limite à une ou deux personnes travaillant bénévolement. Le travail de rédaction se limite à compiler des textes envoyés par des membres de la direction ou de simples adhérents d’une association. Pour ces journaux, il est essentiel de recourir à d’autres journaux pour enrichir les pages de leur propre publication. La collaboration avec d’autres journaux publiés par de petites associations permet un enrichissement mutuel des petites publications, tandis que le recours aux pages politiques des grands journaux des Landsmannschaften permet de donner une dimension supplémentaire aux journaux les plus modestes. Il s’agit d’un enrichissement dans la mesure où ces articles qui sont mis gracieusement à disposition n’auraient pas d’équivalent sans ces échanges, mais l’enrichissement n’est que quantitatif. En effet, en garnissant les pages politiques de contributions tirées de périodiques dont les préoccupations politiques sont semblables, les journaux prennent le risque de ne diffuser que des articles répétant les mêmes idées, et c’est finalement un appauvrissement d’un point de vue qualitatif qui est le résultat des échanges entre journaux.
3. Etude de cas : la restitution des registres paroissiaux à la Pologne en 2001
3.1. Le Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ), à l’origine d’une polémique
Le 17 septembre 2001 paraît dans le FAZ un long article qui annonce que des registres paroissiaux provenant de diocèses situés à l’est de la ligne Oder-Neisse vont être rendus à l’épiscopat polonais (Deckers 2001 : 14). Ces registres avaient été emportés par les nazis à l’automne 1944 à Berlin. Les registres de l’Eglise évangélique y sont restés (et y demeureront) tandis que les registres catholiques sont arrivés aux archives épiscopales à Ratisbonne au milieu des années 1970. Si les relations germano-polonaises ont longtemps empêché qu’un retour soit envisageable, des négociations récentes ont permis de trouver un accord pour un transfert vers la Pologne. En effet, l’article du FAZ précise que selon un principe de l’Eglise catholique, les registres paroissiaux sont attachés au territoire sur lequel ils ont été rédigés et ils n’appartiennent donc pas à une communauté qui les emporterait en se déplaçant (comme c’est le cas chez les protestants). Selon le droit canon, les registres paroissiaux catholiques ont donc leur place en Pologne. L’article ne cache pas que des réticences ont dû s’exprimer puisque l’Eglise polonaise a donné des garanties aux évêques allemands : l’Eglise ne transmettra pas ces documents aux archives nationales, ceux-ci ne seront manipulés que par des archivistes professionnels et toutes les demandes venues d’Allemagne devront être traitées dans un délai d’un mois au maximum. L’article évoque aussi l’importance de ces registres pour les expulsés allemands : S’agissant de documents utilisés par les généalogistes et les tribunaux des successions, ils ont une valeur pour l’administration ; et leur valeur sentimentale n’est pas moins grande car ces registres sont « le cordon ombilical qui relie les expulsés à leurs ancêtres dans la lointaine Heimat »5.
La réponse des expulsés est immédiate. C’est le BdV qui réagit officiellement dès le lendemain par la voie d’un communiqué de presse publié sur son site internet et repris in extenso dans l’édition du 21 septembre du DOD (DOD 2001 : 1). En comparaison de l’article du FAZ, le communiqué du BdV se caractérise par sa brièveté. Le BdV ne reconnaît pas qu’il ignorait tout de l’affaire qu’il a découverte dans le FAZ, mais le communiqué commence par dénoncer une décision qui a été prise sans consulter les expulsés (ce qui, pour la plus grande organisation représentative des expulsés, constitue un aveu). Par ailleurs, le BdV n’avait jusque-là jamais pris position publiquement sur le sujet, alors qu’on imagine aisément qu’il n’aurait pas manqué de dénoncer le projet bien plus tôt pour tenter de faire pression sur l’épiscopat allemand, s’il avait eu connaissance de l’affaire. Les concessions de l’Eglise polonaise sont rappelées (la consultation de microfiches reste possible à Ratisbonne, par exemple), mais leur valeur est atténuée par les problèmes que dénonce le BdV : la consultation sur place va devenir impossible et on ne pourra plus vérifier la réalité de documents illisibles sur microfiches. Or, le DOD estime que les Polonais risquent de ne pas respecter l’orthographe des noms de personnes ou de lieux allemands, comme cela a souvent été le cas jusqu’alors. Les expulsés doivent « craindre une polonisation de leur histoire6 » et que les documents présentés par les Polonais ne soient « déformés7 ». Le BdV ne recule pas devant le procès d’intention, comme si le retour des registres en Pologne avait moins à voir avec un principe du droit canon qu’avec une volonté délibérée de nuire à l’Allemagne en général et aux expulsés en particulier. Le reproche formulé par le BdV n’est pas totalement extravagant. Par le passé, des documents délivrés par des autorités administratives polonaises ont pu provoquer la colère d’expulsés qui voyaient leur nom allemand écrit avec une orthographe polonaise ou bien encore leur lieu de naissance indiqué en polonais. Pourtant, ces pratiques correspondent avant tout à une réalité politique : Le régime communiste a imposé la polonisation des toponymes et patronymes allemands pendant des années. De plus, les autorités allemandes ont elles aussi provoqué les mêmes réactions chez les expulsés en estimant que les territoires situés de l’autre côté de la ligne Oder-Neisse devaient être considérés comme polonais à compter du 2 août 19458. Il semblerait que pour le BdV, les relations germano-polonaises soient aussi compliquées au début du XXIème siècle que durant la guerre froide, que les réflexes antiallemands demeurent d’actualité en Pologne et que les expulsés en seront les victimes.
Un autre journal prend position sur le sujet juste après la parution de l’article du FAZ. Il ne s’agit pas d’un journal d’expulsés, mais d’un journal appartenant à la presse généraliste, même si son orientation politique le rapproche de l’extrême droite. L’édition du 21 septembre du Junge Freiheit (JF) revient sur le sujet (Kühn 2001 : 6). Il ne fait pas de doute que c’est l’article du FAZ qui a appris l’information au JF puisque le nom FAZ apparaît deux fois dans l’article9. Le BdV en revanche n’est pas mentionné. On pourrait s’étonner que le JF accorde de l’attention à cette nouvelle. Pourtant, il existe des liens nombreux entre cet hebdomadaire d’extrême droite et des journaux d’expulsés. Le journal est régulièrement cité dans les colonnes du Grafschafter Bote (GB) que le JF considère lui-même comme « très attractif »10 (Schmit 2007 : 14). Le GB est le journal publié à Lüdenscheid à destination des expulsés du Comté de Glatz (pol. Ziemia Kłodzka) en Basse-Silésie. Le JF voit dans l’annonce de la nouvelle le signe d’une manigance destinée à tromper l’opinion : les autorités ecclésiastiques ont profité des attentats du 11 septembre à New York qui mobilisaient l’attention pour que leur annonce passe inaperçue. Le JF esquisse une thèse du complot visant à tromper l’opinion publique en général et les expulsés en particulier. Il rappelle ainsi que le Kulturkorrespondenz du Ostdeutscher Kulturrat citait dans son édition du 30 août 2001 une interview de Klaus Neitmann, directeur des archives du Land de Brandebourg, indiquant que la Pologne avait renoncé à demander le transfert des registres paroissiaux. Le JF prend lui aussi le parti des généalogistes et des expulsés, considérant que c’est aux Polonais de se contenter de microfiches tandis que les Allemands pourraient conserver les documents originaux.
C’est à nouveau le FAZ qui évoque l’affaire dans sa rubrique « Courrier des lecteurs » du 22 septembre. Une lectrice dénonce le droit au retour pour les registres tandis que les hommes n’ont pas eu ce droit (Menzel 2001 : 11). Une lettre de Gerhard Pieschl est également publiée (Pieschl 2001 : 11). Il s’agit d’un évêque auxiliaire, ce qui tend à accréditer la thèse du secret bien gardé, puisque lui aussi a pris connaissance de l’information dans le FAZ seulement11. Son courrier rempli d’ironie se réjouit de voir que le droit au retour s’applique enfin, et que les registres vont précéder les hommes. Une véritable polémique s’engage dans le courrier des lecteurs du FAZ. Plusieurs lettres sont publiées dans les jours qui suivent, qu’il s’agisse d’anonymes ou de personnalités issues des rangs des expulsés (Hartmut Koschyk (Koschyk 2001 : 10), secrétaire général du BdV de 1987 à 199112, Herbert Gröger (Gröger 2001 : 10), ancien rédacteur en chef du Grafschafter Bote) ou de représentants de l’Eglise (Hartmut Sander (Sander 2001 : 10), responsable des archives évangéliques à Berlin). Aucun article ne sera plus publié sur le sujet par la suite dans le FAZ. La polémique aura eu lieu dans le courrier des lecteurs, mais la partie rédactionnelle du journal n’aura publié qu’un seul article.
Pendant ce temps, les journaux d’expulsés sont encore peu nombreux à réagir. L’Ostpreußenblatt s’inspire du communiqué du BdV dans l’article qu’il consacre au sujet le 29 septembre 2001 (Ostpreußenblatt 2001 : 4). Le Schlesische Nachrichten publie un article dans son édition du 15 octobre 2001 qui reprend également le contenu du communiqué du BdV (Schlesische Nachrichten 2001 : 7). Les raisons de ce traitement de l’information par les journaux d’expulsés sont de deux ordres : les rédactions disposent de peu de moyens humains et économiques pour procéder à une enquête par elles-mêmes. De plus, elles ont pour habitude de travailler en collaboration en procédant à des échanges d’informations. Lorsque le BdV publie un article dans le DOD ou un communiqué de presse, c’est tout naturellement que les journaux d’expulsés reprennent ces contenus dans leurs propres pages. La validité des informations du BdV est considérée comme allant de soi, de même que la méfiance vis-à-vis des informations de la presse généraliste (comme le FAZ) est courante. En outre, la parution bien moins fréquente des journaux d’expulsés les empêche de traiter l’actualité brûlante. Ces journaux bimensuels ou mensuels sont toujours en retard, ou, à tout le moins, en décalage avec l’actualité.
Pourtant, malgré le décalage temporel, la polémique va tout de même prendre forme et enfler au fil des mois. Tous les articles traitent le sujet avec le même angle d’approche : ils présentent les faits (selon les informations données par le FAZ et le BdV), puis exposent ce qu’ils considèrent comme les arguments de la partie adverse, et finissent par y opposer leurs propres arguments. L’approche peut être considérée comme polémique tant la dramatisation est forte et l’absence d’arguments rationnels évidente. Parmi les journaux participant à la polémique, on peut relever la présence active de Der Schlesier, Schlesische Nachrichten, Grafschafter Bote, Der Breslauer, Pommersche Zeitung13. La polémique dure jusqu’en avril 2002 où le GB décide de clore le débat (après l’avoir annoncé une première fois le mois précédent). Le Pommersche Zeitung consacrera deux longs articles en mars et avril 2003, mais il s’agira plus d’un rappel des faits et de leur analyse avec du recul dans le temps (mais sans critique) (Benl 2003a, Benl 2003b).
3.2. La polémique se fonde uniquement sur le FAZ et le BdV
L’analyse des articles publiés par les autres journaux montre que tous leurs articles ne reposent en fait que sur les deux textes à l’origine de la polémique, l’article du FAZ et le communiqué du BdV.
Les arguments exposés ne sont en rien des idées nouvelles présentées dans les journaux, mais plutôt la reprise des arguments déjà développés dans les articles originaux. Le texte du FAZ se distinguait par sa capacité à montrer aussi bien le point de vue des épiscopats allemand et polonais (rappel du droit canon), que les craintes du côté allemand (garanties demandées aux Polonais), ou encore les réserves des expulsés (attachement sentimental). L’Ostpreußenblatt craint la « polonisation » de l’histoire allemande (comme le faisait le BdV). Le premier texte publié dans le Schlesische Nachrichten est en fait une reprise légèrement reformulée du communiqué du BdV. Der Schlesier exprime le 9 novembre 2001 les mêmes craintes de voir des documents officiels déformant la réalité (Sobota 2001 : 4-5). La peur d’une alliance dans le dos des expulsés s’exprime également, même s’il s’avère que les membres de cette alliance sont mal identifiables : tandis qu’un lecteur du Ostpreußenblatt se demande si le pape polonais ne serait pas à l’origine de la restitution des registres, Der Breslauer s’interroge sur l’opportunité pour l’Eglise polonaise de gagner de l’argent grâce aux registres. Les expulsés sont présentés comme d’éternelles victimes. C’est une des caractéristiques du discours de la presse des expulsés, où le concept de « seconde expulsion14 » est couramment utilisé pour dénoncer une situation jugée défavorable aux expulsés. Les expulsés sont alors une nouvelle fois considérés comme victimes, car ils seraient habitués à souffrir des décisions de la hiérarchie catholique. Une lettre ouverte de dirigeants d’une association d’expulsés du Comté de Glatz le prétend en affirmant que « la Conférence épiscopale d’Allemagne a une nouvelle fois trahi les expulsés catholiques15 » (Zentralstelle 2002 : 8). Le rédacteur en chef du GB ne dit pas autre chose lorsqu’il prétend que l’Eglise « manque de sensibilité » vis-à-vis des expulsés16 (Großpietsch 2002 : 9).
Tandis que les expulsés sont confortés dans leur statut d’éternelles victimes, les Polonais sont de leur côté présentés comme les éternels coupables. Ici, c’est une lettre ouverte d’une association locale d’expulsés de Münster publiée dans le GB qui dénonce la culpabilité polonaise dans l’expulsion et la met en parallèle avec une décision qui va rendre aux Polonais les rares biens qu’ils n’ont pas réussi à conserver. Les « voleurs polonais17 » (Grafschaft Glatz e.V. 2002 : 8) vont être les gagnants de cette opération de restitution.
La reprise des arguments ou des mots, mais aussi simplement des informations, est marquée grammaticalement dans de nombreux articles par l’emploi du subjonctif I18. Si dans les premiers articles, le nom du FAZ est mentionné, ce n’est pas le cas systématiquement, comme si ce n’était pas là le plus important. Le subjonctif I suffit à indiquer que le journal n’est pas à l’origine des informations et que celles-ci ont une source non indiquée. Le discours rapporté est donc signalé au lecteur par le subjonctif I, mais aussi de manière plus visible par des guillemets avec l’emploi de citations. Toutefois, leur utilisation n’est pas systématique. Des extraits du texte du FAZ ainsi que du communiqué du BdV sont cités entre guillemets. Pourtant, les citations ne se limitent pas à ces seuls extraits et une grande partie des articles est en fait rédigée à partir de ces deux premiers textes. Une expression est symptomatique de cet usage mimétique inconscient de la langue. Tandis que le FAZ parlait de registres paroissiaux « transférés19 » en Pologne, le BdV dans son communiqué du 18 septembre 2001 évoquait les registres « sauvés ». Or, cette expression est utilisée couramment dans la presse des expulsés20. Elle en dit long sur la valeur donnée à ses registres, et révèle en même temps une erreur21 historique. « Registres sauvés » implique que des expulsés soient parvenus à emporter avec eux ces registres lors de l’expulsion (ou auparavant s’agissant de réfugiés). Or, et la chose est dite clairement dans l’article du FAZ, ces registres ont en réalité été emportés par les nazis à la fin de 1944. Il est certain que l’expression « registres sauvés » est plus à même de remporter l’adhésion du lecteur et de le gagner à la cause, mais elle induit une tromperie qui, on le constate, est fort répandue dans la presse des expulsés, et elle trahit ainsi la source unique de son information, en l’occurrence le BdV. Il y a certes deux sources distinctes pour la même information, mais la presse des expulsés, tout en faisant référence au FAZ, s’appuie très clairement sur les propos tenus dans le communiqué du BdV et en utilise tant les arguments que la rhétorique.
Enfin, un dernier élément permet d’établir avec certitude que l’information circule en boucle dans la presse des expulsés et que les journaux ne font que se répéter les uns les autres sans s’ouvrir à d’autres sources extérieures. Le communiqué du BdV du 18 septembre (comme l’article du FAZ du 17 septembre) avance le chiffre de 3661 registres. Or, le courrier de lecteur du responsable des archives publié dans le FAZ du 22 octobre corrige ce chiffre et annonce qu’il s’agit en fait de 3361 registres. Malgré cela, le Schlesier, le Schlesische Nachrichten, l’Ostpreußenblatt et le GB continuent de parler des « 3661 registres sauvés » comme si la correction du chiffre n’avait pas eu lieu. Elle est pourtant effectuée par un archiviste dans les colonnes du FAZ, le journal à l’origine de la révélation de l’affaire, mais c’est bien le BdV à travers le DOD qui a porté l’affaire à la connaissance des expulsés (sans citer le FAZ il est vrai). Le Schlesische Nachrichten montre une évolution dans son attitude face à ce chiffre. Il continue d’abord de parler des 3661 registres, avant de finalement adopter le chiffre de 3361.
3.3. Qu’est-ce qui circule vraiment ?
Les échanges d’informations sont donc flagrants entre les journaux. Il se dégage une impression d’uniformité absolue de l’information et des opinions exprimées par ces journaux. Pourtant, il faut souligner qu’ils laissent une certaine place aux opinions divergentes dans leurs colonnes. Il s’agit dans l’affaire des registres paroissiaux des réactions venant de l’Eglise catholique. La polémique aurait pu être évitée si le BdV avait repris tous les éléments de l’article du FAZ, notamment ceux indiquant dans quelles conditions les registres paroissiaux avaient quitté leurs diocèses d’origine pour arriver à l’ouest du Reich. Or, c’est seulement dans le premier numéro de 2012 du Schlesische Nachrichten qu’un journal d’expulsés laisse la parole au secrétariat de la Conférence épiscopale pour l’expliquer (Schlesische Nachrichten 2002 : 2). Il est dit clairement que seul un petit nombre de registres viennent de régions situées dans les frontières du Reich avant le déclenchement de la guerre et que pas un seul ne vient de Silésie. Surtout, il insiste sur le fait que ces registres ne doivent leur présence en Allemagne qu’à une opération de saisie menée par les administrations du Reich pour le compte du Reichssippenhauptamt22. Le Schlesische Nachrichten a l’honnêteté de publier les explications fournies par la Conférence épiscopale, mais il fait preuve d’une mauvaise foi caractérisée lorsqu’il feint de se demander « pourquoi ce commentaire de l’Eglise arrive-t-il si tard après que de toutes parts et à bon escient les protestations se sont élevées contre le retour des registres catholiques23 ». La mise au point de la Conférence épiscopale n’a pas le même retentissement que les autres articles. Le mois suivant, le même journal publie sous le titre « Courrier de lecteur » une lettre des archives épiscopales centrales de Ratisbonne. L’auteur se plaint d’être assailli de demandes par téléphone ou par courrier d’expulsés qui demandent la copie de registres paroissiaux silésiens (Schlesische Nachrichten 2002 : 8). Or, les archives rappellent qu’aucun registre silésien ne se trouve en Allemagne et que tous sont restés en Silésie. Il n’y a aucune nouvelle information dans ce texte, mais sa publication quelques mois après le début de la polémique indique clairement que cette polémique a eu pour effet d’inciter nombre d’expulsés à demander aux archives épiscopales la copie de documents les concernant avant que ceux-ci ne partent pour la Pologne comme ils l’imaginent. Ce courrier révèle que les nombreux articles ont réussi à tromper les expulsés sur les raisons et la dimension d’un événement. Dans le GB, le journal des expulsés du Comté de Glatz en Silésie, la polémique a pris un ton très virulent, notamment avec les deux lettres ouvertes adressées à la Conférence épiscopale. Le Großdechant, responsable apostolique des expulsés de Glatz, qui tient une rubrique dans le journal, procède à son tour à une clarification sur les conditions de l’arrivée des registres à l’ouest (« Depuis près de dix ans déjà, on peut le lire dans une publication du dirigeant des archives épiscopales de Ratisbonne24. ») avant d’expliquer une nouvelle fois les principes du droit canon applicables dans cette situation (Jung 2002 : 12). Le ton est de l’article est outré et s’indigne de la violence des propos dans la lettre ouverte à l’égard de la Conférence épiscopale et du cardinal Meisner. Il appelle les lecteurs et expulsés à faire preuve de sang-froid et à mesurer leurs propos en se gardant de toute invective.
La multiplication des mises au point et rappels de la réalité des faits apporte la preuve que ces textes sont moins lus ou attirent moins l’attention que les articles polémiques qui ne s’embarrassent pas de rigueur et de précision. Une information imprécise et incomplète est reprise par plusieurs journaux jusqu’à paraître vraisemblable parce qu’elle aura été maintes fois répétée. A ce phénomène s’ajoute la réaction émotive des expulsés qui craignent de se voir dépossédés symboliquement de la mémoire de leur passé (comme l’indiquent les demandes adressées aux archives de Ratisbonne).
Conclusion
Malgré la multitude de titres qui constituent la presse des expulsés, force est de constater que le contenu de la plupart de ces journaux ne varie guère. S’il est peu surprenant de constater que les thématiques abordées sont tout le temps les mêmes, il est en revanche plus inattendu de lire des articles identiques dans des publications différentes. C’est là que ce secteur de la presse écrite allemande révèle sa fragilité. Ces journaux reposent bien souvent sur quelques personnes seulement qui doivent assumer une lourde tâche qui n’est pas leur activité professionnelle. La réalisation et le contenu de certains journaux témoignent du caractère artisanal de nombreux titres. Dans ces conditions, la collaboration entre journaux est indispensable et les rédacteurs n’hésitent pas à échanger des articles ou des illustrations pour enrichir leur propre journal. L’information est condamnée à circuler au sein de ce cercle fermé du paysage médiatique allemand. Or, la circulation n’est pas sans conséquences : absence de vérification de l’exactitude des faits par abus de confiance, recul de la diversité d’opinions et renforcement de la pensée dominante. Aussi spécialisée qu’elle soit, la presse des expulsés n’en est pas moins faillible. En raison de son engagement en faveur des revendications des expulsés et de la défense de leurs droits, la presse des expulsés n’échappe pas à une partialité que reflète l’information qu’elle diffuse.