Émotions, stratégies politiques et engagement citoyen, sous la direction de David Bousquet et Alexandra Palau

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Émotions, stratégies politiques et engagement citoyen, sous la direction de David Bousquet et Alexandra Palau, Louvain-la-Neuve : Éditions Academia, 2022, 245 p., ISBN 978-2-8061-0650-6

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En politique, les « émotions » forment une nébuleuse comportementale suscitant habituellement à la fois l’indifférence et la suspicion : indifférence de la part des analystes du discours politique en ce qu’elles échappent aux domaines traditionnellement analysés ; suspicion de la part des acteurs même de la vie politique, en ce qu’elles travailleraient contre la lucidité et la rationalité nécessaires à la pertinence et à l’efficacité de ce discours – ce qui n’empêche en rien ces acteurs de savoir de mieux en mieux les utiliser. Ces dernières années, la multiplicité, l’omniprésence croissante et la vitesse de réactivité des réseaux sociaux, en accroissant de façon exponentielle le nombre des locuteurs et des diffuseurs du discours politique, a également mis au premier plan la question émotive qui, de phénomène marginal, est devenue un moteur décisif tant de la diffusion que de l’orientation du discours politique. C’est autour de cette problématique récente et peu étudiée que se rassemblent les dix études réunies par David Bousquet et Alexandra Palau, membres du Centre Interlangues Texte, Image, Langage de l’Université de Bourgogne.

Cet ouvrage est composé de trois parties équilibrées. La première partie, « Émotions et crises politiques », propose des contributions reposant sur l’étude de corpus discursifs appartenant à notre actualité récente. Les interventions sont disposées à rebours de la chronologie attendue, ce qui donne la mesure de l’écart, en moins de vingt ans, entre la fin des années 2010 où les réseaux sociaux représentent une force politique susceptible de déstabiliser le pouvoir et le début des années 2000, la période où l’essentiel du discours politique était construit et alimenté par le pouvoir. C’est ainsi que cette partie commence par l’étude des stratégies émotives mises en œuvre sur Twitter par le mouvement indépendantiste catalan Tsunami Democràtic à l’automne 2019, époque de la condamnation des dirigeants indépendantistes catalans par le pouvoir espagnol (Ludivine Thouverez) et se termine par l’étude de la rhétorique du discours anxiogène tenu par le président étatsunien George W. Bush à la suite du 11 septembre 2001 – un discours reposant sur l’exploitation de la peur des citoyens (Delphine Ramos). Discours officiel tenu officiellement par le pouvoir monologiste à la fin du XXe siècle, discours tenu sur des réseaux sociaux dont les hommes de pouvoir font eux aussi partie des acteurs dans notre actualité récente : ce sont ces deux manifestations discursives qu’étudient Lucie Genay et Saïd Ouaked à travers les stratégies émotionnelles communes aux présidents Reagan et Trump, usant tous deux du même recours à la peur derrière, entre autres, la même antienne : « Socialiste ! Communiste ! ». En Grande-Bretagne, le recours à des discours alarmistes pour dénigrer le camp opposé est une pratique ayant pris son essor également à partir des années 1980, comme le montre Karine Rivière-De Franco, qui analyse plus particulièrement le recours à la rhétorique de la peur à l’époque de la campagne référendaire du Brexit au printemps 2016.

La deuxième partie du recueil, « Marqueurs émotionnels et construction identitaire », a pour objet les formes de l’engagement citoyen au XXIe siècle. Au cœur de cette partie et à partir d’un corpus constitué de témoignages d’avortement sur Twitter lors des débats qui ont eu lieu en 2019 aux États-Unis, la contribution de Laure Lansari et Claire Leyssène propose une « étude linguistique » susceptible de fournir un cadre théorique général à l’analyse de l’émotion dans les « nouvelles stratégies langagières » des réseaux sociaux, en particulier de l’empathie utilisée comme outil argumentatif. De part et d’autre de cette contribution sont placées deux études portant sur le discours politique espagnol contemporain : Catherine Saupin analyse l’expression de l’émotion lors des combats féministes des années 2010, et dresse le bilan du rôle des réseaux sociaux dans les progrès des positions féministes à l’intérieur d’un pays européen particulièrement marqué par les violences faites aux femmes ; Virginie Gautier N’Dah-Sekou étudie les discours et les manifestes produits par le collectif Unidad Cívica por la República visant à reconstruire le républicanisme espagnol dans un régime resté monarchique.

C’est sur la sphère médiatique que portent les trois études de la dernière partie du recueil, qui étudient la construction des discours émotifs dans la presse espagnole et britannique. La presse écrite espagnole est étudiée par David Gregorio à l’époque di giscardazo, dans ces premières années de la Transition où la France de Valéry Giscard d’Estaing s’est retrouvée plus d’une fois en conflit diplomatique avec l’Espagne (asile des terroristes de l’ETA, atermoiements d’une CEE laissant l’Espagne en son seuil jusqu’en 1986…). La rhétorique de l’émotion mise en œuvre dans la presse de droite espagnole visait alors à exacerber le sentiment « anti-français »en construisant notamment l’archétype du français « chauvin et arrogant ». Bénédicte Brémard rend compte du programme d’information Audiencia abierta diffusé sur la télévision publique espagnole TVE au cours des années 2010 : ce programme, consacré à la mise en scène de la figure du Roi pour la rendre plus proche des téléspectateurs, a eu à affronter au cours de ces années tant les scandales qui frappaient alors la famille royale que l’arrivée de Podemos au gouvernement et a construit parallèlement à ces contrariétés un discours centré sur le « langage du cœur » tenu par le roi. Plus proche de nous, le corpus étudié par Yves Golder est celui de la presse britannique, principalement écrite, tenu au cours des cinq premiers mois de la crise sanitaire de 2020 au Royaume-Uni : l’objectivité et la neutralité des discours tenus par la presse scientifique avaient en effet laissé la prééminence de discours politiques lestés d’une forte charge émotionnelle.

Ces dix contributions comportent leur lot de rappels définitoires, historiques, théoriques, et leur assemblage témoigne non seulement de la prégnance de l’émotion tant dans la fabrication que dans la circulation de l’information et des discours politiques, mais aussi du poids sensiblement égal des professionnels (politiciens et journalistes) et des citoyens, ce dont rend déjà compte le titre tripartite du recueil. Ces contributions en appellent évidemment d’autres, destinées à creuser chacun des domaines d’expression abordés : presse écrite, presse audio)-visuelle ; discours du pouvoir, discours citoyen. Les sphères culturelles abordées sont spécifiquement – et naturellement — les sphères anglo-saxonne et espagnole, domaines d’activité respectifs des deux directeurs du recueil David Bousquet et Alexandra Palau : on ne peut que souhaiter, si de telles études sont prolongées, l’extension des domaines de la lutte émotionnelle.

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Hervé Bismuth, « Émotions, stratégies politiques et engagement citoyen, sous la direction de David Bousquet et Alexandra Palau », Textes et contextes [Online], 17-2 | 2022, . Copyright : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=4003

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Hervé Bismuth

Maître de conférences, Centre Interlangues Texte, Image, Langage (EA 4182), Université de Bourgogne Franche-Comté, UFR de Langues et Communication, 4 Boulevard Gabriel, 21000 Dijon

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