« Tous les écrivains d’origine bourgeoise ont connu
la tentation de l’irresponsabilité: depuis un siècle,
elle est de tradition dans la carrière des lettres ».
TEMPO PRESENTE, (rubrique "Gazzetta"), an. 1962, n. 4-5, p. 350.
Dans ses leçons sur l’idée d’Europe, Federico Chabod rappelle que « lors de la formation du concept d’Europe et du sentiment européen les aspects culturels et moraux ont eu, dans sa phase décisive, une prééminence absolue » (Chabod 2005: 13)1. À la fin du deuxième conflit mondial, certains écrivains eurent un rôle capital dans le réveil d’une « conscience européenne » (Frank 2009: 113). Leurs œuvres garantirent la propagation du sentiment d’une urgence, celle d’unir les Européens sous une même idée d’Europe. Cependant, au début des années 1950, la réalisation du rêve d’une Europe unie semblait très difficile à réaliser. La Guerre froide et la nécessité d’une realpolitik dans le cadre de l’hégémonie des deux blocs opposés rendaient impossible pour la plupart des Européens tout rêve d’union (Pasture 2015: 157-184).
Plusieurs intellectuels (pour la plupart de gauche), absorbés surtout par les dynamiques de la Guerre froide et par le processus d’émancipation des peuples colonisés, se désengagèrent d’une Europe qui avait choisi l’American Way of Life (De Grazia 2006). Malgré cela, certains intellectuels continuèrent à travailler pour le rêve d’unir l’Europe et les Européens. La conscience politique et morale de ces derniers s’était formée pendant les horreurs des années 1930 (de l’invasion de l’Éthiopie par les armées italiennes, en passant par la guerre civile espagnole, jusqu’aux atrocités nazies) et des années 1940 (les crimes des bombardements contre les populations civiles pendant la Seconde guerre mondiale), ayant comme sommet Hiroshima et Nagasaki, c’est-à-dire les crimes les plus inénarrables de l’histoire du XXe siècle2. Ce furent les cas de l’écrivain italien Ignazio Silone3 et du groupe qui se retrouva autour la revue TEMPO PRESENTE.
1. L’histoire d’une revue italienne
TEMPO PRESENTE (à suivre T P) fut une importante revue italienne du deuxième après-guerre liée au Congrès pour la liberté de la Culture (par la suite appelé Association internationale pour la liberté de la culture)4. Les aventures éditoriales de T P se placent dans le temps de la détente5, à travers un engagement intellectuel pour la vérité et la liberté, pour la lutte contre la volonté de domination du « monde libre »6 par le pouvoir soviétique ; une volonté de domination évidemment pas exclusive du monde communiste, car la critique de T P se dirigeait aussi contre le modèle capitaliste américain7. Il s’agissait d’un groupe d’écrivains italiens et étrangers (le plus renommé desquels était l’écrivain polonais Gustaw Herling8) qui se montrèrent déterminés à « dire la vérité au pouvoir »9 à travers leurs textes, publiés dans « une revue italienne cripto-samizdat »10.
L’histoire de T P peut être étudiée seulement si nous allons à analyser l’œuvre de sa « première plume », Ignazio Silone. La complexité de sa réflexion dans L’école des dictateurs (Silone 1964) nous montre que son engagement pour la vérité, la liberté et la démocratie en vue de l’unité européenne ne peut pas être réduit à un simple combat du monde occidental contre le monde communiste. En fait, il prit souvent une position critique envers la coupable faiblesse de l’Occident face aux dangers du totalitarisme, fût-il le modèle communiste stalinien ou le modèle capitaliste américain (Silone 1959)11. Il publiait dans T P une série d’articles sur la responsabilité des intellectuels à propos de la possibilité de dévoiler les mensonges des gouvernements. Pour la « première plume » de T P, la responsabilité des intellectuels était de dire la vérité et de découvrir le mensonge du pouvoir12.
Comme dans le cas de Raymond Aron et de sa collaboration avec la revue française Preuves13, l’engagement d’Ignazio Silone14 chez la revue T P se place dans la catégorie wébérienne de « l’éthique de la responsabilité » (Weber 1985)15, un engagement toujours caractérisé par la critique envers les pouvoirs totalitaires et l’affaiblissement d’une certaine intelligentsia européenne face aux enjeux de la détente internationale (Bachoud, Cuesta, Trebitsch 2009; Winock 1997).
2. L’année 1956 entre insurrections, répressions et débat international
T P, sous-titre « Informazione e discussione (Information et débat) », fut une revue (mensuelle) internationale d’information et de débat basée sur la critique de la réalité du monde contemporain.
Le premier numéro parut en avril 1956, avec un éditorial de deux pages non signé (mais clairement attribuable à Silone) qui expliquait le choix du titre de la revue et ses objectifs, c’est-à-dire communiquer, informer et discuter (connaissance et approfondissement des idées) la dimension internationale (contre le provincialisme dominant) pour une libre confrontation sans préjugés (contre une vérité globale et systématique). Le programme de la revue T P impressionne encore aujourd’hui par son actualité :
Nous voulons être une revue internationale. Nous entendons par là une entreprise culturelle basée sur le fait que le monde d’aujourd’hui n’a plus de limites […]. Le point de vue que nous supposons est que, aujourd’hui, personne ne peut offrir une vérité globale et systématique, à l’exception faite des adeptes des idées et des idéologies sectaires. L’hostilité déclarée à ces formes extrêmes de provincialisme est la seule ligne de la revue, qui sera ouverte à toutes les espèces d’opinions libres16.
Dans ce premier numéro, il y a un intéressant écrit d’Isaiah Berlin sur « La naissance de l’intelligentsia russe » (Berlin 1956)17, mais surtout un important article d’Ignazio Silone sur « Idéologies et réalités sociales » (Silone 1956). Pour lui, la réalité sociale est très importante, et doit être étudiée systématiquement. Les idéologies lui semblent plutôt dangereuses, ce sont les sources de toutes les atrocités qui ont caractérisé les événements en Europe entre les deux guerres mondiales et dans l’après-guerre (Biondi 2002). Silone se réfère à toutes les idéologies, et pas seulement au communisme. Telle position allait à l’époque certainement contre-courant, car les intellectuels tenaient l’idéologie pour une référence obligatoire et incontestable, une boussole pour s’orienter dans le labyrinthe de la vie sociale au sein de la société de masse18.
Le troisième numéro de l’année 1956 s’ouvrait par un article de Gustaw Herling sur le dégel littéraire à Moscou et à Varsovie. Il s’arrêtait en particulier sur le suicide d’Aleksandr Fadeev (Herling 1956: 189). Cet ensemble de « tragédie, dignité, loyauté, et logique », présent dans le geste ultime d’Aleksandr Fadeev, servait à Herling pour manifester son scepticisme à l’égard du dégel made in Khrouchtchev. Il apparaissait plus optimiste en ce qui concerne la situation en dehors de la Russie19. Mais 1956 est l’année de la Révolution à Budapest et en conséquence de la prise de conscience de l’impossibilité de toute réforme du socialisme20. Malgré la publication d’un article sur Khrouchtchev et le « silence des intellectuels » (Garosci 1956), et d’un autre sur la révolte des ouvriers de Poznań en juin (Herling 1956a e 1956b), les derniers numéros de 1956, à partir de l’éditorial de novembre, et les premiers de l’année 1957, sont presque tous inspirés par les événements de Hongrie:
Hongrie comme un seul homme ! Un peuple se leva comme un seul homme […]. Vérité et liberté ! […]. Vérité, liberté, liberté, vérité ! Sur les ruines de la Hongrie retentissaient intensément ces mots […]. Nous ne pouvons pas les entendre, nous les intellectuels de l’Europe (Tempo Presente 1956).
À l’éditorial faisait suite une contribution de Gustaw Herling qui analysait les événements de Budapest en faisant un parallèle avec la situation en Pologne :
Celle-ci a été une révolution populaire, en effet universelle, avec la participation aux combats des ouvriers, des paysans, des intellectuels et des soldats dans la province hongroise, au cours de l’insurrection. […]. Il est légitime de supposer que s’il y avait eu une intervention russe en Pologne après l’éviction de Rokossovski du Politburo, la révolution communiste polonaise aurait suivi le même cours qu’en Hongrie, et peut-être avec Gomulka comme chef (Herling 1956c: 588).
Dans le dernier numéro de l’année 1956, Ignazio Silone appela les intellectuels communistes d’Occident à faire « un examen de conscience » au sujet de leur manque de solidarité envers leurs camarades :
Les intellectuels rebelles en Pologne et en Hongrie n’ont pas reçu de leurs guides spirituels de l’Occident une prompte solidarité publiquement demandée. Mais, compte tenu de l’environnement, peut-être est-il déjà beaucoup qu’ils aient soulevé des signes de pitié et de protestation. Quant à l’éclaircissement, les Hongrois ne pouvaient pas attendre quelque chose de bon, les ayant déjà dépassés, grâce à leur terrible expérience (Silone 1956a: 681; Chiaromonte 196521.
Le débat sur les événements de Budapest occupe l’essentiel de la revue en 1957. En particulier on doit signaler les articles de Leo Valiani sur « La troisième révolution hongroise »22 et l'analyse des événements de Budapest proposée par Raymond Aron dans « Suez, Budapest et l’ONU » (Aron 1957) publiés en janvier (ibidem: 7).
Aron ne cesse pas sa réflexion et s’engage dans une critique aiguë de l’action des deux superpuissances en Europe et au Moyen-Orient à propos des événements de l’année 1956 :
Les événements en Hongrie et au Moyen-Orient se sont produits simultanément. La coïncidence n’est pas accidentelle : quels qu'aient été les accords « secrets » entre les gouvernements de Jérusalem, de Paris et de Londres, les deux derniers ignoraient la date des opérations militaires dans le Sinaï […]. L’Union Soviétique n’aurait pas, en aucun cas, facilement toléré un changement radical dans les rapports de forces au Moyen-Orient en faveur d’Israël, de la Grande-Bretagne, ou de la France […]. Français et Anglais laissent la place aux Soviets en Hongrie ; en retour, ils ont demandé le droit de reprendre en Moyen-Orient le traditionnel jeu des forces (ibidem: 7-8).
En 1956, François Fejtö réfléchit également sur les événements de Budapest et sur les responsabilités de l’ONU et des pays occidentaux :
L’ONU immédiatement investi dans l'affaire hongroise a montré une impuissance et une hypocrisie qui ne contribue pas à l’augmentation de son prestige. Après dix ans de pression pour que les pays satellites prennent des mesures pour leur libération, les États-Unis n’a pas pris la moindre initiative sérieuse en vue d’une solution pacifique dans le cadre plus large (Fejtö 1957: 913; Calamandrei 1958).
Les analyses d’Aron et de Fejtö peuvent êtres mis à côté de celle formulée par Jean Duvignaud dans l’article sur la « crise de l’"intelligentsia" en France » (Duvignaud 1957). Duvignaud réfléchit sur les événements de Budapest à la lumière du silence coupable des milieux intellectuels liés au Parti communiste français (PCF). Il accordait une importance particulière au XIVe congrès du PCF (Le Havre, du 18 au 21 juillet 1956) et aux conséquences de la « couverture morale » fournie au système soviétique :
Durant l’été éclate la question de Suez (de nombreux expulsés du PCF avait mis en place un "comité des intellectuels contre la poursuite de la guerre d’Algérie"), et deux choses deviennent claires : le PCF était hostile au mouvement de déstalinisation ; le parti communiste avait l’intention de rompre ou de ralentir toute tentative de mettre en lumière le vaste mouvement qui s’était développé en Hongrie, en Pologne, en URSS (ibidem: 186-187)23.
Après les événements de Budapest, T P s’interrogea sur le rôle de l’intelligentsia européenne face au système répressif mis en place par Moscou ; à cet égard, en décembre 1956, elle posa des questions à des intellectuels italiens et étrangers au sujet du choix entre la parole et le silence devant la situation en Europe et dans le monde après la répression du soulèvement de Budapest par les chars soviétiques (Tempo Presente 1956a).
Parmi les réponses, celle d’Albert Camus semblait la synthèse la plus efficace à propos de la responsabilité de l’intellectuel (en particulier de gauche) après Budapest 1956 :
L’intellectuel doit se refuser à affaiblir l’efficacité de son choix par un ton sage, équilibré ou prudent, et il ne doit laisser aucun doute sur sa détermination personnelle à défendre la liberté […]. Les intellectuels de gauche en particulier, avant de penser à refaire des réunions, devraient faire la critique du raisonnement ou des idéologies auxquelles ils ont adhéré jusqu’à maintenant, et dont on peut voir les effets dévastateurs dans l’histoire d’aujourd’hui. Un remède à base de solitude et, si possible, de modestie, fera du bien à tous (ibidem: 691).
Dans le numéro de février 1957, Nicola Chiaromonte24 signe un « commentaire à l’enquête " Trois questions aux intellectuels" » (Chiaromonte 1957). Il commença par la question « Quid est veritas? »; question qui pressait de plus en plus les intellectuelles et leurs consciences après Budapest. Il tentait de répondre au sujet de la responsabilité de l’intellectuel face à cette question :
La vérité appartient à tous. Mais la vérité appartient à ceux qui la cherchent et la trouvent, à ceux qui sont prêts à la recevoir de leur conscience, par leur semblables, par les événements, par la réalité commune du monde […]. Au sujet de la vérité, l’intellectuel n’a, par rapport à de simples mortels, aucun privilège. Aucun, vraiment ! Son seul privilège est d’être en mesure de dire ce qu’il ressent, pense, ou apprend, d’une manière claire et ordonnée. L’obligation correspondante est de le dire […]. Bien sûr, personne ne peut dire à l’intellectuel où commence et où se termine son obligation. C’est une affaire entre lui et la société dans laquelle il vit (ibidem: 101).
En 1957 une intéressante querelle eut lieu entre Ignazio Silone et Ivan Anissimov (directeur de l’Institut de littérature mondiale à Moscou et membre de l’Académie soviétique des sciences) à propos des événements de Varsovie et de Budapest, et de la position prise par l’intelligensia soviétique. La question fut soulevée à Zurich, entre le 24 et le 27 septembre 1956, dans le cadre d’une réunion qui vit la participation de représentants de sept revues de l’Est et de l’Ouest (dont Silone pour T P et Anissimov pour Inostrannaja literatura; parmi les participants il y avait aussi les représentants de la revue soviétique Znamja, de la polonaise Twórczość, de la yougoslave Književnost, de l’anglaise Encounter et de la française Lettres nouvelles)25. À Zurich, Silone posa des questions à Anissimov (Silone 1956c: 603-604) et celui-ci préféra confier sa réponse à une lettre, traduite et publiée par T P (Anisimov, Silone 1957: 275-276)26.
Anissimov était accusé par Silone d’ignorer délibérément des faits désormais connus et établis, et d’embrasser la « grand mensonge » d’Etat :
Vous ignorez ce qui est intéressant, c’est-à-dire que des milliers de soldats russes, pendant la répression, ont fait défection et cause commune avec les insurgés […]. Connaissez-vous le témoignage des écrivains polonais communistes qui ont eu la chance de se trouver à Budapest? Même s’ils ont raté d’autres épreuves, ce qu’ils ont écrit courageusement sur les faits de Hongrie, (Antoni Slonimski, Jan Kott, Adam Schaff e Vladislav Bienkovski) suffit à prouver la fausseté de la version préparée par votre gouvernement27.
Sur les témoignages des écrivains communistes hongrois, il est très intéressant lire le document de 66 pages rédigé par intellectuels dans la clandestinité (par crainte de représailles et d'arrestations). Signé Hungaricus, le document fut commenté dans le long article de François Fejtö « La révolution hongroise expliquée par ceux qui l’ont fait » (Fejtö 1957). Fejtö jugeait le document très intéressant, car il analysait point par point les faits et les raisons de la révolution hongroise. En particulier, il analysait la situation économique du pays avant la révolte des « sans-manteau ». Les auteurs du document estimaient que l’augmentation du mécontentement populaire avait été en grande partie causée par des raisons économiques (ibidem: 348-349). La situation économique douloureuse de la majorité de la classe ouvrière devait être associée à celle des artisans après les restrictions imposées par le régime Rakosi, et des petits propriétaires après la liquidation brutale des koulaks (ibidem: 352-353).
François Fejtö montra que les raisons économiques étaient à la base de la rébellion du peuple hongrois, et qu’à la suite des événements de Budapest, des dirigeants communistes avait également pris conscience de la situation (Fejtö 1957a: 916).
La révolution hongroise fut une insurrection populaire dans laquelle socialistes, communistes, ouvriers et paysans favorables à la réforme agraire – auxquels s’unirent certains élements réactionaires – luttaient pour ce qui leur paraissait comme un droit considérable pour une nation, c’est-à-dire le droit à la souveraineté, le droit à regler ses propres affaires sans intervention militaire de l’étranger (Kaldy 2011).
3. Quelle « troisième force » entre les deux blocs ?
En 1966 le New York Times révélait que le Congrès pour la liberté de la Culture était subventionné par la Central Intelligence Agency (CIA) à travers des fondations américaines (Hochgeschwender 2003)28. Organisation internationale créée à Berlin en juin 1950, le Congrès pour la liberté de la Culture mirait à défendre les valeurs des démocraties libérales contre le communisme soviétique. Suivant la politique américaine de containment, quelques revues furent créées en Europe: Encounter en Grande-Bretagne, Preuves en France, Monat en Allemagne, Forum en Autriche, Tempo presente en Italie. Les révélations du financement indirect par la CIA à travers une fondation privée toucha en partie la réputation de T P. Cela se traduirait par un aplatissement de l’expérience de T P à l’entreprise américaine, présentant la revue comme un vague bulletin de propagande et diminuant sa contribution important au débat culturel européen29. La tentation pourrait alors être de réduire cette revue de très grande qualité à la source de son financement et de banaliser une histoire complexe qui se place au-dehors de la « Guerre froide culturelle »30. Les choses sont beaucoup plus complexes : T P appartient tout à fait à l’histoire littéraire (et intellectuelle) européenne et non à une histoire grotesque de guerre entre services de propagande au temps de la Guerre froide.
Encore plus grotesque est la « légende noire », construite par une partie de l’historiographie italienne, qui peint le rédacteur en chef de T P, Ignazio Silone, comme un traître et un espion de l’« Œuvre Volontaire pour la Répression de l’Antifascisme » – OVRA) (Franzinelli 1999: 334-342; Biocca, Canali 2000; Canali 2000)31. Pour comprendre certains aspects personnels et professionnels d’Ignazio Silone, il est crucial de déchiffrer la raison d’être de la revue et son rôle dans le débat culturel d’une Europe traversée par les vents de la Guerre froide. Pour Silone, écrire signifiait combattre, d’une façon tenace et patiente, afin d’essayer de comprendre la complexité des réalités politiques et culturelles du temps present32.
La naissance en avril 1956 de T P faisait partie de cette recherche de liberté33; Silone lui-même put y soulever des problèmes sociaux, politiques et culturels avec continuité et indépendance, en bénéficiant de la liberté d’expression. À côté du témoignage pour la liberté de la critique anticommuniste (avec la publication de textes inédits de dissidents de l’Est), T P prit une position dure contre le maccarthysme, l’agression américaine au Vietnam (Howe 1966), la discrimination raciale aux États-Unis (Penn Warren 1956), et contre l’impérialisme américain en Amérique latine34.
Conclusion
Face au matérialisme scientifique du système soviétique et au consumérisme du système capitaliste-bourgeois-americain, T P proposait une voie visant à promouvoir un « nouvel humanisme » (Di Mario 2008), une société européenne émancipée de l’obligation et du conformisme des slogans collectivistes ; une Europe formée par des gens libres. En défiant aussi bien le système soviétique que le sistème americain, T P fut le porte-parole d’une partie de l’intelligentsia européenne qui pensait, malgré les divisions, à une future Europe unie faite de peuples unis (Strackey 1962; Croce 1962; Levi, Spinelli 1962; Levi, Spinelli 1962a; Speranza 1962; Vistosi 1963; Spinelli 1964; Silj 1964; Chiaromonte 1965; Silj 1965; Silj 1966.)35.
Dénonciation, acte d’accusation, profession de foi, témoignage, T P fut la voix de la conscience de ses collaborateurs. Dans la revue trouvèrent place notamment des essais littéraires et philosophiques, des poèmes, des lettres, des mémoires de dissidents soviétiques et de l’Europe centre-orientale. Avec ses publications, elle essaya d’éveiller l’âme et la conscience des gens dans un monde divisé en deux blocs opposés.