Les journaux (1933–1945) et LTI de Victor Klemperer (1881–1960) : les possibles stratégies de résistance au langage nazi

  • The Journals (1933-1945) and LTI by Victor Klemperer (1881-1960): Possible Strategies of Resistance to Nazi Language

Résumés

Victor Klemperer (1881-1960), philologue juif allemand, spécialiste des Lumières françaises de 1920 à 1933 titulaire de la chaire de romanistique à l’Université Technique de Dresde, est devenu, peu après la publication de ses journaux en 19991 et leur traduction en français parue en l’an 20002, l’emblème de la clairvoyance, de la pertinence et de la résistance face au langage nazi. Le journal qu’il va tenir assidûment pendant toutes les années du nazisme devient un espace subversif d’écriture résistante dont le propos qui suit souhaite montrer quelques caractéristiques qui rendent compte du fait que, même si les tentatives de musellement sont nombreuses et souvent décourageantes, certaines stratégies de résistance visant à échapper à l’emprise pernicieuse de la langue nazie ne sont pas impossibles. Résister n’a pas seulement été pour Victor Klemperer une attitude psychologique ; il a aussi voulu en faire un acte éthique, une véritable lutte de l’esprit et de la réflexion critique contre la tyrannie sanguinaire des lois raciales et le triomphe de la seule force. Son principe de résistance va consister à attaquer l’inhumain à sa source, c’est-à-dire à s’en prendre à la langue par et dans la langue elle-même en gardant toujours à l’esprit la recherche d’un parler vrai, juste et précis.

Victor Klemperer (1881-1960) was a Jewish philologer from Germany and a specialist of the French Enlightenment. From 1920 to 1933 he was a professor at the Technical University of Dresden. After the publication of his private journals in 1999 and their translation into French in 2000, he became the symbol of clairvoyance, perspicacity and resistance against the language of the Nazis. His journals, which he kept up very faithfully during the period of Nazism, were a subversive space of expression. Our purpose is to analyse the many characteristics of this subversive form of writing. Although it was very difficult to escape the domination of Nazi discourse, it was not impossible to resist. For Victor Klemperer, to resist consisted not only in a psychological attitude; he also conceived of it as an ethical act, a true struggle of the spirit involving a critical reflection aimed at the violence of the racial laws and the domination of brute force. His aim was to attack inhumanity at its source; in other words, to do battle with language by and in that very language while holding all the while to the necessity of maintaining an authentic, precise and truthful position of enunciation.

Plan

Texte

S’il demeure possible de maintenir malgré tout sa liberté intérieure et sa capacité de penser, c’est au prix d’une lutte incessante dans laquelle la préservation d’un langage libre, ne serait-ce que dans l’écriture, joue un rôle essentiel.
Jacques Dewitte

Victor Klemperer (1881-1960), philologue juif allemand, spécialiste des Lumières françaises qui a occupé de 1920 à 1933 la chaire de romanistique à l’Université Technique de Dresde, est devenu, peu après la publication de ses journaux en 19993 et leur traduction en français parue en l’an 20004, l’emblème de la clairvoyance, de la pertinence et de la résistance face au langage nazi. Son travail courageux et régulier d’écriture visant à consigner scrupuleusement ce qu’il vivait au sein d’un régime totalitaire qui eut tôt fait de le stigmatiser comme ‘ennemi’ et d’en faire l’objet de représailles et autres formes de persécutions, prit lentement la forme d’un document critique, historique et philologique exceptionnel qui visait à « représenter le troisième Reich dans la langue qu’il parlait » (Walser 1996 : 12, 13). Des notes de son journal souvent griffonnées à la hâte et dans un climat de peur, Klemperer publia en 1947 LTI. La langue du III Reich. Carnets d’un philologue5 qui se présente sous la forme d’un ouvrage en trente-six chapitres, dédié à sa femme Eva : c’est en effet en vertu de son mariage avec une Allemande aryenne et plus tard, en 1945, en raison du bombardement de Dresde que Klemperer échappa à la déportation dans les camps de la mort (Walser 1996 : 13). Dans chacun de ces chapitres, Klemperer explore un aspect ou une particularité du langage nazi, pouvant aller d’une tournure de phrase à l’utilisation récurrente d’un adjectif ou encore à un fait de ponctuation ou à un ton de voix (Klemperer (1) 1999 : 8). Sur la base d’un matériau très riche et hétérogène, constitué tout autant de bribes de conversations entendues ici et là que de discours de ‘dignitaires’ du parti nazi ou de faire-part de naissance ou de décès lus dans les journaux locaux, Klemperer passe au crible de ses analyses philologiques le langage de ceux qui dévoyèrent la langue et la tradition de pensée allemandes (Klemperer (1) 1999 : 87) auxquelles ce Juif assimilé (Walser 1996 : 19, 38) vouait jusqu’alors un profond attachement et qui se sentit infiniment blessé face aux entorses faites alors au droit et à la culture en Allemagne (Klemperer (1) 1999 : 56). Toute l’écriture de son journal est sous-tendue par la seule volonté de tenir et de résister coûte que coûte face à l’emprise d’une langue mensongère et appauvrie qui s’infiltre chaque jour un peu plus dans les esprits et s’insinue dans la bouche de millions d’Allemands (Klemperer 1996 : 131). Son journal devient un espace subversif d’écriture résistante, seul espace de liberté qu’il lui reste pour finir, une fois ‘grignotés’ par les différentes ‘lois’ et autres décrets qui circulent à l’encontre des Juifs ses droits d’accès aux bibliothèques ou aux transports en commun et ses prérogatives à posséder une radio ou à circuler librement sur les trottoirs de Dresde. Klemperer reconnaît dans le premier chapitre de LTI que, sans la possibilité d’écrire son journal qu’il lui fallut maintenir secret (Klemperer 1999 : 60), il aurait perdu son « balancier » (Klemperer 1996 : 18) sans lequel il serait cent fois tombé. Son journal devient son point d’équilibre (Klemperer (1) 1999 : 223), le lieu où il donne forme aux éclats fragmentés d’une identité que les nazis cherchent précisément à briser (Klemperer (1) 1999 : 23, 223). La métaphore du funambule dont la vie ne tient qu’à un fil est particulièrement signifiante dans ce cas précis et c’est sur le fil ténu de la langue qui peut subrepticement basculer d’un emploi ‘sain’, c’est-à-dire animé d’un souci d’être en relation avec autrui, à un usage malade et toxique pour l’âme et l’esprit et reposant sur ce que Jacques Dewitte a appelé « la forclusion de l’altérité » (Dewitte 2007 : 18) que Klemperer va choisir de tenir et d’avancer. Les journaux et la vie de Victor Klemperer depuis sa jeunesse sous la République de Weimar jusqu’à sa maturité dans la République démocratique allemande ont été l’objet de nombreux travaux et ont donné lieu à maints débats. Victor Klemperer et sa chronique quotidienne précise de la terreur nazie sont l’objet d’une fascination encore vive6. La recherche s’est orientée depuis la découverte des journaux et la parution de LTI selon quatre directions principales : la vie et la personnalité de Victor Klemperer7, la chronique de son temps comme document historique d’une valeur inestimable8, la réflexion littéraire et théorique sur la spécificité du journal de Klemperer9 et enfin la réflexion sur le langage nazi10.

Le propos qui suit souhaite réfléchir sur quelques caractéristiques du langage nazi dégagées par Klemperer et qui rendent délicates, mais non pas impossibles, certaines formes de résistance, même si les tentatives de musellement sont nombreuses (Klemperer (1) 1999 : 12) et souvent décourageantes. Quelles stratégies précises de résistance11 – parce qu’elles existent (Dewitte 2007 : 93, 239) malgré tout – Klemperer a-t-il mises en œuvre pour échapper à l’emprise sournoise et dangereuse de la langue nazie dont il constate par endroits qu’elle va jusqu’à menacer son plus ardent pourfendeur (Klemperer 1996 : 139) ? Parfois, certains termes de la langue nazie s’imposent en effet à lui sans qu’il en prenne même conscience (Dewitte 2007 : 57). Ce n’est ainsi pas son analyse pertinente et documentée de l’adjectif fanatique dans LTI (Klemperer 1996 : 78 - 84) qui l’empêche d’utiliser ce même terme sans sourciller dans son journal du 13 juin 1934 où, évoquant sa femme Eva qui trouve dans le jardinage une occupation qui la détourne provisoirement de l’angoisse et de la dépression grandissantes, il écrit, sans se rendre compte qu’il utilise l’un des adjectifs les plus courants du vocabulaire de la langue nazie : « Pendant ce temps, Eva continue fanatiquement son jardinage […] » (Klemperer (1) 1999 : 109), reconnaissant à d’autres endroits qu’il pèche lui-même par une soumission inconsciente au langage ambiant : « Je suis exaspéré par tous ces Juifs qui répètent machinalement le vocabulaire de la LTI, et pourtant je pèche moi-même » (Klemperer (2) 1999 : 483).

1. « Resistenz » et « Widerstandskraft »

Le chef, par trop anxieux, courbe le dos, Dreßel pratique une résistance passive, Annemarie Köhler une résistance active. (Klemperer (1) 1999 : 342)

1.1. Résistance passive et opposition active

Victor Klemperer soulève à maintes reprises dans ses journaux la question de savoir comment mettre en œuvre des actes de résistance face à cette ‘langue brune’ qui s’insinue partout et chaque jour un peu plus. Il s’agit aussi, et en premier lieu peut-être, de résister physiquement et moralement à l’adversité et aux tentatives multiples et répétées d’humiliations et d’anéantissement social et psychologique. Ce sera pour Victor Klemperer et sa femme Eva l’enjeu cardinal de toutes ces années. Les conditions matérielles et psychologiques dans lesquelles ils vivent, avec tous ceux soumis au même sort qu’eux dans les « maisons de Juifs » (« Judenhäuser ») où règnent la prosmiscuité et la pénurie et dont les habitants sont constamment menacés de perquisition par la Gestapo, rendent cette volonté de résister délicate et, à plusieurs reprises, il en évoque la difficulté, comme en mai de l’année 1942 :

Et toujours cette peur de la Gestapo, devoir cacher, faire disparaître les manuscrits, le papier vierge, devoir détruire à la hâte tout courrier… La force de résistance s’amenuise de jour en jour, les troubles cardiaques empirent de jour en jour (Klemperer (2) 1999 : 84) […] la résistance d’Eva, et donc la mienne aussi, a beaucoup diminué (Klemperer (2) 1999 : 88) […] Le pire, c’est que les forces d’Eva vont en déclinant (Klemperer (1) 1999 : 563) […] Nous sommes tous les deux infiniment déprimés par le cours inconcevable des choses (Klemperer (1) 1999 : 526).

Klemperer insiste au fil de son journal sur deux formes linguistiquement différenciées de résistance en utilisant deux termes : « Resistenz » et « Widerstandskraft ». Le premier de ces deux termes renvoie à une forme de résistance passive qui consiste à ne pas céder sous l’effet d’une force ni à s’altérer sous l’effet de ce qui peut menacer l’intégrité de la personne physique ou psychique. Dans ce premier sens, résister a le sens de ‘se maintenir en vie coûte que coûte’ et tant bien que mal contre quelque chose qui la menace. Le second terme, « Widerstandskraft », renvoie davantage à un effort volontaire contre la force menaçante et désigne une opposition rebelle et active à ce qui contrarie les désirs ou la liberté. Cette résistance-là est ce par quoi on ne succombe à l’adversité ni ne capitule devant l’ennemi. Victor Klemperer n’a eu de cesse de mettre en œuvre, autant qu’il le pouvait, ces deux formes de résistance. Son journal est parcouru du début à la fin par la volonté de « tenir », de ne pas céder au désespoir, de ne pas capituler devant l’ennemi (Klemperer (2) 1999 : 75), tentation qui le séduit pourtant souvent, mais il est animé aussi par le souci d’« agir », de porter témoignage jusqu’à son dernier souffle et de mener par l’écriture et la réflexion philologique la seule forme de résistance qu’il lui reste encore, une fois toute modalité d’action et toute possibilité d’expression réduites à néant.

1.2. Lutter contre le fatalisme

La résistance est d’autant plus difficile à mener que règne un peu partout ce que Klemperer appelle tantôt « atavisme », tantôt « léthargie », faisant référence avec le premier terme au sentiment de fatalité qui gagne chaque jour un peu plus de terrain, et renvoyant avec le second, à un endormissement pathologique général des forces actives de rébellion, même chez ceux qui sont le plus menacés et qui courbent l’échine devant la terreur organisée. Lui-même est parfois tenté par l’apathie face au sentiment de résignation (Klemperer (2) 1999 : 239), de soumission – frôlant parfois la prostitution (Klemperer (1) 1999 : 378) – qui s’est emparé non seulement du peuple allemand (Klemperer (1) 1999 : 340), mais aussi des Juifs persécutés :

L’alerte perpétuelle, les slogans perpétuels, les drapeaux perpétuellement hissés, tantôt pour le triomphe, tantôt pour le deuil – tout cela rend apathique. Et chacun se sent démuni, et chacun sait qu’on lui ment, et chacun doit sentir ce qu’on lui dit de sentir (Klemperer (1) 1999 : 358) […] Est-ce de l’hébétement, la philosophie, l’âge ou le sentiment de vivre dans un temps de déroute absolue ? Je n’ai plus désormais que des accès de dépression, je laisse les choses aller leur cours, et j’éprouve même pour quelques heures une véritable joie de vivre (Klemperer (1) 1999 : 364).

L’adjectif fataliste (« fatalistisch ») ou le substantif fatalisme (« Fatalismus ») font partie de ceux qui reviennent le plus fréquemment sous sa plume au fil des pages de son journal :

[…] je ne crois pas que je verrai la fin du III. Reich, et pourtant je me laisse aller à la dérive avec fatalisme, sans désespoir particulier, et je ne peux cesser d’espérer (Klemperer (1) 1999 : 263) […] nerfs d’Eva dans un méchant état, moi apathique, fataliste […] et toujours l’attente (Klemperer (1) 1999 : 464) […] Je ne suis pas allé chez le médecin, je laisse les choses aller leur cours en fataliste (Klemperer (2) 1999 : 43) […] Mais le danger est si grand et si omniprésent qu’il me rend fataliste. Ce manuscrit est mon devoir et la tâche ultime qui m’absorbe tout entier (Klemperer (2) 1999 : 143).

Tel un soldat découragé devant la puissance de l’ennemi qui l’encercle, Klemperer est tenté par la capitulation :

Ces gens traitent la raison comme si elle était ce qu’il y a de plus mineur et de plus nuisible en l’homme pris dans sa totalité. C’est comme si un soldat qui monte la garde se disait : à quoi me sert mon fusil si je suis attaqué par une douzaine d’ennemis ? Je le mets donc de côté, et je fume des cigarettes d’opium jusqu’à l’endormissement (Klemperer (1) 1999 : 319).

Outre les obstacles psychologiques et physiologiques qui tiennent à l’âge de l’auteur, à son état de fatigue et son sentiment de dépression, il existe aussi des entraves collectives à la possibilité de résistance. Il s’agit de l’esprit de soumission régnant, de la crédulité et de la naïveté de tout un peuple qui contrastent avec le scepticisme de l’auteur :

Et tout le monde, au-dedans comme au-dehors, fait le dos rond (Klemperer (1) 1999 : 304) […] Natscheff ne croit pas à un revirement interne, il dit que tout le monde est patient, lâche et fidèle à Hitler (Klemperer (1) 1999 : 522) […] Le peuple, dans sa grande majorité, est satisfait, un petit groupe accepte Hitler comme un moindre mal, personne ne veut vraiment s’en débarrasser, tout le monde voit en lui le libérateur des affaires extérieures, tout le monde a peur des conditions russes, comme un enfant a peur du croque-mitaine, et tous, dans la mesure où ils ne sont pas sincèrement grisés, jugent inopportun au nom du réalisme politique de s’indigner de bagatelles telles que l’oppression des libertés civiles, la persécution des Juifs, la falsification de toute vérité scientifique, l’annihilation systématique de tout sens moral. Et tout le monde tremble pour son pain, sa vie, tout le monde est si épouvantablement lâche. (Ai-je le droit de leur en faire grief ? J’ai prêté serment à Hitler l’année où j’étais encore en poste, je suis resté au pays – je ne suis pas meilleur que mes compatriotes aryens) (Klemperer (1) 1999 : 264).

Le 16 septembre 1935, Klemperer se pose alors légitimement la question :

[…] on se dit parfois que les choses ne peuvent plus durer comme ça longtemps. Mais d’un autre côté : la terreur, le pouvoir du gouvernement, et où est l’adversaire capable d’agir ? (Klemperer (1) 1999 : 216).

1.3. L’écriture comme acte de résistance

C’est en lui-même qu’il va trouver l’adversaire capable d’agir, en ses compétences de philologue averti, en sa qualité de « témoin-penseur » (Dewitte 2007) et en une activité d’écriture qu’il n’abandonnera jamais en dépit des doutes sur l’efficacité de cette action. Il en parle parfois de façon dépréciative, comme dans les passages cités ci-dessous :

Aujourd’hui, pour la première fois, doute sur la question de savoir si la LTI offre vraiment matière à un livre. En fait, il ne s’agit que d’une poignée d’expressions et de locutions. […] et je cherche désormais des lectures qui aient trait à la LTI. (Klemperer (2) 1999 : 59) […] Peut-être qu’avec mon écriture (« je ne me débrouille pas trop mal »), il n’en va pas autrement qu’avec le violon de Glaser qui ne fait entendre qu’un vague grincement (Klemperer (2) 1999 : 66).

Son journal reste pour lui, dans des conditions d’écriture pourtant difficiles, une action courageuse, une forme de résistance au double sens du terme.

Son entreprise est d’autant plus difficile à mener qu’elle est sans cesse contrariée par des aspects matériels qui entravent ou freinent la réflexion et la concentration telles que la faim, la peur, la fatigue : « Se nourrir absorbe les pensées une bonne partie du temps – pénurie de pommes de terre, faim et fatigue » (Klemperer (2) 1999 : 309)12. Ses journaux représentent le point d’équilibre grâce auquel il préserve son identité mise chaque jour en péril ; ils sont ce qui l’aide à tenir, mais ils sont aussi ce qu’il appelle à plusieurs reprises ses « soldats de papiers », les seuls « soldats » qu’il soit en mesure d’opposer à la soldatesque nazie :

Malgré tout ce qui me déprime et toute la symbolique des « soldats de papier », je ne peux abandonner l’espoir (Klemperer (2) 1999 : 348) […] Nous sommes tellement prolétarisés et dans une telle gêne que souvent j’aimerais ne plus me réveiller. Mais j’ai peur de la mort, et je ne veux pas non plus capituler. Je ne vois aucune issue […] Je ne vois vraiment aucune issue, et je laisse aller les choses. D’une façon ou d’une autre, soit ça s’arrange, soit on crève (Klemperer (1) 1999 : 339, 340).

Pénétré de l’idée que l’esprit et la langue seront toujours plus forts que le sang, il engage en secret le combat de l’esprit contre la loi du sang, le combat de la raison contre le règne abrutissant de l’émotion grossièrement manipulée. Dès que l’occasion s’en présente, il fustige l’infantilisme et la crédulité du peuple allemand qui ne prend pas la mesure de l’horreur qui se trame, comme il le note dans son journal, le soir de la Saint-Silvestre de l’année 1939 : « Je crois que les pogroms de novembre 38 ont moins impressionné le peuple que la réduction des tablettes de chocolat à Noël » (Klemperer (1) 1999 : 508).

2. Ecrire pour « tenir »

Et d’ailleurs écrire m’a fait du bien, l’épouvantable point mort a été interrompu (Journal, 24 février 1939).

2.1. L’activité d’écriture comme « balancier »

L’image du « balancier » avec lequel Klemperer compare, dans ses journaux comme dans LTI, son travail d’écriture et de réflexion est aujourd’hui célèbre et d’autres remarques similaires viennent lui donner encore davantage de consistance jusqu’à en faire une sorte de leitmotiv du texte. L’étude, le travail, l’activité intellectuelle – aussi menacés et entravés soient–ils – restent, en dernière instance, sa planche de salut, son seul horizon de liberté. Les passages où cette idée est énoncée sont pléthore ; dès l’instant où il reprend le fil de son journal, il pressent que c’est là qu’il trouve refuge, équilibre et liberté :

Etudier comme si j’étais absolument sûr du lendemain ! C’est la seule possibilité pour garder la tête sur les épaules (Klemperer (2) 1999 : 214) […] Je me réfugie à chaque fois dans ce qui est devenu mon travail, dans ces notes manuscrites, dans mes lectures, voilà ce qui me sauve (Klemperer (2) 1999 : 182) […] Au fond de moi, il y a toujours l’idée du Curriculum et de la LTI. Comment ces deux ouvrages vont-ils un jour pouvoir se distinguer l’un de l’autre, les deux verront-ils le jour, ou seulement l’un des deux, ou aucun des deux – peu importe : je continue à lire et à prendre des notes comme si j’étais sûr des dix prochaines années. C’est ainsi que j’arrive plus ou moins honorablement à boucler ma journée (Klemperer (2) 1999 : 83).

Outre le journal, il y a aussi son travail autobiographique qu’il intitule Curriculum vitae qui l’occupe et l’aide à tenir13 :

Jusqu’à présent, j’ai essayé de trouver mon équilibre avec le Curriculum (Klemperer (2) 1999 : 6, 12). […] Le Curriculum se traîne. Mais je m’y tiens fermement. Et je voudrais tant être aussi l’historiographe de la catastrophe présente. Tout observer jusqu’au dernier détail, tout noter, sans se demander si ces notes pourront servir un jour […] Attendre – se raccrocher au Curriculum (Klemperer (1) 1999 : 570).

Son activité d’écriture relève pour Klemperer du devoir moral, elle est la tâche qu’il se donne à accomplir, lui qui est privé par les nazis de son travail officiel :

Toujours les mêmes hauts et bas. La peur que tout ce que j’écris ne me conduise en camp de concentration. Le sentiment de devoir écrire, la tâche de ma vie, mon métier, ma vocation. Le sentiment du vanitas vanitatum, de l’insignifiance de mes griffonnages. Et, au bout du compte, je continue pourtant à écrire, et mon journal et mon Curriculum (Klemperer (2) 1999 : 19).

L’activité d’écriture devient le « balancier » de Victor Klemperer qui le prémunit du sentiment de vide et d’absurdité – même si de nombreuses remarques de son journal témoignent des doutes qui envahissent Klemperer au sujet de la finalité et de l’efficacité de son entreprise – et donne un sens à une existence toujours plus restreinte et menacée. Comme elle implique ce que Jacques Dewitte appelle une « discipline critique permanente » (Dewitte 2007 : 33), elle oblige son auteur à une attention et à une concentration de tous les instants, elle est ce qui le maintient en éveil contre les tentatives d’abrutissement idéologique menées par les nazis et ce qui le conserve en vie contre le désir d’anéantissement dont il est la victime potentielle. Elle est ce qui concentre une identité éclatée entre un sentiment d’appartenance au peuple allemand qu’on lui dénie, une stigmatisation en tant que Juif et une exclusion en tant que Nichtarier, non-aryen ; elle est aussi ce qui conjure l’attente angoissée d’un sort incertain et le met en mouvement, alors qu’il est réduit à vivre en huit-clos et dans une promiscuité souvent pénible dans une « maison de Juifs » (« Judenhaus ») :

Si la machine ne me permettait pas de voir pour ainsi dire le texte sous sa forme imprimée, ne me procurait pas ce détachement total et cette objectivation, me donnant ainsi l’espoir que ce texte parfaitement terminé et lisible pourra être aussi publié sans moi et après moi – je crois que je ne pourrais pas supporter cette époque, je serais en tout cas incapable de fournir la concentration nécessaire pour écrire (Klemperer (1) 1999 : 226) […] Le projet d’une étude sur la langue du IIIème Reich prend aussi de plus en plus de place dans mon esprit (Klemperer (1) 1999 : 129).

2.2. L’acuité du philologue

La discipline de Victor Klemperer au sens scientifique et moderne du terme – et non plus seulement comprise comme ce qu’elle est aussi pendant toutes ces années, à savoir un ensemble de règles et de contraintes auxquelles on se soumet de manière presque ascétique – est la philologie, c’est-à-dire l’analyse scientifique des faits de langue opérée en vertu d’un intérêt fort et d’un amour premier pour l’objet d’étude qu’est la langue (Dewitte 2007 : 45, 46). En raison de sa formation de philologue exercé à débusquer les finesses et autres nuances de la langue qui le rendent plus sensible que d’autres à la dégradation et à l’appauvrissement de la langue allemande sous le Troisième Reich, Klemperer est un témoin particulièrement privilégié et précieux. Il se fait un devoir de se maintenir en éveil et à l’affût des événements politiques qui l’entourent et des manifestations langagières du totalitarisme et de l’antisémitisme : « Et si moi, j’ai du mal à me garder de croire – comment des millions de gens plus naïfs pourraient-ils s’en garder ? Et s’ils se mettent à croire, ils sont gagnés pour Hitler, et le pouvoir et la gloire sont vraiment siens » (Klemperer (1) 1999 : 69).

Face à l’ « anesthésie générale du vécu » (Dewitte 2007 : 76) et à l’abrutissement recherché par les détenteurs du pouvoir (Klemperer (1) 1999 : 138, 191), Klemperer répond en cherchant à s’abrutir et à oublier par l’étude : « Il faut maintenant que je me mette à rédiger et que j’écarte toutes les questions sur le sens de cet effort » (Klemperer (1) 1999 : 300). Faire preuve de vigilance et s’efforcer de lire entre les lignes, c’est le credo de toutes ces années, comme les quelques passages suivants en témoignent : « Aujourd’hui, on lit les journaux et […] on les écrit autrement qu’avant. Entre les lignes. L’art du XVIIIème siècle, art de celui qui écrit et de celui qui lit, est en train de renaître » (Klemperer (1) 1999 : 20) « […] lire entre les lignes des rapports officiels » (Klemperer (1) 1999 : 26).

3. Une « schizophrénie » salutaire

Je sais bien, mais quand même…
(Octave Mannoni, Clefs pour l’imaginaire ou l’autre scène)

3.1. La nécessaire répudiation de la réalité

Ce qui aide aussi Victor Klemperer à tenir et à résister aux différentes menaces qui pèsent sur lui nous semble être le rapport qu’il entretient – et qui est entretenu volontairement par le régime nazi – à une forme d’illusion et au jeu conscient qu’il mène avec le savoir et la croyance. Un peu comme au théâtre où le spectateur vit une sorte de répudiation de la réalité de ce qu’il a sous les yeux et croit sans y croire à la fiction de la représentation, Victor Klemperer est partagé entre ‘croire’ et ‘ne pas croire’, il a tendance à répudier le démenti que la réalité inflige à sa croyance, à savoir que ce qu’il vit est inconcevable, que les vrais Allemands ont disparu mais vont resurgir bientôt, il subit une sorte de ‘clivage’ psychique entre une partie de lui qui ne peut faire autrement que de croire aux crachats, insultes, humiliations et autres brimades et une autre partie de lui qui, confrontée à ce qui relève de l’inconcevable et de l’irréel, a néanmoins du mal à croire que tout ceci est bel et bien réel (Klaus-Dietmar Henke 1997 : 16). Sa croyance en une autre Allemagne, sa croyance en une vie meilleure survit au démenti pourtant cruel de l’expérience quotidienne. Ce sont pour finir tous les moments de doute sur la réalité de ce qui se passe qui contribuent à le maintenir dans un état psychique stable et à ne pas faire en sorte que le désespoir et la tentation du suicide le submergent. Dans les lignes qui suivent par exemple, les Allemands semblent ne pas mesurer la gravité de la réalité qui se cache derrière l’illusion de normalité entretenue par le régime :

Vogel a ajouté : « J’ai toujours l’impression d’être au cinéma. » On prend tout ça pour de la frime, on ne prend rien au sérieux et on sera bien étonné le jour où ce théâtre sera devenu une sanglante réalité (Klemperer (1) 1999 : 410) […] Toujours et partout : le national-socialisme ne veut pas savoir, ne veut pas penser, seulement croire (Klemperer (1) 1999 : 590) […] Je n’arrive vraiment pas à croire que les masses, dans leur sentiment profond, soutiennent encore Hitler (Klemperer (1) 1999 : 50).

Klemperer établit plus loin un parallèle entre cette attitude de déni face à la réalité politique et la répudiation de l’idée de mort. Chacun sait qu’il va mourir, mais personne n’ose vraiment y croire et continue d’espérer en son immortalité : « Même quand on est jeune on s’attend à la mort, mais seulement comme on s’attend à un accident et à quelque chose de possible (même au front), et non comme à quelque chose d’inévitable » (Klemperer (1) 1999 : 91).

Le journal contient ainsi de nombreux passages où surgit l’opposition entre le verbe croire et le verbe savoir, ou encore les termes « apparemment » (« scheinbar ») et vraiment ou vrai (« wirklich »). Le verbe croire (« glauben ») est certainement l’un des verbes les plus récurrents de son journal (Klemperer (1) 1999 : 137) :

Jusqu’à présent, le « Tout est possible, même Dieu » de Renan m’était toujours apparu comme un bon mot sarcastique. Je le prends aujourd’hui au pied de la lettre et pour ma religiosité à moi. Quel sacrilège que de croire ou de ne pas croire ! L’une et l’autre position reposent sur une impertinente confiance en la capacité de l’entendement humain (Klemperer (1) 1999 : 76).

C’est cet état presque permanent d’hésitation qui porte sur la réalité ou l’illusion de ce qu’il est en train de vivre qui protège l’auteur des journaux d’un effondrement psychique qui paraît pourtant inévitable, si l’on considère ses conditions d’existence pendant autant d’années : « L’Allemagne est-elle vraiment devenue tout autre, jusque dans son être même, a-t-elle changé de nature à tel point que cet état de choses pourrait perdurer ? Ou bien ne règne-t-il qu’une léthargie momentanée ? » (Klemperer (1) 1999 : 85). Le doute sur la réalité de ce qui est vraiment contribue à le rassurer et à maintenir en lui une forme d’espérance : « Désolant : Hitler correspondait vraiment à la volonté populaire allemande. Consolant : on ne sait jamais ce qui se passe vraiment » (Klemperer (1) 1999 : 330). Klemperer est dans le même état d’hésitation en ce qui concerne la valeur, l’intérêt et la portée possible de son travail. Il évoque très souvent l’humeur changeante (« schwankende Stimmung ») dans laquelle il se trouve, partagé entre le sentiment diffus de vanité de son entreprise et la décision ferme d’avoir le devoir de rendre témoignage de ce qu’il vit, voit et entend :

Mon sentiment concernant la valeur et l’originalité de mon travail est fluctuant, il passe plusieurs fois par jour de l’acceptation totale au rejet total (Klemperer (1) 1999 : 226) […] Je veux continuer mon journal, même si ce n’est qu’en abrégé, comme s’il me restait encore assez de temps pour écrire un jour ma Vita. Je veux travailler sur le XVIII. siècle comme s’il me restait encore assez de temps pour l’écrire un jour (Klemperer (1) 1999 : 47) […] Je travaille, je fais des dépenses, comme si j’étais sûr de mon avenir […] Je veux continuer à faire comme si de rien n’était, travailler, toute autre attitude serait encore plus absurde (Klemperer (1) 1999 : 64).

3.2. Les subtiles entorses à la vérité

Cet état d’hésitation est généré et entretenu par les nazis qui créent de l’illusion et du mensonge en abusant du pouvoir magique de la langue. Ils concourent à tromper massivement le peuple victime de ce que Klemperer appelle Volksbetrug (Klemperer (1) 1999 : 203) et jouent subtilement du mensonge et de la vérité : « Je lui ai toujours [à Eva] fait remarquer le mélange de franchise et de mensonge » (Klemperer (1) 1999 : 127) […] « Ils mêlent aux mensonges des vérités […] » (Klemperer (1) 1999 : 130).

4. Les procédés de renversement sémantique

Wertwechsel ! – zu unterscheiden von Bedeutungswandel
(Journal, 12 octobre 1941)

Intéressons-nous à présent aux formes de résistance que l’on pourrait qualifier d’‘actives’ et que Klemperer a cherché à mettre en œuvre pour lutter contre la toute-puissance de la langue nazie. Résister n’a pas seulement consisté pour lui en une attitude psychologique, à tenir la tête hors de l’eau, mais il a aussi voulu en faire un acte éthique, une véritable lutte de l’esprit et de la réflexion critique contre la tyrannie sanguinaire des lois raciales et le triomphe de la seule force. Son principe de résistance va consister à attaquer l’inhumain à sa source, c’est-à-dire à s’en prendre à la langue par et dans la langue elle-même :

Dans tous les prière d’insérer : « l’homme allemand », « l’homme russe », « l’homme américain »… Ne faudrait-il pas mettre l’article neutre devant le mot « allemand » ? Qui croit plus à la race qu’à l’esprit croit à la bête ; qui se plie à cette conception du monde contre sa conviction intime se prostitue ; donc, dans tous les cas : das d.M. das, das (Klemperer (1) 1999 : 498).

Le simple fait de mener une activité d’écriture régulière est en lui-même résistance, dans la mesure où cela impose la langue écrite face à l’oralité fondamentale du discours nazi :

Nouveau style. Refoulement de l’écrit. Oratoire, oral. Primitif – à un degré plus élevé ! (Klemperer (1) 1999 : 144) […] c’est alors que j’ai compris le principe de base de toute la langue du IIIème Reich : la mauvaise conscience ; son triple accord : se défendre, se vanter, s’accuser – jamais la moindre déclaration paisible (Klemperer (1) 1999 : 397).

4.1. Exemples de renversement sémantique sous la plume de Klemperer

La fonction de son activité d’écriture revient précisément à opérer un renversement par rapport à l’hystérie de la langue nazie, essentiellement orale et théâtrale. Ainsi, il écrit, reclus dans une pièce de sa maison de Dresde, dans le calme des heures plus tardives de la journée.

Victor Klemperer procède souvent sur le mode du renversement par rapport à la rhétorique ou à certaines particularités de la langue nazie. L’un des aspects majeurs de la langue d’Hitler est l’emprunt de termes étrangers dont le Führer se délecte dans ses discours qu’il abreuve de termes en -ieren, tels que diffamieren, liquidieren, diskriminieren, sabotieren, kastrieren etc. Klemperer en utilise lui aussi très souvent mais, au contraire des termes qu’affectionnent les nazis et qui ont tous une connotation péjorative et une aura de violence et d’agressivité, ceux que choisit l’auteur du journal sont connotés le plus souvent positivement. Il s’agit par exemple des verbes präokkupieren, ästimieren, lancieren, degoutieren, konferieren, dispensieren (Klemperer (2) 1999 : 305, 306, 391, 315 et 390, 440, 446).

Une autre forme de renversement concerne les métaphores se cristallisant autour de la maladie et dont les nazis usent à l’encontre des Juifs, les désignant comme les « parasites » attaquant le corps social allemand « sain » etc. Klemperer a en retour de nombreuses métaphores médicales pour désigner l’esprit allemand malade, rongé, telle une personne malade du cancer, par des métastases qui finissent par envahir l’ensemble du corps social, qualifié en d’autres endroits d’« hystérique » : « Je ne peux plus vraiment croire que le national-socialisme n’est pas foncièrement allemand ; c’est une excroissance proprement allemande, un carcinome fait de chair allemande, une variété de cancer, comme il existe une grippe espagnole » (Klemperer (2) 1999 : 140). Un peu plus loin, il veille à donner le chiffre exact et réel du nombre de suicides de Juifs. Soulignant dans la phrase que ce chiffre est authentique et correspond à la réalité, qu’il n’est donc pas outrancier, il rappelle ainsi la propension des nazis à ‘gonfler’ les chiffres jusqu’au domaine de l’inimaginable ainsi que leur goût infantile pour les chiffres-records (Klemperer (1) 1999 : 479) sans lien avec la réalité : « Les Marckwald prétendent que, depuis le début des déportations, 2000 (deux mille) Juifs ont mis fin à leurs jours, chiffre authentique et en aucun cas exagéré » (Klemperer (2) 1999 : 162). Par ailleurs, et à charge de revanche, il se plaît à comptabiliser le nombre de nazis qui tombent « pour leur Führer » : « Les avis de décès agrémentés de la croix gammée sont une consolation pour les Juifs. Tout le monde compte : combien y en a-t-il ? Tout le monde compte combien tomberont encore « pour le Führer » (Klemperer (2) 1999 : 47).

Un autre exemple de renversement se trouve dans les plaisanteries que les Juifs se racontent entre eux, faisant écho en cela aux plaisanteries cyniques et cruelles que les nazis répandent sur eux à tout propos. On trouve ainsi dans son journal, le récit de quelques plaisanteries ou bons mots qui fonctionnent comme de menus espaces de subversion satirique :

Dernier calembour en date rapporté par les Kronheim : KdF (Kraft durch Freude) veut dire maintenant Kann dauernd fressen et BdM (Bund deutscher Mädel), Bin dauernd müde (Klemperer (2) 1999 : 173). […] Une blague particulièrement réussie : Hitler, le catholique, a créé deux nouveaux jours fériés : Maria Denunziata et Maria Perquisition (Klemperer (1) 1999 : 157).

5. La recherche d’un parler vrai, juste et précis

Céder à la pression du prêt-à-dire, c’est faire fi d’un outillage de haute précision (H. Raynal)

5.1. Faire œuvre de précision

Contre la nébulosité des formules, contre les « mots-ventouses » (Raynal 1997 : 44) qui appauvrissent la pensée en appauvrissant les nuances de la langue, Klemperer se met au défi de rendre compte de la catastrophe nazie au plus près, au plus précis. Il ne veut pas simplement porter témoignage, il veut rendre très précisément compte de ce qu’il voit et vit quotidiennement. Il y voit son héroïsme et son acte suprême de résistance : « Mais je continue d’écrire. C’est mon héroïsme à moi. Je veux porter témoignage, et témoignage précis ! » (Klemperer (2) 1999 : 99). Rendre témoignage avec la plus haute précision possible devient la pensée obsédante de son journal :

[…] tenir mon journal avec la plus grande exactitude. Ce qui, par ailleurs, signifie pour moi un acte de bravoure et me plonge constamment dans l’angoisse (Klemperer (2) 1999 : 117) […] et le journal, je vais le poursuivre, coûte que coûte. Je veux porter témoignage jusqu’au bout (Klemperer (2) 1999 : 124).

Dans cette perspective qui consiste à faire œuvre de précision, on note en certains endroits une tendance de l’auteur à revenir sur un terme pour en trouver un autre plus adéquat, à opérer ce que la rhétorique appelle une correctio. Par exemple, il utilise à son insu l’adjectif fanatique tant galvaudé par les nazis et dont il sait pourtant qu’il est emblématique de la tendance de la langue nazie à opérer des renversements connotatifs. Intriqué quoi qu’il le veuille dans un discours fasciste qui s’immisce partout, il utilise alors l’adjectif/adverbe dans la phrase « Pendant ce temps, Eva continue fanatiquement son jardinage ». Plusieurs semaines plus tard, relatant une fois de plus l’activité de jardinage de sa femme, il prend cette fois soin de contourner cet adjectif pour le remplacer par l’expression « avec une frénésie passionnée » (« mit frenetischer Leidenschaft »). La correction est parfois immédiate et non différée, comme dans l’exemple qui vient d’être donné. L’auteur reprend alors consciemment ce qu’il vient d’écrire, ajoute une nuance, une précision, toujours en quête du terme adéquat et de la pensée juste pour contrecarrer le goût des nazis pour ce qu’il appelle les concepts aussi extensibles qu’une pâte à mâcher (Klemperer (2) 1999 : 320) : « Cet effondrement total d’un pouvoir encore existant il y a peu, non, sa disparition complète (exactement comme en 1918), voilà ce qui m’ébranle si profondément » (Klemperer (1) 1999 : 9) […] « Je devrais presque remercier Dieu pour la dernière brimade d’Hitler, je veux dire la dernière en date […] » (Klemperer (1) 1999 : 549).

Un autre exemple de correctio concerne l’utilisation des guillemets auxquels Klemperer redonne leur fonction neutre et essentielle qui consiste à signaler que l’on rapporte les propos d’un autre. Dans le passage ci-dessous, il cite par exemple l’emploi par les nazis de l’adjectif talmudique : « Tout de suite après : interdiction de l’Union centrale des citoyens juifs de Thuringe, parce qu’elle a, dit-on, critiqué et déprécié le gouvernement d’un point de vue « talmudique » (Klemperer (1) 1999 : 9).

Parfois encore, il utilise les guillemets ironiques comme les nazis le font, eux, exclusivement. Par exemple, dans l’expression, « das neue Beamten-« Gesetz » (« la nouvelle « loi » sur les fonctionnaires »), il prend soin de mettre le terme « loi » entre guillemets, signifiant par là qu’il n’est nul question de ‘loi’ à proprement parler dans un monde politique où seuls règnent l’arbitraire total et la parodie législative. Concernant la ponctuation, il note donc que l’une des particularités de la langue nazie consiste à utiliser les guillemets dans un sens ironique. Il souligne par ailleurs que le discours autoritaire muselle tout questionnement. Par exemple, il note en avril 1938 :

Je me pose aujourd’hui de plus en plus souvent des questions sur des choses (de nature linguistique, par exemple) qui, pour moi, jusqu’à présent, allaient de soi. L’essentiel dans la tyrannie, de quelque nature qu’elle soit, c’est la répression du questionnement (Klemperer (1) 1999 : 402).

Peut-être est-ce ce qui explique que de nombreux passages accumulent précisément questions et interrogations, comme les passages ci-dessous en témoignent :

[…] La LTI ? Ou est-ce un cadre trop étroit ? En ferai-je une série d’études sur l’histoire culturelle du IIIème Reich ? Ou dois-je me risquer à écrire l’histoire culturelle du IIIème Reich ? Ou alors en revenir au projet d’un Dictionnaire philosophique (de l’hitlérisme) ? Ou encore tout faire pour retrouver mes fonctions, et rafraîchir mes connaissances ? Ou alors tenter maintenant d’émigrer aux Etats-Unis et donc d’apprendre l’anglais ? […] (Klemperer (2) 1999 : 262) […] Et pourtant je ne peux pas renoncer à ces notes. Bravoure ? Vanité ? Fatalisme ? Raison ou tort ? – Le plus étrange : toutes ces choses ne m’ébranlent jamais que l’espace de quelques minutes : ensuite j’ai goût de nouveau à la nourriture, la lecture, le travail ; tout continue comme si de rien n’était. Mais la pression morale demeure (Klemperer (2) 1999 : 269).

5.2. La langue : un possible vecteur de culture contre la barbarie

On peut également s’interroger sur le sens et la fonction de très nombreuses expressions latines (ad oculos, in politicis, in judaeos, vanitas vanitatum, in semiticis etc.) ou étrangères (françaises ou italiennes le plus souvent) disséminées dans le journal. Sans doute l’intention est-elle là encore de contrer la tentative faite par les nazis pour effacer toute culture et toute culture étrangère et pour choisir une autarcie ‘intellectuelle’ douteuse, eux pour qui la science et l’esprit sont dignes de mépris, comme Klemperer le rappelle dans les lignes qui suivent :

Le refoulement absurde du français à l’école a commencé dès 1919. Le programme scolaire destructeur de toute culture, la « réforme » du IIIème Reich, vient d’être promulguée avec effet immédiat. Tous les lycées perdent leur treizième année, et le français ne sera sans doute plus appris, pour l’essentiel, que dans quelques écoles de filles (Klemperer (1) 1999 : 338).

Tout se passe comme si Klemperer avait volontairement recours aux ‘humanités’ en un temps de barbarie, comme s’il venait ainsi rappeler qu’il est possible d’articuler une culture avec une langue. Coûte que coûte, il cherche à maintenir l’existence de l’esprit et la présence du savoir, alors qu’un régime totalitaire met au même moment tout en œuvre pour parvenir à leur anesthésie et leur lent anéantissement : « Les Allemands se débarrassent de la culture latine, et le barbare germanique refait surface » (Klemperer (1) 1999 : 131).

L’un des leitmotivs de son journal est l’agonie de la culture à laquelle il assiste, quasiment impuissant, mais dont il sait aussi que ce sera la pierre sur laquelle achoppera tôt ou tard le fascisme : « Devant quoi les hitlériens vont-ils échouer ? […] Devant le combat contre l’esprit ! Deus afflabit. Mais quand ? » (Klemperer (1) 1999 : 147).

Les armes les plus sûres de Klemperer restent l’esprit et la culture dont témoigne l’ensemble de son journal. Les références culturelles sont nombreuses, même si elles lui font ressentir encore plus cruellement qu’il doit vivre dans un environnement particulièrement primaire et barbare. Faisant écho à la propension des nazis à avoir recours à des néologismes pour entourer leurs propos d’un nimbe mystérieux et leur octroyer une aura savante qui en impose, Klemperer en crée en retour et non sans les teinter d’ironie. Par exemple, pour railler l’aura mystique et religieuse dont les nazis veulent entourer leur idéologie, Klemperer parlant des Allemands qui ont une forme de piété face au régime, écrit qu’ils sont ‘regierungsfromm’, là où l’on attendrait plutôt les adjectifs consacrés tels que ‘regierungsfreundlich’ ou ‘regierungsnah’. Plus loin, dans un moment d’autodérision face à son quotidien fait de menues tâches répétées comme celle qui consiste à éplucher et laver les pommes de terre, seule denrée encore accessible, il écrit :

Le dimanche est passé – et qu’ai-je fait de toute la journée ? Je me suis savonné, j’ai kartoffelt (nouveau verbe pour « brosser les pommes de terre (Klemperer (2) 1999 : 24) […] Kartoffeln le matin, à midi, le soir ; kartoffeln : un verbe que j’ai créé pour dire brosser les pommes de terre à l’eau que je mange avec la peau, froides ou chaudes (Klemperer (2) 1999 : 129).

6. La distance critique et l’humour

Ils n’ont aucun sens de leur propre comique. […] leur comique à eux, c’est la bassesse contre ceux qui sont sans défense. (Journal, 1er mars 1938)

6.1. Jouer sur et avec les mots

C’est essentiellement son immense culture qui permet à Klemperer de conserver une distance et une analyse critiques par rapport à ce qu’il vit. Il analyse notamment le traitement que les nazis font subir aux Juifs comme un retour à des pratiques médiévales (Walser 1996 : 30). Par réaction, il cherche à se rattacher à l’humanisme et aux humanités de la Renaissance ; il travaille assidûment de surcroît à un ouvrage sur Voltaire et sur la période des Lumières françaises en général. Parfois, il se laisse aller à jouer sur les mots, même si l’humeur n’y est pas vraiment, comme dans l’exemple ci-dessous, où il s’amuse de l’homophonie entre la ‘fureur’ des personnages de Crébillon et le Führer qui vitupère, torture et assassine en Allemagne : « Dans une présentation fortement allusive, la fureur de ses héros, par-delà leur sentimentalité, se trouvait mise en parallèle avec l’héroïsme du psychopathe Hitler » (Klemperer (1) 1999 : 178).

Il peut aussi s’agir d’une parodie, comme lorsque Klemperer, triomphant d’avoir obtenu le permis de conduire en 1936 et de pouvoir dorénavant s’échapper un peu en voiture, écrit à deux reprises, parodiant ainsi la première strophe de l’hymne allemand qui commence par les termes « Deutschland, Deutschland über alles » : « Auto, Auto über alles, nous voilà pris d’une passion dévorante […] Auto, Auto über alles, première et dernière pensée » (Klemperer (1) 1999 : 265, 266).

Même si les obstacles sont multiples, Klemperer montre par l’acuité de son esprit critique et la régularité de son travail qu’il existe des formes de résistance possibles à l’emprise maléfique de la langue nazie. La tenue de son journal qui réinstaure un dialogue avec lui-même et qui est pour lui ce que Jacques Dewitte appelle un « exercice de lucidité et d’hygiène mentale » en est l’un des aspects. Espace subversif de réflexion sur un régime et sur la langue qui « le » parle et qu’il parle à tout un peuple, crédule et berné par un jargon de bonimenteurs, le journal est aussi un espace de résistance discrète mais efficace qui menace tout autant la vie de son auteur qu’il la sauve. Ses feuillets sont ce que Klemperer appelle ses « soldats de papier », son armée qui l’empêche de sombrer complètement dans un état mélancolique que la situation pourtant justifierait amplement. Klemperer garde constamment à l’esprit l’idée qu’il faut tout faire pour retrouver une langue « pure et utilisable » (Klemperer (1) 1999 : 123) pour que la politique soit, elle aussi, saine et porteuse d’avenir. Martin Walser a dit que certains passages du journal de Klemperer font fortement penser à des nouvelles de Franz Kafka, tant le surréel y côtoie le quotidien le plus banal, tant on y trouve ce qu’il appelle le 30 mai 1942 « la monstrueuse horreur de notre existence » (Klemperer (1) 1999 : 104)14. Sans doute est-ce aussi parce que Victor Klemperer et sa femme Eva ont vécu toutes ces années comme le royaume de l’irréalité et de l’inconcevabilité qu’ils en ont pour finir réchappé. Cette ligne de crête entre ‘croire’ et ‘ne pas pouvoir y croire’ sur laquelle ils se sont toujours situés est, en dernière instance, ce qui les a sauvés du désespoir en leur montrant qu’il y avait lieu de résister. Le journal est pour Klemperer, en filigrane, le lieu d’une confession essentielle : si, dans les premières années, il écrit en tant que Juif persécuté, banni, humilié, il prend peu à peu conscience qu’il est, avec ceux qui, comme lui, se battent pour la culture et l’humanité, allemand au milieu de tant d’autres qui ont oublié qu’ils l’étaient :

Le plus dur combat pour ma germanité, c’est maintenant que je dois le mener. Je ne dois pas en démordre : c’est moi qui suis allemand, les autres ne sont pas des Allemands ; je ne dois pas en démordre : c’est l’esprit qui importe, pas le sang (Klemperer (2) 1999 : 84) […] Moi, je suis allemand, et j’attends que les Allemands reviennent; ils se cachent quelque part (Klemperer (2) 1999 : 105).

Bibliographie

Œuvres de Victor Klemperer

Klemperer, Victor22 (1996). LTI. Notizbuch eines Philologen. Stuttgart : Reclam 2007 [Traduit de l’allemand par Elisabeth Guillot (1996), Paris : Albin Michel].

Klemperer, Victor (1999). Ich will Zeugnis ablegen bis zum letzten. Tagebücher 1933 – 1945 (2. Bde). Berlin : Aufbau-Verlag.

Klemperer, Victor (2000). Mes soldats de papier. Journal 1933 – 1941 et Je veux témoigner jusqu’au bout. Journal 1942 – 1945. Paris : Seuil. [Traduit de l’allemand par Ghislain Riccardi. Toutes les citations en français qui se trouvent dans notre article se réfèrent à cette traduction].

Monographies

Dewitte, Jacques (2007). Le pouvoir de la langue et la liberté de l’esprit. Essai sur la résistance au langage totalitaire. Paris : Michalon.

Dirschauer, Johannes (1997). Tagebuch gegen den Untergang : Zur Faszination Victor Klemperers. Giessen : Psychosozial-Verlag.

Faber, Benedikt (2005). « Leben wie im Unterstand » : Victor Klemperers deutsch-jüdische Existenz im Nationalsozialismus im Spiegel seiner biographischen Selbstzeugnisse. Vaasa : Univ Wasaensis.

Gentzel, Peter (2008). Ausgrenzung – Kommunikation – Identität: gesellschaftliche und subjektive Wirklichkeit in den Tagebüchern Victor Klemperers. Berlin : Lit. Verlag.

Heer, Hannes (1997). Im Herzen der Finsternis : Victor Klemperer als Chronist der NS-Zeit. Berlin : Aufbau-Verlag.

Jacobs, Peter (2000). Victor Klemperer: im Kern ein deutsches Gewächs. Eine Biographie. Berlin : Aufbau-Verlag.

Mieder, Wolfgang (2000). « In lingua veritas »: sprichwörtliche Rhetorik in Victor Klemperers Tagebüchern 1933 – 1945. Wien : Praesens.

Nowojski, Walter (2004). Victor Klemperer: Romanist – Chronist der Vorhölle. Teetz: Hentrich und Hentrich.

Papp, Kornelia (2006). Deutschland von innen und von außen: die Tagebücher von Victor Klemperer und Thomas Mann zwischen 1933 und 1955. Berlin : Wissenschaftlicher Verlag.

Stammen, Theo (2001). Literatur und Politik: Studien zu ihrem Verhältnis in Deutschland. Würzburg : Ergon-Verlag.

Walser, Martin (1996). Das Prinzip Genauigkeit. Laudatio auf Victor Klemperer. Frankfurt/Main : Suhrkamp.

Articles

Raynal, Henri (1997). « Le français et les algues tueuses », in : Missives, 44-51.

Ouvrages collectifs

Combes, André / Herlem, Didier, Eds. (2000). Germanica, « Identités/Existences/Résistances. Réflexions autour des Journaux 1933 – 1945 de Victor Klemperer ». Lille : Presses Universitaires du Septentrion.

Wielepp, Christoph, Ed. (1997). Leben in zwei Diktaturen: Victor Klemperers Leben in der NS-Zeit und in der DDR. (Eine Tagung der Friedrich-Ebert-Stiftung in Zusammenarbeit mit dem Verein “GegenVergessen – Für Demokratie” am 19. und 20 September 1997). Dresden : Friedrich-Ebert-Stiftung.

Articles dans ouvrages collectifs

Goldenbogen, Nora (1997). « Zur Chronologie des Alltags der Tyrannei. Die Verfolgung und Vernichtung der jüdischen Bevölkerung Dresdens 1933 bis 1945 », in : Wielepp, Christoph, Ed. Leben in zwei Diktaturen: Victor Klemperers Leben in der NS-Zeit und in der DDR, Dresden : Friedrich-Ebert-Stiftung. 39-51.

Henke, Klaus-Dietmar (1997). « Mutmassungen über Victor Klemperers Leben in zwei deutschen Diktaturen », in : Wielepp, Christoph, Ed. Leben in zwei Diktaturen: Victor Klemperers Leben in der NS-Zeit und in der DDR. Dresden : Friedrich-Ebert-Stiftung, 15-19.

Nemitz, Kurt (1997). « Victor Klemperer und die jüdische Alltagsexistenz im NS-Staat 1933 bis 1941 », in : Wielepp, Christoph, Ed. Leben in zwei Diktaturen: Victor Klemperers Leben in der NS-Zeit und in der DDR, Dresden : Friedrich-Ebert-Stiftung. 28-38.

Misik, Robert (1997). « Die Frage Victor Klemperer. Über den zerstörten Traum vom Deutschtum. Eine aktuelle Betrachtung », in : Wielepp, Christoph, Ed. Leben in zwei Diktaturen: Victor Klemperers Leben in der NS-Zeit und in der DDR. Dresden : Friedrich-Ebert-Stiftung. 20-27.

Pulver, Elsbeth (1999). « Victor Klemperer » in : Stüssi, Anna, Ed. Tagebuch mit Büchern. Essays zur Gegenwartsliteratur. Zürich : Pano Verlag. 211-219.

Notes

1 V. Klemperer, Ich will Zeugnis ablegen bis zum letzten. Tagebücher 1933 – 1945 (hrg. von Walter Nowojski), 2. Bde, Berlin, Aufbau-Verlag, 1999. Retour au texte

2 V. Klemperer, Mes soldats de papier. Journal 1933 – 1941 et Je veux témoigner jusqu’au bout. Journal 1942 – 1945, Paris, Seuil, 2000. [Traduit de l’allemand par Ghislain Riccardi ; toutes les citations en français qui se trouvent dans notre article se réfèrent à cette traduction] Retour au texte

3 V. Klemperer, Ich will Zeugnis ablegen bis zum letzten. Tagebücher 1933 – 1945 (hrg. von Walter Nowojski), 2. Bde, Berlin, Aufbau-Verlag 1999. Retour au texte

4 V. Klemperer, Mes soldats de papier. Journal 1933 – 1941 et Je veux témoigner jusqu’au bout. Journal 1942 – 1945, Paris, Seuil 2000. [Traduit de l’allemand par Ghislain Riccardi] Retour au texte

5 V. Klemperer, LTI. Notizbuch eines Philologen, Reclam, 22. Auflage, Stuttgart 2007. [Traduit de l’allemand par Elisabeth Guillot, Albin Michel, Paris 1996]. LTI est un sigle utilisé par Klemperer pour désigner la Lingua Tertii Imperii, la langue du Troisième Reich, et ce de manière à la fois codée – pour échapper à d’éventuelles représailles – et ironique – en référence à l’abondance de sigles utilisés par les nazis dans ce qu’il appelle leur ‘jargon’. Lorsqu’il est fait référence à l’ouvrage de Klemperer, nous utilisons l’écriture en italique. Retour au texte

6 Cf. Johannes Dirschauer, Tagebuch gegen den Untergang : Zur Faszination Victor Klemperers, Giessen 1997. Retour au texte

7 Cf. Klaus-Dietmar Henke, Robert Misik, Benedikt Faber, Walter Nowojski et Peter Jacobs. Retour au texte

8 Cf. Kurt Nemitz, Nora Goldenbogen et Hannes Heer. Retour au texte

9 Cf. Elsbeth Pulver, Theo Stammen, Kornelia Papp et Peter Gentzel. Retour au texte

10 Cf. Germanica et Wolfgang Mieder. Retour au texte

11 Dans son article, Robert Misik évoque les journaux comme « produits de résistance quotidienne » sans aller plus avant dans son analyse des moyens langagiers de résistance mis en œuvre par Victor Klemperer. Klaus-Dietmar Henke dit, quant à lui, que Klemperer consigna sa vie dans ses journaux pendant plus de soixante ans avec « la précision d’un Proust », mais sans développer ni illustrer davantage son propos. Retour au texte

12 Notons ici que l’on observe depuis l’année 1942 une (dé)gradation dans les conditions de vie de l’auteur et de sa femme, (dé)gradation qui s’explique par un durcissement général du conflit mondial. Cette césure est d’ailleurs signifiée par la parution en deux tomes des journaux, la première partie allant de 1933 à 1941, la seconde de 1942 à 1945. Notre analyse étant davantage thématique et analytique, centrée sur la langue et ses possibles mécanismes de résistance, nous ne souhaitons pas insister sur la dimension historique et chronologique des textes de Klemperer, aspect qui a par ailleurs été déjà traité. Retour au texte

13 Rappelons ici que Victor Klemperer considère, dans l’intégralité de son œuvre, son existence aux différentes périodes de sa vie correspondant à l’histoire allemande. Le « balancier du funambule » est donc tout autant son Curriculum et la LTI qui deviendra LTI que son projet d’écrire une œuvre sur le XVIIIème siècle. Retour au texte

14 Il est dommage que la traduction française ne rende pas vraiment justice à l’adjectif « märchenhaft » qui signifie aussi « qui relève du conte, de l’histoire à dormir debout ». Retour au texte

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Référence électronique

Bénédicte Abraham, « Les journaux (1933–1945) et LTI de Victor Klemperer (1881–1960) : les possibles stratégies de résistance au langage nazi », Textes et contextes [En ligne], 6 | 2011, publié le 01 décembre 2011 et consulté le 11 octobre 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=303

Auteur

Bénédicte Abraham

EA3224, UFR SLHS, Université de Franche-Comté, Site de Besançon, 30 rue Mégevand, 25000 BESANCON

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