La femme qui lit : stéréotypes sexistes dans les représentations de Dilma Rousseff en tant que lectrice dans les médias au Brésil

Résumés

Au cours de mes recherches consacrées à l’analyse des discours sur la lecture, j’ai entrepris une analyse comparative des représentations évoquées dans des textes de la presse brésilienne écrite, de large diffusion, sur le profil de lecteur des anciens présidents Fernando Henrique Cardoso, Luiz Inácio Lula da Silva et Dilma Rousseff. L’analyse de ces représentations de lecteurs nous intéresse dans la mesure où elles correspondent à une métonymie qui actualise des discours sur cette pratique culturelle prestigieuse, lesquels servent à leur tour de vecteur pour la reproduction de valeurs et de stigmates supportant, en les justifiant et en les naturalisant, des hiérarchies de sujets au Brésil. Dans cet article, j’analyse les écrits des principaux journaux imprimés du pays à propos de Dilma Rousseff en tant que lectrice, de façon à décrire et à démontrer le fonctionnement de ces images diffuses, quotidiennes et de longue date, qui jouent en rôle décisif dans la reproduction de certaines valeurs chères à l’exercice du pouvoir, notamment celles fondées sur des préjugés sexistes.

During my research concentrating on the discourse analysis of reading, I undertook a comparative study of the representations, mentioned in texts of the Brazilian written press, of former presidents Fernando Henrique Cardoso , Luiz Inácio Lula da Silva and Dilma Rousseff as readers. The analysis of these representations interests us insofar as they reveal a metonymy that updates the discourse around this prestigious cultural practice, and as such serves as a vector for the reproduction of stigmas, by justifying and naturalizing them, and thus supporting the hierarchization of subjects in Brazil. In this article, I analyze the depictions of Dilma Rousseff as a reader, in order to describe how these diffuse images function in playing a decisive role in the reproduction of certain values dear to the exercise of power, in particular those based on sexist prejudices.

Plan

Texte

1. Médias, Politique et Lecture au Brésil

Dilma Rousseff a été la première femme élue et réélue à la présidence du Brésil. En 2015, elle a été destituée par un coup d’État parlementaire. Au cours de sa trajectoire politique, mais surtout lors de cet événement, elle a été la cible, à l’instar d’autres figures politiques de même stature et visibilité, de critiques émises par les grands médias. Cependant, dans le cas de Dilma Rousseff, nombre de ces critiques ont été formulées sur la base de préjugés sexistes non déguisés. Ce regard biaisé, non exclusif aux médias, qui s’est ajouté aux jugements portés sur ses actions – et les a parfois surdéterminés – se manifeste sous des formes diverses et à l’égard de différents aspects de sa personne. Les références à Dilma Rousseff en tant que lectrice dans la presse brésilienne en sont un exemple symptomatique.

Dans mes travaux, je me consacre à l’analyse des discours circulant au Brésil à propos de la lecture, en m’attachant aux processus, aux formes et aux phénomènes de constitution, de formulation et de circulation des énoncés sur cette pratique dans la société brésilienne actuelle. Ces études visent à mieux comprendre l’impact et la portée des manières d’énoncer sur les façons de concevoir, d’évaluer et d’exercer (ou non) la lecture. Lors d’une récente recherche1, j’ai entrepris, à partir d’un corpus de textes de la presse écrite nationale de grande circulation, une analyse comparative entre les différentes représentations2, en tant que lecteur, des anciens présidents brésiliens Fernando Henrique Cardoso, Luiz Inácio Lula da Silva et Dilma Rousseff3.

Dans l’histoire récente de la politique brésilienne, la lecture figure comme un exemple de pratique parallèle ou accessoire à ce champ, qui a souvent été invoquée au cours des dernières décennies. La raison majeure est la participation de Lula da Silva à la campagne électorale pour la présidence de la République, depuis 1989. En effet, jusqu’à leur élection, en 2002, tous les présidents du Brésil avaient suivi une formation supérieure et certains sont devenus membres de l’Académie des Lettres, à l’instar de Cardoso. Au Brésil, à cause des inégalités de toutes sortes, s’est normalisée l’idée selon laquelle les élites dirigeantes et les occupants des principales postes politiques au pays étaient lettrés, ce que a constitué notre représentation euphorique et a consolidé notre tradition de República de bacharéis (République des diplômés). Il n’est guère surprenant d’observer que le thème des exigences culturelles lettrées pour l’exercice de la politique s’est largement diffusé dans les médias nationaux lorsque Lula da Silva, un outsider socioculturel, d’origine populaire, sans formation supériere ou universitaire, s’est déclaré candidat aux présidentielles en 1989, avec de réelles chances de gagner les élections.

Depuis lors, le nombre et la variété des textes de médias qui introduisent des remarques relatives au profil lettré des politiciens brésiliens, en particulier à leur profil de lecteur, n’ont cessé de croître4. Dans ces textes, des différents genres discursifs, publié par des institutions médiatiques de gauche et de droite, les références à la lecture se bornent généralement à de brèves mentions qui, dans la plupart des cas, s’avèrent sans rapport avec le sujet principal. Leurs auteurs sont des journalistes, des experts ou des leaders d’opinion, de toutes tendances politiques, hommes et femmes, ce qui n’empêche pas pour autant qu’ils partagent des représentations consensuelles sur ce qu’est un lecteur et ce qu’est la lecture, et qu’ils réproduisent les mêmes stéréotypes sur le sujet et lorsqu'ils représentent ces trois présidents par rapport à leurs pratiques de lecture.

Pour ma part, l’analyse de ces représentations de lecteurs présente un intérêt majeur, dans la mesure où les dires sur ces politiciens actualisent métonymiquement, à la suite de certains consensus, des discours qui circulent au Brésil et sur les Brésiliens, en général, à propos de cette pratique culturelle prestigieuse et distinctive. Mon ambition de comprendre les formes d’actualisation de ces discours sur la lecture réside dans le fait qu’ils agissent comme des vecteurs pour la reproduction de valeurs et de stigmates extrêmement répandus et vivaces. Le prestige de la pratique symbolique de la lecture, dans un pays dont l’histoire est marquée depuis ses prémices par une série d’impositions de hiérarchies d’ordres divers5, font que ce prestige culturel soit souvent mobilisé comme une forme perverse et efficace de justification et de naturalisation de la distinction socio-économique des citoyens, et ce, en confluence avec d’autres discours qui soutiennent le statu quo6.

A partir des analyses comparatives de ces énoncés de la presse nationale de grande circulation à propos du profil de lecteur de ces trois présidents, j’ai constatée, dans le cas de Dilma Rousseff, non seulement que ses pratiques de lecture sont relativement moins commentées que celles de ses prédécesseurs, mais aussi que sa représentation en tant que lectrice répond généralement à deux protocoles : a) tantôt il est fait allusion à son goût pour la lecture et à son habitude de lire ; b) tantôt son statut de lectrice est refusé ou déprécié. Cependant, lorsque Dilma Rousseff est présentée comme lectrice, elle ne jouit aucunement des mêmes avantages symboliques que Cardoso, considéré, dans ces textes de la presse nationale, comme le lecteur idéal. La plupart de ces allusions ne constituent qu’un alibi afin de comparer Dilma Rousseff à Lula da Silva, et de rabaisser ce dernier, souvent représenté comme un non-lecteur, voire même, un illettré.

Nombre d’énoncés sont criblés de commentaires sexistes, qui la décrivent selon des représentations dépréciatives, puisque ‘féminisantes’, de la lecture. Dans l’exercice de ses fonctions présidentielles, Dilma Rousseff est représentée comme une personne qui lit, mais qui ne lit pas comme il faut : elle  lit trop, lit tout, lit chaque ligne, ce qui l’empêcherait d’agir comme il le conviendrait dans son gouvernement. Dans la sphère privée, elle est représentée : a) soit en tant que lectrice de textes inappropriés, car écrits par des auteurs de gauche, considérés subversifs ou erronés dans leurs idées politiques et économiques, ce qui viendrait illustrer son incapacité à prendre de bonnes décisions; b) soit en tant que lectrice vorace de textes frivoles (des romans, des tragédies), ce qui révélerait son désir d’évasion. Ces représentations en tant que lectrice actualisent une série de stéréotypes du féminin en rapportant cette pratique à l’excès, à l’impropriété et à la frivolité. La façon dont elle lit, ce qu’elle choisit de lire et les buts de ses lectures sont systématiquement liés à une caricature de la lecture au féminin. Les représentations de Dilma Rousseff en tant que lectrice, ajoutés aux invectives sexistes qui lui ont été adressées tout au long de sa trajectoire politique7, sont marquées par la féminisation et la dépréciation du féminin.

La plupart de ces stéréotypes remontent aux représentations diffusées au XIXe siècle, alors que l’alphabétisation ainsi que la production d’imprimés bon marché se sont développées en Europe et ont permis d’étendre la circulation de l’écrit auprès de nouveaux publics, tels que les femmes, sous la forme d’ouvrages populaires et de périodiques. L’élargissement du public lecteur aux femmes étend également l’offre de romans, sans susciter toutefois une réception euphorique et unanime chez les hommes lettrés. Dans « Émile ou De l’éducation », Rousseau considérait les romans comme un instrument qui ne servait qu’à « donner aux femmes et aux idiots la vanité sans instruction »8. Selon Lyons (1999), cette expansion de l’offre de titres et du nombre de lectrices ne manque pas de faire émerger des inquiétudes sur la conduite morale de ces lectrices de même que des condamnations de cette pratique considérée comme « inutile et dangereuse », surtout lorsqu’elle est entrepris « par un public supposés facilement influençables ». Plusieurs textes de cette période assument la tutelle de la lecture auprès du public féminin. Les femmes qui lisaient devaient ainsi s’inscrire dans l’image traditionnelle de la lecture, fondée sur des motivations religieuses, dévotionnelles, intensives et orientées vers la famille, et donc bien éloignées des préoccupations de la vie publique, comme l’a observé Lyons (1999).

En m’appuyant sur de principes de l’analyse du discours, des études consacrées au capital culturel et symbolique de la lecture, et de son interrelation avec le genre, l’analyse que je propose dans cet article vise à décrire les énoncés des médias au sujet de Dilma Rousseff en tant que lectrice et à démontrer le fonctionnement de ces images diffuses, quotidiennes et de longue date, qui jouent un rôle décisif dans la reproduction de certaines valeurs chères à l’exercice du pouvoir, et dont certaines sont ancrées sur des préjugés sexistes.

Afin de mener à bien cette analyse, je me fonde spécifiquement sur un échantillon représentatif des enoncés qui font réference aux pratiques de lecture de Dilma Rousseff9, en me limitant à ceux extraits des articles des deux principaux journaux quotidiens, de référence et de diffusion nationale au Brésil, à savoir O Estado de São Paulo, également connu comme Estadão, fondé en 1875, et Folha de São Paulo, surnommé Folha, fondé en 192110. Politiquement, ces deux journaux s’alignent respectivement sur la droite et le centre droit, bien que Folha ouvre occasionnellement son espace à des textes et des points de vue de chroniqueurs de tendance gauche progressiste11. Ils circulent auprès de la classe moyenne urbaine et de l’élite économique du pays.

2. Dilma Rousseff lectrice : silence, alibi, critique et dérision

2.1. Si elle lit, quel en est l’intérêt ? Une pratique passée sous silence

Avant l’élection de Dilma Rousseff à la présidence, quand elle était encore ministre du gouvernement Lula da Silva et pré-candidate aux élections présidentielles, les principaux journaux et revues de circulation nationale l’évoquent peu en tant que lectrice12. À l’exception de brèves et rares occurrences dans des articles typiques d’une part dans la dernière ligne droite des élections, qui visent à présenter les profils des candidats qui ont le plus de chance d’être élus ; et d’autre part post-élection, qui présentent le candidat récemment élu, force est de constater que peu a été dit sur Dilma Rousseff à propos de son profil et de ses pratiques de lecture, notamment en comparaison de ses deux prédécesseurs à la présidence, Cardoso et Lula da Silva.

Selon les informations fournies par ces mêmes journaux, issue de la classe moyenne Dilma Roussef a vécu entourée d’ouvrages depuis sa tendre enfance ; elle a suivi des cours de piano et de français, elle a étudié dans des écoles privées et traditionnelles et elle s’est diplomée de l’Université. De ce point de vue elle présente une éducation formelle et une trajectoire intellectuelle tout à fait similaire à celles de Cardoso. Pourtant, et bien qu’elle soit généralement décrite comme une grande lectrice, les références sur ses pratiques de lecture ont été davantage tues, puisque beaucoup moins fréquentes que celles relatives à Cardoso et à Lula da Silva. Ces références au profil culturel et de lectrice de Dilma Rousseff, quand elles sont évoquées, se présentent tantôt comme une sorte de prétexte pour déprécier la personne de Lula da Silva, tantôt comme des mentions ambigües, qui semblent descriptives, donc neutres, mais qui sont nettement biaisées et qui tendent à la disqualifier, critiquant à la pertinence de ses lectures et à sa façon de lire.

Durant ses mandats ministériels sous le gouvernement Lula da Silva, de 2003 à 2010, au ministère des Mines et de l’Énergie, puis comme la Première ministre, et lors de sa campagne électorale pour les présidentielles en 2010, les grands médias n’ont guère exploré cette dimension culturelle de son profil. Deux raisons semblent expliquer ce silence : d’abord la présomption que ces ‘avantages’ culturels constituent des conditions préalables pour quiconque ambitionne ou exerce une position politique majeure et ne méritent donc pas d’être davantage divulgués ; ensuite, plus spécifiquement, la formation culturelle de Dilma Rousseff se distingue peu de celle supposément acquise par ses concurrents, de 2010 et de 2014, ce qui dispenserait de comparer les profils des candidats sur ce critère. De surcroît, il convient de ne pas négliger que cette allusion au capital culturel de prestige de Dilma Rousseff, précisément parce qu’il représente un avantage par rapport aux autres, a été moins énoncée que dans les campagnes électorales précédentes, lors de la dispute entre Cardoso et Lula da Silva. En effet, durant cette période, les médias ont fait intensément usage, dans leurs références aux deux politiques, des épithètes « sociologue », « intellectuel » et « professeur » pour se référer à Cardoso, et « métallurgiste », « syndicaliste » et « analphabète » pour se référer à Lula da Silva. Durant toutes les élections auxquelles Lula da Silva a participé, en particulier celles qui l’opposaient à Cardoso, les attributs culturels ont été un thème récurrent dans les textes des médias brésiliens.

2.2. D’accord, elle lit, mais qu’en est-il de Lula da Silva ? L’alibi comme une forme de dire pour taire

Durant la campagne électorale de 2010, puis immédiatement après son investiture en 2011 pour sonpremier mandat, et lors de la procédure de destitution qui a conduit au coup d’État parlementaire en 2016, certains articles ont émergé de ce silence relatif. Dans une partie de ces textes, l’allusion à la lecture ne se produit jamais pour parler exclusivement de Dilma Rousseff. Son profil de lectrice y est souvent exploré en comparaison avec celui de son prédécesseur à la présidence, Lula da Silva, et non pas avec celui de ses concurrents et adversaires politiques, comme il conviendrait. Ces comparaisons portent aussi bien sur les différences que les similitudes entre les profils de lecteur de Dilma Rousseff et de Lula da Silva, mais toutes observent une même logique argumentative : la comparaison avec Lula da Silva, qu’elle valorise ou disqualifie le profil de Dilma Rousseff, vise invariablement à décrédibiliser l’ancien président. Dans ces textes des médias brésiliens, les allusions aux compétences lettrées de Dilma Rousseff sont ainsi traversées par un seul et même objectif : fonctionner comme un opportunité pour discréditer Lula da Silva. Ce modus operandi est assez flagrant dans plusieurs textes, pour des périodes différentes, quoique plus fréquent au début du premier mandat de Dilma Rousseff :

De toutes les différences entre la présidente élue, Dilma Rousseff, et son prédécesseur, Luiz Inácio Lula da Silva, l'une des plus frappantes est la solide formation littéraire de la prochaine occupante du Palais du Planalto 13 (Rodrigues 2010).

Brasília a du mal à s’adapter au remplacement d’un président qui ‘joue à l’oreille’ par un nouveau qui lit toutes les notes de la partition. Chez Luiz Inácio Lula da Silva, tout relevait de l’intuition, chez Dilma Rousseff, chaque décision résulte d’un examen des plus vétilleux [...] il y a huit ans, l’une des questions typiques lorsque Lula a pris ses fonctions était : « Combien de pages pensez-vous qu’il lit par jour ? » 14 (Toledo 2011). « Contrairement à Lula, Dilma lit les journaux et s’intéresse aux informations publiées », explique une source du palais qui préfère garder l’anonymat15 (Tavares 2012).

L’ex-président Luiz Inácio Lula da Silva refusait de lire les dossiers avant les réunions. Il demandait à son ministre des affaires étrangères, Celso Amorim, un résumé de ce qui était important et faisait distribuer les documents « à ceux qui n’avaient rien d’autre à faire ». La présidente Dilma Rousseff, au contraire, lit tout. Mais, elle n’apprécie guère [de ce qu’elle lit] et ne cesse de se plaindre16 (Paraguassu 2014).

Auparavant lectrice assidue de la presse, elle ne lit déjà plus les journaux brésiliens comme elle en avait l’habitude, chaque matin à l’heure du café. Parfois, elle consent à parcourir les nouvelles internationales. Mais c’est tout. Bien souvent, c’est un assesseur qui attire son attention sur un sujet spécifique dans les médias. Ainsi, Dilma imite son prédécesseur, Luiz Inácio Lula da Silva, qui estimait que la presse ne faisait circuler que de mauvaises nouvelles et pensait qu’il valait mieux les ignorer17 (Nery 2015).

Ces énoncés ne décrivent pas Dilma Rousseff en tant que lectrice, si ce n’est pour la comparer avec Lula da Silva. Ainsi, ils ne parlent pas effectivement de Dilma Rousseff, ni exclusivement ni d’une façon prioritaire. Ce choix de la comparer systématiquement avec son prédécesseur à la présidence, toujours au détriment de ce dernier, est reproduit par plusieurs agents médiatiques, moyennant des thèmes récurrents distincts, et pas seulement celui de la lecture.

Outre le silence relatif des textes médiatiques sur cet aspect du profil de Dilma Rousseff ainsi que ces références qui, pour une partie de ces textes, apparaissent davantage comme un prétexte pour pérenniser les critiques adressées à son prédécesseur, le président Lula da Silva, ces énoncés traduisent ce que d’autres articles font généralement ressortir quand ils mentionnent la pratique de la lecture chez Dilma Rousseff. Ils affichent une gradation qui a) va du relativement neutre et référentiel : « [elle] lit », « [elle a une] solide formation littéraire » (Rodrigues 2010) ; b) passe par le descriptif avec un potentiel ambigument euphorique : « [elle] lit toutes les notes » (Toledo 2011) ; « [elle] lit les journaux et s’intéresse aux informations publiées » (Tavares 2012) ; c) tout comme passe par la description accrue de l’opinion, à savoir, par une critique déclarative et désobligeante qui affecte la valeur positive que la pratique peut avoir : « [elle] lit tout. Mais, elle n’apprécie guère et ne cesse de se plaindre » (Paraguassu 2014) ; d) et s’achève avec le ton purement dysphorique de sa représentation en tant que lectrice, en niant qu’elle lit, qu’elle est effectivement une lectrice : « elle imite son prédécesseur : elle ne lit déjà plus les journaux » (Nery 2015).

2.3. Dilma Rousseff lit, mais pas comme il le conviendrait : de la description ambiguë à la critique dérisoire

Les articles affichant un ton apparemment plus neutre, descriptif et référentiel, voire euphorique, quand ils rendent compte du rapport de Dilma Rousseff avec la lecture, se révèlent néanmoins constitutivement ambigus. L’une des premières allusions à Dilma Rousseff en tant que lectrice, dans un article du 3 octobre 2010 sur les profils des candidats à la présidence, la décrit à première vue d’une manière neutre, voire positive :

Si l’économie rapproche Dilma Rousseff et José Serra, l’intérêt pour la psychanalyse les unit tous les deux avec Marina Silva [...] Dilma est passionnée par les romanciers, tels que Machado de Assis, Guimarães Rosa, Honoré de Balzac et Émile Zola, dont le trait commun est leur capacité à créer des personnages profonds, psychologiquement denses [...]. Dilma a lu l’intégralité de la Comédie humaine, qui regroupe 91 romans, nouvelles et essais. Encouragée par son père, elle a beaucoup lu durant son enfance et son adolescence, mais elle continue de lire avec une voracité remarquable18 (Sant’Anna 2010).

Cette brève allusion présente Dilma Rousseff selon la représentation générique, consensuelle et idéalisée du lecteur : lire beaucoup, lire toujours, lire depuis toujours, lire les classiques. Il ne suffit pas d'avoir appris à lire et lire régulièrement pour être reconnu comme lecteur. Il est nécessaire de maintenir un discours cohérent avec cette position. Pour cela, il faut savoir quels titres et auteurs citer, quoi dire à leur sujet19. Dans sa description, l’auteur de l’article fait usage de signes intensificateurs afin de reproduire ce consensus : « passionnée par les romanciers » ; « a lu l’intégralité de la Comédie humaine » ; « a beaucoup lu » ; « continue de lire avec une voracité remarquable ». Sans les relations paraphrastiques établies au sein d’un même texte, mais aussi d’un texte à un autre dans un champ donné, ces intensificateurs (« passionnée », « intégralité », « beaucoup », « voracité remarquable ») ne produiraient pas l’effet relativisant et même disqualifiant des termes qu’ils recouvrent ou référencent syntaxiquement.

Selon les méthodes de l’analyse du discours20, pour saisir les effets de sens, visés et produits, ou ceux produits à l’insu de l’énonciateur, il convient de considérer une série d’aspects qui déterminent ces effets. La position du sujet qui énonce ne se produit pas de manière exclusivement subjective et originale. Elle est soumise à des déterminations discursives de divers ordres : historique, social, culturel, et donc, idéologique. Ces déterminations s’inscrivent et se matérialisent dans la façon dont les textes sont formulés et circulent parmi la société. Donc, le sens d’un énoncé, sous la forme d’un texte, d’une phrase ou d’un mot, résulte de l’inscription de cette matérialité linguistique dans le discours, cet ordre qui régit et fournit ce qui doit et peut être dit/interprété par rapport à un thème spécifique, pour un temps et une société donnée. Pour cette raison, l’analyse de toute forme linguistique ne dispense pas de saisir sa relation paraphrastique avec ce qui a déjà été ou ce qui lui est simultanément énoncé. Elle ne dispense pas d’appréhender le « champ associé » dont fait partie cette forme. Aussi, chaque énoncé s’inscrit-il, tel un nœud dans un réseau, au sein d’une « formation discursive » à partir de laquelle il émerge et signifie.

Les caractéristiques prioritairement euphoriques dans le champ de ce qui peut être énoncé sur la lecture (lire beaucoup, lire régulièrement, lire de bons textes, lire chaque texte dans son intégralité, lire chaque genre d’une manière appropriée, etc.) sont formulées dans ces textes qui se réfèrent aux pratiques de lecture de Dilma Rousseff. Toutefois, compte tenu de leurs relations paraphrastiques avec d’autres énoncés dans ces mêmes textes ainsi qu’avec des énoncés d’autres textes, portant sur Dilma Rousseff, publiés par la même institution ou par des institutions équivalentes, ce caractère euphorique se relativise ou se dilue, et peut devenir le signe d’autres caractéristiques non nécessairement décrites par ces auteurs comme étant positives à propos du profil de la présidente :

Pointilleuse, Dilma lit chaque ligne des projets qui lui sont soumis et exige fréquemment leur réécriture. Les fuites d’informations […] irritent la présidente, qui ne supporte pas les querelles voilées entre les assistants – elle est convaincue que la plupart de ces fuites n’obéissent qu’à cet objectif, en particulier au sein de l’équipe économique. Tout manquement à la règle qui interdit aux ministres de se prononcer sur des dossiers qui leur sont étrangers l’exaspère au plus haut point. Dilma était furieuse, par exemple, à l’égard du ministre Fernando Pimentel, après avoir lu dans les journaux une partie du projet de la politique industrielle, le Plan Brasil Maior, divulgué seulement la semaine dernière. Lors du lancement officiel du projet, au Palais du Planalto, la présidente a éclipsé Pimentel en présentant ce projet comme le sien et non comme celui du ministère. Dans quasiment tous les ministères, il y a des projets qui attendent la sentence présidentielle21 (Domingos, Mendes et Madueño 2011).

Eu égard à ce fonctionnement discursif paraphrastique, lorsque Dilma Rousseff est décrite comme « pointilleuse » (« [elle] lit chaque ligne des projets qui lui sont soumis »), elle est également présentée comme une personne autoritaire (« exige fréquemment leur réécriture »), irritable (« les fuites d’informations […] irritent la présidente »), méfiante (« elle est convaincue que la plupart de ces fuites sont intentionnelles »), irascible (« l’exaspère au plus haut point » ; « était furieuse »), vindicative, centralisatrice et vaniteuse (« présentant ce projet comme le sien et non pas comme celui du ministère » ; « a éclipsé [l’image de son ministre] »). De cette manière, le caractère supposément euphorique de la description de cette pratique « pointilleuse » de la lecture – qui pourrait avantageusement s’apparenter à une lecture sérieuse et attentive dans d’autres contextes et textes – est non seulement annulé, mais aussi inversé et nié, précisément parce qu’il s’enchaîne à des formes de description de la personnalité qui décrivent plutôt un profil psychologique obsessif, émotif, irritable et autoritaire.

Ce dernier trait de son profil se renforce encore avec l’emploi de l’expression « sentence présidentielle ». Le choix lexical du terme « sentence » renvoie à la désignation archaïque de la pratique des monarques, dont la mémoire construite depuis l’instauration de la République exploite, comme un trait majeur des rois et de leurs gouvernements, la centralisation du pouvoir, le despotisme et l’autoritarisme. Aussi, le choix de ce terme, ajouté à la rareté de son usage pour qualifier les actions des autres présidents ou des autorités politiques, fait valoir un certain effet de sens, précédemment construit dans les premiers linéaments des caractéristiques attribuées à la personnalité de Dilma Rousseff, dont l’indice symptomatique employé comme motif est sa manière de lire : « elle lit chaque ligne ». Les caractéristiques de lectrice de Dilma Rousseff, quoique correspondantes à celles normalement attribuées au bon lecteur, sont davantage présentées comme un trait d’une personnalité idiosyncrasique que comme une qualité à mettre en relief.

Les differents discours s’entrecroisent. Les dires possibles sur la lecture sont traversés par les dires possibles sur d’autres thèmes et sujets. Au sein de ces énoncés, d’autres consensus et représentations, tels ceux relatifs au féminin, se joignent aux consensus sur la lecture. Les pratiques de lecture de Dilma Rousseff, selon la description qui en est faite par la presse brésilienne, renvoient à des stéréotypes vivaces relatifs à des traits traditionnellement et exclusivement attribués, comme préjugés, à la personnalité des femmes. Les énoncés sur les pratiques de lecture de Dilma Rousseff l’évoquent comme un lecteur au féminin. Ces textes revisitent une série historique de stéréotypes dépréciatifs de la condition féminine : d’abord l’accentuation de la dimension émotive et passionnelle au détriment de la dimension rationnelle ; ensuite le caractère hyperbolique, excessif et compulsif de ses actions ; enfin l’inadéquation ou la frivolité de ses choix de lecture.

3. Femme, lectrice et présidente : les pratiques de lecture au sein et hors du travail

Les articles où émerge une certaine référence à ses pratiques de lecture scindent clairement ces pratiques entre la sphère professionnelle, pour le travail, et la sphère privée, pour la formation et le divertissement. Dans ces deux contextes, professionnel et privé, Dilma Rousseff est représentée comme un sujet qui lit beaucoup. Cependant, cette qualité, en général évaluée positivement, est décrite ici de manière biaisée, comme l’équivalent d’un sujet qui lit trop, et comme s’il s’agissait d’une caractéristique prioritairement féminine et, à titre dérogatoire, d’un problème. Dans le contexte du travail, sa façon de lire, à savoir de lire tout, dans les moindres détails, constitue une inadéquation pour l’exercice de sa fonction. Dans un contexte privé, de lecture pour le plaisir, lire beaucoup est symbolisé comme une pratique « frénétique », comme un « vice »22.

3.1. En tant que présidente, elle lit trop

Plusieurs textes sur la politique nationale exposent des énoncés commentant la manière de lire de Dilma Rousseff, la lecture y étant représentée, dans ces circonstances, comme une activité basique, fondamentale pour l’exercice ordinaire de sa fonction :

La présidente est disciplinée. Elle a pris l’habitude de lire les longs rapports de la Banque centrale ou de la planification. C’est une bonne habitude, quoiqu’elle prenne beaucoup de son temps. Afin de résoudre son problème de gestion politique, elle devra trouver un point d’équilibre dans son agenda entre les temps de lecture et de discussion23 (Rodrigues 2011).

La structure argumentative de cet énoncé est extrêmement simple et fréquente : une qualité jouissant consensuellement d’un prestige social est reconnue comme une bonne qualité, puis est relativisée, non pas en tant que qualité, mais en fonction du sujet qui la possède et de la façon dont il s’en fait valoir : « La présidente est disciplinée », « lit de longs rapports », « c’est une bonne habitude » versus « elle a un problème de gestion politique », lire comme elle le fait « prend beaucoup de son temps », elle doit « trouver un point d’équilibre ».

Sans cette structure argumentative relativisante, la description de sa façon de lire au travail (de manière disciplinée et habituelle, de longs rapports) pourrait générer un effet prioritaire ou exclusivement euphorique. Cependant, eu égard au mode de formulation de l’énoncé, la force argumentative de la première information (lire est important et elle lit) est minorée par rapport à la seconde information (lire comme elle lit prend beaucoup de son temps) en fonction, entre autres raisons, de cette disposition syntaxique, qui génère traditionnellement cet effet par rapport à la structure formelle du portugais brésilien. En général, l’information sur laquelle retombe la plus grande force sémantico-argumentative, celle qui assume la fonction de rhème, c’est-à-dire de nouvelle information, non sue et plus importante, est celle annoncée après le connectif dont la fonction orientatrice argumentative est de type adversatif. Pour cette raison, l’usage de la forme adversative « quoique » annonce, par rapport à ce qui est énoncé dans la première partie, soit une affirmation contraire, soit une restriction, à savoir ce qui est effectivement plus pertinent et qui requiert une attention accrue.

L’énonciateur, qui ne saurait nier la valeur euphorique consensuellement établie de la pratique de la lecture, et de tout lire, relativise cette valeur en soi, en contestant le sujet qui la pratique et en critiquant sa façon de faire, « sans équilibre ». Le genre discursif du conseil, assumé par cet énoncé, contribue également à l’effet de disqualification de la pratique de la présidente : en général, le conseilleur assume une position énonciative hypothétiquement plus hiérarchique par rapport à son énonciataire ou à celui dont on parle. Le choix des temps verbaux est une autre ressource linguistico-discursive contribuant aux effets de relativisation et de hiérarchisation dans l’énonciation. Lorsque l’énonciateur expose, au présent, la façon dont Dilma Rousseff lit normalement durant l’exercice ordinaire de sa fonction et, au futur, ce qu’elle doit faire, comment elle doit agir, l’effet disqualifiant de sa façon d’agir s’intensifie : comme elle lit toujours et tout, elle lit trop en regard de la position occupée. L’énonciateur, qui prodigue ce conseil et utilise ces temps verbaux dans la formulation de ce qui est fait et de ce qui doit ou devrait être fait, projette une idéalisation tout en feignant de ne pas le faire. Ce type d’énonciation donne l’image d’un énonciateur qui sait mieux que la présidente comment pratiquer cette lecture routinière, et comme il s’agit d’une pratique routinière propre à l’action politique, la façon de lire de la présidente rompt avec ce protocole. Lire toujours et tout, tel que formulé ici, révèle des traits qui semble intrinsèque, connu et consubstantiel à la personnalité de Dilma Rousseff : l’excès et le déséquilibre. Ces traits sont aussi un signe propre à sa méconnaissance, inexpérience et inaptitude politique.

Si l’on garde à l’esprit les dires à propos de l’ancien président Cardoso, ce qui est énoncé sur Dilma Rousseff se différencie notamment par la façon de mentionner explicitement et spécifiquement ses gestes de lecture au travail. Très clairement, ces textes qui font allusion aux pratiques de lecture de Dilma Rousseff scindent ce qu’elle lit et la façon dont elle lit entre d’une part sa vie professionnelle et d’autre part sa vie privée. Cette ‘attention’ particulière sur ses gestes de lecture alors qu’elle est présidente semble se fonder sur le présupposé commun selon lequel leur traitement dans un article se justifierait soit en raison du caractère exceptionnel de la fonction exercée pour la première fois par une femme, soit par le présupposé, également ancré sur cette première raison, que cette fonction pourrait ne pas être exercée comme il se doit. L’absence quasi totale de références dans la presse écrite nationale sur la façon dont Cardoso lisait les textes de nature professionnelle lorsqu’il était président renforce notre compréhension selon laquelle ces présupposés sous-tendent la formulation de cet énoncé et d’autres de même teneur et origine institutionnelle à propos de Dilma Rousseff. Cette ‘attention’ accrue sur sa façon de lire alors qu’elle est présidente dénote la force de ce présupposé, mobilisé à la fois en raison du caractère partisan des médias, qui s’opposent régulièrement aux gouvernements de même tendance politique que Dilma Rousseff, et en fonction de notre longue histoire de discriminations, notamment celles de biais sexiste.

3.2. Dans sa vie personnelle, elle lit beaucoup... des auteurs et des genres inappropriés

Avec l’élection de Dilma Rousseff en 2010, plusieurs médias ont produit des textes pour décrire le profil de la nouvelle dirigeante. Un article du journal O Estado de S. Paulo, intitulé « Dilma au pouvoir : nouveaux goûts et habitudes », présente déjà dans son chapeau une référence à sa relation avec la lecture :

Elle veut qu’on l’appelle présidente ; énergique et pointilleuse, elle est obsédée par les objectifs, mais elle ne cache pas son côté zen : elle pratique la méditation, apprécie l’opéra, dévore des ouvrages et se divertit avec ses deux chiens [...] Lettrée, elle lit pratiquement tout ce qui lui passe entre les mains : des poèmes, d’Adélia Prado à Fernando Pessoa ; des romans, de Machado de Assis à Honoré de Balzac24 (Rosa 2011).

Sa description coïncide avec celle du lecteur lettré, qui dispose de temps et de moyens, qui lit de manière désintéressée, par goût et bon goût, en particulier la ‘haute littérature’, et ce, de manière habituelle. Les choix lexicaux, dans l’intitulé de ce texte, « nouveaux goûts et habitudes », évoquent généralement une logique comparative qui est régulièrement mobilisée dans la description de son profil de lecteur, dont la finalité n’est pas à proprement parler de la décrire, comme je l’ai démontré, mais surtout de disqualifier Lula da Silva. L’emploi des termes « goût » et « habitude » est extrêmement commun pour spécifier des pratiques lettrées et de prestige comme la lecture. Parmi les formes idéalisées d’énonciation de l’exercice de cette pratique figure fréquemment la représentation partielle et simplifiée selon laquelle le bon lecteur est celui qui lit par goût et qui a bon goût, et fait donc de la lecture une habitude. Cette représentation, outre l’implication que le goût serait une propriété innée et un attribut individuel, passe encore sous silence la dimension matérielle qui détermine celui qui serait en mesure de prendre l’habitude de lire, surtout dans des sociétés socio-économiquement inégales, à l’instar de la société brésilienne, eu égard, parmi de nombreux autres facteurs, à l’inaccessibilité du livre, la majorité de la population ne disposant que d’un salaire minimum, ou aux longues journées de travail, qui accaparent le temps disponible des travailleurs. Cette dimension matérielle, le plus souvent tue, est pourtant une condition essentielle pour pratiquer la lecture.

Cette représentation du ‘bon lecteur’ est si régulière et naturelle que les autoreprésentations que les individus font et énoncent d’eux-mêmes l’assument. Lorsque Dilma Roussef est invitée à parler d’elle comme lectrice, elle fait valoir ce lieu commun. Cependant, il n’est pas sans intérêt d’observer comment les énonciateurs médiatiques reprennent, découpent, qualifient et spécifient les déclarations de Dilma Rousseff obtenues dans des interviews génériques, en orientant argumentativement ce qui est énoncé, conformément au positionnement idéologique de la ligne éditoriale des institutions et à ces discours sur la lecture, anciens et consensuels, qui régulent l’inertie, la durée et la généralisation des dires possibles sur cette pratique.

Dans ce texte, la mention de la lecture émerge après une séquence d’autres qualificatifs définitoires du profil de Dilma Rousseff : « énergique », « pointilleuse », quelqu’un qui est « obsédée par les objectifs » et « dévore des ouvrages ». Cette séquence de qualificatifs produit une image générale d’un profil intense et excessif. Bien que l’expression « dévorer des ouvrages » renforce l’idée de son habitude et de sa constance dans la pratique de la lecture, de son goût pour les livres, et bien que cette métaphore intensificatrice produise un effet généralement positif pour ses diverses occurrences au sein d’autres contextes, dans le texte présent, étant donné la relation avec les autres qualificatifs de son profil, cette intensification est plutôt au service de la caractérisation de traits de personnalité dysphoriques et de biais sexiste. En particulier, les expressions « obsédée par les objectifs » et « dévore des ouvrages » établissent un parallèle à la fois syntaxique et sémantique. Le choix des verbes « obséder » et « dévorer » marque aussi bien l’informalité de l’allusion que l’intensité de l’action décrite. Se référer à la présidente ne requiert de la sorte ni formalité ni modalisation. Ces deux choix lexicaux pointent une certaine disproportion ou un déséquilibre de sa pratique, ce qui annule en partie l’effet exclusivement positif que cette présentation pourrait générer.

Lorsque Dilma Rousseff est désignée comme « lettrée », deux traits du bon lecteur s’affirment : celui de lire et celui de la sélectivité de la qualité de ce qu’il lit. L’énumération des genres, des titres et des auteurs de prestige qui compose la description de Dilma Rousseff comme « lettrée » – des poèmes, d’Adélia Prado à Fernando Pessoa ; des romans, de Machado de Assis à Honoré de Balzac – signale un éclectisme sélectionné : elle lit de tout, mais pas n’importe quoi.

La description de ces traits pourrait être exclusivement interprétée de manière positive, si ce n’était le contexte plus ample de l’énonciation de même que les formes d’expression utilisées dans la formulation de cette description, dont l’interprétation s’inscrit constitutivement dans une mémoire. Lire beaucoup, lire de la fiction, surtout des poèmes et des romans, fait écho aux représentations de la femme lectrice, qui ont particulièrement foisonné durant le XIXe siècle européen et qui ont abusivement constitué une partie significative des stéréotypes circulant sur ce thème, à savoir une lecture compulsive, frivole, pour se divertir, voire s’évader de la réalité, parmi les formes régulières de représentation de la femme lectrice, qui se renforcent surtout dans l’Europe du XIXe siècle, figure :

[...] la femme qui lit, d’ailleurs, lit toujours trop. Elle est dans l’excès, dans la transe, dans le dehors de soi [...] Elles lisent toutes, elles lisent trop, elles lisent de tout. [...] Les lectrices se multiplient. Et l’hystérie augmente. Femmes-livres-hystérie. Généralement, seules les femmes peuvent devenir hystériques. Pour les médecins, les hommes, quand ils deviennent trop ‘intellectuels’, agités, angoissés, souffrent plutôt d’hypocondrie, une maladie loin du sexe et de la nature génitale antagonique de l’hystérie . (Adler & Bollmann 2006 : 15-17)

Pour cette raison, les énumérations d’œuvres et d’auteurs de la littérature ainsi que les intensificateurs qui qualifient sa pratique se prêtent également, et peut-être avant tout, à cette caractérisation stéréotypée et négative du profil de Dilma Rousseff :

Fascinée par les livres, la présidente a affolé ses assesseurs à cause d’un abat-jour. Lors d’un voyage à Madrid en 2012, elle a successivement refusé plus de trois abat-jours, car aucun d’entre eux ne lui convenait pour sa lecture de chevet. Quand elle n’a pas un livre ou un rapport pour lire, Dilma prend un roman de Georges Simenon pour améliorer son français25 (Rosa 2015).

Si réellement cette information est digne d’intérêt, quelle raison justifierait son énonciation dans la présentation du profil de la présidente, juste après l’investiture pour son second mandat, dans un journal à grand tirage, alors que l’information qu’elle apprécie la lecture n’était plus une nouveauté ? Cette évocation de la lecture avant le sommeil, au lit, et du livre de chevet actualise une autre image assez consolidée de la femme lectrice. Lieu d’intimité par excellence, le lit devient aussi l’un des lieux les plus représentés en peinture et en photographie pour les femmes lectrices26. En revanche, cette même situation intéresse moins les pinceaux ou les objectifs des artistes lorsqu’il s’agit d’hommes. Bien qu’aujourd’hui cette information dénote une des habitudes du bon lecteur, son mode de formulation secondarise l’affirmation que Dilma Rousseff aime lire avant son sommeil, pour mettre en évidence justement l’excentricité de sa personnalité, excessivement exigeante, obsessive, irascible et antipathique. Ces mentions sur la façon de lire de Dilma Rousseff (elle  lit tout , lit beaucoup, dévore des ouvrages, est fascinée par les livres), bien qu’elles répondent à l’imaginaire occidental sur la nature même du ‘lecteur’, se convertissent progressivement, dans ces textes médiatiques, en représentations ambiguës, dont la déconstruction de l’ambiguité contextuelle dévoile une conception plutôt négative de la pratique et du sujet qui l’exerce. Plusieurs de ces articles présentent la lecture comme le symptôme allégué pour révéler une personnalité compulsive, incontrôlée, maniaque, en somme hystérique. Lors de la procédure du coup d’État parlementaire, les références à Dilma Rousseff comme lectrice, avec ce biais féminisant négatif, n’ont pas manqué :

Sans temps, Dilma est passée de la lecture frénétique des livres à l’analyse minutieuse des votes à la Chambre des députés, où une commission de 65 membres déterminera son sort27 (Rosa 2016).

Depuis sa destitution, il y a 73 jours, Dilma s’est vue obligée [...] de transférer son bureau à la bibliothèque de l’Alvorada [...] Face au scenário peu encourageant, elle tente de se détendre. Elle consacre plus de temps à la lecture et aux séries sur Netflix, des vices auxquels elle s’est adonnée plus fréquemment depuis son retrait de la présidence [...] Lorsqu’elle est inquiète, elle quitte la bibliothèque et va retrouver les assesseurs dans les salles de réunion [...] « Elle cherche une occupation, mais elle n’a pas grand-chose à faire », confie l’un des visiteurs ordinaires28 (Dias 2016).

La lecture, qualifiée ici de « frénétique » (Rosa 2016), de « vice » et nivelée par la mention « séries de Netflix » (Dias 2016), n’est pas présentée comme une pratique avant tout positive. La bibliothèque ne semble pas non plus avoir été reprise sous ses traits symboliques les plus euphoriques. Elle devient le lieu provisoire de l’attente, le lieu de qui « n’a pas grand-chose à faire ». Les symboles fondamentalement euphoriques du livre, de la lecture, de la bibliothèque sont traités de manière assez oblique, comme des objets, des pratiques et des espaces frivoles. Le propre trait valorisant de la lecture, en tant que forme de divertissement de bon goût, est alors utilisé de manière à produire un autre effet de sens, moins positive, la lecture comme une forme de relaxation, comme un divertissement futile, comme un signe d’indolence face au « peu à faire », ou ironique et fataliste, eu égard à la destitution inévitable de Dilma Rousseff, comme l’affirmaient à l’époque les prévisionnistes professionnels des médias.

Ce temps consacré à la lecture ne correspond ni à l’oisiveté productive ni à l’oisiveté lettrée, qui jouissent d’un prestige culturel. Dans ce contexte résonne inévitablement l’écho de la division culturelle traversée par le genre. Tout au long de l’histoire, les femmes ont été placées en marge de la culture écrite et, une fois autorisées, elles n’ont eu d’abord accès qu’au savoir élémentaire – la lecture étant vue comme une activité plus passive, mais aussi plus facile à contrôler par les parents, les tuteurs et les maris, que l’écriture. Longtemps, les ouvrages destinés aux femmes étaient exclusivement des œuvres religieuses qui formaient moralement les jeunes, les épouses et les mères, jusqu’à ce que des textes de divertissement plus mondain tombent dans le goût féminin, comme les romans, qui, d’ailleurs, ont été tout autant méprisés29. De ce fait, une fois conquis le droit de lire, la pratique féminine de la lecture ne bénéficiera pas de la même valeur que la lecture masculine. Les choix de lecture de Dilma Rousseff et sa façon de lire seront systématiquement circonscrits et méprisés. À cet effet, les termes spécificateurs employés ne relèvent aucunement du hasard. Sa pratique de lecture étant qualifiée de « frénétique », décrite comme un « vice », la présidente est représentée comme une personne qui lit de manière inappropriée et selon les stéréotypes de genre : une lecture très « féminine » pour sa fonction publique (lisant tout, dans les moindres détails) comme pour l’appréciation de la littérature (lisant de tout, de manière frénétique, pour se divertir et s’évader). De la sorte, le prestige que sa condition de lectrice pourrait lui octroyer pour l’exercice de la politique se trouve annulé.

3.3. Sexuation et hiérarchisation des lectures : des lectures féminines, privée et de l’intime pour les femmes

Comme je l’ai déjà mentionné, même si beaucoup a été dit sur Cardoso en tant que lecteur, le fait que rien n’ait été dit sur la façon dont il lisait les textes techniques durant l’exercice quotidien de sa fonction, lorsqu’il était à la présidence, est loin d’être anodin. Les références à ses lectures se bornent aux ouvrages de teneur politique, académique, proféssionel. Ainsi, pour être un homme ou un intellectuel, et professeur, les spécificités concernant sa façon de lire les textes avec les finalités pragmatiques exigées par sa fonction n’ont pas été mises en avant. Contrairement à Dilma Rousseff, Cardoso a invariablement bénéficié du présupposé favorable qu’il lirait comme il se doit les textes inhérents à l’exercice de la fonction présidentielle. De surcroît, eu égard à sa formation et à son activité académique formelle, les commentaires sur ses lectures réitèrent le bon goût, la pertinence et l’adéquation avec ses fonctions publiques. De la sorte, la fréquence de ses représentations dans ses lectures académiques s’expliquerait par la séparation historique et culturelle entre le public et le privé, ainsi que par la reproduction de cette séparation dans la distribution par genre de qui devait occuper ces espaces. Même si cette division est fallacieuse, les lectures philosophiques et politiques attribuées à Cardoso concerneraient l’espace public, et la lecture de la littérature, souvent réitérée à propos de Dilma Rousseff, serait réservée au privé. Qui plus est, alors que Dilma Rousseff et Cardoso ont quitté la présidence, ce dernier est et continue à être décrit comme une personne qui lit pour agir dans la vie publique, comme un faiseur d’opinion, un intellectuel, un politique et écrivain, alors que pèse, sur Dilma Rousseff, un silence assourdissant, éventuellement rompu par un article quelconque informant de sa lecture d’une œuvre ou d’un auteur fictionnel.

En regard des références aux textes scientifiques et classiques pour la caractérisation du profil de lecteur de Cardoso, l’importance accordée à la lecture des œuvres littéraires fictionnelles pour parler de Dilma Rousseff en tant que lectrice ne semble pas non plus être le fruit du hasard. Le parallélisme entre public/actif versus privé/passif, qui est récupéré dans les formes de représentation de ces deux figures politiques par rapport à leurs pratiques de la lecture, est donc sensible. Cet accent reproduit, dans une certaine mesure, cette division ancienne et stéréotypée entre les lectures masculines et féminines, quoique les références dans le cas de ces deux anciens présidents soient toutes classiques et donc hiérarchisées par rapport à d’autres pratiques et sujets.

À vrai dire, cette reproduction du stéréotype du lecteur au féminin ne se reflète pas simplement dans cette division des types de textes qui est mise en évidence lorsque l’on parle de ces politiques en tant que lecteurs, elle se trouve diluée dans la façon dont sont qualifiées leurs formes d’appropriation.

Conclusions : Discours sur la lecture, discours sur la politique, discours genré

En général, et en regard des ces protocoles médiatiques de représentation des anciens présidents Cardoso et Lula da Silva, Dilma Rousseff est moins souvent mentionnée en tant que lectrice. Les textes présentant une référence plus directe ou même une brève allusion à sa condition de lectrice se construisent selon une ambiguïté, souvent dérisoire, et similaire à la manière dont Lula da Silva est représenté. Sa condition de lectrice est invariablement niée, relativisée ou presentée de façon négative.

Dans les échelles symboliques de qualification de la lecture, la lecture fonctionnelle, à des fins techniques liées au travail, bien que jouissant davantage de prestige dans l’actualité, n’est pas du même ordre que l’image idéalisée du lecteur érudit désintéressé, qui lit par plaisir. Néanmoins, que ce soit la lecture attentive et rigoureuse des textes techniques exigés par la profession ou celle récréative d’œuvres consacrées, la description de Dilma Rousseff comme lectrice par les textes des médias traditionnels manifeste une atténuation du caractère positif de ces pratiques, voire son inversion.

Les énonciateurs, lorsqu’ils font référence à Dilma Rousseff en tant que lectrice, entreprennent, dans certains textes, un véritable jonglage rhétorique pour soutenir des effets d’objectivité. Leurs dires explorent un espace ténu entre la description et l’opinion à valeur negatif : a) en tant que lectrice fonctionnelle des textes techniques (rapports, avis, lois, etc.), Dilma Rousseff est présentée comme un sujet qui ne domine pas les pratiques de lecture de la fonction, et sa façon de lire ces documents est donc excessive, exagérée, inapte et inutile ; b) en tant que lectrice lisant par habitude et plaisir des textes surtout littéraires, de façon désintéressée, comme l’exige le protocole du bon lecteur, Dilma Rousseff est aussi présentée négativement, en actualisant d’anciens stigmates sur le comportement du lecteur au féminin, évasif, frivole et hystérique.

Par le biais de l’analyse de ces discours sur la lecture, sur les hommes et les femmes, et d’autres discours qui nous objectivent et nous subjectivent socialement et culturellement, « nous devons à notre tour chercher à dégager de la contingence historique qui nous fait être ce que nous sommes des possibilités de rupture et de changement » (Foucault 2000 : 348). Ces divisions genrées, et à cause de cela hiérarchiques, sont largement incorporées par nous tous et persistent grâce à l’efficacité de leur reproduction et de leur naturalisation, assurées par des moyens divers. Les médias représentent un acteur majeur de ce processus, tant et si bien qu’il convient d’analyser à la loupe leurs mécanismes dans la reproduction de ces logiques qui consolident ces hiérarchies dans la société brésilienne.

La représentation de Dilma Rousseff dans les deux journaux étudiés montre, par rapport à la description de son profil de lectrice, un biais sexiste, qui est explicité selon des nuances et des degrés divers : au travail, elle est une femme compulsive, exagérée et autoritaire, peut-être hystérique ; à la maison, une femme cultivée et sensible, mais qui lit aussi des auteurs et des ouvrages subversifs et inadéquats, ainsi que des fictions pour se divertir et s’évader. Nonobstant l’impossibilité de réitérer, contrairement aux siècles précédents, le rôle moralement dangereux de la lecture pour les femmes, d’autres lieux communs de longue date, basés sur la division et les hiérarchies de genre en vigueur à cette époque sont toujours mobilisés. Ils ne sauraient composer l’unique clé explicative des énoncés sur le profil de lecteur de Dilma Rousseff ou sur son profil en général. Il n’en demeure pas moins que leur potentiel symbolique, leurs échos idéologiques tenaces et leurs formes d’expression réactualisées dans ce qui a été énoncé et s’énonce sur la première et – très probablement encore pour longtemps – unique femme à avoir occupé la présidence du Brésil, ne sauraient être minorés. Le prestige que sa condition de lectrice pourrait lui octroyer pour l’exercice de la politique est tout simplement annulé.

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Notes

1 Cette recherche a été développée, de 2017 à 2018, dans le cadre d’un post-doctorat à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, avec le soutien de la Fondation d’Appui à la Recherche dans l’État de São Paulo – FAPESP (2016/06724-9). Retour au texte

2 Le concept de représentation, selon Roger Chartier, « en ses acceptions multiples, est l’un de ceux qui permet de comprendre avec le plus d’acuité et de rigueur comment se construisent les divisions et les hiérarchies du monde social. [...] Les représentations qui fondent les perceptions et les jugements, qui gouvernent les façons de dire et de faire, sont tout aussi « réelles » que les processus, les comportements, les conflits que l’on tient pour « concrets ». (2011 : 7). Et l’historien insiste : « La réflexion sur la construction des identités masculines et féminines par les représentations est une illustration exemplaire de l’exigence qui traverse aujourd’hui toute pratique historique : comprendre, à la fois, comment les représentations, qu’elles soient énoncées, figurées ou agies, définissent les rapports de domination et comment ces représentations sont elles-mêmes dépendantes des ressources inégales et des intérêts contraires que peuvent mobiliser ceux dont elles légitiment le pouvoir et celles dont elles doivent perpétuer la sujétion. » (Chartier 2011 : 11). Retour au texte

3 Dans les médias brésiliennes, Fernando Henrique Cardoso est souvent référencé par l’acronyme de son nom « FHC »; Luiz Inácio Lula da Silva, par son surnom « Lula »; et Dilma Rousseff, par son prenom « Dilma ». J’ai adoptée les designations d’usage plus fréquente aux médias françaises: « Cardoso », « Lula da Silva » et « Dilma Rousseff », à l’exception des citations des extraits du corpus. Retour au texte

4 Lors de la dernière élection, après le coup d'État qui a destitué Dilma Rousseff de la présidence, bien qu'il ait été possible d'explorer des aspects du profil de lecture des deux principaux candidats à la présidence – l'un, un professeur universitaire, de gâuche, du même parti que Lula da Silva, l'autre un ex-militaire, d’extreme-droite – cet aspect semble avoir cessé d'être un sujet d'intérêt médiatique ou d'intérêt public. Retour au texte

5 À titre d’exemple, le Brésil a été le pays qui a reçu le plus d'esclaves africains et le dernier du monde occidental à abolir l'esclavage. Nos premières lois sur l'éducation interdisaient l'accès aux esclaves à l'école, ce qui n'a pas changé dans les premières décennies après l'abolition. Retour au texte

6 À propos de ces appropriations du capital culturel, voir Bourdieu (1979 ; 1998) et Bourdieu & Passeron (2004 ; 2011). Retour au texte

7 Et surtout au moment de sa déstitution, comme à bien montré Possenti (2018). Retour au texte

8 cf. Abreu (2008a) ; Fabre (2000) ; Adler & Bollmann (2006) ; Jinzenji (2010) entre autres. Retour au texte

9 Ces enoncés constituent un corpus plus large des textes des médias sur le sujet des pratiques de lecture des les trois présidents brésiliens concernés dans mon étude comparative. Moins de 15%, des près de 400 textes du corpus, étaient dédiés à Dilma Rousseff. Ils datent notamment de la fin de l'élection de 2010 et de la période de son processus de destitution, en 2016. Ils ont été selectionné a partir des moteurs de recherche disponible sur le site des magazines et journaux consultés, et a partir du croisement d’une série des mots de passe, par exemple, les noms propres des ces présidents concernés et les mots ‘lecture’ ; ‘livre’ ; ‘bibliothèque’ ; ‘litérature’ ; le verbe ‘lire’ conjugué etc.  Retour au texte

10 À côté du journal O Globo, ces deux journaux sont considérés les plus influents médias de presse quotidienne du Brésil. Selon le IVC - Institut Vérificateur d’Audience, Folha est le journal de plus grande circulation au Brésil. Il a atteint, en juin 2020, le taux de circulation des 338.675 exemplaires commercialisés par jour (imprimés et digital). Le journal Estadão, à son tour, est le troisième, au pays, en chiffre de circulation. Il a comptabilisé 240.093 exemplaires. Retour au texte

11 Le journal O Estado de S. Paulo a plus souvent abordé ce thème que Folha de S. Paulo, ce que j’ai précisément cherché à représenter dans la sélection des énoncés analysés dans cet article. Lorsque j’ai recouru à plusieurs exemples d’énoncés, j’ai choisi de les disposer chronologiquement selon la date de leur publication. Retour au texte

12 Cf. Curcino (2016), où j’analyse l’un des rares documents relatifs au profil lecteur de la présidente qui ont circulé avant sa candidature et son élection en 2010 : un montage vidéo dérisoire, qui exploite critiquement les déclarations de Dilma Rousseff à propos de la lecture. Retour au texte

13 En portugais : « De todas as diferenças entre a presidente eleita, Dilma Rousseff, e o seu antecessor, Luiz Inácio Lula da Silva, uma das mais marcantes é sólida formação literária da próxima ocupante do Palácio do Planalto. » Retour au texte

14 En portugais : « Brasília tem dificuldade de se adaptar à troca de um presidente que “tocava de ouvido” por uma que lê todas as notas da partitura. O que para Luiz Inácio Lula da Silva era intuição, para Dilma Rousseff é um processo de mascar detalhes até chegar à decisão [...] oito anos atrás uma das perguntas típicas quando Lula assumiu a presidência era: “Quantas páginas você acha que ele lê por dia?” » Retour au texte

15 En portugais : « Diferentemente de Lula, Dilma lê os jornais e se importa com o que sai publicado neles, explica uma fonte palaciana que prefere não se identificar. » Retour au texte

16 En portugais : « O ex-presidente Luiz Inácio Lula da Silva recusava-se a ler o calhamaço antes dos encontros. Ele pedia um resumo do que era importante a seu chanceler, Celso Amorim, e mandava distribuir a papelada “a quem não tivesse nada para fazer”. A presidente Dilma Rousseff, ao contrário, lê tudo. Mas não gosta. E reclama, quase sempre. » Retour au texte

17 En portugais : « Antes leitora contumaz da imprensa, ela já não lê mais os jornais brasileiros como fazia todas as manhãs na hora do café. Vez ou outra, até navega por notícias internacionais. Mas só. Com bastante frequência, é algum assessor que lhe chama a atenção para algum assunto específico na mídia. Assim, Dilma repete o hábito de seu antecessor, Luiz Inácio Lula da Silva, que considerava que a imprensa só trazia más notícias e achava melhor ignorá-las. » Retour au texte

18 En portugais : « Se a economia aproxima Dilma Rousseff de José Serra, o interesse pela psicanálise une os dois a Marina Silva. [...] Dilma é aficionada por romancistas cujo traço comum é a capacidade de criar personagens com enorme densidade psicológica, como Machado de Assis, Guimarães Rosa, Honoré de Balzac e Émile Zola. [...] Dilma leu toda a Comédia Humana, que reúne 91 romances, contos e ensaios. Dilma, incentivada pelo pai, leu muito na infância e na adolescência, mas continua lendo com notável voracidade. » Retour au texte

19 cf. Bayard (2007). Retour au texte

20 cf. Foucault (1971). Retour au texte

21 En portugais : « Detalhista, Dilma lê linha por linha de todos os projetos e manda refazê-los várias vezes. Os vazamentos de informações, [...] irritam a presidente, que não suporta disputas veladas entre auxiliares - ela está convencida de que muitos desses vazamentos têm por trás esse objetivo, sobretudo na equipe econômica. Beira o ódio presidencial a quebra da regra que não permite que ministros comentem temas de pastas alheias. Dilma ficou furiosa, por exemplo, com o ministro do Desenvolvimento, Indústria e Comércio Exterior, Fernando Pimentel, depois de ler nos jornais uma parte do projeto da política industrial, o Plano Brasil Maior, só divulgado no início da semana passada. Na solenidade de lançamento, no Planalto, a presidente anunciou o projeto como seu, e não do ministério, o que ofuscou a imagem de Pimentel. Em quase todos os ministérios há projetos aguardando o desembargo presidencial. » Retour au texte

22 Ce discours, qui essentialise la pratique de ‘lire beaucoup’ comme une caractéristique prioritairement féminine, remonte surtout au XIXe siècle, où il s’est extrêmement répandu. Cette essentialisation émerge sous des jugements de valeur sexistes qui, selon Adler & Bollmann (2006 : 15) voient d’un mauvais œil l’élargissement « de la sociabilité et [des] échanges entre femmes [...] Commence alors à s’installer la litanie masculine, qui deviendra obsédante et récurrente tout au long du XIXe siècle, de la “femme qui lit trop” ». Retour au texte

23 En portugais : « A presidente é disciplinada. Costuma ler extensos relatórios do Banco Central ou do Planejamento. É um bom hábito, embora consuma muito do seu tempo. Para resolver seu problema de administração política terá de modular sua agenda e encontrar um ponto de equilíbrio entre leitura e conversas. » Retour au texte

24 En portugais : « Ela quer ser chamada de presidenta; enérgica e detalhista, encasqueta com metas, mas não esconde o lado zen: faz meditação, aprecia óperas, devora livros e se diverte com os seus dois cachorros. [...] Literata. Na prática, ela lê tudo o que cai em suas mãos: de poesias de Adélia Prado a Fernando Pessoa; de romances de Machado de Assis a Honoré de Balzac. » Retour au texte

25 En portugais : « Fascinada por livros, a presidente também já deixou auxiliares em pânico por causa de um abajur. Numa viagem a Madri, em 2012, ela chegou a rejeitar mais de três abajures, porque nenhum deles iluminava a contento sua leitura de cabeceira. Quando não tem livro “na fila” ou relatório para ler Dilma pega na biblioteca um romance de Georges Simenon para treinar o francês. » Retour au texte

26 Cette tendance s’affirme progressivement à partir du XVIIIe siècle. Cf. Adler & Bollmann (2006 : 33-35). Retour au texte

27 En portugais : « Sem tempo, Dilma trocou a leitura frenética de livros pela análise minuciosa de mapas de votação na Câmara, onde uma comissão com 65 deputados vai definir o destino do impeachment . » Retour au texte

28 En portugais : « Desde que foi afastada do cargo de presidente da República, há 73 dias, Dilma foi obrigada a [...] transferir seu escritório para a biblioteca do Alvorada [...]. Diante do cenário pouco animador, a petista tenta relaxar. Dedica-se mais à leitura e a séries no Netflix, vícios que conseguiu retomar com mais frequência somente ao ser afastada da Presidência. [...] Quando está inquieta, deixa a biblioteca e vai procurar os assessores nas salas de reuniões [...]. “Ela procura trabalho, mas não tem muito o que fazer”, confidencia um dos visitantes corriqueiros. » Retour au texte

29 Selon Abreu et al. (2005 : 3), ce genre émergent et à grand succès a fait l’objet de plusieurs critiques de différents ordres. Leur lecture signifiait une perte de temps, un risque d’affaiblissement moral et de dissolution des mœurs, un danger, surtout pour les femmes, considérées comme « des êtres régis par l’imagination, enclins au plaisir, et sans occupations solides qui les éloigneraient des troubles du cœur, [leur lecture] ne servirait qu’à accroître l’emprise des sentiments et de l’imagination sur leur esprit ». Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Luzmara Curcino, « La femme qui lit : stéréotypes sexistes dans les représentations de Dilma Rousseff en tant que lectrice dans les médias au Brésil », Textes et contextes [En ligne], 15-2 | 2020, publié le 15 décembre 2020 et consulté le 19 avril 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=2935

Auteur

Luzmara Curcino

Professeure au Département de Lettres et au Programme de deuxième cycle (Maîtrise et Doctorat) en Linguistique de l’Université Fédérale de São Carlos (UFSCar), Rodovia Washington Luis, Km 235 CEP 13.565-905, São Carlos-SP-Brésil

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