Introduction
« L’effort constant et acharné pour construire et réparer les contours de la sphère féminine rend en quelque sorte évident son caractère socialement construit » (Kerber 1988)1. Les spécialistes de l’histoire des femmes n’ont eu de cesse de questionner les espaces à la fois concrets et insaisissables dans lesquels les femmes se mouvaient et où elles déployaient leurs activités. Par opposition aux hommes, conventionnellement situés en dehors du foyer, dans le domaine politique, elles ont ainsi souvent été associées à l’intime. Par conséquent, ce qui se trouve « à l’intérieur », caché et parfois secret, semble relever des attributions des femmes ; cela englobe le rapport aux autres, via des liens affectifs forts – et parfois sexuels – ainsi que le rapport à soi et à son corps. La délimitation de ces univers, ainsi que l’affectation des femmes à celui de l’intime, a pu se produire grâce au recours à la « métaphore des sphères » (Ibid.) ; les sphères représentaient des domaines séparés mais complémentaires, envisagés sur un mode binaire, dans l’optique d’une hiérarchie sexuée. Dans cette approche, véhiculée par la science, la politique, la religion, et bien d’autres, on trouvait d’un côté ce qui relevait de la sphère privée et de l’autre, ce qui relevait de la sphère publique. Cette polarisation, notamment axée autour d’une dichotomie entre production et reproduction, a été utilisée pour soutenir une différenciation nette entre hommes et femmes afin de leur assigner différents rôles politiques et sociaux, dans l’optique d’une « utilisation harmonieuse des compétences et de la complémentarité des deux sexes pour le plus grand bien de la société toute entière » (Perrot 1998 : 387).
L’Américaine Linda Kerber a fort justement montré que le paradigme des sphères avait été utilisé et renforcé par la communauté historienne pour désigner les espaces féminins et masculins mais qu’il constituait bien une construction, attentatoire à une lecture raisonnée de l’histoire des femmes. À cet égard, l’étude du discours et du militantisme des femmes conservatrices américaines concourt à démontrer la persistance de la notion de « sphères », mais aussi ses limites. En effet, à travers l’exemple de l’organisation Eagle Forum de la militante Phyllis Schlafly (1924-2016), on observe que ce qui relevait de l’intime dans les années 1970-80 – et notamment la cellule familiale – avait trait à un combat politique et constituait souvent le socle de leur action collective. Agissant en dehors de ladite sphère féminine, et alors même qu’elles tentaient de préserver cette répartition, les conservatrices faisaient montre de la perméabilité des domaines assignés arbitrairement aux deux sexes. La politisation de l’intime et l’engagement militant des femmes est une réalité historique incontestable pour qui s’intéresse à l’histoire du conservatisme féminin (voir par exemple Luker 1984 ; Klatch 1987 ou Nickerson 2012).
Le schéma social des sphères séparées a ainsi été instrumentalisé par les femmes pour conquérir de nouveaux territoires et politiser leur action. Le politiste Jacques Lagroye définit le processus de politisation comme « la transgression de la distinction institutionnalisée et vécue entre ordres d’activités » (Lagroye 2003 : 365) ; il s’agit donc de reconvertir en termes politiques la finalité assignée à une action. Aux États-Unis, la question du statut des femmes fut centrale dans les années 1960-70 lorsque féministes et conservatrices s’affrontèrent pour politiser des sujets relatifs au privé ; les premières récusaient les injonctions faites aux femmes tandis que les secondes défendaient la place soi-disant naturelle des femmes dans le foyer et les avantages que ces dernières en tiraient. Dans le discours socioculturel de la guerre froide véhiculé par les institutions politiques, la culture populaire et les médias, la polarité entre foyer et monde extérieur était très nette. Alors même que les femmes avaient gagné du terrain pendant la Seconde Guerre mondiale – notamment dans le monde du travail, au moment du départ des hommes mobilisés pour le front – et que le foyer n’était plus, depuis quelques années déjà, la seule préoccupation de nombre d’entre elles, la fin des années 1940 et la décennie des années 1950 étaient caractérisées par la prégnance d’un schéma familial dans lequel femmes et hommes étaient de nouveau encouragés à prendre en charge des domaines séparés2. De vives pressions sociales pesaient sur les femmes pour adopter le modèle de la famille nucléaire, qui enjoignait aux épouses de s’occuper de la bonne tenue du foyer tandis que leur époux devait, lui, s’assurer de la survie économique de sa famille. L’ouvrage de la journaliste Betty Friedan, The Feminine Mystique (1963), souligna plus tard le sentiment d’aliénation partagé par de nombreuses femmes au foyer dans les banlieues blanches aisées au regard de cet idéal domestique.
En dépit de ce discours omniprésent, la période était pourtant marquée par des impulsions contraires concernant l’arrangement privé au sein des couples. L’historienne Joanne Meyerowitz explique par exemple que les thèses des chercheurs divergent quant à la place qu’occupait la sexualité, davantage visible, mais aussi plus fermement régulée ; entre « endiguement sexuel » (sexual containment) et « libéralisme sexuel » (sexual liberalism), la société américaine était en proie à un changement de modèle concernant les normes et comportements sexuels (Meyerowitz in Hewitt 2005 [2002] : 387-390)3. Cette intersection entre différentes tendances, typique d’une phase de redéfinition des mœurs, voyait donc coexister de nouvelles pratiques dans l’intimité des couples, en parallèle à un discours socioculturel normatif sur le mariage.
Le défi des féministes était donc de normaliser de nouveaux comportements, tout en atténuant la force du discours patriarcal, et d’unir les femmes, malgré leurs différences identitaires en matière de classe sociale et d’origine ethnoraciale. Si les expériences individuelles étaient diverses, les femmes avaient toutes en commun leur relation avec les hommes – que ce soit au sein de la famille ou en dehors – et celle-ci était appelée à devenir le fondement d’une identité genrée (William Chafe in Cott (ed) : 2000). Grâce aux actions des militantes de la National Organization for Women (NOW), et à des initiatives comme les groupes de discussion informels (consciousness raising groups) mis en place par le mouvement de libération des femmes vers la fin de la décennie, des préoccupations relevant du domaine de l’intime, comme le mariage et le modèle hétéronormatif, l’accès aux moyens de contraception et à l’avortement, mais aussi les violences sexuelles sortirent de la sphère privée pour envahir le débat public4. Les féministes étaient portées par le même élan : pour Carol Hanisch, « le privé [était] politique » (Hanisch 1969) et pour Kate Millett, « le sexe [était] une catégorie statutaire aux implications politiques » (Millett 2016 [1970] : 23)5. Dès lors, le patriarcat, entendu comme la domination systématisée de l’homme sur la femme, se discutait à l’échelle nationale, alors que le féminisme appelait de ses vœux l’émancipation des femmes par le travail, l’éducation, la connaissance et la reconquête de leur corps. L’arrivée sur le devant de la scène de sujets relatifs à l’intimité tinrent également de plusieurs arrêts de la Cour suprême comme par exemple Griswold v. Connecticut (1965) et Eisenstadt v. Baird (1972) qui garantissaient un droit à la vie privée et donc le droit pour un couple marié et les célibataires, respectivement, d’avoir recours à la contraception, ou Doe v. Bolton et Roe v. Wade (1973) qui levaient la criminalisation de l’avortement au niveau national. La vie intime et personnelle des femmes était donc décloisonnée de la seule cellule familiale puisqu’elle était traitée à une toute nouvelle échelle.
Cependant, les femmes conservatrices se mobilisèrent pour préserver la vision essentialiste qui faisait de l’union de l’homme et de la femme – surtout mariés – une unité fonctionnelle. S’opposant à la vague de contestation des années 1960, et en particulier aux revendications féministes susceptibles d’affecter le féminin, elles tentaient de juguler ce qu’elles voyaient comme le déclin moral de la nation américaine. Les tensions se cristallisèrent autour d’un projet d’amendement de la Constitution, l’Equal Rights Amendment ou ERA, qui, s’il avait été ratifié par au moins trois quarts des États, aurait fait de l’égalité entre les sexes une norme nationale6. La militante Phyllis Schlafly, alors active dans le mouvement conservateur naissant, s’empara du sujet des rôles de genre et en fit son cheval de bataille7. Implantée dans le Midwest dans la ville de Saint-Louis, elle réunit les femmes conservatrices d’abord dans son groupe STOP ERA (1972) puis dans son organisation Eagle Forum (1975), pour participer à un conflit qualifié par le sociologue James D. Hunter de « guerres culturelles » (Hunter 1991)8. Avec Phyllis Schlafly, l’antiféminisme devait devenir une force collective activement engagée dans le débat sur la condition féminine.
Cet article s’intéresse donc au discours et au militantisme déployés par Phyllis Schlafly et ses semblables au sein de l’organisation Eagle Forum9. Cette recherche se fonde sur le concept de genre qui permet de saisir le degré de construction de l’identité sociale en lien avec les assignations biologiques relatives au sexe. Nous nous plaçons dans une perspective où le genre est envisagé comme le produit d’une fabrication sociale et culturelle permanente, induite par une croyance de type naturaliste en des différences sexuelles entre hommes et femmes. Nous tenterons ainsi d’évaluer la crispation de la société américaine autour du rôle associé à chaque sexe dans la deuxième moitié du XXe siècle à travers l’affrontement entre féministes et antiféministes. Ces dernières, galvanisées par Phyllis Schlafly, semblaient revendiquer une position d’ « entrepreneuses de morale », soit la possibilité de construire la norme en matière de valeurs sociales et morales (Becker 1963 : 147). L’analyse de ce rôle, au croisement des sphères privée et publique évoquées plus haut, met à la fois en évidence la contradiction entre discours et pratiques à Eagle Forum et souligne, à nouveau, le caractère problématique de la métaphore des sphères comme outil d’analyse. Cet article s’associe donc à la recherche naissante qui interroge la posture militante des femmes conservatrices américaines face aux conventions genrées. Dans un premier temps, nous aborderons l’entreprise antiféministe de protection des sphères séparées. Dans un second temps, nous nous concentrerons sur la participation des femmes à ce militantisme de type conservateur. Enfin, nous nous interrogerons sur le paradoxe de l’association de ces deux projets, à savoir la politisation du privé et la politisation des femmes, en mettant au jour les mécanismes genrés qui sous-tendent la mobilisation des conservatrices américaines.
1. Endiguer l’émancipation sexuelle des femmes et maintenir les sphères séparées
1.1. Préserver la ‘femme traditionnelle’…
Les évolutions sociopolitiques impulsées par le féminisme provoquèrent un phénomène de résistance de la part de femmes plus conservatrices, sur le plan moral notamment, alors même qu’elles abordaient elles aussi les questions privées et l’intime depuis une posture politique. Elles rejetaient en effet de manière catégorique la possibilité de l’égalité entre les sexes. Le collectif que constitua Phyllis Schlafly en 1972, STOP ERA, puis Eagle Forum trois ans plus tard, se positionnait à l’avant-garde de leur mobilisation pour la préservation des rôles de genre dits traditionnels. Contrairement à ce que défendait la philosophe Simone de Beauvoir dans Le deuxième sexe (1949), la responsable de l’organisation affirmait que la femme était « autre » : « [l]e premier prérequis dont la Femme Positive ait besoin pour obtenir du pouvoir est de comprendre les différences entre hommes et femmes » (Schlafly 1977 : 11)10. Guidée par une vision normative de la féminité, la femme conservatrice était incitée à revendiquer des différences physiques et émotionnelles que la société d’alors considéraient comme féminines ; les femmes donnaient par exemple naissance aux enfants, ce qui coïncidait opportunément avec un « instinct maternel inné » (Ibid. : 17)11. La rhétorique de Phyllis Schlafly était pétrie d’un discours conservateur biologisant, dont la sociologue Diane Lamoureux a mis en évidence certaines caractéristiques : l’altérisation, la naturalisation et la hiérarchisation (Diane Lamoureux in Bard et al. (ed) 2019 : 55)12. Ces stratégies, qui réaffirmaient par ailleurs que les relations sexuelles ne pouvaient être légitimes que dans la seule enceinte du mariage et dans l’optique de procréer, assuraient aussi le maintien d’un système de séparation et de domination. Phyllis Schlafly était ainsi la porte-parole des défenseurs de la différenciation sexuelle, qu’elle considérait comme bénéfique pour les femmes. Pour la responsable d’Eagle Forum, la condition féminine, circonscrite par le devoir maternel, faisait de la femme un individu privilégié, voire supérieur, car découlait du mariage et de la maternité une série d’avantages. Les hommes étaient notamment tenus par la loi d’assurer la sécurité financière de leur famille :
Notre civilisation judéo-chrétienne a développé des lois et des coutumes selon lesquelles, puisque les femmes ont à endurer les conséquences physiques de l’acte sexuel, les hommes doivent être amenés à endurer les autres conséquences et payer leur dû d’une autre manière. Ces lois et coutumes imposent à l’homme d’effectuer sa part du marché à travers une protection physique et un soutien financier à sa progéniture et à la femme qui portent ses enfants, ainsi qu’au moyen d’un code de conduite qui avantage et protège la femme et les enfants (Schlafly 1972)13.
Cette conception fonctionnaliste du couple nourrissait une hiérarchie entre un individu voué à quitter le foyer pour exercer une activité professionnelle et un individu qui s’y trouvait confiné. Phyllis Schlafly défendait ainsi une organisation familiale basée sur une séparation nette des sphères d’activité pour l’homme et la femme, faisant de cette dernière un être réellement privilégié selon elle14. Néanmoins, selon sa pensée, la femme se retrouvait ainsi déterminée par sa sexualité et ses fonctions reproductrices et ne tirait sa valeur que de sa contribution à la famille.
La vision traditionnelle des rôles de genre défendue par les conservatrices s’inscrivait en droite ligne du modèle familial popularisé après la Seconde Guerre mondiale mais il était avant tout un idéal. De nombreuses chercheuses soulignent ainsi le caractère éminemment construit et prescriptif de la famille nucléaire composée d’une femme au foyer et de son époux – dans leur rôle respectif de ménagère (homemaker) et soutien de famille (breadwinner) – et de leurs enfants. L’historienne de la famille Stephanie Coontz décrit les années 1950 comme une décennie « aux caractéristiques pro-famille » mais elle souligne le caractère circonstanciel, provisoire et exclusif de cette configuration familiale (Coontz 1992 : 24-28)15. D’autres examinent la manière dont les pouvoirs publics, la société et les médias avaient érigé la famille nucléaire en remède face aux incertitudes provoquées par la guerre froide (Tyler May 2008 [1988]) ou en vecteur de consommation (Cohen 2003). Le pouvoir d’achat d’une famille était ainsi à la fois une manière de signifier sa participation au rêve américain et une garantie de conformité au standard de vie des classes moyennes blanches. Les femmes conservatrices d’Eagle Forum, qui étaient dans une large majorité des femmes blanches des classes moyennes et supérieures et qui avaient donc pour la plupart un statut de femme au foyer, soutenaient et entretenaient cette construction genrée de rôles différenciés16.
1.2. …et ses intérêts socioéconomiques
À ce titre, il apparaît que la détermination des conservatrices à défendre la famille nucléaire traditionnelle témoignait d’une volonté de préserver l’agencement des relations de genre, mais également les interactions entre les classes, de manière moins explicite. L’utilisation en France de la notion de « rapports sociaux de sexe », parfois privilégiée à celle du genre, reflète ceci. Roland Pfefferkorn indique qu’elle « vise à articuler explicitement et étroitement rapports de sexe et rapports de classe, […] et à souligner la dimension antagonique des rapports entre la classe des hommes et celle des femmes (…) » (Pfefferkorn 2012 : 53). Les dimensions de genre et de classe peuvent ainsi être saisies simultanément. Pour Christine Bard, spécialiste française de l’antiféminisme, la peur de l’indifférenciation des genres cache le refus de l’égalité et du partage du pouvoir (Bard in Bard et al (eds) 2019 : 37). Les propos de Phyllis Schlafly trahissaient en effet une préoccupation pour une hiérarchie économique : « Pourquoi devrions-nous nous rabaisser [en acceptant] “l’égalité des droits” alors que nous bénéficions déjà d’un statut fait de privilèges spéciaux ? » (Schlafly 1972 : 2)17. Les motifs de la perte et de la menace parsemaient les documents véhiculés par Eagle Forum, comme l’indique le titre de la newsletter de novembre 1973, « L’ERA retire leurs droits aux épouses », ou celui d’un dépliant de 1979, « Ne laissez pas les militantes du mouvement de libération des femmes et l’État fédéral déchirer la carte de sécurité sociale de la ménagère »18. Le mouvement féministe, parce qu’il soutenait l’émancipation des femmes et critiquait leur dépendance économique, ne pouvait que compromettre la situation des femmes au foyer, selon Phyllis Schlafly : elles y perdraient en termes économiques avec la disparition du soutien financier obligatoire des maris et en termes d’influence sociale si la mère devait voir son ascendant moral disparaître. Les conservatrices défendaient donc les privilèges dont elles disposaient.
La sociologue Susan Marshall a pu tirer des conclusions similaires dans son étude des femmes anti-suffragistes du début du XXe siècle. La préservation d’« intérêts de classe genrés » (gendered class interest) qu’elle met en évidence dans ses recherches s’applique également aux femmes mobilisées à Eagle Forum, nous semble-t-il ; tout comme leurs aînées, elles « particip[aient] à la conservation de la solidarité de groupe en endossant le rôle d’arbitres culturels » (Marshall 1997 : 38)19. Il s’agissait de protéger la place des « dominants » dans une société en proie à des changements socioculturels profonds (Agrikoliansky & Collovald 2014)20. Cet élan se cristallisait autour de la famille, véritable socle de leur prestige social : elle était « un privilège symbolique : celui d’être comme il convient d’être, d’être conforme à la norme officielle » (Lenoir 2013). Ce mouvement était ainsi subtilement qualifié de « pro-famille » par ses membres et il dissimulait une lutte pour la sauvegarde des structures sociales et donc des sphères séparées associées qui caractérisaient le schéma familial idéal. Ce combat se révéla particulièrement mobilisateur pour les femmes, surtout celles qui ne se reconnaissaient pas dans les revendications féministes.
2. Vers une politisation accrue des femmes de droite
2.1. Concomitance du réveil conservateur et de la lutte antiféministe
À partir des années 1960, les féministes s’étaient attelées à déconstruire la primauté de la maternité dans la définition de la féminité. Alors qu’elles mettaient en valeur d’autres identités qu’elles estimaient plus émancipatrices, comme celle de la travailleuse, les tenantes des rôles de genre traditionnels voyaient leur pouvoir social menacé. La résistance antiféministe des années 1970-80, notamment vis-à-vis de l’ERA, mais aussi dans les décennies suivantes, offrit aux conservatrices une opportunité de réaffirmer la supériorité d’une norme culturelle concernant la famille et de fédérer les femmes conservatrices ; Phyllis Schlafly s’en fit l’architecte.
Si la lutte politique représentait un territoire inconnu pour beaucoup d’entre elles, les conservatrices n’étaient pas pour autant absentes des milieux associatifs et militants. Notre étude d’un échantillon de candidatures aux postes de responsable d’antenne d’Eagle Forum à travers les États-Unis (mentionnée en note 16) a montré que la plupart des femmes intéressées par l’organisation de Phyllis Schlafly à sa création avait eu une expérience bénévole antérieure, surtout dans les milieux religieux et scolaires mais aussi dans des associations de femmes ou de jeunesse et dans le Parti républicain. La culture valorisée du bénévolat, et plus généralement de la philanthropie, des classes aisées explique en partie cet engagement des conservatrices. L’investissement personnel des femmes en direction d’organismes sociaux et culturels était en effet un marqueur de classe, signalant une certaine respectabilité et donc un devoir situé en dehors du foyer. Le champ d’action des femmes conservatrices semble ainsi avoir été plus vaste qu’il n’y paraît. Nos conclusions rejoignent celles d’autres historiennes qui ont mis au jour les mobilisations des conservatrices et ainsi fait la preuve de leur intérêt pour la chose publique et la politisation de problèmes d’ordre privé. Michelle Nickerson a par exemple examiné les milieux de droite dans le Los Angeles des années 1950 et a révélé « une sous-culture qui émerge chez les femmes de la base, avant tout dans les coulisses du mouvement conservateur naissant » (Nickerson 2012 : xiii)21. Les conservatrices de cette époque étaient alors surtout préoccupées par la lutte contre le communisme et celle contre l’élargissement des pouvoirs de l’État fédéral, d’où leur soutien enthousiaste au candidat conservateur Barry Goldwater en 1964. Grâce à une étude ciblée du comté d’Orange, Lisa McGirr a elle aussi montré l’importance du militantisme local des conservateurs et conservatrices en expliquant comment, depuis leurs communautés suburbaines de la Sunbelt, ils parvinrent à transformer la droite en acteur politique de premier plan (McGirr 2001).
Les femmes semblent avoir été un atout particulièrement précieux, comme en témoigne la publication par le stratégiste Russell Kirk d’un livret à leur attention intitulé An Intelligent Woman’s Guide to Conservatism (1957)22. Un document des archives de Phyllis Schlafly, analysant l’essai de Kirk, montre que les hommes conservateurs avaient bien conscience du potentiel militant du sexe opposé et qu’ils exhortaient les femmes à puiser dans leur foi l’énergie nécessaire à la croisade morale portée par le mouvement23. On note ainsi que certaines femmes conservatrices s’activaient déjà en dehors de leur foyer, bien avant le cri de ralliement de Phyllis Schlafly24. Elles étaient l’avant-poste du conservatisme mais elles demeuraient paradoxalement invisibles. Cela tient du format que prenait souvent leur mobilisation. Catherine Rymph a montré qu’au sein du Parti républicain elles étaient reléguées aux tâches subalternes du militantisme, voire aux « tâches ménagères » (Rymph 2006 : 4)25. La mobilisation féminine à droite avait lieu dans les coulisses, en général loin des agitations du jeu électoral.
2.2. Les bénéfices du « capital militant » des femmes conservatrices
Dès lors, ces mobilisations antérieures indiquent que les femmes conservatrices possédaient de nombreuses ressources économiques, sociales et culturelles, autant d’armes qui facilitaient la mobilisation dans l’espace public. Si elles pouvaient compter sur le soutien financier et émotionnel de leur époux, elles avaient aussi en leur possession un « capital militant » de grande valeur qui, « incorporé sous forme de techniques, de dispositions à agir, intervenir, ou tout simplement à obéir, (…) recouvr[ait] un ensemble de savoirs et savoir-faire mobilisables lors des actions collectives, des luttes inter ou intra-partisanes, mais aussi exportables, convertibles dans d’autres univers (…) » (Matonti & Poupeau 2004). La connaissance des milieux associatifs, et parfois politiques, favorisait ainsi la création d’une palette d’instruments de mobilisation – matériels et symboliques – démultipliant le potentiel militant.
Le mouvement initié par Phyllis Schlafly contre la ratification de l’Equal Rights Amendment à partir de 1972 avait donc compté sur un contingent de femmes conservatrices déjà, pour beaucoup, rompues à l’activité militante ou au bénévolat. Véritable « agente de politisation » (Lagroye 2003 : 368), la présidente d’Eagle Forum parvint à agréger des individus aux préoccupations multiples, d’abord ses fidèles de la fédération des femmes du Parti républicain puis des femmes venues d’autres milieux militants ou religieux pour lancer un mouvement social féminin et conservateur de grande envergure. Son discours contre l’amendement pour l’égalité homme-femme devait servir à stimuler ces différentes affinités pour les diriger vers un objectif politique commun. Il était un vrai vecteur de cohésion car il concernait la lutte antiétatique, populiste et antiféministe. Comme le défend Phyllis Schlafly, l’ERA aurait décuplé les pouvoirs de l’État fédéral et aurait fait peser le coût – moral et financier – des changements socioculturels sur les Américains moyens. Pour les conservatrices, il touchait également aux fondements de la démocratie américaine en ce qu’il visait à amender la Constitution et qu’il impliquait une entente concertée d’au moins trois quarts des États fédérés pour mener à bien le processus de ratification. La force mobilisatrice de l’ERA combinée à la capacité de diffusion d’Eagle Forum – grâce à la newsletter de Phyllis Schlafly distribuée au moyen du publipostage – explique en partie l’ampleur de l’action collective des femmes conservatrices. Cet effort se concrétisa en un mouvement antiféministe qui parvint à politiser autrement la question des femmes et de la famille, comme évoqué précédemment, et à mobiliser les femmes dans un élan commun.
Le projet politique et militant de Phyllis Schlafly, centré autour de la lutte contre l’ERA, était lui-même nourri par le dynamisme du mouvement conservateur. Les historiens identifient en effet une poussée significative à droite après la Seconde Guerre mondiale ; Donald Critchlow et Nancy MacLean affirment par exemple que la coïncidence d’une mouvance anticommuniste – incarnée par le sénateur Joseph McCarthy – et d’un dynamisme chez les intellectuels conservateurs avait déclenché l’ascension du mouvement conservateur sur la scène politique (Critchlow & MacLean 2009 : 10). Il s’équipait d’organes de diffusion (notamment la revue National Review en 1955), d’un argumentaire idéologique et de leaders et il se transformait en « une force résolument militante » (Nash 2006 [1976] : xiii)26. L’antiféminisme apportait une pierre supplémentaire à l’édifice conservateur en construction en fournissant à la fois une cause mobilisatrice et un moyen de mettre à profit l’engagement féminin. À ce titre, la sociologue Rebecca Klatch pense que la particularité du mouvement conservateur à la fin du siècle était bien la place prééminente occupée par les femmes (Klatch 1987). Elles furent nombreuses à rejoindre les rangs de la droite, notamment par l’intermédiaire de l’organisation de Phyllis Schlafly, et elles participèrent à rendre le conservatisme plus acceptable en même temps qu’elles conquéraient un rôle politique. Néanmoins, leur militantisme faisait preuve d’une ambiguïté vis-à-vis des rôles de genre traditionnels, témoignant à la fois d’une adhésion aux normes sociales mais aussi d’une certaine prise de liberté.
3. Entre conformité et transgression : le sexe du militantisme27
3.1. Résolution d’un paradoxe identitaire28
Les mobilisations conservatrices féminines ont souvent été concernées par la question de la respectabilité. Conscientes d’empiéter sur un domaine qui ne leur était traditionnellement pas ouvert et par conséquent inquiètes de faire montre de leur respect des hiérarchies genrées, les femmes d’Eagle Forum avaient pris soin d’élaborer des modes d’action en conformité avec les attentes de leur temps. À cet égard, la sociologie des mouvements sociaux permet d’appréhender les mécanismes genrés de l’action collective. Pour Xavier Dunezat, le paradigme des « mouvements sociaux sexués »29, soit l’étude des pratiques sociales liées au genre à l’intérieur d’un mouvement, permet de penser les processus d’infériorisation et d’invisibilisation des femmes dans l’action collective (Dunezat 2006). Nous envisageons la mobilisation des conservatrices sous ce prisme afin de détecter les rouages patriarcaux de la machine militante.
Au sein d’Eagle Forum, cette préoccupation pour l’image se traduisait par un style militant bien particulier, incluant le féminin et le maternel comme une ressource de l’action collective. Le format militant préconisé par l’organisation n’était donc pas exempt de logiques patriarcales. Intégrer l’organisation de Phyllis Schlafly, surtout lorsqu’il s’agissait de gérer un groupe à l’échelle d’un État, impliquait d’apprendre une série de codes de conduite empreints de féminité. En 1975, le programme de la première conférence annuelle du groupe (Eagle Council) proposait par exemple un atelier de formation intitulé « Souriez, c’est une caméra cachée, session d’entraînement pour la radio et la télévision »30. Il était ainsi nécessaire de démontrer sa bienveillance et son affabilité – des traits généralement attribués aux femmes – par les expressions du visage lors d’événements publics ou au moment de communiquer avec les médias.
De même, de nombreuses activités mises au point par Eagle Forum valorisaient la féminité car les femmes étaient supposées être dotées de qualités physiques et interactionnelles. Par exemple, des documents des archives d’Eagle Forum mentionnent l’organisation de levées de fonds grâce à des pauses café ou des défilés de mode montrant ainsi les militantes en leur qualité d’hôtesses et d’organisatrices d’événements mondains31. Le corps féminin était également instrumentalisé de manière à souligner la « nature féminine », soit les « attributs qui font des femmes des êtres délicieusement différents des hommes » (Schlafly 1982 : 1)32. Alors que leurs homologues féministes rejetaient les injonctions qui régulaient l’apparence des femmes, les conservatrices construisaient un modèle de féminité par le maquillage et le port de certains vêtements. Lors d’une autre session de formation d’Eagle Forum, plus tard, en 2000, une spécialiste des relations publiques affirmait aux militantes que « l’habit fait bien le moine » et elle leur conseillait de veiller à leur poids, à leurs bonnes manières, à la hauteur de leurs talons, et même à la couleur de leur fard à paupières33 ! Le secret d’une féminité convenable résidait dans la beauté sobre, naturelle et digne, une idée qui persiste donc à Eagle Forum jusqu’à récemment.
De plus, la journaliste Carol Felsenthal, auteure d’une biographie de Phyllis Schlafly, rapporte elle aussi que « Phyllis et ses Eagles faisaient du lobbying sans relâche auprès des législateurs, armées de miches de pain faites maison (…), de pots de confitures faites maison ornés de rubans rouges (…) et de tartes aux pommes faites maison (…) » (Felsenthal 1981 : 248)34. Les logiques patriarcales à l’œuvre dans le mouvement étaient ici d’autant plus criantes qu’elles s’appuyaient sur les vertus nourricières des femmes et donc sur leur fonction maternelle. Analysée par les féministes comme un rôle potentiellement vecteur d’oppression pour le sexe féminin, la maternité était valorisée par les conservatrices comme une identité politique et un outil militant35. Elles espéraient incarner des personnages rassurants par opposition à l’image que véhiculaient les féministes. Les plus radicales avaient en effet parfois recours à des actions coup de poing que les médias n’hésitaient pas à caricaturer ; depuis la manifestation organisée contre le concours de beauté Miss America en 1968 par les New York Radical Women, au cours de laquelle elles avaient jeté dans une ‘poubelle de la liberté’ une série d’objets du quotidien symboliques de leur assujettissement, le stéréotype de la ‘brûleuse de soutien-gorge’ ternissait leur réputation (Baker Beck 1998)36. À cet égard, Phyllis Schlafly les dénigrait également ; elle exposa par exemple dans ses Phyllis Schlafly Report de mars 1978 et avril 1983 des photos d’activistes menottées et emmenées par les forces de l’ordre. En opposition aux féministes jugées incontrôlables et menaçantes, les femmes conservatrices proposaient un militantisme présenté comme plus respectable, car envisagé comme plus proche de leur missions naturelles supposées. Cette mise en scène de leur rôle de genre à travers le militantisme s’apparentait à l’idée de « performance » décrite par la philosophe féministe Judith Butler et les avantageait ici dans la démonstration publique de leur respect de la bienséance (Butler 1988).
3.2. Prises de liberté
Toutefois, le mouvement antiféministe revêtait de nombreuses ambiguïtés, naviguant entre conformité et subversion. Si les femmes conservatrices semblaient subir – consciemment ou inconsciemment – le poids des normes de genre, il existait un fossé entre leur discours et leurs pratiques. Pour celles qui préconisaient le respect des rôles de genre, faisant de la sphère privée l’espace féminin par excellence, leur activité politique constituait un paradoxe. Ce comportement transgressif, dénoncé par les féministes, permettait aux conservatrices, dans une certaine mesure, d’échapper aux carcans patriarcaux. Il révélait une certaine forme d’émancipation, obtenue par d’autres biais que le militantisme féministe. Le projet antiféministe porté par Eagle Forum était double : revaloriser les femmes au foyer au sein même du domaine privé tout en les encourageant à s’investir dans l’espace public. Se côtoyaient ainsi une rhétorique de protection des sphères séparées, bouclier émotionnel et financier des femmes dites traditionnelles et rempart contre les comportements perçus comme déviants, et une volonté de faire des femmes au foyer de véritables « décideurs politiques » (policy makers) 37. Phyllis Schlafly élaborait une nouvelle raison d’être politique et sociale pour des femmes qui pensaient leur légitimité de mères et d’épouses entamée. Cette stimulation hors du foyer offerte par Eagle Forum semblait par ailleurs tomber à point nommé pour celles qui cherchaient à développer des interactions sociales significatives avec leurs semblables. Selon une intervenante invitée à la conférence nationale de l’organisation en 1989, certaines femmes étaient entièrement dévouées à leurs enfants et à leur mari et elles étaient si absorbées par la vie du foyer que « leur cerveau se transform[ait] en porridge »38. De manière similaire dans le contexte des années 1950, l’historienne Michelle Nickerson a parlé de « femmes au foyer politiquement désespérées », avides de mettre à profit leur niveau d’instruction et de participer au projet conservateur (Nickerson 2009)39. Aussi, l’activité militante permettait-elle de développer des liens émotionnels, voire des solidarités, en dehors des frontières de la sphère dite privée.
Il existait en effet une cohésion très forte à Eagle Forum, soutenues par une série de dispositifs mis en place par la présidente de l’organisation. En tant que dirigeante, Phyllis Schlafly incitait ses militantes à interagir afin de créer des liens affectifs à l’échelle nationale, régionale et locale. Par exemple, elle avait encouragé les démonstrations de soutien lorsque l’une d’entre elles avait perdu son fils dans un accident de voiture40. Phyllis Schlafly organisait par ailleurs des événements festifs, destinés à célébrer leurs victoires ; en 1979, puis en 1982, un gala avait ainsi été prévu pour fêter l’échec de l’Equal Rights Amendment. Ces mécanismes de sociabilité permettaient de récompenser les efforts militants investis dans l’organisation et concouraient à créer un réseau soudé de militantes attentives les unes aux autres, ce que l’historienne Barbara Rosenwein appelle une « communauté affective » (Rosenwein 2002)41. Dans cette organisation de droite, Phyllis Schlafly était parvenue à créer une conscience collective et une solidarité féminine, socle d’une longévité remarquable. Cette culture féminine autorisa les femmes conservatrices à s’inventer un nouveau statut politique et socioculturel, entre repli sur le foyer et diversification des activités par le militantisme.
Conclusion
En 1972, l’Equal Rights Amendment était sur la voie de la ratification alors que plus de trente États sur les trente-huit nécessaires s’étaient prononcés en sa faveur dans l’année qui avait suivi son vote au Congrès. Les quelques lignes qui devaient amender la Constitution allaient faire du traitement égalitaire des deux sexes une réalité. Pour les femmes conservatrices, cet amendement allait sans doute bouleverser l’agencement traditionnel des rôles féminins et masculins. Cette séparation rigide était cependant, pour les féministes, le socle d’une hiérarchie genrée opprimante, quand elle n’était pas purement et simplement en contradiction avec la réalité pour beaucoup de femmes qui travaillaient et/ou n’étaient pas mariées. En effet, les rôles de genre traditionnels s’appliquaient au sein du couple hétérosexuel marié, selon un modèle idéalisé dans la période d’après-guerre. Mais, pour les conservatrices, les sphères et le statut qui leur était attaché assuraient une position sociale et culturelle avantageuse pour laquelle elles étaient prêtes à lutter.
Phyllis Schlafly avait pris la tête de cette croisade antiféministe dans les années 1970 et avait fondé une organisation destinée à mobiliser les femmes conservatrices et à véhiculer un message genré normatif. Paradoxalement, Eagle Forum contribuait, comme les organisations féministes le firent aussi, à politiser des sujets relevant du domaine dit privé et à pérenniser la participation politique des femmes. À ce titre, l’identité genrée des femmes, habituellement déployée au sein du foyer, était vecteur de militantisme politique. Dans une certaine mesure, Phyllis Schlafly avait rendu possible l’existence d’un rôle mixte – parfois transitionnel – entre le foyer et le politique42. Comme d’autres avant elle, tel le cas des Californiennes traitées par Nickerson ou celui des anti-suffragistes étudiées par Marshall, elle avait favorisé un format militant mettant l’accent sur le féminin, et même le maternel, sans ouvertement chercher à encourager leur émancipation. Au-delà du style militant, le flou sur la portée de l’engagement des conservatrices est par exemple palpable dans l’entretien que nous a accordé la présidente de l’antenne du Nevada, Janine Hansen : « Nous défendions donc l’institution de la famille, nous défendions nos enfants. Nous défendions notre droit à être femme plutôt que d’être libérée des hommes » (Entretien avec Janine Hansen, 2017)43. Le fait d’être femme, et militante, était vu comme interdépendant de la situation familiale. Aussi, ce militantisme, loin d’être un support d’avancement, restait néanmoins « conscient des questions de genre » (Schreiber 2018 : 59) et faisait de l’identité collective de femme traditionnelle une force44.
Soucieuse de ne pas donner l’impression de soutenir une certaine émancipation féminine, Phyllis Schlafly avait maquillé cet état de fait à l’aide d’une étiquette inoffensive pour son mouvement, qualifié de « pro-famille », et d’un personnage de leader charismatique caché sous les traits d’une femme au foyer modèle. Alors que l’enjeu était pour elle la conformité aux rôles de genre traditionnels, certaines dénonçaient son imposture et déploraient le fait qu’elle trahissait ainsi son propre sexe (Betty Friedan citée dans Spruill 2017 : 98)45. Phyllis Schlafly résolvait toujours la contradiction en proclamant que « les femmes [pouvaient] tout avoir, mais pas au même moment » (Entretien avec Phyllis Schlafly, 2013)46. Cependant, malgré un discours bien rôdé sur les rôles de genre traditionnels et un militantisme en apparence respectueux de ces derniers, il semblerait que la séparation des sphères ne soit pas – et n’ait même jamais été – une caractéristique tangible des femmes conservatrices, comme le montre l’exemple d’Eagle Forum.