Introduction
L’analyse des substrats intertextuels et des références extra-musicales dans les compositions du compositeur contemporain écossais John McLeod (1934-) semble s’imposer presque naturellement, tant il est vrai que son œuvre s’appuie de manière récurrente sur diverses réalités culturelles en rapport avec des œuvres littéraires, picturales et musicales précises.
La production de ce compositeur écossais, actif au Royaume-Uni depuis près d’un demi-siècle, est marquée du sceau de l’intermédialité et de l’interculturalité, dont les multiples réseaux contextuels doivent être élucidés afin d’appréhender ses compositions, lesquelles puisent autant dans le contemporain que dans l’histoire et dans le mythe. On peut mentionner des titres qui évoquent l’antiquité gréco-romaine : The Song of Icarus (1976) ou The Song of Leda (2010). On recense des œuvres qui rendent hommage à des compositeurs connus, comme Le Tombeau de Poulenc (1963) ou The Shostakovich Connection (1974). On peut enfin citer des compositions qui s’inspirent d’objets d’art ou de tableaux : The Gokstad Ship (1982), œuvre qui renvoie au célèbre bateau funéraire des Vikings trouvé dans la région de Sandefjord en Norvège, ou encore The Seven Sacraments of Poussin (1992), composition qui fait référence à la seconde série des Sept Sacrements peints par Nicolas Poussin entre 1644 et 1648.
Cette tendance à privilégier l’intermédialité entraîne plusieurs conséquences. D’une part, la signification est souvent tributaire de contenus intertextuels sous-jacents. D’autre part, en raison de cet ancrage intertextuel, la musique s’inscrit dans une dynamique narrative, qu’elle présente des marques de narrativité renforcée ou bien qu’elle se veuille accompagnement ou illustration d’œuvres existantes.
C’est ce dernier point que nous souhaitons souligner dans cet article qui s’appuie sur une analyse du recueil de quatre chants, Songs of Youth ou Lieder der Jugend, composé par McLeod en 1976 et publié chez Griffin Music en 1978. Dans le catalogue de McLeod, on trouve plusieurs cycles de mélodies qui tissent une relation étroite avec plusieurs poètes, comme le Canto Per Tre (1972) qui met en musique un sonnet d’Elizabeth Barrett Browning ou le recueil Three Poems of Irina Ratushinskaya (1992) qui s’inspire des écrits de cette poétesse déportée dans un camp de travail. Le cycle que nous proposons d’étudier dans le cadre de cet article s’inscrit ainsi dans le contexte plus large de l’œuvre vocale de McLeod qui constitue un versant extrêmement important de sa production. Nous nous réfèrerons aux lieder éponymes composés par Gustav Mahler afin de mettre en lumière la spécificité de l’œuvre de McLeod grâce à une analyse comparative qui comprendra : 1) une contextualisation de l’œuvre ; 2) une analyse de ses contenus discursifs et narratifs ; 3) un exemple d’analyse de substrats intertextuels ; 4) un exemple d’analyse mélodique contrastive. L’œuvre de McLeod étant profondément marquée par des effets de narrativité, nous postulons qu’il existe chez McLeod une forte propension à ce que l’on peut appeler une mise en récit qui est véhiculée par des parangons extramusicaux.
1. Lieder der Jugend ou l’œuvre-hommage
Les Lieder der Jugend ont été composés en 1976 et publiés en 1978. L’œuvre a été commandée par The Lothian Regional Council et elle a été créée le 15 mars 1978 à Usher Hall, à Edinburgh, par le ténor Raimund Gilvan et le Royal Scottish National Orchestra dirigé par le compositeur lui-même. Il s’agit d’un cycle de quatre chants pour ténor et orchestre, comprenant les titres suivants : « Where the Shining Trumpets Sound » (« Wo die Schönen Trompeten Blasen »), « Self-compassion » (« Selbstgefühl »), « Life of Earth » (« Das Irdische Leben »), « The Drummer Boy » (« Der Tambourg’s sell »). La durée de l’œuvre est d’environ dix-huit minutes. Il s’agit d’une mise en musique de textes poétiques en allemand.
Les Lieder der Jugend s’inscrivent dans la catégorie générale des œuvres vocales, laquelle comprend chez McLeod des mélodies ainsi que des œuvres sacrées comme son Stabat Mater, mais qui est dépourvue d’œuvres lyriques d’envergure opératique. Dans une interview, le compositeur souligne la parenté de ce cycle avec deux autres cycles – The Seasons of Dr Zhivago (1982) et The Whispered Name (1986) –, les trois cycles étant des mélodies pour voix et orchestre (Glasgow, 2011).
Les textes des quatre chants sont tirés d’un ancien recueil d’aphorismes, de poèmes et de chansons en allemand : Des Knaben Wunderhorn. Alte deutsche Lieder (Le Cor merveilleux de l’enfant). La collection fut rassemblée et éditée par Clemens Brentano et Achim von Arnim dans un but de conservation du folklore et elle fut publiée entre 1805 et 1808. Le choix de poèmes de ce recueil ainsi que le choix de la mise en musique pour voix et orchestre font immédiatement écho à Gustave Mahler qui a lui-même puisé dans cette collection pour son œuvre Des Knaben Wunderhorn (1899).
En réalité, on chercherait en vain des textes originaux tirés de cette ancienne anthologie chez McLeod, car ce dernier s’appuie exclusivement sur Mahler et puise dans les textes qui ont été traduits en anglais pour les pochettes de deux disques de lieder du compositeur autrichien (disques HQS 1346 et SAN 218). L’intertexte englobe ainsi deux recueils mahlériens : Lieder und Gesänge aus der Jugendzeit et Des Knaben Wunderhorn. La spécificité intertextuelle réside donc ici dans l’emprunt à Mahler sans recours manifeste à la source originale, donc dans une genèse intertextuelle multiple et quelque peu oblique, les poèmes mahlériens étant eux-mêmes dérivés d’un processus de réécriture entrepris par le compositeur.1
Prenons l’exemple du premier lied « Wo die Schönen Trompeten Blasen ». En réalité, Mahler combine deux textes. Il s’agit de deux poèmes en quatrains octosyllabiques : « Unbeschreibliche Freude » (Arnim, Brentano, 1979, 113-114), comprenant quatre strophes, et « Bildchen » (Arnim, Brentano, 1979, 84-85), composé de neuf strophes. Les deux poèmes étant liés par la thématique de la rupture, Mahler supprime des strophes entières et crée un tout nouveau texte.
Les deux poèmes montrent des rimes extrêmement simples : « Unbeschreibliche Freude » se fonde sur le schéma AABB BBCC BBDD EEFF, « Bildchen » sur le schéma ABCD EEEE FFGG GGGG EEEE GGHH GGII BBJJ CCGG. Cette simplicité, qui traduit une certaine naïveté de style, est partiellement défaite par Mahler qui aboutit à un poème de vingt-cinq lignes délaissant une partie de la structure originale. En effet, le nouveau schéma rimique casse la symétrie en mettant en place une structure faite de rimes reprises plusieurs fois à l’identique et de passages non rimés (NR), l’ensemble faisant apparaître la succession suivante : AABBCCCC (NR) BBB (NR) (NR) (NR) ABBDD (NR) EE FF. Le texte se dote d’un degré supplémentaire de répétitivité grâce au procédé de reprise du dernier élément énoncé dans le suivant, outil de répétition qui rappelle la structure de certaines comptines à la dorica castra : « Die morgeröt augehen » / « Die morgeröt zwei » ; « Willkommen sein » / « Willkommen liebe » ; « Auf’s grüner haid » / « Die grüner haid », etc.
La répétitivité nous met sur la piste d’un accroc sémantique ou d’une déficience. La réutilisation de la rime et les parallélismes structurels semblent aboutir à une naïveté de structure que l’on verra à l’œuvre de manière encore plus fonctionnelle dans « Self-compassion » où elle sera au service de la moquerie et de l'humour. En outre, les passages non rimés sont très éloquents. Ils attirent en effet notre attention sur trois mots – « Herzallerlieble », « Hand » et « Nachtingall » – qui deviennent dès lors trois pivots sémantiques comportant un potentiel antiphrastique qui signe, de manière quelque peu proleptique, une préfiguration de la chute du poème, à savoir la tragédie d’une rencontre impossible.
Les quatre chants de McLeod sont donc issus d’une intertextualité double. Emprunter les textes refaçonnés par Mahler traduit, certes, un hommage rendu au compositeur viennois, mais tend également à prouver que McLeod n’est pas autant intéressé par une recherche sur le folklore allemand du 19e siècle que par un dialogue avec les postromantiques de la sphère germanique comme Strauss ou Mahler. On entend dans cet hommage rendu à Mahler une mise à distance du texte original qui tient alors davantage de l’opéra, grâce à son caractère souvent proche du récitatif, et qui possède plus d’éléments en commun avec le Mahler symphonique ou avec l’opéra straussien qu’avec la tradition populaire dont les textes sont dérivés.
2. Discours, narrativité et mise en récit
Ce pont jeté entre Mahler et McLeod fait qu’il semble impossible d’appréhender son œuvre sans rendre compte du réseau de rapports intertextuels existant entre les deux compositeurs. C’est un peu comme si la composition de McLeod devenait glose ou commentaire paraphrastique, en marge de l’œuvre originale, ou comme si McLeod continuait à bâtir un palimpseste sur un palimpseste initial déjà construit par Mahler. Dans une interview, John McLeod évoque sa musique comme étant de l'ordre de l'illustration (« illustrative music ») :
Although I write a tremendous amount of non-programmatic music – I mean things that just rely on structure, there’s no story behind them – but a large part of my output is connected with literary and artistic themes. I also wrote a lot of film music in the 1980s, so that I am very much touched to illustrative music, and shapes, pictures, and events, history, and all sorts of different cultures, have, I suppose, you could say, have inspired me a lot and still do. (Glasgow, 2011)
La notion d’‘illustration’ traduit l’accompagnement d’une œuvre par une autre dans une dynamique de glose, l’illustration musicale étant une façon de redire par la musique ce qui a déjà fait l’objet d’une première représentation. Une telle conception s’apparente à ce que nous appelons la mise en récit musicale, à savoir toute forme d’effet de narrativité associée à la musique ou induite par elle, que l’on peut définir comme une incitation à interpréter l’œuvre musicale en lui assignant un sens narratif, comme si le sonore était source d’événements interprétables selon le modèle littéraire ou linguistique fondé sur la succession de faits. Si la musique à programme citée par McLeod offre un exemple très représentatif d’un tel contenu ‘illustratif’, nous pensons que l’intertextualité et l’intermédialité sont également à l’origine d’effets de narrativité dans la mesure où elles renvoient à d’autres histoires et d’autres représentations, et où elles constituent une forme d’appel à récit et à redite, une représentation seconde, proche de l’interprétation. Le terme ancien de ‘musique à programme’ n’est pas sans impliquer une certaine impuissance sémiotique de la musique, puisqu’un programme n’est qu’un pis-aller de signification. Le terme d’‘illustration’ utilisé par McLeod semble également limiter l’ampleur du potentiel de la signification musicale. Nous proposons de considérer qu’une valeur narrative, même minimale, même en tant qu’effet isolé, constitue une mise en récit et que celle-ci est toujours véhiculée et renforcée par l’intertextualité et par l’intermédialité, ne serait-ce que dans la dynamique purement illustrative évoquée par McLeod. La musique est ainsi conçue comme une forme de mise en récit minimale. Si l’on admet qu’il y a récit à chaque fois qu’il y a succession ou corrélation d’au moins deux termes2, la mise en regard d’au moins deux paramètres musicaux produit alors une forme minimale de narrativité.
De ce point de vue, les références extramusicales ne font que corroborer et enrichir une mise en récit déjà à l’œuvre en musique. Autrement dit, loin d’être une simple subordination au texte ou à l’image, comme le terme ‘illustration’ pourrait suggérer, la musique ‘raconte’ d’abord d’elle-même et en elle-même, mais elle raconte également – parallèlement et de manière concomitante – par le biais d’un réseau intermédial ou intertextuel convoqué par l’œuvre.
En outre, les textes des lieder de Mahler et de ceux de McLeod présentent certaines caractéristiques discursives et narratives dont la logique permet de souligner abstraitement l’enjeu sémantique de leurs contenus narratifs. En effet, les deux cycles s’inscrivent dans la tradition du lied narratif, qui nous livre une histoire ou pose un problème à résoudre et qui théâtralise la performance.
Chacun des quatre poèmes contient ainsi une valeur narrative textuelle qui conditionne la mise en musique, étant foncièrement liée aux effets purement musicaux. Le premier lied raconte l’histoire d’un soldat-fantôme qui revient frapper à la porte de sa bien-aimée, mais qui ne pourra jamais la revoir, étant mort sur un champ loin d'elle. Le second lied met en scène un jeune homme tiraillé par un mal dont il ne parvient pas à saisir la cause, ne s’estimant pas malade tout en n’arrêtant pas de déplorer son mal-être. Un médecin finit par établir un diagnostic, déclarant que le mal qui le ronge est en réalité sa propre sottise. Le troisième poème nous montre un enfant qui implore sa mère de lui donner à manger. La mère tente en vain de détourner l’attention de l’enfant de sa faim, et l’enfant meurt. Le dernier poème nous raconte l’histoire d’un garçon au tambour qui, ayant quitté son service, se voit condamné à mort et fait ses adieux au monde. Ces quatre histoires contiennent des éléments à la fois tragiques et comiques, des contenus narratifs simples, mais aussi des éléments ironiques ou humoristiques dont Mahler adapta les traits discursifs en changeant les textes originaux.
En termes de logique discursive, les quatre textes sont fondés sur des schèmes sémiotiques simples qui tournent autour du regret, de l’inaccomplissement et de la frustration. Ces schèmes impliquent des notions abstraites qui forment le soubassement logico-narratif du cycle : consolation/lamentation, jérémiade, supplication, lamentation/résignation. Parallèlement à ces contenus logiques, apparaissent des formes de récit spécifiques : le premier texte est un récit à la troisième personne avec dialogues ; le deuxième texte est un monologue ; le troisième texte est clairement dialogique ; enfin, le quatrième texte revient à la forme du monologue.
Le mode de récit et le contenu logique sont étroitement liés, et la manière dont les poèmes sont mis en musique est très éloquente. La forme dialoguée, par exemple, reçoit un traitement musical spécifique chez Mahler. Dans « Das Irdische Leben », l’échange entre l’enfant et la mère s’appuie sur un texte de neuf strophes, cette forme strophique étant à l’origine fondée sur un distique à rimes plates (AA BB). Mahler raccourcit le poème et fait correspondre sa structure à la logique narrative ternaire : intervention du premier personnage (P1), réponse du second personnage (P2), commentaire narratif (N). On a donc un récit à la troisième personne avec dialogues. La structure P1-P2-N – employée cinq fois dans le poème original – est utilisée à trois reprises chez Mahler et chez McLeod, ce qui produit une symétrie parfaite à trois termes : 3x3. Le type de discours se rapproche de la lamentation, la structure faisant apparaître une amplification synonymique dans laquelle chaque strophe reprend le sens initial en le renforçant.
Chez Mahler, c’est l’harmonie qui soutient la mise en récit à trois termes. La tonalité se fait hésitante, oscillant entre le mineur et le majeur. L’alternance tonale véhicule l’alternance narrative, si bien que la musique participe pleinement à la narrativité exprimée par le verbe.
McLeod insiste, lui aussi, sur trois composantes narratives (P1-P2-N) en introduisant une alternance à trois éléments. L’œuvre de McLeod n’étant pas résolument tonale, la mise en contraste des trois termes est assurée par d'autres paramètres que l'harmonie. La musique suit en effet trois caractères différents : grave – allegretto – adagio. Au formalisme ternaire ABC A’B’C’ A’’B’’C’’ (Où A :: P1 :: supplication de l’enfant ; B :: P2 :: réponse rassurante de la mère ; C :: N commentaire narratif) se superpose une structure dynamique en soufflet p-ff . Le formalisme dépend donc ici d’une alternance de caractère et de dynamique. Ainsi, on remarque un contraste important entre les passages doux et le surgissement du tutti, dans un sforzando avec triples croches en syncope et nuance ff (m.1) :
La nuance pp ou ppp est encore adoucie à la fin par l’emploi d’harmoniques (notes losangées) pour les cordes qui modifient la sonorité :
L'amplification synonymique de la structure nous confronte non à un seul climax, mais à une succession de plusieurs points culminants. Cette pluralité s’observe sur un spectrogramme qui mesure l’amplitude de l’onde sur l’axe de la durée. Les deux adaptations font clairement apparaître plusieurs moments d’intensité accrue. Chez Mahler, la régularité de la répartition est moins marquée, les acmés étant plus réguliers et plus importants chez McLeod.
On peut identifier dans cette dynamique une illustration musicale signifiante. Pour Mahler, qui changea le titre original du poème – « Verspätung » (Retard) étant devenu « Das Irdische Leben » (Vie sur terre) –, ce lied constituait une image symbolique de la vie.
Dès lors, certaines techniques musicales employées peuvent être considérées comme des outils de symbolisation impliquant des phénomènes figuratifs comme le madrigalisme. Dans « Wo die Schönen Trompeten Blasen », le piccolo fait entendre des trilles sur le mot « Nachtingall » (rossignol) :
Dans « Das Irdische Leben », la phrase mélodique se fait à plusieurs reprises ascendante, imitant le cri qui accompagne l'expression de l’idée de la mort (« sterbe ich »).
Puis, dans « Der Tambourg’s sell », les rythmes caractéristiques de la marche militaire viennent dès le départ situer symboliquement le contexte dans un ostinato en trémolo au tambour :
Toutes ces figurations utilisent un processus de symbolisation synecdochique ou contextuelle. Ce type de signification dépend largement de la convention. Il n’en demeure pas moins que le figuralisme contribue à la mise en récit en musique, traduisant un processus visant à créer un effet d’événement ou une représentation par effet. La musique raconte parallèlement au texte, mettant en place une série d’éléments qu’il est possible de considérer comme des effets de signification dont la succession peut être interprétée de manière narrative.
La mise en musique d’un poème narratif renoue en outre avec la tradition orale de la mise en récit, impliquant une performativité et une mise en voix. La voix est stylisée, acquérant une caractéristique qui permet au chanteur de mieux camper le personnage. Les indications de caractère, de dynamique ou d’articulation font ainsi partie intégrante de la mise en récit, car elles théâtralisent la voix, telles des didascalies. Ainsi, dans « Das Irdische Leben », Mahler prend soin d’indiquer le ton de la voix : in verdriesslichem Ton, sur un ton irrité, contrarié, puis (m.31), verärgert, irrité. McLeod indique piangevole à la fin du n°2 (m. 63), marquant ainsi l’exaspération du sujet lyrique. Il est intéressant de noter que, dans ce lied, McLeod théâtralise la voix par le biais de la ligne mélodique elle-même, qui se trouve hachée, entrecoupée de silences ; l’effet produit est celui d’une série d’à-coups, de bégaiement pleurnichard :
Dans ce cycle où la voix tient du cri, du râle et du sanglot, où elle exprime une forte émotion – qu’il s’agisse d’une risible jérémiade dans ou du cri désespéré d’un enfant –, le traitement de la vocalité est au carrefour de la narrativité et de la performativité.
Enfin, il existe aussi une signification narrative formelle qui découle d’un sens global que l’on peut attribuer au cycle. Le recueil de McLeod forme une boucle produite par une autocitation musicale. Cet outil intratextuel opère par le biais d’un motif extrêmement simple – reposant sur la mise en rapport d’une quinte et d’une seconde – qui est d’abord entendu dans « Wo die schönen Trompeten blasen » sur les paroles « Steh auf und laß mich zu dir ein! » (Lève-toi et laisse-moi entrer) :
La quinte (sol-ré) est suivie d’une quinte augmentée (sol-mi bémol), puis d’une seconde mineure (mi bémol-ré). On remarque un rythme caractéristique : double croche suivie d’une blanche, puis double croche suivie d’un rythme lombard qui confère une force propulsive au motif. Cette cellule caractéristique est immédiatement reprise, une mesure plus loin, par la trompette en si bémol :
Il s’établit ainsi un tuilage entre la voix et la trompette. A la fin du quatrième lied, la même phrase est utilisée d’abord par la voix sur « Gute Nacht » :
Puis, en tuilage immédiat, une mesure après, par le hautbois :
Enfin, le ténor répète ce même motif :
Ainsi, le cycle se clôt avec cette reprise motivique qui constitue simultanément un commentaire ironique bivalent, le début éclairant la fin, et la fin le début. En effet, la rencontre convoitée par le soldat-fantôme du premier lied ne pourra jamais se concrétiser, elle est condamnée à demeurer au stade d'un éternel adieu qui sera verbalisé dans le dernier lied par le garçon au tambour ; le bonsoir de la fin du cycle, quant à lui, traduit l’ironie d’un bonsoir qui est un adieu au monde. Le motif est ainsi porteur de sens comme antiphrase musicale, mais aussi comme passerelle entre deux histoires. Il possède une valeur narrative de rappel et de jonction. On remarque que le rappel du motif est relayé par une plus grande tension dissonante le rendant d’autant plus frappant, car ici le rapport entre la quinte (mi-si) et la seconde est bien préservé, mais une autre seconde vient se greffer sur le motif, comme s’il s’agissait de projeter l’axe horizontal de la mélodie sur l’axe vertical de l’harmonie. On aboutit ainsi à une descente mélodique de deux secondes (seconde majeure-seconde mineure), reliée l’une à l’autre par un rapport intervallique de seconde mineure (m.90).
3. L’emprunt ou l’allusion intertextuelle
Nous envisageons la notion d’intertextualité au sens large de phénomène de relations entre textes ou œuvres. Cette notion n'est pas ici limitée au seul texte littéraire, mais étendue à la musique.
L’intertexte chez McLeod a tendance à former un conglomérat de contenus culturels dont seule la conjonction intermédiale fait sens. Par exemple, The Song of Icarus convoque le mythe d’Icare par le truchement à la fois du tableau The Lament for Icarus (1898) peint par Herbert James Draper et du poème « Icare est chut ici » (1600) de Philippe Desportes. Nous sommes ainsi confrontés à un intertexte multiple convoquant à la fois des contenus visuels et textuels. De la même manière, dans le contexte de notre étude, la composition de McLeod nous conduit à considérer l’œuvre mahlérienne, ainsi que ses propres références intertextuelles, comme l’anthologie de chants allemands que Mahler utilise.
Nous pouvons ainsi souligner deux types de rapports intertextuels entre Mahler et McLeod : a) une proximité qui se reflète dans la référence évidente à la musique de Mahler chez McLeod sous forme de citations ou d’allusions à certaines techniques de composition employées par Mahler ; b) une forme de distanciation adoptée par McLeod vis-à-vis de Mahler, distanciation que nous analyserons dans la dernière partie grâce à une analyse mélodique contrastive.
Il existe en premier lieu un intertexte évident qui marque une proximité entre McLeod et Mahler. Dès le début de sa composition, McLeod fait un clin d’œil à l’œuvre de Mahler en usant d’une citation-imitation. Même s’il ne s’agit pas d’une citation littérale, le motif initial des cors dans « Wo die Schönen Trompeten Blasen » entretient un rapport direct avec le motif employé par Mahler dans son lied éponyme. Dans le motif mahlérien, on entend des valeurs rythmiques pointées ainsi qu’une superposition de plusieurs quartes et quintes :
Le début de la composition de McLeod emploie également un rythme pointé, accordant également une importance particulière aux quartes et aux quintes :
Cette allusion au compositeur viennois traverse tout le cycle mcleodien, produisant des effets sonores liés à la réalité militaire grâce aux rythmes pointés de la marche et au son creux des quartes et des quintes. On retrouve une variation de ce motif dans le lied n°2, « Selbstgefühl » :
Un autre exemple de clin d’œil intertextuel à Mahler est fourni par l’emprunt à ses techniques musicales, une allusion à la technique compositionnelle pouvant être décelée dans le traitement de la voix. Dans « Das Irdische Leben » de Mahler la voix apparaît rarement seule. Elle est suivie d’une doublure, qu’elle soit doublée par un instrument ou partiellement reprise par un écho. Ainsi, le cor anglais double le chant :
De surcroît, la voix est fréquemment suivie d’un écho, comme au basson dans l’extrait ci-dessous :
McLeod, lui aussi, doublera la voix dans sa mise en musique : aux mesures 12-14, la voix est doublée de manière spectaculaire par le glockenspiel, ce qui confère à ce passage un caractère sautillant et primesautier.
Comme chez Mahler, on trouve chez McLeod la technique de l’écho, les violons reprenant le thème énoncé par la voix (m.41-42) :
4. La ligne mélodique, la voix et la distanciation
Certaines techniques font ainsi l’objet d’une allusion, voire d’une citation. Or, McLeod se détourne radicalement du traitement mélodique de la vocalité, et c’est bien là que réside sa distanciation par rapport à la source textuelle originale et à Mahler. Le chant folklorique constitue un intertexte notable dans le cycle mahlérien, mais celui-ci n’est pas immédiatement perceptible chez McLeod. Il y a donc là une prise de distance par rapport au folklore. Si Mahler s’inspire d’un recueil de chants et de poèmes populaires, le compositeur se livre à une véritable réécriture folklorique par stylisation : « (…) c’est à l’école des musiciens populaires qu’il a trouvé le ton approprié aux poésies « populaires » du Knaben Wunderhorn. C’est ainsi qu’il a appris à imiter sans affectation le langage musical du peuple et créé, sans doute pour la première fois, un folklore imaginaire », écrit Henry-Louis de la Grange (Grange, 1979 : 90). C’est sans doute là une question problématique que soulève la présence de dérivés du folklore chez Mahler et sa distance par rapport à la tradition musicale orale. Finson, par exemple, souligne cette « contradiction inhérente » chez Mahler, en évoquant la critique faite au cycle mahlérien : l’alliance ‘paradoxale’ entre l’orchestration surabondante et sophistiquée de l’accompagnement et la ligne mélodique du chant extrêmement simple, voire naïve, qui rappelle clairement le chant populaire (Finson, 1987 : 102-103).
Ce paradoxe apparent résultant de la coprésence de la technique musicale savante et du folklore chez Mahler ne se pose plus du tout en termes d’inspiration folklorique chez McLeod, où la dimension orchestrale prend le dessus et où la ligne mélodique chantée n’a rien d’un chant folklorique. L’intertexte avec Mahler n’opère donc pas du tout à ce niveau sous une forme d’une stylisation quelconque. Au contraire, c’est bel et bien au niveau de la conduite vocale que l’on peut procéder à une différenciation des deux œuvres qui nous permettra de souligner leurs spécificités respectives.
Une première distinction s’opère dans l’opposition de degrés de répétitivité (surtout d'ordre mélodique et motivique). Bien entendu, en raison d’un besoin important de mémorisation dans les traditions orales, le folklore emprunte la voie du retour du même et de la réitération. La non-répétitivité s’oppose alors à la tradition populaire, se situant davantage du côté de la musique savante. Le concept musicologique anglophone de through-composed music semble ici s'appliquer, à savoir une composition qui ne répète pas de section ou de partie et qui évolue à travers une succession de différences plutôt qu'à travers le retour du même. En ce qui concerne la mise en musique de textes poétiques, on distinguera donc l’adaptation musicale strophique et répétitive, souvent à l’œuvre dans la chanson populaire, et l’adaptation non répétitive que l’on peut retrouver dans certains art songs.
Si, dans « Wo die Schönen Trompeten Blasen », les phrases de la ligne vocale chez Mahler tiennent du répétitif, celles de McLeod semblent sans cesse se transformer. Là où Mahler a clairement recours à l'imitation de la simplicité strophique dans sa façon de conduire la ligne mélodique vocale, McLeod est plus proche de la figuration d’un parler-chanté spontané. Même si des symétries existent bel et bien entre phrases et strophes chez McLeod, la première écoute donne avant tout l’impression d’une ligne qui change sans cesse et qui, dès lors, paraît proche du récitatif. D’un côté, on se situe plus dans la tradition orale du chant ; de l’autre, il s'agit davantage d'une oralité parlée.
Dans ce lied, la répétitivité phrastique est renforcée chez Mahler par l’emploi de la forme rondo, à savoir l’alternance d’une partie identique et de parties différentes. Chez Mahler, l'enchaînement est assez simple, fondé sur le retour d’une partie : ABA’CB’A’’. Chez McLeod, la première écoute ne permet pas de prendre d'emblée la mesure du formalisme. Le premier chant chez McLeod se divise en dix parties et vingt-cinq sous-éléments correspondant aux vingt-cinq propositions du poème, dans un déroulement partiellement fondé sur la réitération. En effet, les trois parties initiales – ABC – sont reprises avant la coda (G), mais le développement de la plus grande partie de l’œuvre est non répétitif (ABCDEF).
On n’est plus ici confronté à la forme rondo à proprement parler, telle qu’elle est utilisée chez Mahler, car aucune section n’est reprise régulièrement pour servir de refrain. Malgré les parallélismes entre phrases, l’impression dominante est celle d’une composition linéaire et non répétitive.
Afin de mieux cerner cette différenciation de répétitivité mélodico-phrastique, on peut comparer la première strophe dans ses deux adaptations :
Les premières lignes suffisent à identifier des différences majeures entre les deux compositions. Chez Mahler, la simplicité de la structure mélodique est presque déroutante, faisant intervenir une phrase avec une métrique à 2/4. La première phrase – « Wer ist denn draußen und wer klopfet an, // Der mich so leise, so leise wecken kann? » – fait d'emblée apparaître une structure binaire extrêmement simple. La phrase comporte deux propositions (que nous appelons A1 et A2), chacune exprimant des motifs similaires construits autour d’un pivot central qu’est le La4. Les éléments constitutifs de cette phrase impliquent à la fois le procédé de dérivation et celui d’imitation, les motifs semblant issus les uns des autres et tissant un réseau d’échos et de miroirs. Ainsi, b déploie un mouvement contraire par rapport à a, a’ est une apocope de a, d en est une variation rythmique alors que d’ est une apocope de d. La carrure est classique (8 mesures +1), bâtie sur l’accord de ré mineur :
Chez McLeod, cette première phrase n’obéit pas du tout à la même logique harmonique et ne déploie pas de structures symétriques particulières, si bien qu’il est difficile d’analyser la ligne mélodique en termes formels. On peut certes discerner des similitudes rythmiques et motiviques et procéder à une formalisation des parties comme chez Mahler :
Cependant, en raison de l’absence de centre tonal clairement établi chez McLeod, il nous semble plus intéressant d’examiner de plus près les rapports d’intervalles qui s’établissent dans la progression de la ligne vocale. Apparaît alors, dans la ligne vocale de McLeod, une mise en rapport de petits et grands intervalles mélodiques (rapport de seconde à la quarte ou à la quinte, par exemple), l’harmonie se fondant davantage sur une diversité de rapports que sur une harmonie triadique. Ces rapports intervalliques peuvent être représentés par un axe de contiguïté verticale projeté sur l’horizontalité mélodique :
Les chiffres représentant le type d’intervalle concerné, il semble évident que l’alternance de secondes par rapport aux autres intervalles produit un effet de rapport plus pertinent à étudier qu’une analyse harmonique classique. En effet, il semble assez difficile de déceler un système symétrique ou logique pour la ligne vocale. Même si l’on y observe des parallélismes entre les triolets, les intervalles ne s’inscrivent pas dans un système harmonique déterminé et sont donc bien plus difficiles à chanter que les intervalles d’une harmonie triadique traditionnelle.
Le point de différence majeur entre les deux compositeurs réside bel et bien dans le degré de difficulté de la complexité mélodique. La simplicité presque naïve de la phrase mahlérienne dans ce cycle a fait dire à certains critiques qu’il s’agissait là d’un terreau ironique fertile en ce qui concerne son imitation de l’innocence du chant populaire. Certaines caractéristiques semblent évidentes dans la comparaison entre les deux pièces.
Mahler utilise les intervalles conjoints (distance d’une seconde), et bien rares sont les sauts de plus d’une tierce. La ligne mélodique se caractérise donc par une grande contiguïté qui la rend facile à chanter. Lorsque cette contiguïté est rompue, elle est relayée par l’appui de la ligne sur les notes-clés de l’harmonie sous-jacente, comme m.75, où les notes de passage s’inscrivent dans une continuité contiguë (intervalle mélodique de seconde, consonant par excellence, alors qu'il est parfaitement dissonant sur le plan harmonique) ou reposent sur l’accord de ré mineur (intervalle de quarte m.78) :
Si l'on compare cette phrase à la même phrase chez McLeod, on constate un ambitus qui dépasse à peine une quinte chez Mahler (renversement de l’accord de ré mineur), alors que chez McLeod l’ambitus dépasse l’octave :
Les rapports intervalliques second-quinte-quarte chez McLeod sont à l’opposé de la simplicité harmonique de Mahler. S’ajoute à cela l’emploi de la marche harmonique chez Mahler (ou, en d'autres termes, de la reproduction d’un même dessin mélodique sur différents degrés). Ainsi, la phrase suivante, m.39-46, reproduit à l’identique le dessin mélodique en noires :
Se pose ensuite la question de la répétition. Les notions de dérivation et d’imitation nous amènent précisément à envisager cette question, tout comme le procédé de marche harmonique qui constitue une forme de répétition. Cette répétitivité est à l’œuvre dans la phrase qui suit, cette dernière comportant une rosalie (marche harmonique par seconde) en croches qui est également une forme de gémination puisque chaque énoncé est répété comme en écho.
Mahler et McLeod se différencient donc à la fois par l’étendue de l’ambitus (restreint chez Mahler, large chez McLeod) et par le caractère de l’enchaînement mélodique (par notes conjointes chez Mahler, par notes disjointes chez McLeod).
Afin de mieux les mettre en évidence, il est possible de représenter la progression intervallique de la ligne mélodique chez Mahler et de celle de McLeod à l'aide d'un schéma faisant intervenir chiffres et couleurs (les chiffres représentant les types d’intervalle).
Comme on le voit, l’enchaînement intervallique mélodique de la ligne vocale diffère considérablement d'une œuvre à l'autre. La seconde est l’intervalle le plus utilisé chez Mahler qui fait très peu usage de grands intervalles. Chez McLeod, l'utilisation des intervalles est beaucoup plus diversifiée, avec une mise en rapport – et surtout une alternance – de petits et de grands intervalles. D'un point de vue strictement numérique, on trouve chez Mahler 149 rapports mélodiques de seconde sur 254 rapports intervalliques au total ; chez McLeod, sur 211 rapports intervalliques au total, les secondes sont au nombre de 66. Mahler a recours à un nombre limité de quartes (23) ou de quintes (5), tandis que celles-ci sont plus nombreuses chez McLeod (30 quartes et 41 quintes). Cet ensemble de données reflète parfaitement la réalité des intervalles dans le chant mélodique où l’emploi de secondes traduit l’utilisation du mouvement conjoint, rapport intervallique de la mélodie traditionnelle par excellence, plus facile à chanter et à mémoriser. Le mouvement disjoint (plus grand que la seconde) est moins fréquent et plus dur d’exécution, tout en étant néanmoins plus proche des inflexions de la voix parlée et du récitatif. En ce qui concerne la nature de la progression, peu de répétitions de rapports semblables sont observables chez McLeod, tandis que la concaténation d’intervalles du même type chez Mahler est signe de parallélismes formels entre phrases. De même, le rapport d’unisson (40 occurrences), traduisant la répétition de la même note, est un peu moins fréquent chez McLeod. En résumé, l'œuvre de Mahler compte environ 75% de rapports en mouvement conjoint, cette proportion n'atteignant pas 50% chez McLeod.
Conclusion
Les Lieder der Jugend de John McLeod constituent donc une œuvre composée en hommage à Mahler qui s’inspire ouvertement des lieder du compositeur viennois et entretient une forte relation intertextuelle avec sa musique. Allusions, emprunts et références à Mahler jalonnent l’œuvre de McLeod. Le compositeur écossais parvient toutefois à se démarquer de sa source d’inspiration en proposant une forte narrativité musico-littéraire. L’une des différences notables entre les deux compositeurs réside dans leurs traitements respectifs de la ligne vocale. Si Mahler reste attaché à une certaine tradition mélodique, du moins dans sa stylisation folklorique, McLeod déploie une variété nettement plus grande d’intervalles, cette variété constituant sa spécificité mélodique et harmonique. En effet, il en découle une vocalité proche du récitatif et du chanté-parlé qui caractérise tout le cycle mcleodien.
Cette qualité vocale, qui est aussi une marque de style, nous rappelle sans cesse qu’il s’agit de raconter une histoire en musique. Ainsi, notre terme de ‘mise en récit’ rappelle l’idée, longtemps abhorrée, que la musique nous raconte des choses, qu’elle parle ou exprime. Loin de vouloir prétendre le contraire, ou de prôner la pertinence de la musique à programme, il nous semble en revanche tout à fait possible de penser la musique, comme celle de McLeod, en termes de succession d’effets de récit qui appellent une interprétation narrative du fait musical. Le cycle de McLeod est une composition qui tire sa force de cette valeur narrative située à la frontière entre texte et musique. Cette œuvre est narrative, parce qu’elle est obliquement opératique ; elle est opératique car elle aspire à un simulacre de narrativité en musique.