Textuel. Une anthologie 1976-2016. Textes réunis par Yannick Séité et Sylvie Patron

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Textuel. Une anthologie 1976-2016. Textes réunis par Yannick Séité et Sylvie Patron, Hermann, 2019, 313 p., ISBN 979-1-0370-0131-0

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À l’origine intitulée 34/441, la revue de Paris 7 (Paris Diderot) est dirigée à sa naissance (automne 1976) par Julia Kristeva, à qui elle doit son titre définitif et sa proximité – y compris sémantique – avec Tel Quel. Les actuels directeurs de la revue, préfaciers de cette anthologie, rappellent le contexte de cette naissance, celui de l’abondance des revues universitaires qui a accompagné les années 60 et l’après-68, et en particulier la floraison des revues nées à Jussieu, dans cette fac qui s’appelle Paris 7 en 1970 et déménagera en 2007 dans le quartier Paris Rive Gauche. Textuel, comme le rappellent dans leur préface les éditeurs, c’est avant tout le texte, cet acteur de la critique littéraire devenu alors central, celui vers lequel déclarent revenir les figures tutélaires de la critique française à l’heure des débuts de la revue — en tout premier lieu Roland Barthes.

Au gré des changements de format, la revue s’inscrit dans la délicate stratégie – courante à l’époque de sa création – consistant à émettre à partir de l’institution et grâce à elle, dans une volonté de se tenir dans les marges de cette institution, en revendiquant d’emblée son refus du conformisme et même de la conformité et son désir de s’ouvrir à l’originalité tout autant qu’à la nouveauté. Elle s’affirme également comme une revue où les maîtres donnent volontiers, dans le sillage des pratiques des années 60-70, la parole à leurs puînés étudiants, dans une pratique qui associe dans les faits enseignement et recherche – quitte à redéfinir la notion même d’enseignement tout autant que les rapports entre enseignants et enseignés. Au cours des quarante années de parution que parcourt cette anthologie, la revue s’est certes « assez vite assagie sans pour autant s’affadir » (préface, p. 15). Elle a suivi en cela la route de la plupart des revues littéraires qui lui sont contemporaines, en s’adaptant à des contextes nouveaux – en particulier celui du bouillonnement littéraire et artistique attiédi par le reflux relatif des études littéraires et de l’importance médiatique donnée à la critique littéraire – tout en gardant ses exigences de pertinence et de rigueur.

L’anthologie commence, en toute logique, par l’éditorial fondateur du premier numéro de 34/44 (automne 1976), dont le titre et l’incipit « Pour commencer » annoncent le cahier des charges à venir, et dont le mot d’ordre final « Il s’agissait de commencer. Il s’agit de continuer » (p. 28) est une reprise claire pour ces années-là de ce vieux slogan soixante-huitard : « Ce n’est qu’un début, continuons le combat ». Elle s’achève en 2003 seulement – contrairement à la promesse apparente du titre de l’ouvrage. La date de 2016 annoncée par ce titre porte en réalité sur le témoignage de Pierre Pachet (1937-1976) quelques mois avant sa disparition, reproduit à la suite de la préface et en hors-d’œuvre à l’anthologie proprement dite. Ce témoignage, porté par un entretien entre les actuels directeurs de Textuel et l’universitaire co-créateur de 34/44, rappelle les circonstances de la naissance de la revue, brassant utopies soixante-huitardes, idéaux politiques et batailles de personnalités. Au-delà de sa contribution, ce témoignage est en soi une revue de presse précieuse de l’état des lieux critique et politique de la littérature française dans l’Université des années 1970, en même temps qu’un discours du désenchantement : « Il y avait un groupe actif, terrorisant au départ. Il a perdu, au profit du conformisme universitaire. On publie pour avancer ses affaires » (p. 23).

Vingt-sept articles pour vingt-sept années : mais il ne s’agit pas dans cette anthologie de présenter un article par an ; ce n’est pas le cas, et le souci de cet ouvrage est bien plus de recueillir des faits marquants de la critique tout autant que de présenter la variété de la revue. Chacun des articles est présenté et contextualisé par une courte introduction signée par un·e des enseignant·e·s-chercheur·e·s en poste à Paris 7 ou y ayant laissé sa marque : quatorze contributeurs ont ainsi participé à cette anthologie, au nombre desquels les deux éditeurs de l’ouvrage.

Les vingt-sept articles recensés donnent un aperçu de l’éventail historique recouvert par ces vingt-sept années survolées, éventail lisible dans la coexistence de la littérature antique (Florence Dupont, « L’impossible mémoire du policide. L’Ilioupersis et l’Énéide ») et de la littérature de la Shoah (Anny Dayan-Rosenman, « Survivre à la Shoah : les deux voix de Lazare ») à l’intérieur d’une même livraison, celle du n° 43 (« Le Survivant, un écrivain du xxe siècle », 2003). L’anthologie se parcourt comme on découvre un album de photographies méconnues ou oubliées de personnages connus, dans des contributions rappelant souvent leurs domaines de prédilection : Julia Kristeva sur Roland Barthes ou sur le langage, Marie-Claire Dumas sur Desnos, Antoine Compagnon sur la french theory, Bernard Croquette brassant de façon étonnante le Pantagruel de Rabelais et le Suréna de Corneille (« Panurge et Pacorus : le nom qui va sans dire, le nom qui en dit trop » (1980)…

Comme tout album de photographies, le recueil affiche sa photographie amusante : en 1978, Patrick Rambaud et Michel-Antoine Burnier avaient publié Le Roland Barthes sans peine, mise en boîte du Roland Barthes par Roland Barthes paru trois ans plus tôt au Seuil dans la collection « Écrivains de toujours ». C’est au spécialiste de l’autobiographie et à l’ami de Barthes Philippe Lejeune qu’il reviendra en 1984, dans le numéro 15 de Textuel consacré à Roland Barthes, de produire à son tour un « Le Roland Barthes sans peine », dont la qualité coiffe au poteau, en matière de pastiche, le pamphlet de 1978, un pastiche d’une précision stylistique admirable, à quelques pirouettes près, telle : « Séminaire : […] Chaque semaine, j’y sème et ça incube. Je suis pour eux ce que Gide a été pour moi : leur Ur-Suppe, leur soupe fondamentale, leur bouillon de culture, leur bouillon Kub ».

On regrettera – mais cela semble être régulier aux éditions Hermann, puisque c’est aussi le cas de l’Anthologie des Lettres françaises dirigée par Guillaume Roubaud-Quashie (2019) – l’absence d’index des auteurs, mais aussi d’une table des numéros partiellement reproduits. L’ensemble n’en forme pas moins un beau témoignage des années Textuel.

Notes

1 La raison en est donnée dans l’épigraphe de la préface de l’ouvrage. Return to text

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Hervé Bismuth, « Textuel. Une anthologie 1976-2016. Textes réunis par Yannick Séité et Sylvie Patron », Textes et contextes [Online], 14-2 | 2019, . Copyright : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=2538

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Hervé Bismuth

MCF, Centre Interlangues Texte, Image, Langage (EA 4182), Université de Bourgogne Franche-Comté, UFR de Langues et Communication, 4 Boulevard Gabriel, 21000 Dijon

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