La dialectique de la parémie et du discours : analyse des parémies en contexte dans un corpus littéraire castillan

  • The Dialectic of Parsemy and Discourse: Analysis of Parsemias in Context in a Castilian Literary Corpus

Résumés

Employer une parémie, même oralement, ne constitue jamais un acte neutre. Parce qu’il s’agit d’une forme fixe, cela revient à s’approprier des propos et souvent des images figées qui appartiennent au savoir collectif d’une culture déterminée. Parce que cette forme fixe a la dimension d’un énoncé, son emploi consiste à insérer un texte préfabriqué à l’intérieur d’un discours libre. Cet article vise à analyser les relations entre parémies et discours dans l’œuvre de l’écrivain espagnol contemporain Javier Tomeo.
On étudiera dans un premier temps les différentes modalités d’incorporation de la parémie dans le discours, qu’il s’agisse d’une énonciation simple ou que l’auteur ait recours à des indicateurs d’énoncés figés. On examinera ensuite les différentes formes de discours métaparémiques visant à commenter l’emploi de la parémie. On introduira enfin la notion de « discours parémique » à travers un exemple atypique.
Cette étude permettra d’observer notamment un mouvement dialectique entre discours libre et parémie, la parémie servant à justifier le discours, lequel sert également à justifier l’emploi de la parémie, laquelle va parfois venir jusqu’à se substituer au discours.

The dialectics of paremiological expressions and discourse : analysis of paremiological expressions within the context of a Castilian literary corpus.
Using a paremiological expression, even in spoken language, is never something neutral. Since it is a fixed form, it means users will adopt words and often frozen images which belong to the collective knowledge of a given culture. Since this fixed form has the dimension of an utterance, its use consists in inserting a preformed text inside free discourse. The purpose of this article is to analyse the relationships between paremiological expressions and discourse in the works of the contemporary Spanish writer Javier Tomeo.
We will first study the various methods of incorporating paremiological expressions into discourse, whether it is a simple utterance or whether the author uses indicators of ‘frozen’ utterances. We will then examine the different forms of metaparemiological discourse aimed at discussing the use of paremiological expressions. We will finally introduce the notion of paremiological discourse through an atypical example. The study will help observe a dialectical movement between free discourse and paremiological expressions in which paremiological expressions are meant to justify discourse which will in turn justify the use of paremiological expressions. The latter may sometimes go as far as to replace discourse.

Plan

Texte

Etymologiquement, le mot ‘stéréotype’ fait référence à une production de formes figées dans le domaine de la typographie. On pourrait donc s’attendre à ce que les formes fixes, au sens linguistique du terme, c’est-à-dire les vastes champs de la phraséologie et de la parémiologie soient au cœur des études sur la stéréotypie. Or si ces expressions et énoncés figés sont systématiquement évoqués lors des analyses théoriques sur la stéréotypie, ils restent dans le meilleur des cas cantonnés à une place très périphérique quand ils ne sont pas rapidement évacués de ce champ d’études. Pour Amossy et Herschberg Pierrot (1997), le stéréotype relève en effet plus du champ de la stylistique que de la linguistique. Dans un récent article (Fournié-Chaboche 2009), nous avons au contraire plaidé en faveur de la prise en compte des formes fixes dans les études, fussent-elles stylistiques, sur la stéréotypie en introduisant le concept de ‘stéréotype lexicalisé’ correspondant aux syntagmes figés. Fait anthropologique majeur en tant que fait culturel propre à toutes les cultures (Zouogbo 2009 : 18), le proverbe se trouve en effet à la croisée de plusieurs disciplines. Faisant fi des cloisonnements traditionnels, le figement linguistique a la capacité à innerver de multiples champs d’étude allant même jusqu’à suggérer une restructuration des découpages classiques des disciplines linguistiques. C’est du moins l’hypothèse de Mejri (2003) qui, s’appuyant sur les recherches menées dans le cadre du LDI considère le lexique comme un point de départ obligé vers lequel convergent toutes les autres dimensions linguistiques. Une analyse des différents énoncés figés existants nous a conduit à définir les parémies comme des énoncés brefs et anonymes disposant d’une autonomie syntaxique et contextuelle et porteurs d’une vérité générale (Fournié 2002 : 92).

Employer un énoncé parémiologique, même oralement, ne constitue donc pas un acte neutre. Il s’agit de s’approprier des propos et souvent des images figées qui appartiennent au savoir collectif d’une culture déterminée. L’employer en littérature est toujours un acte délibéré et chargé de sens. Mais d’un point de vue simplement linguistique, introduire un énoncé préfabriqué dans une création écrite ne constitue pas non plus un acte anodin. En effet, comment se produit l’incorporation d’un texte fermé dans un texte ouvert ? Comment se résout l’exigence d’autonomie de la parémie face à la nécessité de cohérence syntaxico-sémantique de tout texte écrit ? Comment la voix narratrice intègre-t-elle un texte étranger à sa propre création ?

L’étude se limitera aux parémies (en excluant donc les autres énoncés figés) car leur relation avec le discours libre pose des problèmes spécifiques. Le corpus a été rassemblé à la lecture de l’intégralité de l’œuvre littéraire de l’écrivain espagnol contemporain Javier Tomeo (environ 3 000 pages) et il est constitué d’environ 130 parémies en discours.

Partant de la théorie de Burger (2003) reprise par Zouogbo (2009 : 114) sur la poly-fonctionnalité des proverbes, on postule que l’analyse des parémies en discours dans un corpus donné permettra de mettre en lumière une fonction des parémies propre à l’auteur concerné. On en tirera des conclusions plus générales sur le lien très particulier entre ces micro-textes, textes minimaux constituant un sous-système général de la langue selon Anscombre (2000 : 3), et le macrotexte qui les héberge.

On étudiera dans un premier temps les différentes modalités d’incorporation de la parémie dans le discours, qu’il s’agisse d’une énonciation simple ou que l’auteur ait recours à des indicateurs d’énoncés figés. On examinera ensuite les différentes formes de discours métaparémiques visant à commenter l’emploi de la parémie. On introduira enfin la notion de « discours parémique » à travers un exemple atypique.

Cette étude permettra d’observer notamment un mouvement dialectique entre discours libre et parémie, la parémie servant à justifier le discours, lequel sert également à justifier l’emploi de la parémie, laquelle va parfois venir jusqu’à se substituer au discours.

1. Parémies dans le discours : énonciation de la parémie et justification du discours

Si la majeure partie des parémies rencontrées dans le corpus que constitue l’œuvre de Javier Tomeo sont des refranes (l’Espagnol les distingue en effet des proverbios qui n’appartiennent pas au registre populaire), l’archilexème ‘parémie’ recouvre également d’autres énoncés stéréotypés et notamment les dictons qui, contrairement aux refranes ne sont pas figurés. Les rapports entre les parémies et le texte sont à la fois complexes et ambigus du fait que le groupe des parémies a été défini, entre autres critères, par son autonomie syntaxique et contextuelle. Il convient, d’une part, de le différencier des locutions qui, en raison de leur dimension syntagmatique, ont une dépendance syntaxique vis-à-vis de la phrase dans laquelle elles vont être intégrées. Il faut, d’autre part, séparer les parémies d’autres énoncés comme les formules conversationnelles1 du type a otro perro con ese hueso ou les énoncés à valeur spécifique2 comme el coche de San Fernando, un ratito a pie, otro andando caractérisés par une dépendance contextuelle. Ce concept d’autonomie contextuelle des parémies mérite néanmoins une clarification. Zuluaga (1980 : 200-201) souligne qu’un énoncé libre de toute dépendance anaphorique, cataphorique, déictique ou contextuelle (qu’il s’agisse du contexte linguistique ou extralinguistique) est un texte, c’est-à-dire qu’il contient une information complète. Or, si les parémies répondent à cette définition, il faut cependant les différencier d’autres textes figés comme les coplas ou chansons ayant les mêmes caractéristiques et ne se distinguant des parémies que par leur extension. En effet, si l’information véhiculée par la parémie est cohérente en soi, il est rare qu’une parémie soit employée pour elle-même et sans propos, autrement dit qu’elle soit reproduite de manière isolée. Même si la parémie a un caractère de vérité générale indépendamment du contexte, elle est néanmoins pratiquement toujours intégrée dans un autre texte. C’est ce qui fait sa spécificité. C’est également la raison pour laquelle certains linguistes comme Dressler (1973 : 59) affirment que c’est seulement dans un sens très réduit que les parémies peuvent être considérées comme des textes. Une telle spécificité des parémies amène à poser la question des modalités d’incorporation de ces petits textes figés dans un texte libre.

1.1. Une première modalité d’incorporation de la parémie dans le discours : l’énonciation simple

La parémie, intégrée dans un discours plus vaste, ne subit aucune influence sémantique de celui-ci. En revanche, comme l’a souligné Zuluaga (1980 : 202), elle peut commenter ou représenter verbalement le contexte. Il convient de remarquer que la fonction explicative de la parémie correspond généralement au mode d’énonciation le plus simple. Il s’agit de ce que l’on peut appeler la ‘parémie-phrase’, équivalente à une proposition indépendante. Dans ce cas, le locuteur (ou, le cas échéant, le narrateur) énonce la parémie sans préambule. Souvent, la parémie explique ce qui précède : « Pero no creo que debamos incurrir en exageraciones. No hagamos como Lucas, o calvo, o tres pelucas. » (CCC 49).

Il convient de préciser que ce qui est ici nommé fonction explicative est à prendre au sens large, par rapport à une fonction expressive sur laquelle il faudra revenir. Il ne s’agit pas d’une explication sémantique mais de tout ce qui relève du commentaire, de l’interprétation ou de la justification. Dans ce premier exemple, tiré de El castillo de la carta cifrada (1979), la parémie constitue une redite figurée de la phrase qui la précède. Elle n’apporte donc aucune information, mais son caractère d’exemplarité a pour fonction d’asseoir le discours.

Il peut arriver également que l’explication porte sur ce qui suit : « Muy bien, que se ría todo lo que le apetezca. A cada cerdo le llega su San Martín. Seguro que esa mujer no se reirá tan a gusto el día en que se vea arrodillada ante un pelotón de fusilamiento » (N37).

Cette parémie a exactement le même fonctionnement que dans l’exemple précédent. Dans les deux cas, la parémie constitue une phrase parmi les autres. Elle dispose d’une autonomie syntaxique totale. Néanmoins, elle maintient une relation sémantique avec le contexte qu’elle renforce. Toutefois, le narrateur pourrait parfaitement se dispenser de l’employer sans que le discours perde sa cohérence sémantique. Cela est dû à son statut de parémie-phrase.

La parémie, équivalant à une proposition indépendante, peut bien sûr avoir le fonctionnement syntaxique propre à ce type de proposition. Par conséquent, elle peut être liée à une autre proposition indépendante du discours libre par le biais d’une conjonction de coordination :

El caos caligráfico, piensa, sólo tiene un objetivo : humillarle todavía más. […] palidece de rabia. Monta en cólera. Crispa los puños y maldice mi alma. Llama a sus criados y ordena que le azoten. Tal vez, agarrándole por el cuello, prefiera tomarse la justicia por mano. Porque usted, como le dije antes, es el cartero nefasto, y donde no hay pan, buenas son tortas. (CCC 90)

Dans cet exemple, la parémie est employée dans un but de justification de ce qui précède. Le narrateur (un marquis) veut faire porter par son domestique une lettre au Comte de X. Celle-ci est volontairement illisible. Il envisage, devant son domestique, la réaction du comte s’en prenant, faute de mieux, au messager plutôt qu’à l’expéditeur. Si, du fait de la coordination, la parémie n’a plus l’extension d’une phrase mais celle d’une proposition, il n’en demeure pas moins que l’ensemble regroupant la conjonction et la parémie est totalement facultatif.

Ce caractère facultatif est lié à la reformulation, moyennant la parémie, de ce qui a été dit ou de ce qui va être dit. L’idée que ‘faute de mieux on se contente de ce que l’on a’ est déjà présente dans le contexte immédiat du proverbe puisque le comte, après avoir maudit le responsable de la lettre, va s’en prendre à l’innocent présent (« porque usted es el cartero nefasto »). Dans les exemples précédents, l’énoncé figé n’apporte donc aucune information supplémentaire.

Ce n’est cependant pas toujours le cas, comme le montre l’étude d’une nouvelle occurrence de ce proverbe tirée d’un autre roman, El crimen del cine Oriente (1995), lorsqu’une cliente demande à un boucher de la viande de taureau mais il n’a que du bœuf : « Le pregunté si tenía carne de toro de lidia y me dijo que el único toro que había allí dentro era él, pero que tenía carne de buey de calidad y que, a falta de pan, buenas son tortas » (CCO 117).

Si le boucher n’avait pas employé ce proverbe, la cliente aurait eu une toute autre perception de sa réponse, laquelle n’est pas dénuée d’agressivité. En effet, la parémie a falta de pan buenas son tortas, employée dans ce contexte très précis par un commerçant mal achalandé, est tellement inopportune qu’elle ne va pas sans connoter, de la part du locuteur, un jugement moral sur la cliente et un manque d’amabilité certaine. Sans ce proverbe le boucher aurait pu, au contraire, passer pour commerçant. De ce fait, sa remarque « me dijo que el único toro que había allí dentro era él » aurait pu être ressentie non comme une agression verbale mais comme un trait d’humour jovial. Cette analyse montre à quel point le contexte verbal peut s’adapter à la parémie et entrer, avec elle, dans une relation de dépendance.

Cette dépendance est liée au fait qu’au lieu de jouer simplement un rôle explicatif du contexte, la parémie peut également « représenter verbalement » quelque chose que le contexte n’explicite pas (Zuluaga 1980 : 202). Il s’agit là d’une nouvelle fonction de la parémie, lorsque celle-ci n’est pas cantonnée à un rôle explicatif : la fonction expressive. Les exemples sont nombreux. En voici un deuxième dans lequel le rôle proprement sémantique de la parémie apparaît encore plus nettement.

Me parece que lo más indicado es continuar divagando a propósito de las ventajas de la resignación. Le digo, por ejemplo, que donde una puerta se cierra, otra se abre, que el dolor es la mejor vía de perfeccionamiento interior y que estoy seguro de que su madre, desde el otro mundo, continuará protegiéndole (AM 55).

Dans cette citation extraite d’Amado monstruo (1985), la proposition principale « le digo » introduit trois subordonnées conjonctives. L’apport sémantique de chacune d’elles est différent.

Ces deux derniers exemples permettent de constater que l’incorporation de la parémie dans un texte peut également s’effectuer par le biais de la subordination. Avec la parémie-phrase (équivalente à une proposition indépendante seule) et la parémie indépendante coordonnée, la parémie subordonnée apparaît comme la troisième modalité de l’énonciation simple (sans indicateur de discours répété). Celle-ci peut revêtir différents aspects. Outre le cas très courant (surtout dans le récit) de la subordonnée conjonctive, la parémie peut également apparaître dans certaines subordonnées circonstancielles :

[…] las ranas que usted capture deben ser verdes. No nos servirían de nada si fuesen de otro color. En realidad, las ranas ni siquiera me parecen ahora imprescindibles. Podríamos recurrir a cualquier otro animal u objeto, con tal de que fuese verde. Podría servirnos, por ejemplo, una gallina. Sí, sí, ya sé, no es preciso que me lo diga. No existen gallinas verdes. […] Quedémonos pues con las ranas, porque más vale bueno conocido que malo por conocer. (CCC 55)

Il s’agit ici d’une proposition subordonnée circonstancielle de cause.

Ce dernier cas rejoint, du point de vue de la modalité du discours employé, les premiers exemples où les parémies correspondaient à des propositions indépendantes. Il s’agit du style direct. En revanche, dans les deux autres citations de parémies subordonnées (« le digo […] que donde una puerta se cierra, otra se abre » et « me dijo […] que a falta de pan buenas son las tortas), le narrateur emploie le style indirect puisqu’il s’agit d’un discours rapporté. Selon les cas, ce style indirect reprend soit les propos du narrateur lui-même, soit les paroles d’un personnage distinct du narrateur. Malgré la diversité des types de discours rencontrés, tous ont en commun d’intégrer très naturellement la parémie comme si elle était une création du discours libre. L’instance énonciatrice semble assumer totalement l’emploi de ces parémies puisqu’elle n’éprouve pas le besoin de s’en distancier par quelques précisions indiquant la présence de formules figées (et par conséquent nullement personnelles). Dans tous ces cas d’énonciation simple de parémies dans un texte écrit, seule la compétence linguistique du lecteur permet de les reconnaître, faute d’une intonation spécifique constituant, à l’oral, l’indicateur de leur présence.

1.2. Les formules introductrices (ou indicateurs d’énoncés figés)

Il convient de se demander si l’absence de traits suprasegmentaux dans un texte écrit ne constitue pas, précisément, la raison de l’abondance de présentateurs dont la fonction est d’indiquer la présence d’une parémie. Il a été vu, plus haut, que la parémie a très souvent une fonction de justification du discours. C’est pourquoi elles sont assez fréquentes dans des propositions circonstancielles de cause comme l’atteste le dernier exemple étudié : « porque más vale malo conocido que bueno por conocer ». Une variante très fréquente de la conjonction porque est por aquello de ou por aquello de que. Voici des exemples de ces deux formules appliquées à la même parémie :

Envejecer es mala cosa, suspira, levantando la mirada hacia la muchacha de la fotografía. No hay, por supuesto, respuesta a sus palabras, y el narrador piensa que ella está de acuerdo, aunque sólo sea por aquello de quien calla otorga. (G34)

Interpretó mal mi silencio, por aquello de que quien calla otorga. (AM30)

Bien sûr, elles peuvent s’appliquer à d’autres proverbes : « Y me dijo también que si ustedes me veían con esta chaqueta y estos pantalones iban a pensar que era un infeliz por aquello de que el hábito hace al monje » (AM95).

Il y a une grande différence entre une parémie introduite par porque et por aquello de (que). La présence du démonstratif aquello est très significative puisqu’il s’agit d’un pronom neutre dont la fonction est en principe de remplacer une proposition déjà énoncée dans le discours. Or dans les exemples cités, ladite proposition ne se situe pas antérieurement dans le discours mais immédiatement après por aquello de ou por aquello de que. La troisième personne de ce pronom neutre (aquello et non eso ou esto) montre en réalité qu’il fait allusion au proverbe supposé connu de personnes qui partagent la même langue et la même culture. La formule por aquello de (que) ne se limite donc pas à introduire le proverbe. Elle a également pour mission d’attirer l’attention sur un des traits essentiels de celui-ci : son appartenance à la compétence linguistique et au savoir populaire.

Parfois, ce type de formule, dont l’usage constitue déjà une certaine forme de redondance par rapport à la présence de la parémie, est renforcé par des éléments comme l’adverbe ya : « Ya sabe usted aquello de que el hombre propone y Dios dispone » (CCC 31). Cet adverbe associé à des verbes comme saber constitue un moyen de renforcer le caractère supposé connu de la parémie. De plus, l’emploi de ya sabe (et de toutes ses variantes correspondant à des situations d’interlocution : ya saben, ya sabes, ya sabéis) a une fonction très importante en ce qui concerne la réception du message, à savoir de la parémie, car c’est son efficacité qui est en jeu ici. En effet, par ce biais, le locuteur établit une connivence avec son interlocuteur. Ce dernier se sent porteur de la même culture et se trouve de ce fait beaucoup plus réceptif à une argumentation par le proverbe qu’il ne peut réprouver puisqu’elle fait également partie de son bagage culturel.

Il arrive que ces verbes soient employés avec d’autres éléments jouant exactement le même rôle que l’adverbe de temps ya, en introduisant une notion de « déjà connu ». Ces éléments sont autant d’indicateurs de l’apparition, dans le discours, d’une formule figée. Par conséquent, ils constituent souvent des préalables à l’énonciation de celle-ci : « -¡ Vamos, vamos ! - estalla el obispo de K. - ¿Qué significa ese silencio ? ¿No sabéis acaso que quien calla otorga ? » (MV 58).

A première vue, la formule introductrice no sabéis pourrait sembler sémantiquement opposée à ya sabéis. Ce n’est pas le cas, car l’une est sur le mode interrogatif et l’autre affirmatif. ¿No sabéis ? suivie d’une parémie censée connue de tous doit être interprétée comme une antiphrase. Elle a donc exactement le même sens que ya sabéis, avec l’ironie de l’antiphrase en plus.

Parfois, l’indicateur de la présence de la parémie porte moins sur son caractère supposé connu que sur son mode de transmission : la mémorisation et la répétition. Ce n’est plus alors le verbe saber qui est employé, mais decir. Selon la configuration du discours, la place de celui-ci peut être beaucoup plus variable qu’avec le verbe saber qui introduit presque toujours la parémie :

Por la boca, dicen, muere el pez, pero pueden morir también los hombres. (N 68)

Se dice que no hay refrán que no sea verdadero. Consolémonos por lo menos, con esa forma de verdad. (U 52).

Dans ces deux exemples le verbe decir est employé de manière impersonnelle. L’emploi espagnol d’un verbe à la troisième personne du pluriel ou précédé de se suivi de la troisième personne correspond au pronom indéfini français « on ». Ces formes associent au verbe decir l’idée que le véritable responsable de l’existence de la parémie n’est pas le locuteur, qui ne fait que la reprendre à son compte, mais la communauté linguistique entière.

De même, il convient de remarquer que l’espagnol présente des tournures idiomatiques comportant le verbe decir et dont l’emploi est souvent lié à l’apparition d’une forme figée ou éventuellement d’une citation. Il s’agit de como dice el otro ou como dice aquel : «Me concedo a mí mismo el beneficio de la oscuridad. De noche todos los gatos son pardos. O, como decía aquél, todo el trigo parece harina 3» (CCC 31).

Aquél est un pronom démonstratif masculin. Normalement, il devrait remplacer une personne déterminée, évoquée antérieurement dans le contexte. Mais como dice aquél est également une formule figée, ce qui explique que aquél n’ait pas un fonctionnement grammatical normal. En réalité, il ne désigne pas une personne déterminée distincte du narrateur mais, encore une fois, la communauté linguistique. Par cet artifice consistant à attribuer la parémie à la communauté linguistique, le narrateur semble vouloir prendre ses distances par rapport à l'instance qui assume de tels énoncés. C’est un leurre. Le narrateur fait lui aussi partie de cette communauté linguistique. De plus, comme dans le cas de l’emploi de dicen ou se dice, il demeure le seul véritable responsable de l’émission de la parémie. Mais ces formules introductrices donnent l’illusion qu’il se contente de transmettre quelque chose qui ne fait pas partie de son idiolecte.

C’est donc certainement aussi par cette même volonté de distanciation par rapport à un énoncé figé, souvent ressenti comme populaire, que le locuteur a souvent recours au métalangage. Par exemple en utilisant le mot refrán, dans sa formule d’introduction, il va ainsi prévenir son auditoire. Cette précaution oratoire relève moins de la crainte que l’auditoire ne reconnaisse pas le caractère parémiologique de l’énoncé, que de cette volonté de prendre de la distance par rapport à la parémie : « […] ya lo dice el refrán : el lobo pierde los dientes pero no la memoria4 » (B 38).

Cet exemple combine deux phénomènes de redondance : l’adverbe ya, indicateur de la réalisation effective de ce qui est exprimé par le verbe au moment où l’on parle, et l’évocation métalinguistique du refrán.

Les études portant sur l’insertion de la parémie dans le discours (Schapira, 2000, reprenant les travaux de Anscombre, 1994, Michaux, 1996 et Kleiber, 1999) ont permis de déterminer un certain nombre de contraintes sémantiques et linguistiques permettant de déterminer les cas de compatibilité ou non de tel ou tel contexte discursif avec la présence d’un proverbe. Aucun exemple du corpus analysé ici ne vient contredire ces analyses. Le corpus de Javier Tomeo, étudié sous l’angle des modalités d’insertion du proverbe dans le discours, fait en revanche ressortir un vaste panel de ce que l’on pourrait appeler des indicateurs de polyphonie. En effet, les formules introductrices, aussi anodines soient-elles en apparence, renvoient à des degrés divers et parfois grâce aux spécificités de la langue espagnole (système pronominal), au discours d’un autre, à un discours lointain, connu et partagé.

Quelle est donc la raison pour laquelle la voix narratrice, en insistant tant sur le caractère parémique de ce qu’elle dit, semble se dédoubler pour ne pas assumer l’entière responsabilité du proverbe ?

2. Discours métaparémique : justification de l’énonciation de la parémie

2.1. Commentaires métaparémiques

On pourrait développer beaucoup d’exemples comme le précédent, dans lesquels le fait d’utiliser du métalangage, c’est-à-dire de prévenir l’interlocuteur que la formule qu’il va utiliser est une parémie, lui permet de prendre une certaine distance par rapport à celle-ci. Une telle tactique consiste à dissiper le doute qui pourrait naître quant à l’auteur de la formule. Moins la parémie est connue, plus les commentaires métaparémiques comme « dice el refrán » semblent nécessaires. Il s’agit là d’une tendance générale qui bien sûr n’interdit pas la présence redondante d’introducteurs de parémies aux côtés de proverbes extrêmement connus. Ces formules deviennent en revanche indispensables lorsque le locuteur emploie une parémie étrangère, comme c’est très souvent le cas dans l’œuvre de Javier Tomeo. Dans Napoleón VII, le narrateur livre le « contenu » d’un débat télévisé sur l’alcoolisme :

Siguen [los dos individuos] sin ponerse de acuerdo. Ni siquiera coinciden en los refranes elegidos.
- Con tres copas de vino, ya podemos elegir una doctrina profunda − dice uno de los hombres, recurriendo al refranero chino.
- Buen vino y mujer bella, dos agradables venenos − dice el otro, repitiendo un viejo refrán turco5. (N 25)

Peu importe l’exactitude de la dénomination de la parémie. Ce qui apparaît comme véritablement indispensable, c’est que l’on sache que la formule employée correspond à un énoncé figé. Le fait d’appartenir à une langue étrangère confère à la parémie une valeur de citation. Il ne s’agit plus de tenter d’établir un terrain d’entente avec l’interlocuteur en faisant appel au savoir collectif qu’elle constitue. L’emploi d’une parémie étrangère ne relève plus de la compétence linguistique mais d’un acte d’érudition. Le métalangage apparaîtra alors comme un indicateur du savoir. L’ironie de Tomeo consiste donc à les employer hors de tout contexte et de toute argumentation, montrant ainsi le manque de fond du débat constitué d’un faux problème. En effet, qu’y a-t-il de plus stérile que d’opposer un proverbe turc à un proverbe chinois, les deux parémies n’ayant pas d’autre rapport que la présence commune du mot vin ? Le narrateur conclut d’ailleurs, non sans malice :« Todo esto empieza a resultar un poco sospechoso. Podría ser incluso que pensasen lo mismo y que fingiesen no estar de acuerdo para animar un poco el programa. » (N 25-26).

La parémie étrangère a donc un fonctionnement dans le discours différent de la parémie de la langue maternelle. Loin de l’ostentation d’un savoir, les commentaires métaparémiques qui accompagnent cette dernière prennent souvent la forme d’une excuse ou d’une justification. Ces commentaires ne se contentent pas d’avertir de la présence d’un énoncé figé (« dice el refrán »), mais vont constituer une tentative d’explication de la raison profonde qui a conduit à l’emploi de ces parémies.

2.1.1. Excuses

Les parémies sont souvent précédées ou suivies de formules d’excuse. Celles-ci pourront apporter des éléments de réponse à la question de la volonté de distanciation du locuteur par rapport à la parémie : « Hay un refrán − y perdone usted, Bautista, que recurra a una forma de sabiduría tan vulgar − que arroja bastante luz sobre el asunto : quien no come por haber comido no tiene nada perdido » (CCC 26).

Dans ce premier exemple, l’excuse du narrateur ne porte pas sur le contenu de ce proverbe (qui au contraire lui paraît très adéquat) mais sur son appartenance à une forme de sagesse vulgaire. Il convient de remarquer que le narrateur est un marquis qui s’adresse à son serviteur. Cela semble très révélateur d’une attitude d’une bonne partie des lettrés qui, pendant des siècles, se sont montrés très réticents à l’idée d’utiliser des parémies. Louis Combet a bien analysé cette réticence dans le prologue à l’œuvre de Hernán Núñez, Refranes o proverbios en Romance (1555), rédigé par León de Castro : « Ce dont on s’excuse, c’est seulement de trouver un goût à un mets réputé grossier ; la valeur nourricière de sa substance n’est pas fondamentalement mise en cause » (Combet 1971 : 96)6.

Quelle que soit la manière dont on s’excuse d’employer ce mets réputé grossier, le locuteur aura, dans pratiquement tous les cas, recours à cette valeur nourricière (la sagesse populaire) afin de justifier l’emploi de la parémie :

Por una vez, sin embargo, y sin que sirva de precedente, vamos a conducirnos por los sabios consejos del refranero popular, aun arriesgándonos a que nos tilden de prosáicos. « Las flores contentan pero no alimentan », proclama la sabiduría popular. (RH 45)

Dans cet exemple, issu de Los reyes del huerto, le métalangage a également pour fonction d’excuser le locuteur de l’emploi d’un proverbe. Mais les moyens mis en œuvre sont plus complexes. Il s’agit d’anticiper les commentaires possibles de l’interlocuteur de façon à les neutraliser d’avance. De plus, la prise de distance du locuteur est renforcée graphiquement par la présence de guillemets de part et d’autre du proverbe. Ils lui confèrent une valeur de citation dont l’auteur collectif serait la sagesse populaire. Enfin, la présence de « por una vez » et surtout de l’expression juridique « sin que sirva de precedente » tend à faire apparaître l’usage du proverbe comme délictueux au regard d’une orthodoxie lexicographique qui le condamnerait. L’apparition de la parémie est mise en scène par le métalangage.

Parfois cette mise en scène devient caricaturale. C’est le cas dans un passage de El cazador de leones, roman constitué par la conversation téléphonique d’un personnage avec une dame qu’il ne connaît pas et dont il a composé le numéro par hasard. Il s’agit en fait d’un monologue, les propos de l’interlocutrice n’étant pas retranscrits :

¿Cómo es posible que unos labios tan adorables como los suyos puedan decir que la lluvia ni quiebra huesos ni descalabra ?¿Dónde aprendió usted esa curiosa forma de hablar ?¿Se me ha convertido usted de pronto en un gañan con la boina calada hasta las orejas ? Perdone usted, querida amiga, pero no puedo tomármela en serio. Olvidaré pues ese horrible refrán sobre huesos y descalabros, No, no tengo nada contra los que usted habrá aprendido tal vez de alguna de sus sirvientas recién llegada de la aldea refranes. Considerados en su conjunto son algo así como el santuario de la sabiduría popular. Aquí mismo, en esta habitación, tengo por lo menos una docena de libros de máximas populares. (CL 58)

Il s’agit ici d’excuser l’interlocutrice dont la condition sociale supposée est incompatible avec l’emploi d’un proverbe (selon le locuteur). La seule explication possible est qu’elle l’ait appris par le biais d’une de ses servantes. Tomeo multiplie les détails grotesques. La servante imaginaire ne peut, de surcroît, qu’être récemment sortie de sa campagne. En revanche, le proverbe est qualifié d’« horrible », ce qui contraste avec les lèvres « adorables » de l’interlocutrice (il ne l’a jamais vue). Mais c’est bien sûr le personnage imaginant sa Dulcinée en paysan avec un béret enfoncé jusqu’aux oreilles, par le simple fait d’avoir prononcé un proverbe, qui fait toute la saveur caricaturale du passage. Pourtant, le personnage n’a rien contre les proverbes et va même jusqu’à justifier la présence, dans sa bibliothèque, de recueils de maximes populaires par cette fameuse sagesse dont ils sont porteurs. En effet, outre les cas d’indignation et les tentatives d’excuses, les commentaires métaparémiques ont principalement une fonction de justification de l’emploi des parémies dans le discours.

2.1.2. Justification

Si certains locuteurs, comme les personnages de Tomeo, ont la crainte de se trouver jugés socialement par le simple fait d’employer une parémie, pourquoi persistent-ils néanmoins à recourir à ces énoncés figés ? La réponse tient certainement à leur efficacité argumentative. Les commentaires métaparémiques, qu’ils soient pris en charge par le personnage ou par la voix narrative, ne se limitent donc pas à des formules d’excuse, mais contribuent également souvent à justifier la présence de parémies dans leur discours, en soulignant leurs vertus. Celles-ci tiennent à la nature des parémies, que ce soit en raison de leur contenu, leur aspect, ou leur registre d’emploi.

S’il paraît aisé d’argumenter par la parémie, c’est parce qu’il semble admis que les informations qu’elles véhiculent ne peuvent pas prêter à discussion. Il convient de s’incliner devant la sagesse populaire :

El Fiscal no quiere discutir sobre este punto. Lo único que desea hacer es apuntar una vez más la posibilidad de que el Dominico se haya equivocado al calcular el tamaño de las alas.
- Al fin y al cabo − dice, recurriendo a la sabiduría de los refranes populares − , el errar es el maestro del no errar y errando, al acierto nos vamos acercando.
El Obispo de S. aprueba las reflexiones del Fiscal con un movimiento de cabeza. A él también le parece incomparable la sabiduría que encierran las sentencias populares.
− Eso es cierto − interviene el Obispo de K., que quiere aportar también su propio refrán −. Al acierto, errando nos vamos acercando. Pero también es cierto que de un error, ciento en derredor. (MV 64-65)

Ce passage est intéressant non seulement parce que le métalangage fait appel à la sagesse populaire, mais aussi parce qu’il met en scène, non sans humour, une argumentation encore une fois uniquement fondée sur des parémies. Contrairement à l’exemple du débat télévisé tiré de Napoleón VII où l’ironie provenait du fait que les parémies-arguments n’avaient que peu de rapport les unes avec les autres, ici la problématique de l’erreur et de la réussite est cohérente. Mais le problème tient à l’exagération des efforts d’argumentation par la sagesse populaire. En effet, à la présence insistante des commentaires métaparémiques relatifs à cette sagesse s’ajoute la lourdeur de l’argumentation du premier personnage qui va accumuler deux proverbes exactement synonymes. L’humour du passage est lié à ce que de tels efforts vont être brutalement réduits à néant par l’interlocuteur. Celui-ci, voulant également faire montre d’érudition populaire (« quiere aportar también su propio refrán »), parvient à enlever à ladite sagesse toute crédibilité en énonçant un proverbe qui va totalement à l’encontre des précédents.

Le caractère soi-disant irréfutable d’une telle sagesse est d’ailleurs beaucoup moins lié au contenu des parémies (pouvant varier au point d’affirmer des choses contradictoires), qu’au fait que cette sagesse est dite « populaire », c’est-à-dire qu’elle a été acceptée pendant des siècles comme étant empreinte de bon sens. C’est en fait l’expérience et surtout l'autorité collective qui lui donne son assise et sa force argumentative. Certaines parémies semblent pourtant dénuées de bon sens :

Con una nariz como la tuya pueden percibirse en otoño todos los aromas de la próxima primavera. Piensa, además en todos esos refranes en los que se condensa la más profunda sabiduría de todos los pueblos. ¿Recuerdas, por ejemplo, aquel que asegura que todos los hombres narigudos, son también hombres sesudos7?
- No creo en los refranes suspira Ramón-. Nunca he creído en ellos.
Pues si no crees en los refranes -le digo-, piensa en lo que dijo el propio Edmond Rostand […]. (CAR 71)

Il ne s’agit pas de discuter le caractère véridique ou non du proverbe. Ce qui est important, c’est qu’au nom de cette vérité la parémie justifie le discours, et les commentaires métaparémiques justifient la parémie. La réaction de l’homme au grand nez (Ramón) est à cet égard très révélatrice : « No creo en los refranes ». C’est en termes d’adhésion (en l’occurrence de non adhésion) qu’il pose sa relation à la parémie.

C’est précisément ce type de relation que le commentaire métaparémique va souvent chercher à atteindre. Il a alors pour fonction de provoquer l’adhésion de l’interlocuteur à la parémie en insistant sur son caractère indubitable : « Ya lo dice el refrán y los refranes pocas veces se equivocan : oveja que bala, bocado que pierde »8 (CT 35).

Tous ces commentaires ont pour fonction de justifier l’emploi de la parémie par la sagesse ou par la vérité de ce qu’elle transmet, autrement dit par une certaine qualité attribuée à son contenu. Mais l’efficacité argumentative de la parémie peut être liée à d’autres éléments comme la clarté et la concision d’une formule qui, avec une grande économie de mots, va avoir un impact certain. Le marquis de El castillo de la carta cifrada ne s’y trompe pas : « Esta mañana me siento muy aficionado a los refranes, porque no quiero perder todas las oportunidades de hacerle comprender perfectamente cuáles son mis ideas » (CCC 28).

Parmi les parémies, le refrán (qui, rappelons-le, se différencie en espagnol du proverbio par son registre populaire) est certainement celle qui a la plus grande efficacité. Son caractère figuré et de nombreuses caractéristiques relevant de la rhétorique y sont pour beaucoup. Ces traits du refrán, qui le rendent particulièrement efficace, font partie de la définition proposée par Ángel Iglesias :

Un refrán es una expresión fija que forma parte del acervo lingüístico común y tiene connotación popular, constituida por un enunciado completo que, con entonación propia y elementos rimados o aliterados, expresa en forma elíptica directa o figurada, un saber o moralidad o bien manifiesta una actitud lúdica9.

Cette forme elliptique et ces rimes ou allitérations, auxquelles on pourrait ajouter le caractère bimembre du refrán, font de lui une parémie particulièrement bien libellée, marquante aussi bien par sa forme que par son contenu (figuré et parfois ludique). Si les commentaires métaparémiques ont pour but de louer l’efficacité formelle de la parémie, ils trouvent, dans le refrán, la parémie par excellence en raison de son aspect.

Outre la justification par le contenu et la forme, les commentaires métaparémiques présents dans l’œuvre de Javier Tomeo s’attachent à des considérations de registre. Cela peut paraître paradoxal puisqu’il a été vu plus haut que les commentaires métaparémiques induits par le registre sont souvent des formes d’excuse. Mais selon le contexte, un registre familier peut devenir une véritable force. Cet aspect n’a pas échappé à Tomeo car son marquis, dans El castillo de la carta cifrada, va se livrer à un développement sur ce point. Auparavant, il explique à son messager Bautista qu’il faut brouiller les pistes et persuader les bûcherons qui se trouveront sur son chemin qu’il va porter un message au Duc de W. et non au comte de X. (comme c’est le cas) :

Sería conveniente, para redondear la cosa, que después de explicarles todo eso, soltase algún refrán, o alguna conseja popular, que sirviese para demostrar a esos hombres que todos ustedes, en definitiva, pertenecen al mismo estamento social. Dígales por ejemplo, a modo de coletilla : « ¡Y ya saben ustedes ! ¡ Con pan y vino se anda el camino ! » O bien : « Y ya saben ustedes, el caminito de San Fernando, un ratito a pie y otro andando! ». Todas esas expresiones, por supuesto, referidas al largo rodeo que deberá dar para llegar al castillo del Duque de W. Le sugiero el recurso de los refranes porque estoy convencido, Bautista, de que, haciendo gala de cierta erudición plebeya, podrá ganarse con más facilidad la confianza de esa gente. Es decir, podrá convencerles con menos esfuerzo de que ustedes, a pesar de lo que ellos pudieran pensar en un principio, pertenecen al mismo clan. Una vez convencidos de eso, creerán firmemente todo lo que les diga. (CCC 106)

Ici, le métalangage est abondamment employé pour faire ressortir une nouvelle justification de l’emploi de la parémie. Celle-ci permet de faire croire à une identité culturelle entre le locuteur et son interlocuteur afin de faciliter la communication et, au-delà, l’adhésion de la personne à convaincre.

Il faut en outre remarquer l’écart existant entre les petits commentaires soulignant la présence d’une parémie, analysés au début de cette étude, et l’extension du métalangage dans ce dernier exemple. Il s’agit ici d’un véritable discours métaparémique qui ne fait que commencer. En effet, ce passage constitue un véritable traité sur l’usage des parémies car, à la page suivante, le narrateur continuera d’insister sur l’efficacité argumentative et la fonction sociale du refrán. Mais peu à peu, un glissement se produit. De la parémie objet de discours, on passe à la parémie objet d’humour.

2.2. Ironie métaparémique

2.2.1. Discours métaparémique : la parémie objet d’ironie

Si la parémie apparaît comme un objet d’humour, ce sont les commentaires métaparémiques qui seront les porteurs de l’ironie. Mais le phénomène est plus complexe : il faut, pour l’éclairer, étudier la suite de ce discours métaparémique :

Gánase, pues, la confianza de esos hombres. No quisiera que, una vez solos, empezasen a investigar por su cuenta, y que por el hilo sacasen el ovillo. Un poco de demagogia, nunca va mal, aunque digan por ahí que la demagogia es la hipocresía del poder. Siga soltándoles, pues, todos los refranes que se le vayan ocurriendo, vengan o no a cuento. « Amigos míos − puede decirles, a punto ya de reanudar la marcha −, doncellez y preñez, no puede ser a la vez. (Ya tiene usted el primer refrán.) Quiero decirles con eso que me quedaría muy a gusto con ustedes hasta que cerrase la noche, pero la obligación, antes que la devoción. (Segundo refrán.) Hora es ya de que continúe mi camino hacia el castillo del Duque de W, porque a quien madruga, Dios le ayuda. (Tercer refrán.) » Sí suelta todas esas consejas con naturalidad, dejará a los leñadores convertidos en excelentes amigos, dispuestos a jurar, ante quien se lo demande, que el Duque de W es el único y verdadero destinatario de mi carta. (CCC 106-107)

Cet extrait intervient quelques lignes après le précédent. Les deux passages sont juste séparés par des extrapolations sur la réaction des bûcherons. Ceux-ci penseront qu’un homme de la même condition sociale qu’eux (à en juger par les proverbes qu’il emploie) n’a aucun intérêt à leur mentir.

La fonction de rapprochement social de la parémie fait l’objet d’une telle insistance qu’elle devient, désormais, caricaturale et grotesque. A en croire le marquis, le seul emploi de parémies serait suffisant pour faire croire aux bûcherons que Bautista se rend chez le Duc de W. Mieux encore : n’importe quel proverbe fait l’affaire, qu’il ait ou non un rapport avec le contexte. Cela revient à octroyer aux parémies un pouvoir magique, une force incantatoire. On reconnaît là un des procédés favoris de Tomeo : passer la réalité à travers un miroir grossissant et déformant. Cette fois-ci, ce miroir s’applique aux parémies. Tomeo part toujours d’une observation toute simple. Il s’agit en l’occurrence de l’importance de la notion de registre lors de l’emploi d’une parémie. Cette réalité est alors grossie. En raison de ce registre, la parémie va faire l’objet d’excuses à travers les commentaires métaparémiques. Inversement, ce registre pourra tout aussi bien constituer la raison d’être de la parémie dans le discours. Puis le grossissement va devenir monstrueux, la réalité va se trouver déformée. Le registre familier de la parémie ira jusqu'à exercer sur les bûcherons une sorte d’hypnose. Le texte bascule alors dans l’absurde. L’ironie réside dans cette accumulation des parémies qui sont détournées de leur emploi habituel puisque ce qui fait sens n’est plus la signification de ce fait de langue mais la présence même d’une forme figée quelle qu’elle soit, parce qu’elle est issue de la culture populaire. Leur emploi récurrent contribue en outre à transformer le discours du personnage (qui ne cache pas son intention d’user et d’abuser des proverbes pour manipuler ses interlocuteurs) en pseudo chant rituel destiné à remporter encore plus facilement l’adhésion des bûcherons. Ce discours proverbial rythmé par des proverbes (comprenant eux même une rythmique), n’est pas sans évoquer une parole mythique (cf. Anscombre 2000 : 26). Derrière la farce, c’est bien l’essence des proverbes qui est mise en lumière dans les écrits de Tomeo.

2.2.2. Métalangage et parodie du métalangage

Le rythme incantatoire qui vient d’être évoqué n’est pas seulement dû à l’accumulation de proverbes. Il tient également au rythme et à la nature des commentaires métaparémiques. Les commentaires métalinguistiques destinés à souligner la présence du refrán ont, en effet, également quelque chose de caricatural. Ces commentaires, destinés à prévenir l’auditoire de l’énonciation d’une parémie et permettant de ne pas l’assumer totalement, ont été analysés plus haut. Mais ils revêtent ici une forme singulière. Ces indicateurs de la présence d’un énoncé figé n’introduisent pas les parémies mais les suivent : « (Ya tiene usted el primer refrán)[…] (Segundo refrán) […] (Tercer refrán) ». La syntaxe du discours présentateur disparaît également puisque la référence métalinguistique à la présence d’une parémie figure simplement entre parenthèses. Enfin, ladite référence suit un adjectif numéral ordinal, ce qui constitue un procédé extrêmement direct et économique d’un point de vue syntaxique et s’oppose aux grands développements métaparémiques sur l’utilité du proverbe du début du passage. Le métalangage servant à souligner la présence d’un énoncé figé est lui aussi caricatural car réduit à sa plus simple expression, ce qui ne va pas sans attirer l’attention. Il devient curieusement lui aussi un texte minimal, fermé sur lui-même, délivré automatiquement, autant de caractéristiques propres aux proverbes. Cette parodie du métalangage qui se croit libre mais peut très vite devenir stéréotypé rappelle comme l’ont fait de nombreux auteurs, qu’une bonne partie de notre langue est constituée de séquences figées (Mejri 2003).

3. Un exemple atypique de « discours parémique »

La relation entre parémies et discours a été étudiée sous deux angles. D’une part, les parémies s’insèrent dans le discours et servent à le justifier. D’autre part, la présence d’une parémie dans un discours crée parfois la nécessité d’un métalangage, discours spécifique dont l’objet est la parémie et dont la fonction est aussi de la justifier. Parémie et discours apparaissent donc comme deux entités distinctes mais qui entretiennent entre elles des relations très étroites régies par le phénomène de justification.

L’œuvre de Javier Tomeo fournit pourtant dans El unicornio un passage dans lequel les relations entre parémies et discours sont d’une autre nature. L’extrait concerné est long mais il est, dans son extension, très éloquent. C’est pourquoi il apparaît nécessaire de le reproduire en entier afin de le commenter :

CHAMBELÁN
(Profundamente embarazado). — ¿Deseáis de verdad que os aconseje, señor?
DUQUE
—Sí, quiero consejos. Muchos consejos. (Se sienta en el suelo, frente al trono.) Se dice que no hay refrán que no sea verdadero [1], Consolémonos por lo menos, con esa forma de verdad.
Pausa. El Chambelán, con la barbilla hundida en el pecho, medita intensamente. Sus manos van per­diendo la crispación de los primeros momentos.
CHAMBELÁN
—¿Os sirve, por ejemplo, aquel que dice « amor de madre, que todo lo demás es aire [2] »?
DUQUE
—Me parece admirable. Sigue.
CHAMBELÁN
—¿Y aquel que asegura que « donde una puerta se cierra, otra se abre [3] »?
DUQUE
—Perfecto. Pero no vaciles más. Continúa sin miedo.
CHAMBELÁN
-« Quien bien tiene y mal escoge, por mal que le venga no se enoje [4] ».
DUQUE
—Otro.
CHAMBELÁN
—« Más vale pájaro en mano que buitre volando [5] »
DUQUE
—Otro.—« El golpe de sartén, aunque no duele, tizna [6] ».
DUQUE
—Otro.
Pausa. Parece ahora como si el Chambelán empezase a sentirse a gusto en su nuevo papel. Su expresión se ha serenado y recita ya los viejos refranes con voz pausada y grave, como corresponde a un verdadero príncipe.
CHAMBELÁN
—« Del mal que hicieres, no tengas testigos, aunque fuese tu amigo [7] ».
DUQUE
—Otro.
CHAMBELÁN
—« Si la locura fuese dolor, en cada casa darían voces [8] ».
DUQUE
—Ese no lo entiendo.
CHAMBELÁN
—Quiere decir que todos, en mayor o menor medida, andamos un poco locos.
DUQUE
(Soltando una carcajada). — ¡Magnífico! (Entristece en seguida el semblante y niega, con lentos y repetidos movimientos de cabeza.) Pero tampoco ese refrán puede satisfacerme del todo. ¿Qué puede importarme la locura de los demás?
Pausa. El Chambelán respeta el silencio del Duque, que permanece con la mirada fija en el suelo, sumido sin duda en profundas reflexiones. Por delante del teatro pasa zumbando el camión de los bomberos, y el aullido de las sirenas estremece por un momento las bambalinas.
[…]
(Golpeándose la cabeza con los puños). — ¡Oh, sí! ¿Qué me importa la locura de los demás?
Se levanta, vuelve a la ventana y contempla otra vez el verde joven de los árboles. El Chambelán continúa sentado en el trono.
DUQUE
(Sin volverse). — De cualquier modo, continúa con tus refranes.
CHAMBELÁN
(Con voz clara y precisa, cada vez más en su papel). — « Si quieres vivir en paz, cuanto sepas no dirás [9] ».
DUQUE
—Otro.
CHAMBELÁN
—« Doce gallinas y un gallo, comen tanto como un caballo [10] ».
(Siempre de espaldas, vuelto hacia el jardín)-
Otro.
CHAMBELÁN
—« Cuando mengüe la luna, no siembres cosa alguna [11]10 ».
DUQUE
—Nada me importa tampoco la siembra. No soy capaz de sembrar. ¡Atención a los refranes que eliges, Waldemaro! ¡Te va en ello la cabeza!
El Chambelán se agita en el trono. Ha perdido ya la serenidad de hace un momento.
CHAMBELÁN
(Allá, en el pequeño cuarto camaleón, el hombre enciende la luz verde y la mujer entorna los ojos. « Me parece que, si me quedo quieta, no va a pasar nada », dice.)
(Tras una pausa, sobreponiéndose). — ¿Deseáis, tal vez, escuchar algún otro refrán, señor?
DUQUE
(Siempre de espaldas a los espectadores, vuelto hacia el jardín). — Elígelos con más tino, te prevengo.
CHAMBELÁN
(Con acento tembloroso). — « Agua que no has de beber, déjala correr [12] ». (Se interrumpe y observa al Duque con expresión angustiada.) ¿Lo dije tal vez antes?
DUQUE
—No, continúa.
CHAMBELÁN
—« En boca cerrada, no entran moscas [13] ».
DUQUE
—Otro.
CHAMBELÁN
—« Soplar y sorber, junto no puede ser [14] ».
DUQUE
—¡Absolutamente estúpido! ¡Continúa!
CHAMBELLÁN
—« Si el hijo se parece al padre, de dudas sale la madre [15] »
DUQUE
(Estallando, acercándose amenazadoramente al Chambelán) —¿Qué quieres insinuar con ese refrán ?¿Intentas venir a decirme que tampoco puedo estar seguro de quién fue mi padre ?
CHAMBELÁN
(Abandonando el trono y arrodillándose a los pies del Duque). —¡Os suplico perdón, Señoría ! (U 52-60).

Ce long passage de El Unicornio établit un nouveau type de rapports entre parémies et discours. Il n’y a plus une relation étroite entre ces deux entités mais une véritable adéquation. La parémie ne constitue plus une partie infime d’un discours plus vaste dans lequel elle doit s’intégrer. Les énoncés figés constituent le discours. En effet, à l’exception de quelques phrases faisant office de didascalies11, l’intégralité du discours est constituée de parémies ou de discours métaparémiques. Les deux entités, parémies et discours, ne sont plus distinctes : elles se superposent. A ce titre, on peut qualifier ce passage de discours parémique. Il ne s’agit pas d’ériger cet exemple en archétype de ce qui serait le discours parémique. Une telle utilisation littéraire de la parémie reste marginale.

Le caractère atypique d’une telle sorte de discours trouve son explication, encore une fois, dans le problème de la justification. Il a été montré que la fonction justificatrice détermine l’apparition des parémies dans le discours et se trouve souvent à l’origine des commentaires métaparémiques. Or si les parémies constituent le discours, il n’y a pas de discours extraparémique à justifier. Inversement, s’il n’y a pas de discours extraparémique à justifier, il n’y a pas nécessité d’employer des parémies… D’où le caractère très improbable de ce type de discours. Pourquoi alors a-t-il été rendu possible dans El Unicornio ? Parce que la justification est extralinguistique : elle est existentielle.

Il est nécessaire de situer ce passage dans la problématique de l’œuvre et dans son contexte immédiat. Le personnage du Duc, malgré son omnipotence, se considère comme un raté. Il est minuscule et insignifiant. Son existence est vaine. Il fait monter le chambellan sur son trône et lui demande de le conseiller. En fait, il veut entendre du chambellan des proverbes qui le consoleront de son existence : Consolémonos por lo menos con esa forma de verdad. La supposée vérité des proverbes destinés à le consoler est finalement la seule chose qui puisse donner un sens à son existence.

En effet, outre les parémies constituant des conseils (Del mal que hicieres, no tengas testigos, aunque fuese tu amigo, Si quieres vivir en paz, cuanto sepas no dirás) ou des avertissements (quien bien tiene y mal escoge, por mal que le venga no se enoje, El golpe de sartén, aunque no duele tizna), un certain nombre d’énoncés figés du début du passage ont en commun de consoler : amor de madre, que todo lo demás es aire, donde una puerta se cierra otra se abre, más vale pájaro en mano que buitre volando. Le Duc est demandeur : « otro », répète-t-il invariablement.

Mais peu à peu le chambellan se prend au jeu et oublie la fonction initiale de la parémie pour le Duc : le consoler de son existence et la justifier. Il énonce des parémies qui ne peuvent plus vraiment s’appliquer au cas personnel du Duc [8, 10, 11, 13, 14]. Celui-ci va avoir des réactions de plus en plus agressives : «¿Qué puede importarme la locura de los demás ? », « Nada me importa tampoco la siembra. No soy capaz de sembrar.¡Atención a los refranes que eliges, Waldemaro !¡Te va en ello la cabeza ! », « -¡ Absolutamente estúpido ! ¡ continúa ! ». Enfin, avec la parémie « Si el hijo se parece al padre, de dudas sale la madre », la colère du Duc éclate et le jeu prend fin : «¿Qué quieres insinuar con ese refrán ?¿Intentas venir a decirme que tampoco puedo estar seguro de quién fue mi padre ? ». Mais cette fois-ci, la colère n’est pas liée au manque d’application possible de la parémie au cas personnel du Duc. Bien au contraire, ce qui le fâche c’est cette possible application. L’existence du Duc n’en devient que plus absurde, car s’il a pu trouver dans la vérité des parémies la seule justification de son existence, il n’en demeure pas moins que toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. Le Duc est pris à son propre piège. C’est sur cette chute que se clôt ce discours parémique qui a tout d’une construction théâtrale.

Dans ce discours parémique, la fonction justificatrice du proverbe est poussée à l’extrême puisqu’il s’agit d’une justification existentielle. Il n’y a d’ailleurs nul texte à justifier car le discours est uniquement constitué de l’association entre parémies et discours métaparémique. Cette fois-ci le stéréotype fait office de discours, ce qui est finalement assez caractéristique de certains textes appartenant à la littérature existentialiste (Beckett, par exemple) dans lesquels une grande partie du discours est préfabriqué.

Conclusion

Le discours parémique, comme justification existentielle, a pu trouver ses limites. Mais en ce qui concerne la création littéraire, il est intéressant de constater que c’est cet essai de justification existentielle, et donc extralinguistique, qui a permis l’élaboration d’un tel type de discours, au demeurant exceptionnel. La problématique de la justification se trouve donc au cœur des relations entre parémie et discours. Le discours métaparémique a souvent pour fonction de justifier l’énonciation d’une parémie, elle-même destinée à justifier le discours plus vaste dans lequel elle est intégrée. Ce système de justification en chaîne est lié à la nature même de la parémie. C’est parce qu’elle a été adoptée collectivement comme porteuse d’une vérité générale qu’elle constitue, pour le locuteur, un argument de poids. C’est donc en tant que produit linguistique d’un long processus de répétition qu’elle a pu acquérir sa force argumentative. Ne l’oublions pas : les parémies, comme les autres énoncés figés, sont issues d’un phénomène de répétition. Cette répétition en amont est connotée par la simple énonciation d’une parémie. Nous considérons d’ailleurs que toute expression ou énoncé figé doit être considéré comme une répétition connotée (Fournié 2002). En insérant cette forme fixe dans son discours, le locuteur perçoit qu’il constitue provisoirement le dernier maillon d’une immense chaîne de locuteurs appartenant à la même culture. C’est certainement cette perception qui paradoxalement fait de ce stéréotype, qu’on pourrait croire prisonnier de son carcan formel, un véritable moteur de la dynamique textuelle. Tout d’abord parce qu’il faut insérer la parémie dans le discours libre mais surtout parce que la parémie est créatrice de discours à travers les commentaires métalinguistique qu’elle suscite. De ces importants discours métaparémiques au discours parémique il n’y avait qu’un pas. Tomeo a décidé de le franchir en montrant qu’au delà de la parémie qui justifie le discours et du discours qui justifie la parémie, ces stéréotypes peuvent également constituer un discours à part entière, certes expérimental, mais non dénué de signification dans l’économie de l’œuvre.

Le mouvement dialectique qui a été démontré est articulé autour de la fonction justificatrice de la parémie. C’est du moins celle qui semble privilégiée sous la plume de Tomeo. Néanmoins, sous couvert de justification, ce sont bien les différentes caractéristiques des parémies qui se trouvent mises en avant une à une grâce aux textes qui les contiennent et aux commentaires qui les concernent (leur caractère polyphonique, exemplaire, populaire, incantatoire, etc). Parce que ces faits de langue sont aussi des microtextes insérés dans des macrotextes, ils ont la spécificité de se donner à voir et d’être avant tout créateurs de discours.

Un corpus où le discours libre peut devenir figé et où les énoncés figés peuvent constituer le discours ouvre beaucoup de pistes de réflexion sur le lien certainement beaucoup plus étroit qu’on ne le pense entre ces deux entité (figement et discours) qui, à la lumière de cette étude, nous paraissent totalement indissociables.

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Zuluaga Alberto (1980). Introducción al estudio de las expresiones fijas. Frankfurt Main : Lang.

Corpus

Tomeo, Javier (1971). El Unicornio. Barcelona : Bruguera. = U dans le texte.

Tomeo, Javier (1979). El Castillo de la carta cifrada. Barcelona : Anagrama. = CCC dans le texte.

Tomeo, Javier (1985). Amado Monstruo. Barcelona : Anagrama. = AM dans le texte.

Tomeo, Javier (1987). El cazador de leones. Barcelona : Anagrama. = CL dans le texte.

Tomeo, Javier (1988). Bestiario. Madrid: Montena-Mondadori. = B dans le texte.

Tomeo, Javier (1994). Los Reyes del huerto. Barcelona : Planeta. = RH dans le texte.

Tomeo, Javier (1995a). El crimen del cine Oriente. Barcelona : Plaza y Janes. = CCO dans le texte.

Tomeo, Javier (1995b). Conversaciones con mi amigo Ramón. Madrid : Huerga y Fierro. = CAR dans le texte.

Tomeo, Javier (1996). La máquina voladora. Barcelona : Anagrama. = MV dans le texte.

Tomeo, Javier (1990). El gallitigre. Barcelona : Planeta. = G dans le texte.

Tomeo, Javier (1998). El canto de las Tortugas. Barcelona : Anagrama. = CT dans le texte.

Tomeo, Javier (1999). Napoleón VII. Barcelona : Anagrama. = N dans le texte.

Notes

1 La terminologie est celle de Arnaud (1991). Retour au texte

2 On reprend ici la terminologie de Corpas Pastor (1996 : 137) qui s’inspire d’ailleurs de la classification d’Arnaud (1991). Retour au texte

3 todo el trigo parece harina : on peut considérer ce proverbe comme une variante (ou déformation) de todo lo blanco no es harina qui apparaît déjà en 1555 dans le dictionnaire de Nuñez (1555). Retour au texte

4 el lobo pierde los dientes pero no la memoria : variante de la forme plus couramment attestée : pierde el lobo los dientes y no las mientes. J. G. Campos et A. Barella (1993). Retour au texte

5 Ces deux parémies étrangères sont attestées. Elles figurent dans : J. Sintes Pros (1989 : 573 et 562). Retour au texte

6 Les auteurs de cette époque s'excusent d'ailleurs d'écrire de la littérature profane (cf. La Celestina) au point de ne pas signer leurs œuvres (cf. Lazarillo de Tormes). Retour au texte

7 Cette parémie apparaît comme une variante de la forme répertoriée : hombre narigudo, ingenio agudo. (JUNCEDA 1996: 218). Retour au texte

8 Les dictionnaires modernes attestent généralement ce proverbe sous la forme : oveja que bala bocado piedre. Cette même forme apparaît déjà en 1675 dans Caro y Cejudo (1675 : 304). Retour au texte

9 A. Iglesias Ovejero, séminaire de maîtrise sur les expressions figées. Université d’Orléans, 1992-1993. Retour au texte

10 10 Variante de la forme répertoriée : cuando mengua la luna, no comiences cosa alguna. (Martínez. Kleiser 1953 : n°37304) Retour au texte

11 Le roman El Unicornio mêle plusieurs espaces diégétiques dont la représentation d’une pièce de théâtre. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Sylvie Fournié-Chaboche, « La dialectique de la parémie et du discours : analyse des parémies en contexte dans un corpus littéraire castillan », Textes et contextes [En ligne], 5 | 2010, publié le 21 novembre 2017 et consulté le 28 mars 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=239

Auteur

Sylvie Fournié-Chaboche

Laboratoire Ligérien de Linguistique (EA 3850), Université d’Orléans, Faculté des Lettres, Langues et Sciences Humaines, 10 rue de Tours – BP 46527 -4 5065 Orléans Cedex 2

Droits d'auteur

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