OUVRAGE : John Humbley. La Néologie Terminologique. Limoges, Lambert Lucas, 2018, 472 p. ISBN : 978-2-35935-226-9

Texte

L’ouvrage présenté ici est l’une des publications les plus récentes de John Humbley, dont on ne présente plus ni les travaux ni l’influence sur la recherche terminologique en France et à l’étranger.

La néologie terminologique constitue de la première à la dernière page une synthèse exhaustive, précise et hautement documentée de la terminologie en général et de la néologie en particulier tout en conservant un format relativement compact. Ce travail s’inscrit dans une démarche scientifique commencée il y a plus de 25 ans en terminologie (p. 13) et qui participe de la construction épistémologique du champ terminologique sans jamais tomber dans la prescription. Suivant la dynamique actuelle en langue-culture de spécialité, Humbley revient sur les étapes clés de la terminologie, sur ces concepts majeurs à l’aune des méthodologies de linguistiques cognitive et de corpus, et apporte sa pierre à l’édifice à travers ses réflexions sur la créativité terminologique.

Le chapitre introducteur positionne le champ terminologique dans son historicité. Précis et documenté, l’auteur retrace l’histoire du développement de la discipline, prenant le soin de définir concepts et théories provenant de l’espace anglophone, francophone et germanophone. Aux réflexions théoriques succèdent les considérations socio-économiques : les travaux en terminologie et néologie ne sont pas uniquement nécessaires en recherche fondamentale, le besoin en recherche appliquée est réel. Ce faisant, l’auteur travaille deux approches méthodologiques de la néologie terminologique à savoir un axe néologique et un axe terminologique. Le premier est orienté vers les sciences du langage pures, le second s’ouvre à l’extralinguistique. S’il fallait émettre une critique, elle interviendrait à cet endroit. Si la conception d’Humbley des langues(-cultures) de spécialité apparaît en filigrane au fil des pages, il aurait certainement été plus efficace de l’expliciter pour mieux éclairer son approche terminologique de la néologie.1

Suite à la contextualisation de l’ouvrage et à l’exposé des développements méthodologiques, le chapitre 3 prépare brièvement le terrain, en introduisant les concepts fondateurs de la néonymie, au chapitre 4 qui élabore quatre modèles de néologie terminologique : le modèle incrémental, le modèle discursif, le modèle métaphorique et le modèle mixte. Les trois premiers seront examinés dans les chapitres suivants à l’aune du dernier.

Sous la plume d’Humbley, le modèle incrémental repose essentiellement sur la composition, définie dans un sens très large (p. 125). Le chapitre 5 définit ainsi le modèle en agrégeant différentes théories et en les appliquant à grand renfort d’exemples et de schémas. Ensuite, le modèle discursif, qui s’appuie sur le travail de M.A.K. Halliday et en particulier sur la théorie de la métaphore grammaticale, est décrit. Il s’agit de modifier le paramétrage grammatical d’une structure donnée afin de générer un nouveau terme et ainsi répondre à un besoin discursif. La démonstration porte principalement sur le discours scientifique. Le chapitre 7 prend un tournant cognitif en introduisant dans la discussion le concept de métasémie, qui prend, sous la plume d’Humbley, deux formes : la métonymie et la métaphore. L’auteur s’appuie sur le travail réalisé depuis le milieu des années 1990 par Rita Temmerman, connue pour avoir développé la socioterminologie cognitive, et fait ainsi le lien entre un terme et la génération de sa signification par l’activation d’une métaphore cognitive reliant deux domaines conceptuels distincts.

La suite de l’ouvrage prend un tournant plus méthodologique en s’intéressant successivement à des secteurs restreints de la néologie, illustrés d’exemples tirés des travaux précédents de l’auteur.

Le chapitre 8 précise les développements théoriques précédents et travaille l’appareil méthodologique en se concentrant sur la néologie rétrospective c’est-à-dire la création d’un terme pour un concept ancien. L’exposé est illustré par une courte étude sur le foisonnement néologique lié à l’invention de la reproduction sonore. Le chapitre suivant poursuit cette dynamique en abordant la néologie officielle. Il s’agit ici de la création de termes par des institutions politiques dans le cadre d’une terminologie contrôlée et normative. L’auteur s’appuie alors sur des exemples de nomination en chimie et médecine pour aboutir à la politique terminologique en France et au Québec. Ces considérations portant sur la politique d’aménagement linguistique sont poursuivies dans le chapitre suivant qui définit le terme et analyse huit « chantiers » terminologiques (swahili, chinois, etc.) à travers le monde avant de reposer la question de la pertinence d’un tel concept. Si ce chapitre est trop court pour analyser en profondeur le développement terminologique de l’une ou l’autre langue, il a non seulement le mérite d’enrichir la culture linguistique du lecteur, mais aussi (et surtout) de montrer l’importance de ce genre de travaux et du rôle des linguistes dans une société qui tourne toujours plus le dos aux sciences humaines et sociales.

Le chapitre 11 reprend le fil de la démonstration et s’intéresse à la néologie de transfert, par traduction, intralangue (de la langue spécialisée à la langue « générale ») et interlangue (de l’anglais au français) et aux problèmes terminologiques qui peuvent alors émerger. La métaphore en est un parfait exemple. Les études de cas portent sur les domaines administratif, juridique et pharmaceutique.

Le dernier chapitre de ce livre fait le lien entre passé, présent et futur en rappelant que si la néologie est l’expression de l’innovation linguistique, elle s’insère dans la dynamique de la langue et est donc le reflet du passé et du présent. L’étude de la néologie est donc nécessairement diachronique, et le prouver est l’un des fils d’Ariane de ce livre. L’analyse de la néologie dans la terminologie actuelle se voit offrir deux études de cas relativement longues dans le domaine de l’économie et plus précisément de la « nouvelle économie », c’est-à-dire l’économie tertiaire numérique, et le commerce électronique, qui s’inscrit dans la première citée. Ces deux domaines se révèlent être au cœur du processus de mondialisation et par conséquent au carrefour des langues et des dénominations.

Pour conclure, l’auteur propose avec ce livre un panorama exhaustif et exigeant de la terminologie qui ravira les spécialistes, éclairera les professionnels, traducteurs en tête, et instruira les étudiants : cet ouvrage est déjà à classer au rang de référence.

Bibliographie

Humbley, John, « 9. Lsps In French », in : Humbley, John, et al., Eds. Languages for Special Purposes. An International Handbook (= De Gruyter Reference), Berlin & Boston : Mouton de Gruyter, 2018, 209-224.

Notes

1 L’auteur retrace par ailleurs dans une contribution précédente (Humbley 2018) les aléas épistémologiques et définitoires du champ des langues de spécialité en France. Ce faisant, il donne entre les lignes sa vision des « LSP ». Nous conservons LSP car le terme relève en soi d’une orientation axiologique. Retour au texte

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Référence électronique

Matthieu Bach, « OUVRAGE : John Humbley. La Néologie Terminologique. Limoges, Lambert Lucas, 2018, 472 p. ISBN : 978-2-35935-226-9 », Textes et contextes [En ligne], 14-1 | 2019, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=2162

Auteur

Matthieu Bach

Centre Interlangues Texte, Image, Langage (EA 4182), Université de Bourgogne Franche-Comté, UFR Langues et Communication, 4 Boulevard Gabriel, F – 21000 DIJON, matthieu_bach [at] etu.u-bourgogne.fr

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