Jean-Noël Bret et Yolaine Escande (dirs.). Le paysage entre art et nature

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Jean-Noël Bret et Yolaine Escande (dirs.). Le paysage entre art et nature. Collection « Art et société ». Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2017, 181 p. Index des noms d’artistes, p. 171. Illustrations p. 1-xxvi. ISBN 978-2-7535-5492-4.

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Sorti simultanément à l’exposition de la BNF Paysages français. Une aventure photographique, 1984 - 2017 (commissaires Raphaële Bertho et Héloïse Conesa)1, ce recueil d’articles se propose d’étudier l’art paysager à partir du xviie siècle, principalement en Europe à partir d’expositions récentes, en s’attachant à des artistes et des lieux variés, à diverses formes d’art paysager (le jardin, par exemple), ou en s’inscrivant dans une réflexion esthétique. Rédigés par des historiens de l’art, des philosophes et des conservateurs, tous cherchent à illustrer la thèse d’une situation médiane du paysage entre art et nature.

Ainsi que le rappellent Jean-Noël Bret et Yolande Escande directeurs de ce recueil excellemment illustré, le paysage moderne fait son apparition avec l’humanisme de la Renaissance. 2 Le mot apparaît au xve siècle en relation avec celui qui fait le paysage, c’est-à-dire le spectateur. Le paysage se fonde sur la rupture entre le religieux et le profane : le paysage urbain de la Vierge du Chancelier Rodin (c. 1435) de Jan van Eyck marque l’« intrusion de l’espace humain dans le religieux » (p. 10). Il se fonde aussi sur l’artialisation de la nature : Petit paysage du Danube (1520-1525) d’Albrecht Altdorfer est le premier tableau occidental sans personnage ni narration, exhaussant le paysage à la dignité de spectacle. Dans ses carnets de voyage vers l’Italie, Dürer baptise l’Anversois Joachim Patiner « paysagiste ». Quelques décennies plus tard, le paysage des protestants aux Pays-Bas devient celui du quotidien, mais aussi celui que rejettent Michel Ange et Raphaël et que délaisse Titien au profit du nu. Lorsque renaît le paysage classique avec Annibal Carrache dans la Lunette Aldobrandini, au début du xviie siècle, il va se déployer en passant par Poussin, Lorrain, Turner et Monet. Cette généalogie des débuts de la modernité à la fin du jusqu’au romantisme, passe également par Rome, la Ville éternelle, dont Stéphane Loire étudie le rôle comme épicentre dans l’émergence d’un phénomène européen d’art paysager jusqu’à Poussin.

A partir de l’exposition de 2010-11 au Musée Cognacq-Jay, José de Los Llanos se tourne vers l’étude d’un type de paysage spécifique : le Tivoli (xviiie) qui va fonctionner comme topos pictural entre 1700 et 1830 pour exprimer des thématiques et des émotions très différentes, en fonction du format du tableau et de sa destination. L’article suivant, d’Emilie Beck Saiello est consacré à un artiste généralement associé avec l’art paysager : Horace Vernet (1714-1789) dont l’auteur examine la correspondance et reproduit une letter inédite et des témoignages contemporains pour montrer comment la pratique picturale de Vernet, fondée sur une observation et un travail d’après nature, a contribué à la valorisation et à la reconnaissance du paysage pictural au xviiie siècle. Luigi Gallo s’intéresse pour sa part à Pierre-Henri de Valenciennes (1750-1819) dont le traité Eléments de perspective pratique à l’usage des artistes (1800, 1820 pour la seconde édition) a exercé une influence indéniable sur l’art paysager. Ce texte est mis en regard avec les thèses sur le paysage de Piles, Quatremère de Quincy, Diderot, Winckelmann. Valenciennes relève d’une esthétique où le paysage est chargé de s’approprier les images du monde pour les transcender dans un beau idéal.

Michel Hilaire, conservateur du musée Fabre de Montpellier, consacre un article au collectionneur François-Xavier Fabre (1766-1837) ayant longtemps vécu en Toscane avant de revenir à Montpellier et dont la collection a permis la naissance du musée portant son nom. Hilaire explore les liens entre artistes et mécènes à un moment d’évolution des goûts en raison des bouleversements politiques. Céline Flécheux étudie la question des relations entre horizon, perspective et paysage d’un point de vue philosophique depuis la Renaissance. Dès le traité d’Alberti De pictura (1435), l’horizon est conçu comme ouverture et limite du champ visuel, hauteur du point de vue, voire comme utopie dans les architectures de la ville de la Renaissance. Il deviendra un acteur à part entière au xixe siècle lorsque les artistes privilégient la sensation aux dépens de la perspective. Des réflexions sur Mondrian démontrent l’importance de l’horizon pour l’art abstrait.

L’article de Colette Garraud sur la différence entre le land art et paysage investi par des sculptures montre que le land art a apporté un brouillage des frontières entre jardins, parcs et paysages. C. Garraud différencie les sculptures présentes dans un parc, destinées à mettre en valeur le site, des œuvres présentes dans certains paysages saisissant le spectateur pour lui faire regarder l’ailleurs du paysage, à travers le paysage même. Entre paysage et jardin, la distinction devient floue. Cet article s’éclaire des réflexions de Baldine Saint Girons sur la différence entre jardin et paysage dont elle fait le reflet de conceptions philosophiques opposées. Dès le xviiie siècle, une confusion s’installe entre jardin et paysage. De quelle discipline, alors, l’étude du paysage doit-elle se réclamer : de la philosophie ou bien de l’histoire de l’art, voire de l’art ? B. Saint Girons retrace l’histoire de cette relation conflictuelle dans la culture occidentale à travers sa structuration en catégories antithétiques : modèle architectural vs modèle pictural ; œuvre d’art vs œuvre de civilisation ; régime de la propriété vs absence de propriété ; détermination vs indétermination ; microcosme vs macrocosme.

Le recueil se conclut par une analyse contrastive du paysage occidental et du paysage chinois, doublée d’une analyse de la peinture de paysage et de la « culture du paysage » chinoise sous la plume de Yolaine Escande. L’art occidental et l’art chinois diffèrent dans leur perception de la nature. En étudiant la question du point de vue dans le paysage et sur un paysage pictural dans l’art contemporain, l’auteure montre que le land art réinterprète « le pinceau et l’encre » chinois dans leur relation au paysage.

Comme tout recueil d’articles, Le Paysage entre art et nature propose non une thèse monolithique sur une question mais son éclairage sous de multiples facettes thématiques et disciplinaires destiné à susciter d’autres études. Richement illustré, il s’adresse essentiellement à des spécialistes et vient ainsi compléter la réflexion actuelle sur un domaine en peine expansion, si l’on en juge au vu du nombre de thèses soutenues ou en préparation et du nombre d’ouvrages universitaire ou destinés au grand public. Le Paysage entre art et nature rappelle fort utilement que le paysage est tout sauf naturel.

Notes

1 Paysages français. Une aventure photographique, 1984 - 2017, éds. Raphaële Bertho et Héloïse Conesa, avec les contributions de Bruce Bégout et François Bon http://expositions.bnf.fr/paysages-francais/l-experience-du-paysage.php Return to text

2 Les auteurs notent que Pline décrit une peinture de paysage, signe d’une conscience du paysage apparue dès l’Antiquité mais disparue au Moyen-Âge. Return to text

References

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Bénédicte Coste, « Jean-Noël Bret et Yolaine Escande (dirs.). Le paysage entre art et nature », Textes et contextes [Online], 13-1 | 2018, . Copyright : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=1971

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Bénédicte Coste

Centre Interlangues Texte, Image, Langage (EA 4182), Université de Bourgogne Franche-Comté, UFR Langues et Communication, 4 Boulevard Gabriel, F – 21000 DIJON, benedicte.coste [at] u-bourgogne.fr

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