À la croisée des genres : masculin/féminin dans la littérature et l’iconographie féeriques victoriennes et édouardiennes

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Réputée profondément religieuse, pragmatique et matérialiste, la société victorienne n’en nourrit pas moins un goût prononcé pour l’irrationnel et le merveilleux. Après des décennies de dédain et de méfiance à son égard, le genre féerique retrouve ainsi, à partir des années 1830-40, une place de choix dans la production artistique britannique, qu’elle soit littéraire ou visuelle.

L’engouement pour le féerique se manifeste d’abord par le retour sur le devant de la scène fictionnelle du conte, qui attire nombre d’auteurs, inconnus ou reconnus, et par l’apparition d’une peinture féerique proprement dite, incarnée par les toiles de Richard Dadd, ou J.A. Fitzgerald. Cette alliance du peintre et de la fée n’est toutefois que d’assez courte durée. A partir des années 1870, ce courant pictural voit sa popularité décliner, et c’est au tour de l’illustration de devenir le principal support et véhicule d’une imagerie féerique en pleine construction. Une nouvelle génération d’illustrateurs, dont Walter Crane entre autres, perpétuent le travail entamé par George Cruikshank, Richard Doyle ou les Préraphaélites, à une époque où le livre illustré, alliance exemplaire du texte et de l’image, connaît un âge d’or sans précédent. Les esthètes de la « Décadence » fin de siècle ne sont pas en reste ; grâce notamment aux recueils de contes illustrés de Laurence Housman ou Oscar Wilde, ils contribuent à leur tour avec succès au renouveau féerique. Or, au tournant du siècle, puis durant la période édouardienne, la création féerique textuelle et visuelle s’essouffle jusqu’à être définitivement reléguée dans la chambre d’enfant : Peter Pan, les œuvres d’E. Nesbit ou les illustrations d’Arthur Rackham témoignent de cette période particulière qui voit son infantilisation grandissante et irrémédiable.

La plupart de ces textes et images prennent en réalité pour prétexte la peinture d’un monde merveilleux et irréel pour examiner les idéaux, les angoisses et les contradictions de la société dont ils sont issus. Dès lors, la sexualité, tabou par excellence à l’époque, et la question du genre (au sens anglo-saxon de gender) deviennent une thématique incontournable, d’autant plus que le genre féerique n’inspire pas que les artistes et les auteurs masculins. Des femmes écrivains (Christina Rossetti, Mary de Morgan), peintres ou illustratrices (Cicely Barker, Alice Woodward) trouvent elles aussi en la féerie un espace propice à l’expression de leur créativité tout autant que de leurs réflexions sur la société, ou de leurs revendications en tant que femmes et artistes.

Au croisement du texte et de l’image, du masculin et du féminin, du monde adulte et de l’enfance, de la réalité et de la fiction, la création féerique s’avère donc un espace de rencontre, ou de tension, entre des idées à la fois complémentaires et conflictuelles. Un espace au sein duquel il convient d’examiner et de confronter ces deux notions de genre que sont gender et genre féerique, afin de mieux percevoir les liens qui peuvent être les leurs, tant dans le domaine réel que fictionnel, à une époque où s’opère un vaste bouleversement des idées de féminin et de masculin tant sur le plan artistique que social. Car si ces œuvres féeriques renseignent sur les conventions artistiques, les conceptions esthétiques et les représentations du masculin et du féminin alors véhiculées par l’art et la littérature, elles informent aussi sur ce que cela signifie d’être un homme ou une femme, et qui plus est un homme ou une femme écrivain ou artiste, en Grande Bretagne sous les règnes victorien et édouardien.

References

Electronic reference

Audrey Doussot, « À la croisée des genres : masculin/féminin dans la littérature et l’iconographie féeriques victoriennes et édouardiennes », Textes et contextes [Online], 2 | 2008, . Copyright : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=152

Author

Audrey Doussot

Thèse de littérature britannique sous la direction de Mme Marianne Camus

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