La thèse porte sur la permanence des superstitions et des pratiques de sorcellerie dans le district inquisitorial de Saragosse (Aragon) et la persistance de leur répression entre 1650 et 1817 sur près de 500 cas. Après une étude comparative de la poursuite du délit de superstition au sein de l’Europe, nous pouvons constater que l’Espagne est restée à l’écart des supplices du bûcher tout au long de l’Époque Moderne, notamment grâce à l’indulgence des inquisiteurs et à leur rationalité. Toutefois, si l’accusé(e) n’achevait pas sa vie dans les flammes, le nombre d’inculpations reste conséquent, et leur portée sur la connaissance des mentalités en Espagne est riche d’enseignements. Nous exposons l’histoire de ce délit dans la péninsule ibérique depuis les premières condamnations jusqu’à la fin de la répression du Saint-Office, en privilégiant l’Aragon, région fertile en pratiques déviantes, à l’instar du Pays Basque, considéré comme le principal foyer de sorcellerie en Espagne depuis le procès de Logroño en 1610, qui débouche sur une législation d’avant-garde en matière de superstitions.
Afin de mieux situer la répression de ce délit au sein du Tribunal Inquisitorial de Saragosse, nous proposons pour la première fois un essai d’étude quantitative des délits poursuivis en Aragon entre 1650 et 1820. Ce travail permet de faire ressortir l’importance des pratiques magiques, au tournant du xviie siècle jusqu’au début de l’époque contemporaine. Nous étudions ensuite, de manière exhaustive, la typologie des délits en rapport avec les croyances occultes à travers un prisme culturel, sociologique et anthropologique. Qu’il s’agisse de l’origine des accusés (espagnols, étrangers, ethnies diverses, religieux, soldats…) ou des fins recherchées (argent, sexe, santé, ainsi que d’autres pratiques originales), nous remarquons que la superstition et la sorcellerie ont été le lot commun aussi bien des hommes que des femmes, malgré l’image préconçue d’une femme vile et diabolique. Si les pratiques magiques et autres conduites pittoresques constituent la plupart des accusations, la sorcellerie n’a pas pour autant disparu des tribunaux et des coutumes de zones reculées d’Aragon.
Nous nous attachons ensuite à l’étude plus particulière de certains épisodes retentissants dans l’histoire de la sorcellerie aragonaise, afin de présenter, à partir de trois sources complémentaires, la pratique judiciaire, depuis l’inculpation jusqu’à la sentence. Nous ébauchons, enfin, une tentative d’explication de la survivance de ces pratiques pour mieux comprendre leur poursuite et la fluctuation des attitudes des inquisiteurs au moment d’appréhender ce délit, notamment en cette fin d’Ancien Régime.