OUVRAGE : Olivier Bara & Jean-Claude Yon dir., Eugène Scribe. Un maître de la scène théâtrale et lyrique au XIXe siècle, Presses Universitaires de Rennes, « Le Spectaculaire », 2016, 476 pages, 25 €, ISBN : 978-2-7535-5218-0

Texte

Eugène Scribe appartient à cette constellation d’auteurs méprisés par l’institution quoi qu’ils aient été en leur temps plus fréquentés que ceux dont l’Histoire littéraire de leur pays a précieusement conservé les noms et les titres. Au répertoire du théâtre français du XIXe siècle, l’auteur d’Adrienne Lecouvreur a assurément été autrement plus productif et plus joué que Musset, Hugo ou Dumas, et ses 425 pièces ont été à l’affiche de l’opéra, de l’opéra-comique, de la comédie (le mélodrame en particulier) et surtout du vaudeville. Cette productivité n’a été en rien celle d’un épigone : dans l’introduction à cet ouvrage, Olivier Bara et Jean-Claude Yon affirment que celui qui aura été pour ses contemporains l’équivalent « d’un Chaplin ou d’un Spielberg » a « profondément renouvelé » chacun des genres qu’il a visités, devenant ainsi l’auteur d’un répertoire qui est un « maillon essentiel dans l’histoire du théâtre occidental ». Scribe commence à sortir du long purgatoire dans lequel il est entré depuis quelque vingt ans, et cet ouvrage en est la marque la plus récente. Dirigé par les deux premiers universitaires à avoir fait de Scribe un objet d’étude dans les années 1990, il est le résultat et le témoignage, augmenté de deux contributions, du colloque international organisé en 2011 pour le cent-cinquantenaire de la mort de l’auteur et rassemble les contributions de 30 universitaires français et étrangers.

Passé une introduction qui rappelle succinctement et efficacement les éléments principaux de la biographie et de la réception de Scribe (O. Bara & J.-Cl. Yon), l’ouvrage se compose en trois sections parfaitement équilibrées (dix contributions chacune).

« Formes, thèmes, écritures » regroupe des études portant sur les différents genres investis par Scribe : vaudeville (Violaine Heyraud) ; proverbe dramatique (Amélie Calderone) ; drame (Sylvie Vieilledent) ; opéra (Arnold Jacobshagen) ; ballet (Louis Bilodeau) et des études transversales sur le corpus destiné à la Comédie-Française (Jacqueline Razgonnikoff) ; les figures féminines du répertoire (Barbara T. Cooper) ; l’écriture de l’histoire (Claudine Grossir) ; le travail d’écriture (Manuela Jährmäker). Cette section se termine logiquement par la question attendue : « Scribe, un homme sans style ? », à laquelle Olivier Bara répond que « le style dramatique et la langue de Scribe méritent d’être reconsidérés ».

« Diffusion et réception critique » dresse le bilan de la diffusion des pièces de Scribe dans son siècle, sur « les petites scènes de banlieues et de province » (Romuald Féret) et en particulier à Lyon (Malincha Gersin), ainsi qu’à l’étranger : en Allemagne (Andreas Münzmay), « sur la scène de la Cour impériale brésilienne » (Denise Scandarolli) et dans les pays scandinaves, où il exercera une influence sur certains de leurs auteurs, notamment Ibsen (Antoine Guémy). Sont également étudiés les jugements assassins de Théophile Gautier en pleine gloire de Scribe en France (Patrick Berthier) et les jugements condescendants de Francisque Sarcey dans la période suivante, celle d’un « auteur déclinant » (Jean Hartweg). La réception s’étend au-delà de la mort de l’auteur : Patrick Besnier établit un point de l’accueil critique en 1891, année du centenaire, et l’héritage du dramaturge est interrogé aussi bien chez Victorien Sardou, désigné bien trop rapidement en son temps comme l’héritier de Scribe (Aline Marchadier) que dans le cinéma du siècle suivant (Delphine Gleizes).

« Scribe dans l’histoire » ne propose pas tant, malgré son titre, une perspective historienne du dramaturge mais plus souvent, ainsi que le précise l’introduction de l’ouvrage, une étude de « la place de Scribe dans l’histoire culturelle et littéraire ». Sont ainsi abordées en écho l’image des artistes dans l’œuvre de Scribe (Jean-Claude Yon), l’image de Scribe chez les romanciers de son siècle (Agathe Novak-Lechevalier) et les images de Scribe réalisées par les artistes de son temps (Romain Piana). Le parcours d’un auteur dont l’auréole s’est ternie dès ses dernières années est étudié par Evelyne Thouvenot rappelant que Scribe a été depuis ses années de collège un fidèle « camarade barbiste », David Delpech retraçant ses dernières années « à l’épreuve du Second Empire », celles d’une gloire nationale déclinante, et Florence Naugrette expliquant la disqualification progressive de Scribe dans les manuels scolaires et les histoires littéraires — histoires dont Michel Brix propose de « réécrire » une page et de rétablir la vérité sur la falsification d’une lettre de Nerval attaquant apparemment Scribe. Le dramaturge est replacé dans la société littéraire de son temps du point de vue de sa fortune et de ses choix éditoriaux « face à l’industrialisation du marché de l’édition » (Jean-Yves Mollier), de son implication dans la Société des Auteurs (Marie-Pierre Rootering), et sous l’angle de son insociabilité (Vincent Laisney).

Ces trente contributions de qualité offrent un apport documentaire et des perspectives pluri-disciplinaires qui font de ce recueil une contribution importante à l’histoire du théâtre français du XIXe siècle. L’idée-force qui en émerge et qui motive aussi bien l’ouvrage lui-même que le colloque qui l’a porté est évidemment le sort injuste subi par Eugène Scribe à l’aune de l’éclairage tardif de la postérité littéraire. Les raisons de son déclin ont été abordées par quelques-uns des contributeurs d’un recueil que Florence Naugrette termine en posant le retour de Scribe sur la scène française comme le nécessaire préalable à un éventuel retour en grâce dans le Panthéon littéraire. En attendant ce retour en grâce, il reste à établir les raisons de ce changement récent dans le regard de l’Université sur un auteur aussi longtemps méprisé et ce que ce changement de regard implique dans la façon dont l’Université relit à présent l’histoire littéraire.

La cohérence de l’ouvrage est renforcée par les deux index terminaux (titres d’œuvres et noms propres).

Citer cet article

Référence électronique

Hervé Bismuth, « OUVRAGE : Olivier Bara & Jean-Claude Yon dir., Eugène Scribe. Un maître de la scène théâtrale et lyrique au XIXe siècle, Presses Universitaires de Rennes, « Le Spectaculaire », 2016, 476 pages, 25 €, ISBN : 978-2-7535-5218-0 », Textes et contextes [En ligne], 12-1 | 2017, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=1418

Auteur

Hervé Bismuth

MCF, Centre Interlangues Texte, Image, Langage (EA 4182), Université de Bourgogne Franche-Comté, UFR de Langues et Communication, 4 Boulevard Gabriel, 21000 Dijon – herve.bismuth [at] u-bourgogne.fr

Articles du même auteur

Droits d'auteur

Licence CC BY 4.0