Alors que le réalisme magique est aujourd’hui encore principalement associé à la littérature latino-américaine, il nous paraît intéressant de revenir à ses sources et de voir comment cette alliance entre une notion littéraire et une région du monde a pu tenir à l’hystérisation d’un discours qui, à un moment donné, a permis, au détriment de tout dialogue constructif et d’une analyse vraiment fondée du merveilleux en littérature, l’émergence artistique d’un territoire, l’Amérique latine, aux yeux du monde. En adoptant une posture littéraire très spécifique, fondée sur l’exaltation de l’art américain au détriment de celui de l’Europe, l’écrivain cubain Alejo Carpentier a, dès la préface de son roman El reino de este mundo (1949), mis en place une stratégie rhétorique visant à lier inextricablement ce qu’il a nommé le « real maravilloso » et le territoire même de l’Amérique, tout en dévaluant parallèlement les expressions du merveilleux en Europe. C’est cette posture que nous aimerions étudier de plus près, afin de montrer les ressorts discursifs et émotionnels qui la sous-tendent et qui peuvent conduire à une hystérisation en partie volontairement construite pour les besoins de l’argumentation, et en partie inconsciente, tant l’auteur revendique sincèrement une foi dans le merveilleux et dans le regard magique que l’artiste doit porter sur le monde qu’il décrit. L’hystérisation présente dans les écrits théoriques de Carpentier sur le réel merveilleux serait ainsi double et relèverait à la fois d’une conviction profonde et d’une nécessité rhétorique.
On retiendra par ailleurs que même si l’expression de « réel merveilleux » inventée par Alejo Carpentier a rapidement posé problème et a été concurrencée par celle de « réalisme magique », il n’en demeure pas moins que certains principes énoncés par le romancier cubain, en dépit de l’agressivité du ton et de la volonté de dénigrer le continent européen et sa pratique du merveilleux en art, ont marqué durablement les recherches théoriques sur le réalisme magique et qu’ils continuent, même en filigrane, de nourrir aujourd’hui encore le débat qui s’est ouvert à sa suite.
C’est en 1925 que le critique d’art Franz Roh publie un ouvrage de référence sur la peinture européenne contemporaine et emploie l’expression de « réalisme magique1 », qui allait connaître un vif succès, bien qu’appliquée par la suite à d’autres domaines artistiques, littérature en tête, et à d’autres régions géographiques. L’ironie du sort voulut en effet que la notion, non pas inventée par Roh, mais véritablement définie et orientée par ses soins, soit très rapidement supplantée dans le domaine pictural, par celle de « Nouvelle Objectivité2 » et qu’elle n’ait pas la postérité escomptée. Même si l’expression de « réalisme magique » allait par la suite garder « une certaine place dans la critique allemande3 », il n’empêche qu’elle ne s’appliquerait plus aux peintres dont parlait Roh4 et qu’elle serait vouée à demeurer dans l’ombre de la dénomination rivale5, le critique allemand renonçant lui-même à l’employer6.
Dans son ouvrage, Franz Roh associe la dénomination, technique et officielle, de « postexpressionnisme » à l’expression de « réalisme magique ». Son but est avant tout de définir « la peinture récente7 », notamment par rapport aux courants picturaux précédents que sont l’impressionnisme et l’expressionnisme. Il se concentre sur la représentation qui est donnée de l’objet dans les trois mouvements et souligne que seul le postexpressionnisme opère une « pleine rechosification » du monde, là où l’impressionnisme s’attachait à rendre prioritairement les éclats de couleur et l’expressionnisme, des « abstractions stéréométriques colorées8 ». Il s’agit alors d’accéder, via l’objet représenté, à un « ensemble plus vaste fait de couleurs, de formes dans l’espace, de schèmes tactiles, de sollicitations olfactives et gustatives9 ». C’est la raison pour laquelle certains critiques ont pu parler d’un nouveau réalisme. Mais celui-ci paraît froid et dénué de vie. Le durcissement du dessin est d’ailleurs un grief fréquemment adressé à cette nouvelle forme d’art. Pourtant, Roh souligne le caractère existentiel de cette peinture qui fait selon lui émerger quelque chose du néant absolu et il insiste sur « le sentiment artistique fondamental de l’existence10 » qu’engendre la création d’un univers aussi tangible. En ce sens, comme le souligne Jean Reubrez dans sa préface, il n’est pas très éloigné, « s’agissant de la même époque et du même pays, d’une philosophie de l’existence ou plus exactement du Dasein11 ». Mais cette peinture à caractère existentiel constitue surtout à ses yeux un dépassement de ce que nous nommons traditionnellement le réalisme, dans la mesure où les objets présentés « sont comme d’étranges apparitions, si énigmatiques et cependant visibles jusqu’au moindre détail12 ». Ce rapport nouveau à l’objet peint tient au fait que ce dernier n’est plus considéré, comme dans l’impressionnisme ou dans l’expressionnisme, comme allant de soi, mais comme un « problème13 » : « Ce regard qui s’étonne tranquillement de la magie de l’être, de l’être déjà préalablement mis en forme, constitue le territoire reconquis, retourné profondément de façon nouvelle14 ». Dans ces conditions, il s’agit bien, non d’une copie de la nature ou d’une nouvelle tentative de pure imitation du réel, mais bien d’« une seconde création15 » et d’une lecture purement subjective du réel dans la mesure où le chemin se fait de l’esprit à l’objet, et non l’inverse. Cette « suprême mise en évidence de la vision intérieure à l’aide du monde extérieur16 » est à la fois permise et caractérisée par « un regard magique porté sur un morceau de “réalité”17 ».
Il nous faut repartir de ces réflexions pour comprendre le passage qui a pu s’effectuer de la peinture européenne occidentale à la littérature latino-américaine. Lorsqu’Alejo Carpentier publie, en 1949, son désormais célèbre roman, El reino de este mundo (Le Royaume de ce monde), accompagné de sa retentissante préface, il semble créer une catégorie nouvelle, entièrement coupée du passé et de l’Europe. Cette préface, qui deviendra, au vu de son succès, un véritable essai indépendant en 1964, De lo real maravilloso americano (Le Réel merveilleux en Amérique), pose les fondements de la notion de « real maravilloso » (« réel merveilleux »). C’est suite à son voyage en Haïti en 1943 que Carpentier écrit son roman portant sur l’histoire coloniale de Saint-Domingue et plus précisément sur la révolte des esclaves, marquée par la figure tout autant charismatique que mythique de Mackandal. Dans sa préface, la notion de réel merveilleux semble naître de l’observation du paysage et de l’histoire haïtiens, qui sont indissociables : « Cela devint pour moi particulièrement évident pendant mon séjour à Haïti, quand je me trouvai en contact quotidien avec ce que nous pourrions appeler le réel merveilleux. […] À chaque pas je trouvais le réel merveilleux ». Mais rapidement, Carpentier va étendre cette notion à l’ensemble de l’Amérique : « Je pensais, d’autre part, que cette présence et cette permanence du réel merveilleux n’étaient pas un privilège unique de Haïti, mais le patrimoine de l’Amérique tout entière, où l’on n’a pas encore fini d’établir, par exemple, le dénombrement des cosmogonies ». Ce lien, à la fois indéfectible et évident, entre une notion littéraire et un espace géographique lui permet de définir un mode de création spécifique à son continent et totalement coupé de l’Europe. Il ne recourt jamais à l’expression de « réalisme magique » et ne mentionne pas non plus le nom de Franz Roh. Le réel merveilleux est une notion qui semble créée ex nihilo et ne rien devoir à un quelconque prédécesseur. C’est d’autant plus surprenant qu’outre les points communs entre les deux notions, sur lesquels nous allons revenir, l’ouvrage écrit par Franz Roh a été très tôt traduit en espagnol, et publié à Madrid dès 1927, avant qu’il ne circule jusqu’en Amérique latine. Le réalisme magique n’était donc pas une notion étrangère, ni inconnue à la fin des années quarante en Amérique, d’autant plus que l’expression avait aussi été employée en littérature. C’est Massimo Bontempelli qui, à travers la revue 900 (Novecento) notamment, a, dès les années 1920, diffusé des écrits dits réalistes magiques en Italie. Comme dans les définitions que Roh appliquait pour sa part à la peinture, il s’agissait, pour Bontempelli et les réalistes magiques italiens, de créer une alliance entre réel et magie. Elle devait ici passer par la description. Toujours réaliste, celle-ci n’en présentait pas moins les objets du monde sous un angle singulier, destiné à faire ressortir leur caractère énigmatique. Laissée dans l’ombre par Carpentier, cette double origine, picturale et littéraire, allemande et italienne, ne semble avoir laissé aucune empreinte dans son univers théorique, au moins jusqu’en 197518.
Le changement de terminologie est par ailleurs le signe d’une volonté forte de rompre avec toute antériorité et d’imposer une notion neuve, indépendante et propre au seul univers latino-américain. Une telle attitude, qui fait table rase du passé, marque le refus de tout héritage, mais aussi de tout débat. Carpentier impose sa vision sans ouvrir à la discussion. Il se fait même assez polémique en rejetant toute une tradition européenne du merveilleux, ce qui lui permet d’opposer de façon tranchée le réel merveilleux propre à l’Amérique et ce qu’il nomme un « merveilleux littéraire19 », qui caractérise tout un pan de la littérature du Vieux Continent. Sont particulièrement visés dans sa préface Les Chants de Maldoror de Lautréamont et les surréalistes, lorsqu’il est question de « la déconcertante pauvreté d’imagination d’un Tanguy, par exemple, qui depuis vingt-cinq ans peint les mêmes fantômes de pierre sous le même ciel gris20 », ou des « invocations au moyen de recettes connues qui font de certaines peintures un bric-à-brac monotone de montres molles, de mannequins de couturières, de vagues monuments phalliques, [où] le merveilleux en est réduit à un parapluie ou à une langouste ou à une machine à coudre, ou à n’importe quoi sur une table de dissection à l’intérieur d’une chambre triste, dans un décor caillouteux21 ». L’énumération de Carpentier devient à son tour, dans un effet mimétique, un bric-à-brac qui mêle l’esthétique de l’incongruité d’un Lautréamont aux jeux picturaux d’un Dali notamment. La parole se fait ici virulente et dénonciatrice, n’hésitant pas à voir dans ces artistes des « thaumaturges22 » devenus « bureaucrates23 » « à force de vouloir créer du merveilleux à tout prix24 ». Et au-delà de ces peintres et écrivains cités ou épinglés de manière quasi transparente à travers leurs motifs les plus connus, Carpentier s’attaque à toute l’histoire du merveilleux européen, des « vieux clichés de la forêt de Brocéliande25 » aux « accessoires […] du roman noir anglais26 ». En dénonçant ce qu’il nomme une « chasse épuisante au merveilleux27 », devenu de ce fait un simple « artifice littéraire28 », il oppose radicalement et sans mesure deux formes de ce registre. Ce faisant, « il ignore complètement une partie de la littérature européenne inspirée dans laquelle les forces telluriques, mystiques et païennes imprègnent encore les mentalités et les modes de vie29 », comme le note très justement Charles W. Scheel dans son commentaire de cette préface. Nous percevons ainsi comment Carpentier oriente son discours et tend à rendre scientifiques et rationnels des éléments qui sont au fond moins analytiques que passionnels. Comment, en effet, considérer avec objectivité la rage et l’emportement qui sourdent de ses propos dévalorisants envers les artistes européens ? Il semble que l’hystérisation perce véritablement ici derrière l’apparente logique argumentative du discours et que celle-ci, bien que partiellement stratégique, dépasse toutefois le cadre de la provocation maîtrisée pour servir des croyances profondes devenues principes littéraires aux yeux de l’auteur. Preuve en est que ce qui permettrait de distinguer, pour Carpentier, ces deux formes de merveilleux, l’une, on l’a comprise, sincère et fondée, l’autre artificielle et sans valeur, serait une croyance d’ordre quasi religieux en ses pouvoirs : « La sensation du merveilleux présuppose une foi30 ». Les Américains sont dotés de cette foi, alors que les Européens, à quelques exceptions près31, se contentent d’apprendre et d’appliquer des « codes par cœur32 ». Et Carpentier reprend l’exemple haïtien pour évoquer le personnage de Mackandal, merveilleux car doté de pouvoirs magiques « par la foi de ses contemporains33 ».
Plus largement, c’est la force des croyances présentes en Amérique latine qui permet d’atteindre à ce réalisme merveilleux. Carpentier en vient donc à lier un registre littéraire à la foi des individus d’une part, et à la terre où ils ont grandi et vécu d’autre part, les deux étant bien entendu indissociables, puisque « grâce à son paysage vierge, à la nature de sa formation, à son ontologie, à la présence faustienne de l’Indien et du nègre, à la Révélation que constitua sa découverte, aux féconds métissages qu’elle provoqua, l’Amérique est très loin d’avoir épuisé son capital de mythologies34 ». Le réel merveilleux ne peut donc être détaché d’une terre, d’une histoire, de ses mythologies et de ses croyances. En ce sens, il est de l’ordre du géographique et du culturel et ne peut se penser hors du territoire où il a été observé. C’est en s’appuyant sur ces deux notions que sont la croyance et la réalité au sens le plus matériel du terme, que Carpentier va définir le réel merveilleux américain et l’isoler définitivement du merveilleux européen, dénué de tout ancrage dans la terre et de toute foi de la part de ceux qui y recourent. Nous voyons ici comment deux idées-clés autour de la réalité et de sa représentation, déjà présentes dans le texte de Franz Roh, sont reprises par Carpentier, mais de manière détournée, afin de faire de ce qui est au fond une nouvelle forme de réalisme magique – en dépit du changement de terminologie – une spécificité américaine. Roh mettait d’abord au jour l’idée d’un réalisme renouvelé, prioritairement marqué par un fort subjectivisme et plus encore par un regard dit « magique » posé sur le monde. Il s’agit bien une nouvelle fois, avec Carpentier, de porter un regard particulier sur la réalité pour proposer un nouveau réalisme teinté de subjectivité. Mais Roh insistait sur la dimension énigmatique du réel en faisant de l’objet concret un problème et non une évidence, de manière à révéler l’étrangeté même d’une réalité quotidienne qui pouvait à première vue sembler anodine. En convoquant la croyance comme élément moteur du réel merveilleux, Carpentier infléchit cette réalité du côté, non pas d’un magique synonyme de bizarre, comme chez Roh, mais d’un magique merveilleux où toutes les manifestations extraordinaires sont permises (métamorphoses – Mackandal est d’ailleurs un personnage capable de se transformer –, présence de fantômes, apparitions, etc) ; et sans pour autant que celles-ci soient perçues de manière problématique par les personnages, le narrateur ou même l’auteur, puisque la croyance même en ces phénomènes les rend finalement aussi réalistes que n’importe quelle manifestation propre à notre univers réel de lecteur européen. Par ailleurs, Franz Roh faisait aussi implicitement saillir l’idée d’une représentation existentielle, contribuant à faire de la réalité montrée, sortie du néant même, le plus grand des miracles, qui se devait d’être célébré pour lui-même et qui dotait inévitablement cette peinture d’une dimension spirituelle forte. Carpentier exalte à son tour le miracle de la réalité, mais il le fait, non plus en lien avec une quelconque philosophie de l’être, mais avec la terre elle-même, celle-là même sur laquelle l’on naît, l’on grandit, l’on vit :
Le merveilleux commence à l’être lorsqu’il surgit d’une altération inattendue de la réalité (le miracle), d’une révélation privilégiée de la réalité, d’une illumination inhabituelle ou qui favorise singulièrement les richesses inaperçues de la réalité, d’un élargissement des échelles et des catégories de la réalité, perçues avec une particulière intensité en vertu d’une exaltation de l’esprit qui le conduit à une manière d’« état limite35 ».
En faisant de l’espace latino-américain un territoire magique et une force vive en soi, le romancier cubain infléchit là encore la thèse de Roh pour faire de cette association entre réalité et miracle un principe spécifiquement américain.
Une telle définition n’est pas anodine tant elle va permettre à Carpentier d’affirmer implicitement, à travers la création du réel merveilleux, la singularité artistique d’un territoire, et de signer ainsi son acte de naissance et son indépendance face à l’Europe, pôle ancestral dominant et même écrasant. Dans un court essai rédigé directement en français, Carpentier évoquait déjà, en 1931, son espoir et même sa certitude de voir la littérature romanesque latino-américaine prendre une place importante et méritée au sein de la littérature mondiale :
Par son âpreté, par les visions nouvelles qu’elle nous offre, par le visage inattendu des milieux qu’elle évoque, elle [la production romanesque moderne d’Amérique latine] ne tardera sans doute pas à occuper, dans la littérature mondiale, la place qu’elle mérite36.
Il s’agit donc ici, derrière l’enjeu terminologique et définitionnel, de mettre un terme à des décennies et même à des siècles de tutelle sous la houlette de la grande Europe, pourvoyeuse sans fin de modèles littéraires, de courants artistiques, de notions précisément définies que l’Amérique semblait seulement en droit de récupérer et d’imiter sans jamais trouver sa véritable voie/voix. Si Carpentier court-circuite le débat en se détachant de manière polémique et agressive de l’art européen et hystérise ainsi le discours, c’est donc peut-être avant tout par stratégie, quitte pour cela à se montrer excessif, voire caricatural.
Tel est sans doute le cas lorsqu’il compare la peinture de la forêt martiniquaise par André Masson et celle de la jungle cubaine par Wilfredo Lam :
L’on observa que lorsque André Masson voulut dessiner la forêt de la Martinique, avec l’extraordinaire fouillis de sa végétation, et l’obscène promiscuité de certains fruits, la vérité merveilleuse du sujet dévora le peintre, le laissant impuissant ou peu s’en faut devant le papier blanc. Et il fallut que ce fût un peintre d’Amérique, le Cubain Wilfredo Lam, qui nous montrât la magie de la végétation tropicale, la Création de Formes effrénée de la nature de nos pays – avec toutes ses métamorphoses et symbioses –, dans des tableaux monumentaux d’une expression unique dans la peinture contemporaine37.
Il semble impossible aux yeux de Carpentier qu’un artiste européen puisse rendre compte d’un paysage qui lui est au départ culturellement étranger. On constate pourtant que Carpentier a, une vingtaine d’années plus tôt, consacré un article élogieux à « André Masson, sa jungle et ses poissons38 », dans lequel il soulignait la poésie de sa peinture. Parlant d’œuvres comme le célèbre Bataille de poissons (1926) ou de ses tableaux de sable, il louait la puissance d’imagination de l’artiste en recourant, ce qui résonne après coup assez ironiquement, à la métaphore de la jungle :
Un matin, le peintre découvrit cette jungle au fond de son imagination. Il y avait des arbres membraneux, des branches avec un aspect d’artères coupées, des feuilles semblables à des mains tendues, des troncs étirés comme des anges du Gréco. Il y avait des sentiers garnis de fleurs qui ressemblaient à des bouches ; des racines qui s’entremêlaient comme des circonvolutions cérébrales… Masson pénétra dans la jungle insolite, et se mit à nous révéler ses plus étranges aspects. […] Depuis cette époque, Masson n’est plus ressorti de sa jungle. Plaise à Dieu qu’il continue à nous raconter ses prodiges39 !…
Dans sa comparaison des tableaux Martinique de Masson (1941) et La Jungla (La Jungle) de Lam (1943), il semble cette fois dénier toute puissance d’imagination au peintre français. Plus précisément, celle-ci se serait tarie au contact de la végétation luxuriante d’une terre qui n’est pas la sienne. Mais l’utilisation du possessif dans le texte précité (« la nature de nos pays » ; « nuestra naturaleza ») est cependant révélatrice de sa revendication de la précellence de l’art américain par les Américains eux-mêmes, qui se fait dans un geste patriotique parfaitement assumé, même si celui-ci nécessite de délaisser, au moins temporairement, une certaine finesse d’analyse et la lucidité de son regard d’esthète40. Lorsqu’il affirme par ailleurs catégoriquement, au sujet de son roman haïtien, que « tout est merveilleux dans une histoire qu’il est impossible de situer en Europe41 » et lorsqu’il fait mine de s’interroger, dans une formule finale restée célèbre, tant elle résonne comme un adage malgré (et peut-être même de par) sa forme de question rhétorique, « qu’est l’histoire de l’Amérique tout entière si ce n’est une chronique du réel-merveilleux42 ? », il cherche là aussi indéniablement à doter son continent, encore émergeant sur la scène artistique internationale, d’une singularité forte.
En ce sens, le réel merveilleux serait-il le possible vecteur de l’affirmation littéraire de l’Amérique latine aux yeux du reste du monde ? Énoncée maintenant, la formule prend évidemment une tournure prémonitoire. Il n’empêche que si la préface de Carpentier est passée à la postérité, c’est parce qu’elle a non seulement inspiré beaucoup de jeunes auteurs latino-américains, mais aussi posé les fondements d’une pratique romanesque typiquement latino-américaine, tout en faisant couler beaucoup d’encre. Il est cependant indéniable que la génération suivante, celles des années 1960, a profité de la brèche ouverte par Carpentier grâce à ce que l’on pourrait presque considérer comme un manifeste du réel merveilleux. Les romanciers de la génération que les Européens appelleront eux-mêmes « le boom » en raison de son explosion aussi soudaine que majeure dans le monde occidental43, s’inscrivent dans la lignée de cette croyance en la terre et en la foi elle-même. Dans une série d’entretiens avec Plinio Mendoza, Gabriel Garcίa Márquez affirme que « le monde caraïbe [lui] a appris à porter un autre regard sur la réalité, à accepter les éléments surnaturels44 » ; et il ajoute que le propre de ce monde caraïbe est son « aptitude à porter sur la réalité un certain regard magique45 ». Que sont ces déclarations sinon une reprise de celles de Carpentier sur le caractère bien spécifique d’une terre, sur le lien indéfectible entre celle-ci et le merveilleux, et sur la subjectivité à la source du magique qui en découle ? Cette interdépendance entre une réalité incitant à lire en elle le magique et la force du regard magique qui en émane, Carpentier la voyait possible sur le territoire latino-américain seulement, et Garcίa Márquez l’ancre pour sa part dans un espace encore plus restreint, celui de la côte caraïbe qui l’a vu grandir, faisant alors du quotidien même, comme ce sera le cas de beaucoup de romanciers latino-américains, une réalité extraordinaire, un miracle chatoyant. Dans son célèbre roman, La Casa de los espίritus (La Maison aux esprits, 1982), Isabel Allende semble confirmer, une génération plus tard, la spécificité de la terre et du regard latino-américains lorsqu’elle décrit, par le biais de son narrateur, une toile représentant l’héroïne du roman, Clara, qui est dotée de pouvoirs surnaturels :
Sur la toile, on peut voir une femme mûre, de blanc vêtue, avec des cheveux argentés et une douce expression de trapéziste volante sur son visage, se prélassant dans un fauteuil à bascule suspendu au-dessus du niveau du sol, flottant ainsi parmi les rideaux à fleurs, un vase retourné planant dans les airs et un gros chat noir sur son séant contemplant le tout d’un air important. Influence de Chagall, dit le catalogue du musée, mais rien n’est moins vrai. Le tableau correspond exactement à la réalité que connut l’artiste dans la demeure de Clara46.
Une telle vision, qui coupe radicalement avec un regard européen trop rationnel, permet une nouvelle fois d’inscrire l’art et la littérature d’Amérique latine dans une logique locale et territoriale, où le quotidien même est miracle.
Pourtant, il ne s’agit pas non plus de s’isoler complètement de l’Europe et d’un héritage étranger. En ce sens, Garcίa Márquez se détache de Carpentier et de son discours hystérisé. Car s’il en appelle à un regard spécifiquement caribéen, il n’en affirme pas moins l’importance des lectures européennes ou nord-américaines qui ont nourri son œuvre. À Joyce et Faulkner, dont il reprend des techniques de récit, revendiquant ainsi l’héritage de tout un pan du roman moderniste, il ajoute de grands noms qui ont innervé sa propre approche poétique et merveilleuse du monde : Kafka, dont il dit qu’il est le premier à lui avoir fait découvrir une autre voie que celle de la rationalité dans l’écriture, et Conrad, chez lequel il apprécie « une certaine manière d’aborder la réalité, par le biais, qui la fait paraître poétique47 ». Serait-ce à dire que l’ancrage territorial et culturel n’est pas tout ? Cela semble évident, tant cette littérature latino-américaine s’est construite dans une savante imbrication entre plusieurs héritages littéraires (au sein desquels la littérature européenne tient une place majeure), auxquels elle a su donner, par le recours au réel merveilleux, une coloration unique. Garcίa Márquez reprend donc à Carpentier les croyances relatives au lien entre un territoire et une pratique réaliste magique de la littérature, mais il s’écarte de la vision tranchée de son aîné, qui, dans un geste à la fois excessif et passionnel, ne voyait aucun lien entre cette pratique américaine du merveilleux et celle de l’Europe. Wilfredo Lam, dont Carpentier admirait les toiles, ne disait finalement pas autre chose. Si sa peinture est le fruit d’un territoire et d’une histoire, notamment coloniale, elle doit aussi beaucoup, sur le plan technique, aux peintres européens et plus spécifiquement français de la fin du xixe siècle et du début du xxe siècle (Lam mentionnait notamment Cézanne et Matisse). C’est ce qui fait dire à José Manuel Noceda :
La Jungla incarne la représentation du paysage et du contexte cubano-caribéen, dans toute sa complexité et son syncrétisme. […] Au-delà de toute géographie physique ou de n’importe quelle cartographie géoculturelle, dans une sorte de liaison interculturelle, elle confère une tournure particulière aux canons du modernisme avec l’insertion d’images, de signes et de symboles, provenant des cultures populaires, des mythes, [des] religions et de la présence d’héritage ancestral d’origine africaine dans la Caraïbe48.
La pensée de Carpentier tend ainsi à être relativisée. Il n’en demeure pas moins que l’hystérisation qui caractérise sa préface-manifeste a peut-être donné une impulsion nécessaire vers l’autonomisation du continent, même s’il s’est agi ensuite, pour la génération littéraire suivante, de revenir à plus de mesure et de lucidité en réaffirmant le caractère complexe et syncrétique de toute création et en réconciliant de nouveau le Nord et le Sud, l’Europe occidentale (et dans une moindre mesure l’Amérique du Nord) et l’Amérique latine.
Le réel merveilleux, tel que nommé et défini par Carpentier, continue par ailleurs d’imprimer sa marque sur le courant réaliste magique contemporain, sans cesser pour autant de poser problème, tant sur le plan terminologique que définitionnel. Un problème d’ordre terminologique d’abord, car si Carpentier avait souhaité se démarquer radicalement de l’Europe en faisant le choix d’une autre dénomination que celle de « réalisme magique », c’est cette expression qui s’est finalement majoritairement imposée dans la critique littéraire depuis plusieurs décennies, y compris pour parler du domaine latino-américain49. Mais l’appellation de « réel merveilleux » n’ayant pas disparu pour autant, le trouble créé n’en est que plus grand. Car quelle(s) différence(s) entre réel merveilleux et réalisme magique ? La question est loin d’être réglée et même si de nombreuses tentatives de définition existent, il reste difficile de trouver un consensus. Pour certains, le réel merveilleux reste une invention relevant d’une stratégie hystérisée, invention dont le nom ne fait que cacher des aspects théoriques que l’on peut réinscrire dans le réalisme magique, et beaucoup d’ouvrages (monographies ou ouvrages collectifs) ne mettent en avant, et ce dès le titre, que la notion de « réalisme magique », comme c’est notamment le cas dans la critique anglo-saxonne50. Pour d’autres, les deux expressions doivent être employées et méritent d’être distinguées. Charles W. Scheel, dans son ouvrage Réalisme magique et réalisme merveilleux, s’applique ainsi, comme le titre l’indique explicitement, à tenter de discerner les deux notions, en s’appuyant sur de nombreuses sources théoriques (Carpentier, mais aussi Jacques S. Alexis et Irlemar Chiampi notamment pour le « réalisme merveilleux51 »). Il livre aussi sa propre vision du réalisme merveilleux, en le distinguant de la définition donnée par Amaryll Chanady du réalisme magique52. Nous ne détaillerons pas davantage ici ces questions de terminologie, qui nécessiteraient une longue étude et impliqueraient de regarder en détail ce qu’il en est du côté de la critique hispano-américaine elle-même. Nous retiendrons simplement que l’appellation de « réel merveilleux » ne va pas de soi et qu’elle ne s’est pas imposée dans le monde latino-américain avec autant de facilité que Carpentier l’aurait souhaité, puisque pour de nombreux critiques comme pour le grand public, beaucoup de romanciers latino-américains, Garcίa Márquez en tête, continuent d’être prioritairement associés à la notion de réalisme magique.
Pourtant, un certain héritage des définitions posées dans la préface de El reino de este mundo demeure, même implicitement parfois, dans la théorie littéraire portant sur le réalisme magique lui-même. Des approches théoriques tentent certes d’unifier la notion et de définir un réalisme magique unique, quelle que soit son origine géographique. Tel est notamment le cas de celle, narratologique, proposée par Amaryll Chanady en 1985. Dans Magical Realism and the Fantastic53, elle définit le réalisme magique par rapport à la théorie du fantastique instaurée par Todorov et plus précisément par rapport à son concept d’hésitation, qu’elle remplace par celui d’« antinomie », plus pertinent à ses yeux. Selon elle, la distinction entre fantastique et réalisme magique se fonde sur le fait que l’antinomie entre plusieurs univers présents au sein de la fiction soit résolue ou pas. Dans le fantastique, constitué de deux niveaux de réalité (le naturel et le surnaturel), l’antinomie demeure irrésolue dans la mesure où le surnaturel qui surgit au cœur de la fiction déconcerte autant le lecteur que le personnage et le narrateur. Dans le réalisme magique au contraire, cette même antinomie entre naturel et surnaturel est résolue du fait que personnages et narrateur ne s’étonnent nullement des événements surnaturels qui se produisent au cœur de la fiction et poussent donc le lecteur à accepter ceux-ci comme faisant partie intégrante de la réalité fictionnelle décrite. Elle énonce ensuite un ensemble de procédés adoptés par le narrateur du récit réaliste magique pour permettre la parfaite intégration du code surnaturel dans le code naturel. Chanady fait ainsi du réalisme magique un mode narratif censé permettre d’inclure des œuvres issues de tout horizon géographique. Par cette approche globalisante qui passe par les structures narratives du texte, elle prend ses distances avec des développements théoriques qui tenteraient de définir le réalisme magique en fonction du pays, du continent ou de la région du monde dont il est issu. Comme le souligne Charles W. Scheel, « cette nouvelle définition, parce que strictement narratologique, ne préjuge nullement d’un contexte culturel spécifique, d’une orientation politique du récit, ou de l’appartenance à un quelconque courant littéraire historique54 ». Il n’empêche que cette proposition ne permet pas d’inclure tous les textes qui se revendiquent réalistes magiques, ne serait-ce que parce que d’autres critères que narratologiques sont à prendre en compte, mais aussi parce que certaines œuvres ne se laissent pas réduire à ce schéma de pensée orienté autour de cette idée de résolution antinomique55. Si cette théorie a cependant le mérite d’éviter de scinder les textes entre Europe occidentale et Amérique latine notamment, d’autres en revanche vont avoir tendance à catégoriser le réalisme magique selon une logique plus binaire qui, sous des appellations variables, n’en recoupe pas moins une certaine dichotomie Nord/Sud ou du moins Europe/Amérique, telle que la pensait déjà Carpentier dans sa préface. Jean Weisgerber distingue ainsi « deux grandes variétés de réalisme magique » dans le « bilan provisoire » du gros ouvrage sur le réalisme magique qu’il a dirigé :
La « savante » qui s’appuie sur l’art et la spéculation pour illuminer, rebâtir même un univers conjectural au départ est, avant tout, l’apanage des écrivains européens, mais Borges y ressortit aussi à l’occasion. Quant à l’espèce collective, mythique ou folklorique, on la rencontre spécialement en Amérique hispanique, quoiqu’elle se soit répandue ailleurs. L’exploration de la mémoire des peuples, le retour aux sources primitives n’est pas le monopole des écrivains américains56.
Cette opposition entre un versant intellectuel et spéculatif du réalisme magique, qui serait européen, et un versant mythique et folklorique, qui serait américain, n’est évidemment pas sans rappeler la distinction que faisait Carpentier entre le merveilleux littéraire européen et le réel merveilleux américain57. Dans le même ordre d’idées, Roberto González Echevarrίa commentant Carpentier avait déjà opéré une distinction assez proche, rappelée par Wendy B. Farris : « La tendance épistémologique du réalisme magique, au sein de laquelle les éléments merveilleux viennent du regard d’un observateur, et la tendance ontologique, dans laquelle l’Amérique est en elle-même considérée comme merveilleuse (lo real maravilloso de Carpentier58) ». La formulation incite à distinguer entre vision purement subjective et réalité objective car magique en soi, mais les termes employés pour caractériser les deux tendances du réalisme magique semblent revenir à cette opposition entre savoir (épistémologie) et être (l’ontologie renvoyant ici à une réalité vécue et sentie), qui était au fondement de la théorie de Carpentier et appuyait sa définition du réel merveilleux américain, fût-elle davantage de l’ordre de la conviction personnelle que de l’argumentation véritablement construite. Il semble donc que toute une part de la critique contemporaine ait fait sienne la séparation revendiquée avec passion par Carpentier entre Europe et Amérique et qu’elle soit parvenue à rationaliser un propos qui était au départ, comme nous l’avons souligné, davantage de l’ordre de l’émotion et de la subjectivité que de l’argumentation scientifiquement fondée. Mais au contraire de cette approche binaire et clivante, Wendy B. Faris revendique pour sa part un « projet […] inclusif, étant donné [son] envie de défendre le fait que le réalisme magique est une composante majeure de la littérature narrative contemporaine et internationale59 ». Elle prône en effet l’idée d’un rapprochement entre réalisme magique et fiction postmoderne, qui inscrirait le premier dans un courant littéraire mondialisé. Là où l’approche globalisante d’Amaryll Chanady consistait à faire du réalisme magique un mode narratif, celle de Wendy B. Farris consiste quant à elle à en faire un mode critique de la fiction. Dans les deux cas, il s’agit de se tenir à l’écart d’une perspective culturelle où le réalisme magique serait, dans la lignée de l’approche de Carpentier, l’expression d’un système de croyances particulier. On peut cependant s’interroger sur la possibilité réelle d’une vision unificatrice qui échapperait à un regard culturel et à cette dichotomie entre épistémologie et ontologie, rationalité et croyance, intellectualisme et mythe. Si l’on revient à Chanady par exemple, sa théorie part du présupposé que le surnaturel est un code étranger et irrationnel, et c’est dans cette optique qu’elle cherche à justifier sa fusion avec le code naturel au sein de la fiction. En repartant du fantastique todorovien, elle se doit d’affirmer le caractère évident du surnaturel au cœur de la diégèse, et s’inscrit dès lors dans une perspective rationnelle qui fait fi de la foi revendiquée par Carpentier comme présupposé initial nécessaire à toute approche du merveilleux. En ce sens, les approches dites épistémologique et ontologique demeurent peut-être toujours bien présentes, si ce n’est dans la répartition des œuvres opérée par les critiques, du moins dans l’idéologie qui sous-tend la pensée de ces derniers.
En conclusion, on soulignera que si le réalisme magique reste aujourd’hui encore si difficile à cerner et à définir, cela demeure en partie lié au trouble causé par la mise au jour d’un concept concurrent, qui au milieu du xxe siècle, a cherché à s’imposer au détriment de réflexions préalablement posées en Europe. En désirant doter sa région du monde de cette notion artistique inédite et spécifique qu’est le « real maravilloso », Alejo Carpentier a volontairement dévalué le registre merveilleux tel qu’il était pratiqué jusque-là sur le Vieux Continent. Permettre l’émergence de l’Amérique au niveau mondial nécessitait en effet de nier les apports européens et même de les déconsidérer, dans la mesure où seule une Amérique affranchie et créatrice de ses propres catégories littéraires et artistiques pourrait parvenir à s’affirmer. Dans une préface penchant du côté du manifeste, le romancier cubain a ainsi choisi la provocation et l’excès, voire une certaine mauvaise foi, au détriment d’une analyse scientifiquement plus fondée des productions européennes et américaines mettant en jeu le merveilleux. Cette tendance à l’hystérisation, en partie calculée du fait de ses enjeux stratégiques, mais sans doute aussi en partie inconsciente tant Carpentier croyait vraiment en cette foi qu’il revendiquait comme nécessaire au fondement de toute pratique du merveilleux, a donné lieu à un intense débat intellectuel et théorique qui, plus de soixante-dix ans plus tard, se poursuit toujours et démontre qu’au-delà de la recherche de définitions proprement dites, le jeu d’opposition mis en place par Carpentier entre Europe et Amérique, ou plus largement désormais entre Nord et Sud, demeure sous-jacent. La fréquente association entre réalisme magique (ou réalisme merveilleux) et études postcoloniales le prouve. Si le premier semble s’épanouir davantage sur des terres anciennement colonisées et avoir donc partie liée avec la domination politique et économique, il s’inscrit aussi au sein de cultures qui font la part belle aux croyances et aux mythes au détriment de la pure rationalité. Cette orientation du réalisme magique du côté de territoires et de cultures spécifiques, souvent au détriment de l’Europe ou de l’Amérique du Nord, est le signe que Carpentier avait peut-être vu juste, ou bien que son discours, fût-il de l’ordre de l’hystérisation, a marqué les esprits au point de s’imposer dans les pratiques.