L’affaire Dreyfus, laboratoire de l’infox

  • The Dreyfus Affair: a fake news laboratory

DOI : 10.58335/sel.169

Abstracts

Cet article analyse le mécanisme des fake news (ou de l’infox) en prenant l’exemple des polémiques de l’affaire Dreyfus. Après avoir rappelé certaines des légendes qui ont occupé les médias, il montre le rôle joué par les porte-parole du camp nationaliste dans l’élaboration de fausses informations visant à soutenir la thèse de la culpabilité d’Alfred Dreyfus. Les lecteurs des journaux ont accepté ces constructions imaginaires, tandis que l’intervention de Zola a plaidé en faveur d’une distance critique en dénonçant le « virus de l’information à outrance ».

This paper analyzes the mechanism of fake news by taking the example of the polemics of the Dreyfus Affair. After recalling some of the legends that occupied the media during this period, it shows the role played by the leaders of the nationalist camp in the elaboration of false information claiming Alfred Dreyfus was guilty. The newspapers readers accepted these imaginary constructions, while Zola's intervention argued for a critical distance by denouncing the “virus of excessive information”.

Outline

Text

Introduction

Les fake news ne datent pas d’aujourd’hui. Bien qu’il nous semble caractéristique des crises que traverse notre époque, le phénomène n’est pas neuf. Plusieurs ouvrages, récemment, se sont efforcés de le montrer, soit en situant cette question dans une large perspective historique qui peut remonter jusqu’au Moyen Âge, soit en la reliant aux débuts de la presse moderne telle qu’elle se met en place au xixe siècle1. La démonstration n’est pas toujours aisée. Comparer les rumeurs d’autrefois avec celles qui naissent aujourd’hui sur les réseaux sociaux peut conduire à des rapprochements forcés, avec le risque de verser dans le piège de l’anachronisme. Mais l’exercice est stimulant pour l’esprit.

C’est en partant de cette proposition que nous prendrons l’exemple de l’affaire Dreyfus. S’agissant de l’univers des fake news, celle-ci constitue, sans nul doute, un extraordinaire champ d’observation au moment où se met en place, pour le siècle qui va suivre, l’image de l’intellectuel, associée à la nécessité de l’engagement dans l’action politique. Deux idées retiendront notre attention : l’analyse du mécanisme de la fausse nouvelle ; et une interrogation sur la personne du lecteur, qui, dans un tel processus, peut être considéré non comme une victime, mais plutôt comme un complice2.

Une remarque de terminologie, avant de commencer. Dans la suite de cet article, nous laisserons de côté l’expression de fake news. Son usage nous paraît absurde au sein de la syntaxe française, puisqu’il conduit à employer, au singulier comme au pluriel, un syntagme anglais portant la marque grammaticale du pluriel. Admettons que l’on parle des « fake news » : elles apparaissent d’ailleurs si nombreuses, nous submergeant d’une manière continue, dans un flot incessant, que l’utilisation du pluriel semble naturelle. Mais ce singulier figé, « une fake news » (où le « s » de « news » a perdu toute valeur), heurte l’esprit. Une solution existe : employer le terme d’« infox » que recommande la Commission d’enrichissement de la langue française3. C’est le choix que nous avons fait.

La fabrique de l’infox

Si elles ne font pas naître l’infox, les périodes de crises politiques lui confèrent une dimension particulière, en favorisant son développement. C’est ce que constate Jules Janin au début de l’étude qu’il a consacrée à Alexandre Dumas, en 1871, en ayant à l’esprit le souvenir de la tragédie que venait de vivre la France, vaincue dans sa guerre contre la Prusse :

Les pages qu’on va lire ont été dictées dans une retraite profonde, aux premiers instants d’une juste douleur. La France en ce moment était divisée en parcelles déshonorées ; chaque morceau appartenait à un corps d’armée allemand, et c’était un crime aux vaincus de tendre une main amie à leurs voisins à travers les canons et les fusils de la Prusse. En même temps nous étions en proie à toutes sortes de nouvelles que fabriquaient chaque jour des journalistes sans pitié. Ils disaient tantôt que nous avions gagné les plus grandes batailles, tantôt que nous avions perdu nos derniers défenseurs. Aujourd’hui ils assassinaient le roi Guillaume, et le lendemain le maréchal Mac-Mahon. Dans l’intervalle de leurs mensonges, qui n’avaient de valeur que par notre crédulité, ils glissaient en guise d’intermède les nouvelles les plus affligeantes4.

À travers cette saisissante évocation d’une France « divisée en parcelles déshonorées », Jules Janin montre, en quelques mots, comment se fabrique l’infox : dans une période trouble, des « journalistes sans pitié », manipulant les opinions, jouent avec l’information, sans aucun souci de la vérité ; et ils trouvent en face d’eux un public déstabilisé, acceptant avec « crédulité » toutes les nouvelles qu’on lui transmet.

Cette situation s’est reproduite, quelques années plus tard, lors d’une autre crise de grande ampleur, l’affaire Dreyfus. Ce qui était en jeu au moment de l’affrontement de 1870 se trouvait réactivé dans des termes comparables : la France se trouvait à nouveau menacée par la Prusse, cet ennemi victorieux qui venait de l’amputer d’une partie de son territoire.

L’affaire Dreyfus a bouleversé la société française pendant plus de dix ans, entre 1894 (date de la condamnation du capitaine Dreyfus) et 1906 (année de la réhabilitation du condamné). Dans le cours des événements qui se sont succédé5, trois moments décisifs peuvent être dégagés : le surgissement de « l’Affaire », à l’automne de l’année 1897, quand le nom du véritable coupable, Esterhazy, peut être dévoilé dans la presse et opposé au nom de l’innocent condamné, Alfred Dreyfus ; le « J’Accuse… ! » de Zola, dans L’Aurore, le 13 janvier 1898, qui est suivi, quelques semaines plus tard, par le procès du romancier devant la cour d’assises de Paris ; et enfin, à la suite d’un examen du dossier judiciaire par la Cour de cassation, la révision du procès d’Alfred Dreyfus, au cours de l’été 1899, devant un tribunal militaire siégeant à Rennes.

Deux camps se sont affrontés sans aucun ménagement. Aux « dreyfusards » s’opposaient les « antidreyfusards ». À ceux qui plaidaient en faveur de la nécessité, pour chaque individu, de disposer de toutes les garanties judiciaires s’opposaient ceux pour qui l’honneur de la France et de l’armée représentait une valeur suprême. Dans le camp nationaliste, rares étaient ceux qui demandaient des explications. Un dessin de Caran d’Ache, resté célèbre, résume bien toute la situation. Il a paru dans Le Figaro au moment où s’ouvrait le procès d’Émile Zola devant la cour d’assises de la Seine. On y voit les membres d’une famille réunis autour d’une table. Tous paraissent heureux de se retrouver. Souhaitant prévenir tout conflit, le maître de maison avertit les convives : « Surtout ! ne parlons pas de l’affaire Dreyfus ! » Mais la planche suivante montre la table bouleversée, les personnages emportés dans une querelle furieuse que rien ne saurait arrêter. Et la légende ajoute : « Ils en ont parlé ! »

Dans un tel climat de passions exacerbées, quel rôle joue l’infox ? La fausse nouvelle rassure ceux qui peuvent douter. Elle consolide les opinions chancelantes. En s’offrant comme une révélation indiscutable, elle dissipe les incertitudes. Deux exemples nous permettront de mesurer ce que représente cette fabrique du faux dans le rapport qu’entretiennent les esprits avec la vérité : la légende de la « dame voilée » forgée à l’automne 1897, lorsque le scandale de l’Affaire éclate devant l’opinion publique ; et la légende du « bordereau annoté » développée pendant la période du procès de Rennes, dans un moment où le camp nationaliste se trouve sur la défensive.

Une bataille de communication s’est déroulée en novembre et décembre 1897, lorsque le nom d’Esterhazy est devenu public. Pris de court, croyant étouffer le scandale naissant, les responsables de l’armée ont pris la décision d’avertir le coupable désigné. On lui a écrit d’une manière anonyme ; des rendez-vous secrets lui ont été donnés. Rassuré par cet appui inespéré, Esterhazy, un moment affolé, a fini par prendre de l’assurance. Au lieu de se taire et de fuir tout contact avec la presse, il s’est mis en avant, au contraire. Il a étalé son audace, clamant son innocence, se disant victime d’un complot. Comment a-t-il été averti des accusations le visant, lui demande-t-on ? Pour répondre à cette question Esterhazy forge la légende de la « dame voilée »… Une mystérieuse bienfaitrice, venue des cercles de l’État-major, a souhaité lui venir en aide. Cette personne secourable, dont le visage était chaque fois dissimulé (recouvert par une voilette), il l’a rencontrée à plusieurs reprises. Aux journalistes avides de détails il fournit toutes sortes de précisions sur les lieux de rendez-vous. Il explique qu’ils se sont rencontrés dans différents endroits de Paris : sur l’esplanade des Invalides ou encore à Montmartre, près de l’église du Sacré-Cœur. Comme il le déclare dans une lettre publique qu’il adresse au président de la République, c’est une « généreuse femme » qui a voulu l’aider en le prévenant de « l’horrible machination » montée contre lui. Le personnage de la « dame voilée » suscite toutes les interrogations. Les journalistes s’en emparent. Ils s’efforcent de percer son identité, prêtant vie à cette figure fantomatique dont l’existence semble bientôt indiscutable. En janvier 1898, au moment où Zola publie son « J’Accuse… ! », on arrête, à Paris, une certaine vicomtesse Jouffroy d’Abbans, en qui la presse reconnaît, sans l’ombre d’une hésitation, la fameuse « dame voilée ». Il ne s’agissait, en fait, que d’une aventurière qui tentait d’utiliser la renommée que lui octroyait l’affaire Dreyfus pour parvenir à ses fins auprès d’un ancien amant, un officier de réserve sur qui elle exerçait un chantage.

La légende du « bordereau annoté » est encore plus incroyable. Elle a joué un rôle important dans les débats qui ont agité la presse pendant le procès de Rennes, au cours de l’été 1899. Elle n’est pas étrangère à la décision absurde prise par les juges militaires de condamner à nouveau Alfred Dreyfus (mais avec des « circonstances atténuantes » !), avant qu’une grâce présidentielle n’intervienne, le 19 septembre 1899. De quoi s’agit-il ? Ce « bordereau annoté » est présenté par la presse comme l’original de la pièce accusatrice sur laquelle reposait le procès de 1894 – la fameuse lettre qui avait fait condamner Dreyfus, car on la lui avait attribuée en raison des similitudes de son écriture avec celle d’Esterhazy. Pour dissiper les zones d’ombre, l’infox prétend remonter à l’original ! Dans la marge de ce document, l’empereur de Prusse, le Kaiser Guillaume II en personne, aurait mentionné le nom du traître, se plaignant de ses continuelles demandes d’argent qu’il trouvait excessives, et il aurait écrit en allemand : « Cette canaille de Dreyfus devient bien exigeante ». Il aurait même ajouté cette précision : « Toutefois, il faut hâter la livraison des documents annoncés ».

Ministre de la Guerre responsable de la condamnation d’Alfred Dreyfus en 1894, le général Mercier se trouve à la manœuvre pendant les audiences du procès de Rennes. Imperturbable, il défend sa position, décidé à ne pas revenir en arrière, prêt à tout pour accabler Dreyfus. Avec le « bordereau annoté », le clan militaire est persuadé que Mercier détient la preuve décisive de la culpabilité du traître. Vers lui convergent tous les espoirs. Ses partisans soutiennent qu’il conserve sur lui une reproduction photographique du document. On raconte que le précieux document est soigneusement dissimulé, cousu entre deux parchemins dans une étoffe que Mercier porte entre sa chemise et sa peau, tel un moine serrant une relique contre sa poitrine. Chacun a tout le loisir de broder sur les détails. La rumeur circule avec insistance, alimentant les certitudes des militaires dans l’attente d’un dénouement heureux. À certains de ses interlocuteurs, en qui il a toute confiance, Mercier se risque à faire entrevoir un bout de ce parchemin mythique qu’il conserve sur lui avec tant de dévotion. Le « bordereau annoté » enflamme les imaginations.

Ceux qui répandent l’histoire du « bordereau annoté » soulignent sa gravité en faisant référence à un événement dont les circonstances demeurent obscures : une « nuit historique » qui se serait déroulée en janvier 1895, au lendemain de la dégradation d’Alfred Dreyfus. Au cours de ces circonstances tragiques, la France et l’Allemagne ont failli se déclarer la guerre. Mais heureusement la catastrophe a été évitée de justesse. De quelle façon ? Le président de la République en personne, Casimir Périer, a été forcé de restituer à l’ambassadeur d’Allemagne le fameux document qui mettait si gravement en cause la personne du Kaiser, en promettant de ne jamais en faire état. En habile politique, cependant, le général Mercier, songeant à l’avenir, en aurait conservé secrètement une photographie.

Les maîtres de l’infox

Comment de telles fables ont-elles pu acquérir autant de crédit ? Comment la presse, en novembre 1897, a-t-elle pu se laisser berner par le roman de la « dame voilée » ? Comment pouvait-on croire, en 1899, que l’empereur d’Allemagne se soit mêlé directement d’une sordide affaire d’espionnage, en glosant sur l’impudence d’un traître qu’il trouvait « bien exigeant » ? Plus les fables sont grossières, plus elles attirent les esprits crédules, car elles répondent à leurs obsessions et apaisent, en même temps, leurs inquiétudes. Dans son ouvrage sur l’histoire de l’affaire Dreyfus, publié au début du xxe siècle, Joseph Reinach (qui fut à la fois un témoin et un acteur des événements) note que lorsque le général Mercier commença à parler du « bordereau annoté », « il trouva autant de dupes pour admirer au premier mot, que de fourbes pour s’entendre avec lui du regard ». Et il ajoute :

L’invraisemblance, l’impossibilité (morale et matérielle) de l’inepte roman n’arrêta personne. Il eût voulu alors revenir en arrière qu’il ne le pouvait plus, prisonnier de ses amis, du monstrueux mensonge qu’il avait fait. […] L’extraordinaire histoire, si Mercier ne l’avait pas adoptée, fût tombée comme tant d’autres mensonges qui avaient successivement amusé la badauderie ou la méchanceté publiques, ou elle fût restée à l’état d’une légende en formation qui ne parvient pas à se cristalliser6.

Joseph Reinach pose une question essentielle. De quelle façon l’infox parvient-elle à se « cristalliser » ? Une légende s’appuie sur l’autorité de ceux qui la répandent. En l’occurrence, il s’agit du général Mercier, un ancien ministre de la guerre, qui en impose à son entourage, respectueux de la hiérarchie militaire. Mais le rôle essentiel est joué par la presse qui reprend la légende en l’amplifiant.

Dans le combat de l’affaire Dreyfus la presse nationaliste a bénéficié de ténors au talent indiscutable qui ont su maîtriser, avec un art consommé, toute la rhétorique de l’infox : Édouard Drumont dans La Libre Parole, Henri Rochefort dans L’Intransigeant, Ernest Judet dans Le Petit Journal, Maurice Barrès dans Le Journal, Léon Daudet dans Le Gaulois, ou encore Charles Maurras dans La Gazette de France.

L’infox lancée en septembre 1898 pour justifier l’acte commis par le lieutenant-colonel Henry constitue un exemple remarquable de la capacité qu’ont eue les leaders de l’antidreyfusisme à réagir d’une manière collective. Le 31 août 1898, Henry, qui venait d’être arrêté, s’est suicidé dans sa cellule du Mont-Valérien, après avoir avoué le forfait dont il s’était rendu coupable : l’écriture d’un faux destiné à accabler Dreyfus. La surprise une fois passée, les ténors nationalistes se sont efforcés de retourner la situation en leur faveur. On a vu Ernest Judet, Henri Rochefort et Édouard Drumont défendre avec vigueur l’action du lieutenant-colonel Henry. Le faux qui a été confectionné, déclarent-ils, dissimule des preuves que l’on ne pouvait produire au grand jour sans risquer un conflit immédiat avec la Prusse. Ce raisonnement anticipe sur la thèse du « bordereau annoté » qui sera bientôt développée et utilisée avec force. Car tout se tient dans le discours de l’infox. Un argument en entraîne un autre. Aucune invention ne se perd. Tous les faits se relient entre eux. Grâce à un habile raccommodage discursif, une narration cohérente peut ainsi se mettre en place.

C’est dans un tel contexte que Charles Maurras, dans La Gazette de France, peut transformer Henry en un martyr qui est allé au-devant de la mort, en acceptant le sacrifice de sa personne : « De ce sang précieux, le premier sang français versé dans l’affaire Dreyfus, il n’est pas une seule goutte qui ne fume encore, partout où palpite le cœur de la nation. Ce sang fume et criera jusqu’à ce que l’effusion en soit expiée7 ». Le faussaire Henry est tombé au combat, pour l’amour de sa patrie. Sa mort réclame vengeance…

Dans ces joutes oratoires dont les médias constituent le lieu d’exercice, Maurice Barrès s’est montré l’un des plus incisifs, agissant sans doute avec moins de brutalité qu’un Drumont ou un Rochefort, tout en sachant faire preuve de plus de subtilité. Réunis dans Scènes et doctrines du nationalisme, les articles qu’il a écrits au cours du procès de Rennes permettent de mesurer sur quels registres il a joué. Du combat qu’il a mené à Rennes, où il a débarqué au début du mois d’août 1899, à la veille du procès en révision d’Alfred Dreyfus, il a conservé, écrit-il, un souvenir lumineux :

Mon séjour de Rennes compte parmi les instants les plus dignes d’être vécus que ma mémoire me rappelle ; nos sentiments étaient pleins, lourds, comme les chefs-d’œuvre de l’art. La température elle-même, si puissante, brûlante dès quatre heures du matin sur cette ville révolutionnaire, ajoutait à la splendeur générale. Nous campions comme des soldats, logés pour la plupart chez l’habitant, patriotes chez des patriotes et reliés à toute minute aux patriotes de la France entière8.

Au préalable, Barrès pose une règle absolue : il affirme à son lecteur qu’il ne doute pas, qu’il s’appuie sur des certitudes profondément ancrées dans son esprit. Sa conviction repose sur une déduction logique :

Je n’ai pas besoin qu’on me dise pourquoi Dreyfus a trahi. En psychologie, il me suffit de savoir qu’il est capable de trahir et il me suffit de savoir qu’il a trahi. L’intervalle est rempli. Que Dreyfus est capable de trahir, je le conclus de sa race9.

Il a pourtant douté, Barrès. C’est du moins ce que rapporte Léon Blum dans son compte rendu d’une visite qu’il lui a rendue, en décembre 1897, en espérant le gagner à la cause dreyfusarde10. Les deux hommes ont longuement discuté. Barrès a écouté Blum avec attention. Il a pensé à l’article qu’il avait écrit, en janvier 1895, à l’occasion de la dégradation de Dreyfus : intitulé « La parade de Judas », cet article accablait le condamné, ne voyant en lui qu’un pantin dérisoire, méritant pleinement le châtiment qu’on lui infligeait. Et il s’est demandé devant Blum, en se souvenant de la cruauté dont il avait fait preuve, si Alfred Dreyfus, après tout, n’était pas un « martyr » plutôt qu’un « scélérat »…

Mais à Rennes, toutes ces hésitations ont été balayées. La pratique de la polémique exclut le moindre doute. Les textes qu’écrit Barrès ne s’embarrassent d’aucune nuance. Le portrait du condamné, tel qu’il avait été présenté dans « La parade de Judas », est repris avec une perspective identique. En le dessinant, Barrès renvoie son lecteur aux nombreuses caricatures hostiles parues dans la presse antidreyfusarde :

Nul homme plus muré qu’Alfred Dreyfus. Il a un continuel mouvement de la bouche qui s’ouvre, de la gorge qui se serre ; il avale péniblement sa salive. De minute en minute, le sang vient colorer sa peau, puis le laisse tout blême. Ses réactions ne livrent rien. On se fait mal sans bénéfice sur cette face toute rétrécie par la détresse. Derrière son lorgnon, ses yeux se jettent avec rapidité à droite et à gauche, mais qu’est-ce qui vit et qui pense derrière ces yeux aux aguets d’animal traqué11 ?

Dans cette rhétorique du mensonge, un procédé revient, redoutablement efficace : la citation imaginaire. Pour soutenir sa démonstration, Barrès aime rapporter des propos que Dreyfus aurait tenus. Les citations qu’il utilise sont aisément accessibles. Il lui a suffi de puiser dans la presse nationaliste où elles circulent d’un article à l’autre. Elles ne reposent évidemment sur aucune source crédible. Mais le seul fait de les reprendre, en conservant les guillemets, leur confère une apparence d’authenticité. Comme dans cet extrait où Barrès, souhaitant montrer que Dreyfus est privé de tout sentiment de l’honneur, en arrive à dresser une sorte de répertoire fictif des déclarations que l’accusé aurait faites :

En 1894 […] Dreyfus du fond de sa prison préventive formule ses prétentions : « On me décorera et je donnerai ma démission. » Condamné, il déclare : « J’irai à la Guyane et je ferai de l’élevage. » À l’Île du Diable, il écrit : « Mon frère et ma famille sont des couillons ; ils ont 50 000 francs de rente et quatre agents et ils ne peuvent pas me tirer de là. » Au Directeur qu’il voit chaque huitaine et qui recevait 500 francs pour sa table il ne dit jamais que ceci : « Les petits pois étaient moins bons que les précédents ; je préférerais tels cigares. » Même à Rennes où il est déformé par la collaboration de ses avocats, il manifeste avec une force magnifique son ignorance de toute dignité et sa nature utilitaire. On lui parle de ses histoires de femmes : « Mes moyens, répond-il, me le permettaient. » Voilà des manières de penser et de dire propres à choquer des Français, mais les plus naturelles pour lui, sincères et qu’on peut dire innées12.

À l’attention d’un lecteur qui se poserait quand même quelques questions, Barrès emploie un dernier argument, destiné à emporter sa conviction. Un argument décisif qui ne saurait être réfuté. Si l’on arrivait à démontrer, écrit-il, que Dreyfus est innocent, eh bien, il serait quand même coupable. De quelle manière ? Coupable d’avoir divisé la France, d’avoir permis, par son action, que s’exerce contre la nation un complot visant la destruction de l’armée.

L’univers de la fiction

Quel que soit le talent de ces maîtres de l’infox, rien ne serait possible sans l’acquiescement du lecteur. Il existe un lien de connivence entre le producteur de l’infox et celui qui en est le destinataire. Perdu dans la tourmente de l’affaire Dreyfus, le lecteur de la presse nationaliste apporte son adhésion aux légendes qu’on lui propose, car elles correspondent à ce qu’il attend. Par son adhésion, il les consolide. Que d’autres le suivent dans la même voie le rassure. D’une manière passive, il participe à ce mouvement collectif.

Comment le décrire, ce lecteur des médias antidreyfusards à la fin du xixe siècle ? Le nationalisme constitue le socle de sa pensée. Il vénère l’armée et n’imagine pas un seul instant qu’un tribunal militaire ait pu se tromper. Il s’appuie sur l’autorité de la « chose jugée ». Il croit en la permanence de l’institution militaire dont la mission sacrée est de défendre la patrie. Ce lecteur qui refuse de croire en l’innocence de Dreyfus, c’est, tel que l’évoque Bertrand Joly, l’artisan parisien travaillant dans sa boutique, le modeste épicier des quartiers populaires, le petit notable de province, le curé de campagne isolé dans son église, ou le patriarche barbu, à l’air sévère, qui figure sur les photos de famille13… S’il poursuit la logique de sa pensée, s’il emprunte jusqu’au bout le chemin tortueux où le conduisent ses angoisses, il cède à l’antisémitisme que lui propose Drumont dans La Libre Parole, car il voit dans cette doctrine l’image idéale d’une France délivrée de tous les maux dont il ressent douloureusement la pesanteur. Il se laisse convaincre par la thèse du « complot juif », car cette vision lui semble lumineuse. Elle lui fournit une explication globale. Elle lui permet de répondre à toutes les objections. Et il en arrive à croire que tous les éléments qui tendraient à prouver l’innocence de Dreyfus ont été fabriqués par un « syndicat juif » – un organisme puissant, disposant d’immenses ressources financières qui lui permettent de mener une campagne de propagande en faveur du traître.

L’antidreyfusisme de ce lecteur s’appuie sur un socle idéologique où se combinent, dans des proportions variables, nationalisme et antisémitisme. Mais il faut aller au-delà, essayer de dessiner, en profondeur, son horizon culturel, déterminé par ce que lui proposent les organes de presse dont il dispose. Le journal du xixe siècle est beaucoup plus perméable à l’univers de la fiction que ne le sont les quotidiens modernes. Accueillant des romans-feuilletons au bas de ses pages, dans l’espace réservé de ses « rez-de-chaussée », multipliant les « correspondances » venues de tous les horizons, proposant des « nouvelles à la main » qui résonnent des mille échos de l’actualité, il transporte la parole sociale, véhicule les fantasmes, s’ouvre à l’imaginaire d’une façon comparable à ce que transmettent aujourd’hui les réseaux sociaux. Entre réalité et fiction, la frontière s’y fait incertaine.

Ce lecteur est donc, avant tout, un amateur de fictions. Tel est le constat que dresse Joseph Reinach dans son Histoire de l’affaire Dreyfus en montrant que le récit romanesque des événements finit par exercer sur les esprits une emprise considérable :

On ne parlait plus que de l’Affaire. Elle occupait tous les esprits. Deux ans durant, les livres, les romans même, furent délaissés. Quel roman comparable à celui que chacun vit au jour le jour ! On ne lisait plus que les journaux. Ils s’élevèrent, dans les deux camps, à des tirages qu’on n’avait pas connus14.

En novembre 1897, quand le débat s’ouvre sur la personnalité d’Esterhazy, ces lecteurs de journaux se précipitent sur les fables qu’on leur sert, avides d’en découvrir tous les détails. Ce qui est remarquable, note Joseph Reinach, c’est la facilité avec laquelle ils se sont laissé entraîner : « L’épisode de la dame voilée enchanta le public. On la reconnaissait pour l’avoir vue cent fois dans les romans et les mélodrames. Ce devint un jeu de chercher qui c’était15 ».

Dans la construction romanesque qui s’offre à son esprit, le public a fait un choix. Il ne veut pas changer de coupable. Dreyfus, qu’il considère comme un traître, doit le rester. Esterhazy, en revanche, dont le nom est lié, d’une façon lointaine, au prestige d’une grande famille de la noblesse hongroise, apparaît comme un héros possible. On est persuadé de son innocence ; on veut croire en ses discours :

Les journaux répandirent à des millions d’exemplaires ces propos qui plurent beaucoup. Il n’y a de soldatesque, chez Esterhazy, que le langage. Il parut à la foule celui d’un vrai soldat injustement accusé. Dreyfus n’a jamais trouvé de tels accents. L’origine exotique d’Esterhazy ne le desservit nullement ; son nom, sonore comme une fanfare, évoquait un pays romantique, les magnats légendaires qui allaient au combat comme à une fête, étincelants de pierreries, empanachés de plumes de héron ; et aussi les hussards, à la pelisse gris d’argent, dont les chevauchées avaient illustré les dernières guerres de la Monarchie. Sa noblesse (prétendue) lui fut également comptée : elle rendait sa situation plus tragique. Au contraire du juif alsacien, le gentilhomme hongrois n’est pas plutôt accusé qu’il est innocent16.

Facile à séduire, prompte à s’enflammer, la « foule » dont parle Reinach nourrit son patriotisme d’un idéal romanesque. Elle ne doute pas un seul instant de l’innocence de son héros fantomatique lorsque ce dernier est déféré devant un conseil de guerre, le 10 janvier 1898, pour répondre des accusations portées contre lui. Et elle l’acclame aussitôt, le lendemain – aux cris de « Vive l’armée ! À bas les Juifs ! » –, quand ce même conseil de guerre, au mépris de toutes les preuves accumulées, acquitte Esterhazy, après quelques débats rapidement expédiés.

Est-ce la même « foule » qui, quelques jours plus tôt, le 28 décembre 1897, au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, a fait un triomphe au personnage de Cyrano de Bergerac, lors de la première représentation de la pièce d’Edmond Rostand ? L’histoire de ce succès extraordinaire est restée dans les annales. Alors que son auteur redoutait un échec, la pièce a été accueillie avec enthousiasme dès le premier soir. Spectateurs et critiques ont applaudi d’un même élan à cet éloge de la bravoure militaire : l’œuvre de Rostand allait tenir l’affiche pendant deux années entières, avec plusieurs centaines de représentations à Paris et en province.

Avec habileté, Esterhazy a pu laisser croire à des spectateurs abusés qu’il possédait quelque chose du panache de Cyrano. Car il était capable d’endosser tous les déguisements. Il avait l’art de la séduction, comme le note Joseph Reinach : « Le pétillement de ses idées divertissait tout le monde. Ceux qui l’ont fréquenté à cette époque gardèrent de lui le souvenir d’un séducteur ». Et Reinach d’ajouter : « Même quand il aura croulé dans la crapule et dans le crime, sa parole brûlante, sa mimique endiablée, une intensité merveilleuse de vie, la frénésie communicative de cet étonnant comédien continueront à fasciner17 ». Un parfait acteur, en somme, qui aurait pu être engagé dans la troupe du Théâtre de la Porte-Saint-Martin.

Le « virus de l’information à outrance »

Dans leur ouvrage publié en 2020, les auteurs de Fake News et viralité avant Internet font de la viralité des informations un élément essentiel du système médiatique actuel. Ils montrent que ce phénomène existait, bien avant l’apparition d’Internet, dans la presse du xixe siècle. Pour illustrer leur propos, ils prennent l’exemple amusant de l’histoire des lapins du Père-Lachaise. Surgie au début des années 1880, cette information a été reprise par de nombreux journaux pendant plus d’une dizaine d’années avant de finir par s’éteindre, sa saveur étant épuisée. On racontait que le cimetière du Père-Lachaise abritait des colonies de lapins qui y vivaient en toute quiétude, sauf au moment de la Toussaint quand la foule venue fleurir les tombes les obligeait à la plus grande discrétion. Les chroniqueurs qui traitaient du sujet prétendaient que ces lapins faisaient bon ménage avec les cadavres dont ils se nourrissaient abondamment. Personne, parmi ces commentateurs, ne s’étonnait des mœurs étranges de ces paisibles mammifères, habituellement considérés comme des herbivores. Nul ne se souciait de mesurer l’invraisemblance des fables qui étaient colportées. Les gardiens du cimetière, disait-on, inquiets de voir proliférer ces hôtes indésirables, en tuaient régulièrement une grande quantité. On parlait d’un brocanteur de Ménilmontant, nommé le père Bouland, qui, la nuit, se glissait subrepticement dans l’enceinte du Père-Lachaise pour chasser les fameux lapins, une activité lucrative dont il était devenu un grand spécialiste. Quelques journalistes affirmaient que l’on retrouvait ces animaux, dépecés, sur les étals des halles parisiennes. Un entrefilet, paru dans Le Petit Parisien du 30 octobre 1888, parla même de « gibelotte funèbre », ce qui fit frémir de nombreux lecteurs, en provoquant leur écœurement.

L’histoire de ces lapins vagabonds met en évidence ce qui caractérise la viralité de l’information : sa capacité à se propager en toute liberté, associée à des mutations qui transforment l’anecdote originelle en lui faisant adopter les formes les plus diverses à partir d’un noyau narratif qui reste intact. Si l’on reprend les exemples que nous avons cités précédemment, on voit bien que la crise de l’affaire Dreyfus a donné lieu à un phénomène identique. Les aventures de la « dame voilée », abondamment commentées par la presse, peuvent être mises en parallèle avec l’histoire des lapins du Père-Lachaise, avec cette seule différence que, dans un cas, il s’agit d’une anecdote plaisante, sans grande conséquence, dont le seul effet négatif fut de faire surgir quelques nausées passagères dans l’estomac des lecteurs les plus sensibles, alors que le personnage de la « dame voilée », aux multiples identités, a réussi à protéger efficacement Esterhazy des accusations lancées contre lui.

Observateur attentif d’événements dont il a été le contemporain, Joseph Reinach est conscient de ce phénomène lorsqu’il évoque « l’immense fabrique de la presse » de son époque qui, pour suivre les péripéties d’une affaire qui passionnait ses lecteurs, ne cessait de « travailler de toutes ses machines, jetait d’heure en heure à la rue des milliers et des milliers de kilos de papier, qui s’enlevaient, disparaissaient, comme absorbés par une énorme pompe aspirante18 ».

Dans l’une de ses réflexions sur la presse de son temps, Émile Zola va plus loin encore. Il s’approche de la notion moderne de « viralité » en parlant du « virus de l’information à outrance » :

Le virus de l’information à outrance nous a pénétrés jusqu’aux os, et nous sommes comme ces alcooliques qui dépérissent dès qu’on leur supprime le poison qui les tue. Il serait si bon de ne pas porter dans le crâne tout le tapage du siècle, la tête d’un homme aujourd’hui est si lourde de l’amas effroyable des choses que le journalisme y dépose pêle-mêle, quotidiennement ! […] La fièvre de l’information à outrance a donc ce côté mauvais de surexciter le public, de le tenir secoué par l’événement du jour, inquiet de l’événement du lendemain. Les faits prennent dès lors une importance disproportionnée, on vit dans une tension continuelle. C’est, je le disais plus haut, le malade mis heure par heure au courant de sa maladie, écoutant battre son pouls, assistant à la désorganisation de la machine : il s’exagère les accidents, il meurt de la fièvre qu’il se donne. Tout grand facteur social a ainsi son danger, la part du sang qu’il sème sur la route ; car, il ne faut pas s’y tromper, la presse est en train de refaire les nations, elle repétrit le monde19.

Cette analyse pourrait parfaitement s’appliquer au monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. Visionnaire, Zola anticipe sur ce qui caractérise le mécanisme des médias modernes et le fonctionnement des réseaux sociaux. Il montre de quelle façon l’accumulation des informations et leur renouvellement incessant, loin de conduire les esprits vers la lucidité, aggravent au contraire les tensions et excitent les individus en les entraînant dans une « fièvre » continuelle dont ils ne peuvent se départir.

Éloge de la mesure

Ces lignes ont été écrites en 1889, huit ans avant l’engagement du romancier dans l’affaire Dreyfus. Le 25 novembre 1897, quand il publie, dans Le Figaro, son premier article en faveur d’Alfred Dreyfus, Émile Zola sait à quoi il peut s’attendre. Il sait qu’il va trouver en face de lui cette presse de « l’information à outrance » qui s’est jetée avec avidité sur l’histoire d’Alfred Dreyfus et sur le personnage d’Esterhazy. Entrant dans cette polémique d’une manière mesurée, choisissant d’avancer avec méthode, il déclare, dans ce premier article, qu’il ne parlera pas de l’Affaire, bien qu’il possède des informations à ce sujet. Une enquête est en cours, dit-il, et il attend que la justice se prononce. Mais il tient à faire l’éloge du sénateur Auguste Scheurer-Kestner qui, depuis plusieurs mois, affirme que Dreyfus est innocent et qu’il convient de réviser le jugement rendu en 1894. Il analyse longuement la personnalité morale du premier défenseur de Dreyfus, pure, sans tache, sans aucune ombre sur elle – « une vie de cristal, la plus nette, la plus droite ». Et il souligne la grandeur de Scheurer-Kestner qui, au lieu de se répandre en déclarations hasardeuses, a décidé de remettre entre les mains du gouvernement le sort d’Alfred Dreyfus en demandant simplement qu’on fasse preuve d’un esprit de justice. Scheurer-Kestner se tait. Il attend avec patience, tandis que la presse nationaliste l’accable sous les injures. Zola fait l’éloge paradoxal du « silence » de Scheurer :

Ah ! qu’il a été grand et sage ! S’il se taisait, en dehors même de la promesse qu’il avait faite, c’était justement qu’il avait charge de vérité. Cette pauvre vérité, nue et frissonnante, huée par tous, que tous semblaient avoir intérêt à étrangler, il ne songeait qu’à la protéger contre tant de passions et de colères. Il s’était juré qu’on ne l’escamoterait pas, et il entendait choisir son heure et ses moyens, pour lui assurer le triomphe. Quoi de plus naturel, quoi de plus louable ? Je ne sais rien de plus souverainement beau que le silence de M. Scheurer-Kestner, depuis les trois semaines où tout un peuple affolé le suspecte et l’injurie20.

Plaider en faveur d’une approche méthodique de la vérité, telle est la règle posée par Zola au début de son engagement. À la fin de son article, il la résume dans une formule qui restera célèbre : « La vérité est en marche, et rien ne l’arrêtera »… Le futur auteur de « J’Accuse… ! » affirme vouloir rejeter le « virus de l’information à outrance » pour construire, au contraire, une vérité progressive, fondée sur la réalité des faits – une vérité qui, au terme de la « marche » qu’elle aura accomplie, paraîtra, aux yeux de tous, indiscutable.

L’affaire Dreyfus en quelques dates

26 septembre 1894. Le service des renseignements de l’armée intercepte une lettre (que l’on appellera le « bordereau ») adressée à l’attaché militaire allemand en poste à Paris.

15 octobre 1894. Arrestation du capitaine Alfred Dreyfus, accusé d’espionnage au profit de l’Allemagne : l’écriture du « bordereau » semble le mettre en cause.

22 décembre 1894. Traduit devant le conseil de guerre de Paris, Alfred Dreyfus est reconnu coupable.

5 janvier 1895. Il est dégradé publiquement dans la grande cour de l’École militaire, à Paris. Quelques semaines plus tard, il sera envoyé en Guyane, au bagne de l’île du Diable.

15 novembre 1897. Mathieu Dreyfus (le frère d’Alfred Dreyfus) dénonce dans la presse le véritable auteur de la trahison : le commandant Walsin-Esterhazy.

25 novembre 1897. Zola publie, dans Le Figaro, un premier article en faveur d’Alfred Dreyfus (« M. Scheurer-Kestner »).

11 janvier 1898. Esterhazy est acquitté par le conseil de guerre de Paris.

13 janvier 1898. Zola publie « J'Accuse… ! » dans L'Aurore.

7-23 février 1898. Procès de Zola devant la cour d’assises de la Seine. L’écrivain est condamné à un an d’emprisonnement.

30-31 août 1898. Le lieutenant-colonel Henry, chef du service des renseignements, avoue au ministre de la Guerre qu’il a réalisé un faux document afin d’incriminer Dreyfus. Arrêté, il se suicide dans sa cellule du Mont-Valérien.

3 juin 1899. La Cour de cassation annule le jugement rendu en décembre 1894 : Dreyfus est renvoyé devant un nouveau conseil de guerre.

7 août – 9 septembre 1899. Second procès d’Alfred Dreyfus devant un conseil de guerre siégeant à Rennes, en Bretagne. L’accusé est à nouveau déclaré coupable, mais on lui accorde les « circonstances atténuantes ».

19 septembre 1899. Alfred Dreyfus est gracié par le président de la République.

18-24 décembre 1900. La Chambre des députés et le Sénat votent une loi d’amnistie sur tous les faits relatifs à l’Affaire.

12 juillet 1906. La Cour de cassation annule le jugement rendu par le conseil de guerre de Rennes en proclamant l’innocence d’Alfred Dreyfus.

Notes

1 Voir notamment Philippe Bourdin et Stéphane Le Bras (dir.), Les Fausses nouvelles. Un millénaire de bruits et de rumeurs dans l’espace public français, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2018 ; Roy Pinker [pseudonyme collectif de Pierre-Carl Langlais, Julien Schuh et Marie-Ève Thérenty], Fake News et viralité avant Internet. Les lapins du Père-Lachaise et autres légendes médiatiques, Paris, CNRS Éditions, 2020 ; Vincent Masse et Vittorio Frigerio (dir.), « Infox, Fake News et “Nouvelles faulses” : perspectives historiques (xve-xxe siècles) », Dalhousie French Studies, Halifax, Dalhousie University, numéro spécial, printemps 2021. Return to text

2 Je me permets de renvoyer à l’ouvrage que j’ai publié chez Perrin, en 2019, sous le titre : L’affaire Dreyfus. Vérité et légendes. Cet article en prolonge la réflexion. Return to text

3 Néologisme formé à partir de « information » et « intoxication ». La Commission d’enrichissement de la langue française en recommande l’utilisation à côté d’expressions telles que « information fallacieuse », « fausse nouvelle » ou encore « fausse information » (Journal officiel du 4 octobre 2018). Le Larousse donne la définition suivante : « Information mensongère, délibérément biaisée ou tronquée, diffusée par un média ou un réseau social afin d’influencer l’opinion publique ». Return to text

4 Jules JaninAlexandre Dumas. Mars 1871, Paris, Librairie des Bibliophiles, 1871, p. 6-7. Je remercie Edmund Birch d’avoir attiré mon attention sur ce texte. Return to text

5 Voir la chronologie succincte que nous proposons en annexe. Return to text

6 Joseph Reinach, Histoire de l’affaire Dreyfus, préface de Pierre Vidal-Naquet, introduction par Hervé Duchêne, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 2006 [1901-1911], t. II, p. 466. Return to text

7 La Gazette de France, 6-7 septembre 1898, texte cité par Philippe Oriol, L’Histoire de l’Affaire Dreyfus de 1894 à nos jours, Paris, Les Belles Lettres, 2014, t. II, p. 823-824. Return to text

8 Maurice Barrès, Scènes et doctrines du nationalisme, Paris, Félix Juven, 1902, p. 205. Return to text

9 Scènes et doctrines du nationalisme, p. 152. Return to text

10 Voir Léon Blum, Souvenirs sur l’Affaire, Paris, Gallimard, « Folio Histoire », 1993 [1935], p. 84-85. Return to text

11 Scènes et doctrines du nationalisme, p. 142. Return to text

12 Scènes et doctrines du nationalisme, p. 150-151. Return to text

13 Voir Bertrand Joly, Histoire politique de l’affaire Dreyfus, Paris, Fayard, 2014 : chap. IX, « Les antidreyfusards ». Return to text

14 Histoire de l'affaire Dreyfus, t. I, p. 850. Return to text

15 Histoire de l'affaire Dreyfus, t. I, p. 718. Return to text

16 Histoire de l'affaire Dreyfus, t. I, p. 718. Return to text

17 Histoire de l'affaire Dreyfus, op. cit., t. I, p. 340. Return to text

18 Histoire de l’affaire Dreyfus, t. II, p. 575. Return to text

19 Émile Zola, Mélanges critiques, Œuvres complètes, éd. Henri Mitterand, Paris, Cercle du Livre précieux, 1966-1970, t. XII, p. 650-651. Return to text

20 Œuvres complètes, éd. citée, t. XIV, p. 887. Return to text

References

Electronic reference

Alain Pagès, « L’affaire Dreyfus, laboratoire de l’infox », Savoirs en lien [Online], 1 | 2022, 15 December 2022 and connection on 11 November 2024. Copyright : Licence CC BY 4.0. DOI : 10.58335/sel.169. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/sel/index.php?id=169

Author

Alain Pagès

Sorbonne Nouvelle Paris 3

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