Notre-Dame de la Garde et l’OM, un lien sacré

  • Notre-Dame de la Garde and OM, a sacred link

DOI : 10.58335/football-s.831

p. 171-175

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La basilique Notre-Dame de la Garde a d’abord été un fort de défense de la ville bâti à partir de 1524 sous François Ier, autour d’une chapelle déjà existante depuis 12141. L’édifice actuel est construit dans un style romano-byzantin entre 1853 et 1897 grâce aux dons des fidèles souhaitant agrandir la chapelle qui devient une basilique à partir de 18792. Celle-ci est dédiée à la Vierge protectrice de la ville représentée avec l’Enfant dans ses bras par une statue monumentale au sommet du clocher qui domine le paysage marseillais et son autre « temple3 » : le stade Vélodrome inauguré en 1937. L’Olympique de Marseille (OM), le club résident du stade, est en effet souvent considéré comme une religion, notamment par les supporters. D’une certaine manière, les liens étroits entre l’édifice religieux symbolique de la ville et le club phocéen donnent du sens à cette conception. Ainsi de nombreux supporters, dirigeants et joueurs de l’OM sont venus prier et déposer un cierge dans la basilique afin d’implorer ou de remercier celle qui est considérée affectueusement, quelle que soit l’obédience religieuse, comme la « Bonne Mère ».

L’OM en pèlerinage

Lors de la venue de joueurs et de dirigeants olympiens en 1984, le président Jean Carrieu remercie la Bonne Mère pour la remontée du club en première division en inscrivant sur le livre d’or de la basilique « Action de grâce de l’OM montée en première division ». Ces mots sont accompagnés d’un fanion du club accroché parmi les ex-voto. À l’origine, les ex-voto sont pratiqués par les marins afin de remercier par une prière et/ou un don la Vierge de les avoir sauvés d’un naufrage ou d’une tempête4. Désormais, de plus en plus de supporters, joueurs et dirigeants de l’OM se rendent à Notre-Dame pour remercier « la Vierge Marie pour des victoires de l’OM5 ». La remontée du club phocéen en première division est perçue comme « un miracle » car trois ans auparavant, une équipe composée de minots a sauvé l’OM de la faillite en assurant le maintien en seconde division. Parmi ces minots présents en 1981, certains sont encore au club en 1984 comme José Anigo, qui fait partie de la délégation olympienne qui se rend à Notre-Dame de la Garde.

Un autre temps fort dans l’histoire du club est associé au lieu de culte. Quelques jours avant la finale de la Ligue des Champions du 26 mai 1993 à Munich remportée par l’OM face à l’AC Milan, l’équipe et les dirigeants olympiens se rendent en effet dans la basilique se souvenant que l’échec lors de la finale à Bari deux ans auparavant face à l’Étoile Rouge de Belgrade pouvait résulter de cette absence de dévotion. La victoire est dès lors interprétée comme le digne soutien apporté par la Vierge Marie. Plusieurs ex-voto accrochés en attestent.

Alors que l’OM dispute une nouvelle finale européenne, celle de la coupe de l’UEFA le 12 mai 1999, de nombreux supporters marseillais montent une nouvelle fois à la basilique afin de solliciter les bonnes grâces de la Vierge. En vain cette fois, car l’OM s’incline face à Parme. La foi n’en est pas pour autant ébranlée. Et lorsque l’OM atteint à nouveau la finale de cette compétition, en 2004, des cierges sont une fois encore allumés, sans succès non plus puisque c’est Valence qui brandit le trophée. Lors de cette même année et pour la première fois, un joueur de l’OM, Didier Drogba, fait don de son maillot à Notre-Dame de la Garde. Ce geste contribue sans aucun doute à faire entrer le prolifique attaquant ivoirien dans la légende du club, bien qu’il n’en ait porté les couleurs qu’une seule saison.

Les compétitions nationales donnent lieu aussi à des pèlerinages. Ainsi, la veille de la finale de la Coupe de France disputée le 29 avril 2006, le père Guérin est marqué par le nombre de cierges allumés ce jour-là, ce qui n’a pas empêché la défaite de l’OM face au Paris-Saint-Germain (PSG). Il remarque alors que « les gens ne voient pas toujours la frontière entre la foi et la superstition : la foi n’a pas pour but de faire gagner des matchs6 ». Cela n’empêche cependant pas les supporters de continuer à se presser à Notre-Dame notamment avant la finale de la Coupe de la Ligue remportée cette fois par l’OM face à Bordeaux le 27 mars 2010. Lors du match au Stade de France, une banderole brandie dans les tribunes a même été bénie par Monseigneur Bouchet, le recteur de la basilique. En 2018, à l’occasion de la finale de la Ligue Europa, lors d’une nouvelle visite, des supporters affichent au pied de la basilique des banderoles sur lesquelles est inscrits « la Bonne Mère veille sur l’OM » ; pas suffisamment pour assurer la victoire face à l’Atlético Madrid.

Figure n° 1 : visite des ultras marseillais avant la finale de Ligue Europa contre le Club Atlético de Madrid (mai 2018).

Figure n° 1 : visite des ultras marseillais avant la finale de Ligue Europa contre le Club Atlético de Madrid (mai 2018).

Crédits : Stanislas Maruffi.

Lors de la saison suivante, la séance photos prévue par les dirigeants de l’OM pour la nouvelle saison se déroule à la basilique. Dimitri Payet, joueur phare du club, se dit subjugué par le cadre et la vue. L’international français demande même à planifier une nouvelle séance photos dans un cadre privé cette fois-ci, afin d’annoncer la naissance de sa fille ; le stade Vélodrome est illuminé en rose à l’occasion de ces photos prises depuis la basilique. Cette opération a été rendue possible grâce à Frédéric Flandrin, surnommé « le curé de l’OM », qui s’occupe de la communication numérique du diocèse de Marseille et qui est également un ultra. Frédéric Flandrin obtint que le maillot de Payet soit cédé pour l’occasion à Notre-Dame le 22 juin 2020.

La Bonne Mère dans la culture ultra

La dévotion mariale empreinte de superstition est profondément ancrée dans la culture populaire locale et trouve de fait à se traduire dans la culture ultra.

Le 19 août 1995 à l’occasion de la 7e journée du championnat de France de seconde division contre Dunkerque au stade Vélodrome, les ultras marseillais présentent pour leur tifo un étendard géant représentant Notre-Dame de la Garde accolé aux lettres « OM7 ». Par la suite, un projet prend forme au sein du Commando Ultra, qui est le premier groupe ultra-français fondé le 31 août 1984 à Marseille. Il s’agit de réaliser un drapeau destiné à être agité à chaque match sur lequel figure la Bonne Mère avec en fond un soleil rouge et jaune et à sa base le nom « Ultras ». L’initiative ne se concrétise pas, mais elle est transformée en projet de tifo sur toute la partie basse du Virage Sud à l’aide de milliers feuilles en papier sorti au moment même de l’entrée des joueurs et prenant la forme de la basilique8. Le tifo est réalisé à l’occasion de la réception du PSG, match le plus attendu et le plus médiatisé de l’année compte tenu de la rivalité entre les deux clubs9, lors de l’avant-dernière journée du championnat de France de première division le 17 mai 1997. La réussite de ce tifo est telle que l’image est utilisée en fond sur les cartes d’adhésion au groupe Commando Ultra pour la saison suivante 1997-199810.

Le perfectionnement des tifos réalisés par les différents groupes de supporters ultras marseillais leur donne un aspect toujours plus spectaculaire. Notre-Dame de la Garde y est très souvent représentée, notamment lors des matchs importants porteurs d’une forte symbolique. Par exemple, pour fêter les 120 ans de l’OM à l’occasion du match de championnat de France de première division face à Lyon le 10 novembre 2019, les groupes de supporters ultras du Virage Sud réalisent un tifo en trois dimensions mettant en avant Notre-Dame de la Garde.

Figure n° 2 : Tifo du virage Sud du stade Vélodrome le 10 novembre 2019 avant le match Olympique de Marseille-Olympique Lyonnais.

Figure n° 2 : Tifo du virage Sud du stade Vélodrome le 10 novembre 2019 avant le match Olympique de Marseille-Olympique Lyonnais.

Crédits : Sylvain Darmagnac.

L’Église n’hésite pas à apporter sa contribution à certains rituels ultras. Ainsi, pour la célébration des 30 ans de la victoire en Ligue des Champions le 26 mai 2023, ce sont les cloches de Notre-Dame de la Garde qui retentissent en premier pour donner le signal de la célébration animée par les ultras qui allument les premiers fumigènes sur le parvis de la basilique. En retour, pourrait-on dire, les ultras participent à des rituels de l’Église. En septembre 2023, pour la venue du pape François à Marseille, le groupe des South Winners déploie avant la messe au stade Vélodrome un tifo en trois dimensions à l’effigie du pape accompagné de Notre-Dame de la Garde. Le mois suivant, un rassemblement pour la paix a lieu devant la basilique de Notre-Dame de la Garde avec la présence du dirigeant du groupe de supporters des South Winners Rachid Zeroual, du recteur de la basilique le Père Olivier Spinosa, du rabbin Haïm Bendao et de l’imam Hassan Rajii. L’initiative en revient au groupe de supporters marseillais qui, dans le contexte de l’exacerbation du conflit israélo-palestinien, fait écho au projet œcuménique porté depuis les années 1990 par Marseille Espérance, instance réunissant autour du maire les responsables religieux11.

Au début des années 2000, les supporters marseillais participent aussi activement à la rénovation de Notre-Dame de la Garde. Afin de financer une partie des travaux qui ont lieu en 2002 et en accord avec le diocèse de Marseille, les groupes de supporters des Yankee, des Fanatics, des South Winners, des Amis de l’OM, des Dodgers (dont le logo représente la basilique), du CCS et du Commando Ultra s’associent dans une vaste opération de vente de t-shirt au stade Vélodrome lors du match entre l’OM et Bastia le 12 janvier 2002 comptant pour la 21e journée du championnat de France. Pour ce match, le groupe de supporters des South Winners a réalisé un tifo représentant la basilique à l’aide de feuilles de papier, accompagné d’une banderole sur laquelle était inscrit « Que la Bonne Mère soit avec nous ». Avec environ 250 t-shirts vendus lors de ce match, les supporters marseillais ont permis de récolter environ 2 000 € reversés au diocèse de Marseille pour les travaux de rénovation.

Ce type d’opération pourrait être reconduite en fin d’année 2024, avec le diocèse de Marseille qui a lancé un appel au don afin de financer les nouveaux travaux de rénovation de la statue de Notre-Dame de la Garde.

La dimension patrimoniale de Notre-Dame de la Garde dépasse donc le cadre religieux et le seul culte catholique. Symbole revendiqué de toute une ville où le brassage des populations a conduit à une mosaïque des religions, la basilique est bien à ranger aussi au rang du patrimoine sportif compte tenu des rapports étroits entretenus entre le football et la Bonne Mère, indissociablement réunis dans la ferveur des Marseillais.

Notes

1 Voir Judith Aziza, Une Histoire de Marseille en 90 lieux (xvie-xxe siècle), Marseille, Éditions Gaussen, 2019, p. 88. Return to text

2 Pour une présentation plus détaillée voir Régis et Frédérique Bertrand, Notre-Dame de la Garde de Marseille. Le Guide, Saint-Laurent-du-Var, Mémoires millénaires, 2018. Return to text

3 Judith Aziza, op. cit., p. 194. Return to text

4 Voir Bernard Cousin, Le regard tourné vers le Ciel. Ex-voto peints de Provence, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2017. Return to text

5 « Notre-Dame-de-la-Garde fait-elle vraiment des miracles ? », 20 minutes, le 21 juin 2019. Return to text

6 « Quand les supporteurs de l’OM s’en remettent au ciel », Le Parisien, le 4 octobre 2015. Return to text

7 Collectif « Commando Ultra’ 84 », Ultras Marseille. L’histoire depuis 1984.Un mythe, une foi, un combat, autoédité, 2001, p. 146. Return to text

8 Ibid., p. 166. Return to text

9 Voir Daniel Riolo, Jean-François Pérès, PSG-OM/OM-PSG. Histoire d’une rivalité, Paris, Hugo Sport, 2014. Return to text

10 Collectif « Commando Ultra’ 84 », op. cit., p. 169. Return to text

11 Voir Cesare Mattina, « Gouverner la ville avec des milieux « communautaires ». Construction et légitimation des « communautés » gagnantes dans l’espace public marseillais », Métropoles, 19, 2016. Return to text

Illustrations

  • Figure n° 1 : visite des ultras marseillais avant la finale de Ligue Europa contre le Club Atlético de Madrid (mai 2018).

    Figure n° 1 : visite des ultras marseillais avant la finale de Ligue Europa contre le Club Atlético de Madrid (mai 2018).

    Crédits : Stanislas Maruffi.

  • Figure n° 2 : Tifo du virage Sud du stade Vélodrome le 10 novembre 2019 avant le match Olympique de Marseille-Olympique Lyonnais.

    Figure n° 2 : Tifo du virage Sud du stade Vélodrome le 10 novembre 2019 avant le match Olympique de Marseille-Olympique Lyonnais.

    Crédits : Sylvain Darmagnac.

References

Bibliographical reference

Stanislas Maruffi, « Notre-Dame de la Garde et l’OM, un lien sacré », Football(s). Histoire, culture, économie, société, 5 | 2024, 171-175.

Electronic reference

Stanislas Maruffi, « Notre-Dame de la Garde et l’OM, un lien sacré », Football(s). Histoire, culture, économie, société [Online], 5 | 2024, 06 December 2024 and connection on 18 December 2024. Copyright : Licence CC BY 4.0. DOI : 10.58335/football-s.831. URL : https://preo.u-bourgogne.fr/football-s/index.php?id=831

Author

Stanislas Maruffi

Doctorant en histoire à Aix Marseille université - Laboratoire TELEMME en cotutelle avec l’université de la Sapienza de Rome

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Licence CC BY 4.0