À chaque printemps, le trophée en argent Charles-Simon destiné au vainqueur de la Coupe de France passe quelques jours à Palaiseau, dans le département de l’Essonne, au sein des ateliers de la bijouterie Drago Paris1. Avant de retrouver la lumière du Stade de France pour la finale de la plus ancienne compétition du football français, la coupe, parfois malmenée durant les célébrations de sacre, vient se refaire une beauté chez l’orfèvre, faisant partie depuis 2018 du groupe Chevalier aux côtés de trois autres grandes marques de bijouterie de luxe. Elle ressort accompagnée de ses répliques miniatures destinées aux joueurs vainqueurs de la compétition, également confectionnées par le joaillier.
La célèbre bijouterie, qui fabrique notamment de nombreuses décorations civiles et militaires, dont la Légion d’honneur, entretient un lien particulier avec le football. Cette connexion, établie par son emblématique dirigeant Charles Émile Drago, est la prolongation d’une histoire de plusieurs décennies, marquée notamment par l’organisation de la compétition éponyme, la Coupe Charles Drago2, ou « Consolante » de la Coupe de France disputée entre 1953 et 1965. Loin d’être anecdotique, l’épreuve propose à l’historien une plongée dans la dynamique de développement du football hexagonal durant l’après Seconde Guerre mondiale. Elle l’amène à redécouvrir un personnage, décrit par la presse sportive et les organes de communication de la Fédération française de football (FFF) comme un humaniste, influent dans le cénacle du ballon rond de l’après-guerre aux années 1970, dépassant largement son statut de confectionneur de trophées. Tandis que « le football professionnel traverse une crise » et que nombreux clubs se trouvent en difficulté financière, de l’aveu même des institutions de l’époque3, le parcours de Charles Drago met en lumière les tentatives des dirigeants de moderniser le football français visant à ramener les spectateurs dans les stades.
La maison Drago, des insignes militaires aux trophées sportifs
Né en 1908, Charles Émile Drago est le fils de Joseph Séraphin Drago. Ce dernier, un graveur et ciseleur sur métaux d’origine italienne venu au monde le 28 mai 1883 à Nice4, fonde en 1912 son atelier-entreprise dans sa ville natale au 39 rue Gioffredo, avant d’ouvrir dès 1920 une succursale parisienne. Il se spécialise dans la réalisation des insignes militaires pour l’armée française, qui apparaissent durant la Grande Guerre concomitamment avec la mécanisation croissante de l’armée5. Les symboles sont d’abord peints sur les fuselages d’avions et les carrosseries de camions, puis reproduits sous forme de broche sur les uniformes. Durant l’entre-deux-guerres et après le second conflit mondial, le port de l’insigne se généralise progressivement aux différents régiments, accompagnant un nouveau système de marques symboliques sur l’uniforme : attributs spécifiant l’arme, la subdivision d’arme, le grade, l’ancienneté, les qualifications ; et se codifie avec l’intervention croissante du ministère des armées et du service historique de l’Armée pour approuver les insignes6.
Lorsque Charles Émile Drago reprend l’affaire familiale en 1948, il s’installe à Paris7 à proximité des grands corps d’armée et poursuit le développement de l’entreprise avec les décorations militaires, mais aussi civiles, et produit des symboles en tout genre. En 1961, une page de publicité figurant sur le numéro spécial de la revue historique de l’armée dédié à la Gendarmerie nationale dévoile différentes réalisations de l’entreprise8 :
La figure n° 1 donne à voir la diversification de l’activité de l’entreprise dans les années 1960, loin d’être exclusive au domaine miliaire mais également ouverte aux secteurs de l’industrie, comme l’illustre l’insigne de Japy, famille industrielle belfortaine présente dans de nombreux secteurs d’activité depuis le Second Empire, comme l’horlogerie ou les machines à écrire. La firme Drago travaille aussi pour le domaine associatif, comme en atteste le porte-clé représentant l’emblème de l’association internationale d’entraide et de charité Rotary international. Aujourd’hui, cette prestigieuse entreprise mobilise son savoir-faire artisanal pour fabriquer plusieurs millions de médailles dans des domaines variés, dont plusieurs milliers pour la République française et pour d’autres États. Signe de sa reconnaissance dans le monde sportif, le fleuron français de la distinction honorifique a obtenu la licence exclusive pour la fabrication des pin’s officiels des Jeux olympiques de Paris 20249.
L’idée de la « Coupe Drago » ou comment remplir les caisses des clubs
Le 18 septembre 2019, la Ligue de football professionnel acte la suspension de la Coupe de la Ligue au terme de la saison 2019-2020, au terme de sa vingt-sixième édition. Votée à 66 % des suffrages exprimés par l’assemblée générale, cette décision, motivée par le manque de diffuseur pour retransmettre la compétition à la télévision10, répond également à un souhait partagé par plusieurs clubs, désireux de voir le calendrier sportif s’alléger de cette compétition dépréciée dans un contexte général d’empilement des compétitions et d’inflation du nombre de matchs. Aux origines lointaines de la Coupe de la Ligue, alors que viennent d’être soufflées les bougies du vingtième anniversaire du professionnalisme en France et dans un contexte où il était impensable d’arrêter une compétition faute de diffuseur à la télévision, se trouve la Coupe Charles Drago. Portant le nom officiel de Challenge du Groupement des clubs autorisés, elle est disputée à treize reprises entre 1953 et 196511. Cette compétition, oubliée ou méconnue du grand public, peut être considérée comme l’ancêtre de la Coupe de la Ligue, en raison de la participation exclusive des clubs professionnels, son statut de seconde coupe nationale derrière la Coupe de France, son format à élimination directe.
L’origine de cette compétition s’inscrit dans une conjoncture économique difficile pour les clubs français, notamment liée à la diminution générale de l’affluence dans les stades, la hausse des salaires et des coûts de transfert des joueurs12. Elle rend aussi compte d’un environnement institutionnel remodelé à l’après-guerre avec la création, le 27 octobre 1944, du Groupement des clubs autorisés chargé de la gestion du football professionnel, relevant auparavant de la FFF. À la Libération, l’interdiction du football professionnel durant la période vichyste est toujours présente dans les têtes des dirigeants, pour lesquels la Fédération n’a pas constitué un rempart suffisamment puissant pour préserver ses activités. Les dirigeants des clubs professionnels s’émancipent donc de la tutelle fédérale, sans aller jusqu’à un schisme total. La FFF conserve, en tant que fédération délégataire, une autorité sur cette nouvelle association. Un protocole fixant les relations entre la Fédération et le Groupement a été élaboré en 1945, tenant compte des statuts, des prérogatives et des missions des deux associations. L’autonomie du Groupement, qui prend le nom de Ligue nationale de football à partir de 1958, se renforce en 1955 avec le déménagement de son siège hors des locaux de la Fédération.
Répondant à une volonté de ramener le public dans les stades, la mise en place du Challenge du Groupement résulte de l’action institutionnelle conjointe d’Emmanuel Gambardella, président de la Fédération et du Groupement, et de Marcel Delisle, initiateur du Challenge, qui a présidé la commission d’étude chargée d’examiner les possibilités de création d’une coupe de consolation regroupant les clubs éliminés de la Coupe de France jusqu’aux huitièmes de finale et de proposer un règlement13. Le premier, journaliste sétois considéré comme l’un des pères fondateurs du professionnalisme français14, joue de sa figure tutélaire du football français et de sa double casquette de président de la Fédération et du Groupement pour faire naître la compétition dans un contexte institutionnel encore instable – la séparation entre les deux instances ne datant que de la Libération – et de les faire coopérer afin d’articuler la Coupe de France et son tournoi de consolation. Le second, président du Stade Rennais Université Club entre 1946 et septembre 195215, membre du bureau fédéral de la Fédération et du comité directeur du Groupement depuis 1945 – symbolisant comme son collègue Gambardella la porosité entre les deux institutions – a développé et défendu l’idée du Challenge de Groupement pour remplir les dimanches chômés des clubs professionnels éliminés de la Coupe de France devant le comité directeur et l’assemblée générale du Groupement. Pierre Delaunay, secrétaire général du Groupement puis de la FFF, le qualifie en 1959 de véritable « père spirituel » de la compétition16.
À l’époque, les motivations conduisant à la création du Challenge du Groupement sont essentiellement économiques17. La nouvelle compétition doit permettre de combler le vide dans le calendrier laissé par l’élimination précoce en Coupe de France, ainsi que la note Pierre Delaunay : « depuis longtemps, les dirigeants des clubs autorisés se plaignaient de se trouver sans compétition aux dates rendues libres par leur élimination en Coupe de France18 ». Les charges de fonctionnement d’une section professionnelle n’autorisant pas de période d’inactivité sportive19, les clubs éliminés prématurément en Coupe de France disputaient des matchs amicaux pour vendre des billets et maintenir les joueurs en condition physique entre deux rencontres de championnat. Ces joutes amicales attirant de moins en moins le public20, la création d’un Challenge devait susciter un intérêt accru auprès des spectateurs et générer des recettes plus importantes. Pour le Groupement des clubs autorisés, l’intérêt sportif de la mise en place d’une compétition de consolation de la Coupe de la France est secondaire. Ses dirigeants reconnaissent néanmoins que ce nouveau tournoi permettra aux équipes d’essayer de nouveaux joueurs, par l’intégration des jeunes ou d’éléments de la section amateur, de tester d’autres stratégies de jeu, en offrant un cadre compétitif soumis à une pression moindre21. Pendant 13 ans, la compétition se révèle être un véritable laboratoire sportif pour les clubs, une large partie des entraîneurs faisant tourner leurs effectifs en mobilisant régulièrement des jeunes et des joueurs amateurs. Elle constitue aussi un lieu d’innovation pour le football professionnel avec par exemple, l’irruption des rencontres en semaine permise par l’essai de l’éclairage nocturne en compétition ou des délocalisations de matchs dans les régions moins acquises au professionnalisme22.
Au-delà de sa constitution réglementaire, la Coupe nouvellement créée doit trouver son identité symbolique en se dotant notamment du trophée remis au vainqueur. Par la voix d’Emmanuel Gambardella, l’assemblée générale du 5 juillet 1952 du Groupement des clubs autorisés prend connaissance d’une lettre d’un dénommé Charles Drago, fabricant d’objets d’art, qui propose d’offrir à cette nouvelle épreuve le trophée. L’assemblée générale accepte cette donation, tout en remerciant le généreux mécène23, qui n’est pas tout à fait un inconnu, déjà décrit l’année suivante par la Revue fédérale comme un « parisien influent dans le monde footballistique »24. Les deux dirigeants initiateurs de la Coupe Drago, Emmanuel Gambardella et Marcel Delisle décèdent rapidement après la mise en place de la compétition – dans une période pendant laquelle le football français connaît une vague de disparitions qui provoque un renouvellement de ses dirigeants. Le bijoutier incarne donc le visage de cette épreuve qui est vite plus connue sous son propre nom : la Coupe Drago.
Le trophée, une véritable vitrine
Le trophée du vainqueur de la compétition et les médailles distribuées aux joueurs de toutes les équipes ayant atteint les quarts de finale conçues et offertes par Charles Drago contribuent à la popularisation de la compétition et du bijoutier. La majestueuse coupe en argent massif mesure plus d’un mètre, au-dessus d’un socle serti des écussons des provinces et des villes de l’Hexagone et sur laquelle est gravé en grosses lettres « Coupe Charles Drago », – et non « Challenge du Groupement », le nom officiel de la compétition, symbolisant bien à quel point le nom usuel s’est rapidement imposé. La beauté du trophée a largement été mise en avant, via la communication officielle des instances du football dans leur Revue fédérale25 ou dans la presse sportive26. Antoine Chirasoli, le président du Groupement entre 1961 et 1967, qualifie la Coupe Drago, de manière emphatique, « d’un des plus beaux trophées sportifs qui soient au monde » au cours de l’assemblée générale du 26 juin 196527, actant la disparition de la compétition. Dans les colonnes de L’Équipe, le journaliste Jacques de Ryswick s’enthousiasme ainsi devant l’œuvre d’art du bijoutier niçois :
Chaque année, à cette époque estivale, on s’extasie sur la somptuosité de la Coupe Drago. Je parle, bien sûr, du trophée lui-même : le généreux donateur n’a décidément regardé ni à l’éclat ni au volume : c’est presque trop beau pour une épreuve de consolation, et, à côté de ces ors éclatants et provoquants, la sobre et modeste Coupe de France, avec ses argents ternis, pâlirait : elle aurait presque l’air d’une parente pauvre28 !
Souvent représenté sur les supports de presse ou de communication, le trophée sert de vecteur promotionnel de la compétition, comme le montre le montage iconographique, publié le 6 juin 1957 dans L’Équipe, jour de la finale entre l’Olympique de Marseille et le RC Lens (voir figure ci-dessous).
Le trophée est également représenté sur divers objets, comme le médaillon ci-dessous exposé au Musée des Verts à Saint-Étienne :
Si la compétition sportive, au prestige limité, ne marque pas toujours les esprits et ne provoque pas un enthousiasme débordant, l’œuvre d’art de Charles Drago suscite une admiration partagée et devient un symbole fort du tournoi, sur lequel le bijoutier imprime sa patte.
Charles Drago, un influent mécène-ambassadeur de sa Coupe
Décrit comme une personnalité affable et souriante par la Revue fédérale29, Charles Drago se montre opiniâtre dans la promotion et la pérennisation de « sa » compétition30, pour laquelle il mobilise ses relations avec les dirigeants du football professionnel français. Son investissement est loin de se limiter au don du trophée et des breloques. Le dirigeant d’entreprise se révèle être un véritable ambassadeur de la compétition, incarnant le visage de l’épreuve et jouant en premier lieu un rôle symbolique de représentation. À plusieurs reprises, aux côtés des dirigeants du Groupement, il assiste aux finales et remet le trophée au vainqueur de l’épreuve, par exemple en 1956 à l’issue de la finale disputée entre Nîmes et Lille31, installé aux premières loges devant les journalistes. Mais Charles Drago ne se contente pas de faire de la communication. Il s’implique véritablement dans l’organisation de la compétition. Il participe très régulièrement aux tirages au sort réalisés par la commission sportive du Groupement. Il est force de proposition et cherche activement à améliorer le règlement de l’épreuve afin de renforcer son intérêt et de contribuer à son développement32. Il réunit notamment à la fin de l’année 1954, alors que les premiers pas de la compétition sont mitigés, les membres de la commission sportive lors d’un dîner qualifié par la Revue fédérale d’« amical et dans une ambiance de camaraderie » pour débattre des modifications esquissées pour son épreuve éponyme33.
Témoignage direct de son intégration dans les réseaux de sociabilité de football professionnel français, le bijoutier organise annuellement un déjeuner réunissant des journalistes et des dirigeants du Groupement afin d’échanger sur le Challenge du Groupement et d’autres sujets concernant le football professionnel français, comme en atteste ce compte rendu publié dans L’Équipe le 19 mai 1955 :
Comme chaque année, M. Charles Drago a réuni les journalistes et radioreporters parisiens en un déjeuner amical que présidait M. Paul Nicolas. Il fut d’abord question de la Coupe des juniors (Challenge E. Gambardella), filleule de la Coupe Drago, Pierre Junqua, secrétaire du Groupement, rappela que cette finale serait jouée le jeudi 26 mai au Parc des Princes, en une journée réservée exclusivement aux jeunes. On parla ensuite de la Coupe Drago. Est-elle indispensable et utile ? À cette question, M. Paul Nicolas répondit nettement : « Il y a plusieurs améliorations à apporter à la compétition : tout d’abord, abandonner le système de hiérarchie accordant au plus faible la victoire en cas de match nul. D’autre part, faire jouer toutes les rencontres en nocturne, même et surtout les matchs à rejouer. Il y a vraisemblablement d’autres mesures à prendre. Il reste, en tout cas, que la Coupe Drago est une compétition indispensable qui permet aux clubs de jouer quand leur calendrier officiel n’est pas meublé qui leur permet aussi d’améliorer leur situation financière à coup sûr ». Il est certain que la Coupe Drago a pris aujourd’hui une place et une importance dont tous les clubs à l’unanimité, vanteront les mérites.
Malgré l’image d’une compétition souvent dévalorisée par la presse et par les clubs eux-mêmes, et qui ne parvient pas à se défaire de l’étiquette de tournoi des perdants, dans lequel l’engagement sportif est parfois douteux et qui n’attire pas les foules, la Coupe Drago suscite débats et innovations34. La compétition fait l’objet d’évolutions très régulières, notamment concernant les conditions de départage en cas d’égalité, les primes attribuées ou encore les dates et les lieux des rencontres. Et en 1956, preuve que la compétition est installée, Paul Nicolas choisit le « déjeuner Drago » pour annoncer à la presse sa démission de la présidence du Groupement à la presse35.
Par ailleurs, comme le relate l’article de L’Équipe précédemment cité, Charles Drago place également sous son patronage la Coupe Gambardella36, créée en 1954 et mettant aux prises les équipes juniors du pays, à laquelle il fournit également le trophée37. La compétition porte le nom de l’ancien président de la Fédération et du Groupement, décédé brutalement le 30 août 1953, pour lequel le bijoutier a adressé au Groupement un télégramme de condoléances38. Le trophée de la coupe nationale des juniors, en verre, possède un style et une forme bien différents que celui du Challenge du Groupement.
Preuve de son influence dans le football hexagonal, en 1960, le comité directeur offre symboliquement à Charles Drago une grande plaquette de la Ligue nationale de football pour le remercier de ses services39.
La lutte contre la violence dans le sport, un combat en héritage
Dépassant son engagement sur la scène française, Charles Drago cherche à étendre son influence dans le milieu du sport. Dans un contexte d’amplification des phénomènes de violences dans les stades et dans le sport avec une montée en puissance du supportérisme radical au cours des années 1960 et 197040, il fonde en 1972 et anime l’association internationale contre la violence dans le sport (AICVS), qui regroupe, en 1976, 53 nations dans l’objectif de promouvoir la lutte contre la violence, la brutalité, les excès et les désordres dans le sport. Installée à Monaco, l’association bénéficie du patronage du Prince Rainier III de Monaco qui confère à l’association une subvention et un siège social. L’association décerne par exemple, en partenariat avec la Fédération française du football et le Groupement, le « Trophée national du meilleur public sportif », à partir de la saison 1972-1973, récompensant le meilleur public de première et de deuxième division. Charles Drago remet le trophée à l’AS Nancy-Lorraine en 197341. Le trophée possède une esthétique analogue à celle de la Coupe Jules Rimet décernée au vainqueur de la Coupe du monde. Toutefois, Charles Émile Drago décède à l’âge de 68 ans, le 18 juillet 1976, dans sa villa « La Dragonnière » située à Villefranche-sur-Mer, rapidement après la création de l’association qu’il laisse en héritage. La Revue fédérale rend hommage dans ses colonnes à « un éditeur de fabricant de Coupes bien connu et de médailles » et rappelle que la Fédération et le Groupement se sont associés à son combat contre la violence dans le sport. Le vice-président de la Fédération, Vincent Guieu, se rend aux obsèques organisées à Nice42. Durant quelques années, Madame Drago poursuit l’action de son mari et continue de représenter la famille en devenant vice-présidente de l’association. Elle se rend par exemple en 1978 au Grand Prix de Monaco de Formule 1 pour représenter l’association43. L’influent journaliste de L’Équipe Jacques Ferran, petit-fils d’un orfèvre napolitain, déjà très impliqué sur les questions d’éthique sportive44, reprend la présidence de l’association45. Pendant une trentaine d’années, le rédacteur en chef de France Football et de L’Équipe développe l’association aux côtés de Georges Bertellotti, journaliste sportif monégasque qui assure la fonction de secrétaire général. L’association multiplie les actions de plaidoyer à l’international, avec des interventions, conférences ou colloques pour faire passer son message. Sur la scène française, le journaliste s’impliquera dans l’Association Française pour un Sport Sans Violence et pour le Fair-Play, issue de la fusion entre le Comité français pour le Fair-Play créé par Jean Borotra et l’Association française pour un sport sans violence dont il sera vice-président et président d’honneur.
Conclusion
Le parcours du Charles Émile Drago ressemble à certains égards à celui de Charles Brennus, médailleur et ciseleur parisien, surnommé « le père du rugby français », président fondateur du Sporting club universitaire de France rugby et président de la commission du rugby de l’Union des sociétés françaises des sports athlétiques (USFSA) de 1900 à 1919, qui fut le créateur du fameux Bouclier, trophée pour lequel ferraillent les joueurs de ballon ovale de l’Hexagone depuis plus de 130 ans46. Le bijoutier Drago, se révèle être bien plus que le prête-nom d’un trophée qu’il a confectionné, mais un important ambassadeur de sa compétition, et plus généralement du football professionnel – dans un contexte de développement sportif et économique précaire et instable durant l’après-guerre –, et s’implique notamment pour défendre l’éthique du ballon rond et du sport.
L’étude des sources internes à l’entreprise de Charles Drago ou de ses archives familiales, qui n’a pas été possible dans le cadre de cette recherche, pourrait permettre de préciser les motivations de l’implication du dirigeant dans le football. En particulier, elle serait susceptible d’argumenter ou d’infirmer l’hypothèse que cet engagement dans le sport répondrait à une stratégie commerciale ayant pour but de développer la fabrication d’insignes et de trophées sportifs, correspondant à la dynamique de diversification de l’activité de l’entreprise dans l’après-guerre, ou relèverait uniquement d’un engagement personnel de son dirigeant. En tout cas, les liens étroits entre la maison Drago et la Ligue nationale de football ont survécu à la disparition du bijoutier. Dix-sept ans après la suppression de la Coupe Drago, la Ligue nationale de football reprend l’idée d’une seconde coupe nationale destinée aux équipes professionnelles, faisant naître la Coupe d’été 1982. La famille Drago reste associée à cette nouvelle compétition, puisque le trophée, remis au Stade lavallois vainqueur de l’épreuve, a été offert par Madame Drago47.
Épreuve de second rang, déjà assez confidentielle durant son existence, la Coupe Charles Drago est rapidement sortie de la mémoire collective. Très rarement mise en avant dans la presse et par les clubs dans l’histoire du football, elle garde néanmoins l’image d’une compétition de consolation singulière, aux règles parfois atypiques, dont le nom de Drago lui reste pleinement associé, en témoigne la présentation faite, en 2017 par l’hebdomadaire France Football :
Rien à voir avec Ivan Drago, le boxeur soviétique de Rocky IV. Humaniste du foot français, fondateur notamment du challenge du meilleur public, Charles-Édouard Drago [sic] eut l’idée d’une consolante repêchant les clubs éliminés avant les quarts de Coupe de France, qui s’affrontaient pour remporter ce titre honorifique. La finale avait majoritairement lieu loin de Paris (Rouen, Limoges, Alès…) et a toujours couronné un club provincial (Sochaux et Lens l’ont gagné trois fois chacun, en treize éditions de 1953 à 1965). L’OM, l’ASSE ou Monaco figurent aussi au palmarès48.