Dans leur trilogie « L’Argent du football », les chercheurs en économie du football Luc Arrondel et Richard Duhautois1 ont consacré leur deuxième volume à l’Amérique du Nord. La richesse du pays et la diversité de sa population n’ont pas empêché le football des États-Unis de connaître sa part d’échecs. La faillite de l’American Soccer League en 1931, puis celle de la NASL (North American Soccer League) en 1984, ont constitué un choc dans un pays où la réussite est consubstantielle à l’activité. Les auteurs cherchent à déterminer les facteurs de succès de l’actuelle MLS (Major League Soccer) et à vérifier que la gestion de cette épreuve suit bien le chemin vertueux qu’ils ont identifié tout en évitant les embûches qui ont provoqué les échecs des tentatives précédentes.
Le livre revient sur les raisons de l’arrêt de la NASL après une période faste marquée par la présence de stars étrangères conduites par Pelé au New York Cosmos. L’augmentation trop rapide du nombre de franchises les a vulnérabilisées et entraîné la disparition des dix plus fragiles en 1982. Les affluences plafonnèrent puis régressèrent, rendant insupportables les salaires élevés versés à des vedettes étrangères vieillissantes. Le désintérêt des chaînes de télévision, que les auteurs sous-estiment peut-être, apportera le coup de grâce à la NASL en la privant d’exposition médiatique. En 1988, après avoir obtenu leur désignation par la FIFA pour organiser la Coupe du monde 1994, les Américains se retrouvent face à une contrainte de taille : créer un championnat national professionnel à partir d’une feuille blanche. Il existe toutefois un véritable potentiel puisque le nombre de licenciés des États-Unis est le deuxième au monde après celui de l’Allemagne. Le football est très pratiqué en milieu scolaire, chez les moins de 15 ans, la parité entre les genres est acquise et la solidité du championnat universitaire NCAA crée une base de jeunes joueurs servant de réservoir aux franchises. Des images fortes apportées par la télévision incitent les médias à relayer un message positif pour le football, comme le bon parcours (quart de finale) de l’équipe nationale masculine à la Coupe du monde 2002 et les deux premières victoires de l’équipe féminine aux Coupes du monde 1991 et 1999. Le geste de Brandi Chastain enlevant son maillot après son penalty victorieux pour faire apparaître sa brassière passera à la postérité. Habitué à la victoire, le public américain aime les vainqueurs.
L’ouvrage identifie certaines pratiques comme l’instauration d’une ligue fermée, l’expansion programmée du nombre d’équipes, le salary cap, la limitation des budgets ou la division du pays en deux conférences géographiques, qui sont empruntées aux autres grands sports américains. D’autres sont issues d’une réflexion approfondie, comme le lien contractuel créé directement entre les joueurs et la MLS, et non pas les franchises engagées dans le championnat. Sur le modèle d’une société coopérative, les investisseurs-opérateurs des franchises sont actionnaires de la MLS, créant ainsi un mécanisme de solidarité entre eux, basé sur le partage de la billetterie avec une caisse de péréquation gérée par la MLS qui prélève 30 % des recettes.
Ce système permet le maintien d’un équilibre compétitif et le soutien des franchises les plus fragiles, rendu nécessaire dans le cas d’une ligue fermée. On peut ajouter à l’analyse des auteurs que le système de promotion-relégation en vigueur en Europe permet justement d’éliminer les plus faibles équipes et de les remplacer par des nouvelles, dont le potentiel a été démontré sur le terrain. L’intégration maîtrisée de nouvelles franchises permet de conquérir des territoires inexploités ou de créer des rivalités locales dans des agglomérations comme New York ou Los Angeles qui peuvent accueillir plusieurs franchises, grâce notamment à la présence de communautés hispanophones friandes de football. Elle s’effectue sous le contrôle de la MLS et donne lieu au paiement d’un droit d’entrée qui atteint désormais la valeur d’un bon club européen. Le salary cap s’accompagne d’un système de joueurs « désignés » dont le salaire n’est pas pris en considération dans la vérification du respect de cette contrainte. Le livre insiste justement sur la nécessité du recours à une main-d’œuvre étrangère (8 joueurs maximum par franchise) et sur le niveau relativement bas des salaires, causé par l’absence de concurrence découlant du système de centralisation des contrats des joueurs.
Les auteurs abordent également le sujet de la valeur des clubs, qui est estimée par des agences indépendantes. Ils constatent que les chiffres fournis sont bien corrélés à ceux constatés lors des transactions effectuées et concluent à leur fiabilité. Mais n’y a-t-il pas une influence de ces estimations, qui servent alors de références, sur le prix demandé, sur le modèle de la cotation d’un véhicule ou d’un timbre-poste de collection ? D’autre part, la plus-value dégagée lors de la vente des actions d’une franchise devrait permettre, en cas de bonne gestion, de compenser les investissements réalisés pendant la détention du club, les bénéfices annuels n’étant pas suffisants pour atteindre ce but.
La courbe des affluences fait l’objet d’une étude attentive. La hausse régulière de la jauge moyenne est un indicateur pertinent de la croissance de l’intérêt du championnat sur un public local. La MLS insiste pour que les franchises utilisent des stades conçus pour le football et non pour d’autres sports. Même s’ils augmentent régulièrement, les droits de diffusion à la télévision restent encore assez faibles et sont sans rapport avec ceux de la NBA, de la NFL ou de la MLB. Les audiences sont élevées pour les play-offs ou quand les équipes alignent des stars comme Messi à l’Inter Miami CF, ou des joueurs mexicains. Mais les spectateurs sont plus attirés par les championnats nationaux (Angleterre, Espagne, Mexique), par la Ligue des champions de l’UEFA ou par les matches des équipes nationales masculine et féminine.
Le travail de Luc Arrondel et Richard Duhautois apporte une bonne synthèse sur un championnat encore peu suivi en Europe et utilise des indicateurs probants pour se faire une idée de son potentiel de développement. La démonstration de la validité des choix réalisés dans l’organisation du championnat est efficace et permet de compléter l’analyse sur le football européen et le football féminin menée dans les deux autres ouvrages de cette série.